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Date : 20151123


Dossier : T‑1640‑13

Référence : 2015 CF 1305

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 23 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

VICTOR COUTLEE

demandeur

et

BANDE INDIENNE DE LOWER NICOLA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande vise à contester la décision du 6 juin 2013 rendue par la bande indienne de Lower Nicola de modifier les Custom Election Rules of the Lower Nicola Indian Band (1998)[Règles coutumières de 1998 d’élection de la bande indienne de Lower Nicola] (les Règles) de manière à retirer de la structure de gouvernance de la bande indienne de Lower Nicola le Conseil des aînés qui entend les appels en matière d’élections. Toutefois, la question principale à trancher est celle de savoir si le chef et le conseil de la bande indienne de Lower Nicola (le conseil) qui étaient au pouvoir à l’époque pertinente ont suivi la procédure de modification des Règles, établie dans les Règles, qui doit précéder toute décision des électeurs. En effet, la conclusion relative à la question principale dépend de la réponse à la question suivante : l’interprétation des dispositions modificatives des Règles par le conseil et les mesures prises en fonction de cette interprétation sont‑elles raisonnables? Pour les motifs suivants, la réponse est affirmative.

I.                   Les dispositions modificatives des Règles de 1998

[2]               Les dispositions modificatives à examiner sont les suivantes :

[traduction

31. Les présentes Règles peuvent être modifiées après l’adoption par le conseil de bande d’une résolution en vue de convoquer une assemblée spéciale de la bande à cette fin, dans les 60 jours de la date de la résolution. Cette résolution doit être publiée dès que le conseil reçoit une pétition écrite énonçant la modification proposée et devant être signée par au moins 30 p. 100 des électeurs figurant sur la plus récente liste des électeurs.

32. Une assemblée d’information spéciale de la bande en vue d’examiner les modifications proposées doit être tenue dans les 30 jours suivant la publication de la résolution du conseil de bande prévue à l’article 31. Les avis annonçant la tenue de l’assemblée spéciale et le texte précis des modifications proposées sont affichés bien en vue à au moins deux endroits.

33. Une modification proposée aux termes de l’article 31 précité doit être approuvée aux deux tiers des voix des électeurs votant à l’assemblée spéciale de la bande convoquée à cette fin.

[Non souligné dans l’original]

(Dossier du demandeur, aux pages 43 à 47)

L’interprétation de l’article 31 est un élément déterminant du présent litige.  

[3]               En ce qui concerne les décisions liées à l’interprétation des règlements sur les élections des Premières Nations, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Testawich c Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052, au paragraphe 16, citant les arrêts Première nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269, aux paragraphes 10 et 11; D’Or c St. Germain, 2014 CAF 28 (St. Germain), aux paragraphes 5 et 6). La norme de la décision raisonnable est décrite comme suit au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[4]               Dans l’arrêt Bande indienne de Lower Nicola c York, 2013 CAF 26, aux paragraphes 5 et 6, le juge Stratas a indiqué le type d’analyse requise pour déterminer si l’interprétation d’une disposition est raisonnable :

Cet article est la seule disposition qui peut être invoquée pour destituer un chef de bande. Il est précis et clair. Aucune disposition des Custom Election Rules ne permet d’assouplir le préavis impératif de 30 jours prévu à l’alinéa 34c). Un autre document de base, le Policy and Procedures of Chief and Councillors (1997), prévoit la suspension, mais non la destitution, du chef.

Rien ne permet de penser que le conseil ait tenté d’interpréter l’alinéa 34c) et d’en discerner les exigences, de sorte que la norme de la décision raisonnable qui s’applique normalement à l’interprétation, par les bandes des dispositions de leurs codes électoraux (p. ex., Première nation de Fort McKay c. Orr, 2012 CAF 269), ne s’applique pas dans le cas qui nous occupe. En d’autres mots, il n’y a aucune interprétation à l’égard de laquelle notre Cour pourrait faire preuve de déférence. De plus, les décisions relatives au contenu de l’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (SCFP c. Ontario (Ministre de la Main‑d’œuvre), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100). À mon avis, peu importe la norme de contrôle applicable, la validité de la résolution du conseil ne saurait être confirmée compte tenu de l’alinéa 34c) et des règles de common law relatives à l’équité procédurale.

[Non souligné dans l’original]

Par conséquent, dans la présente affaire, la norme de la décision raisonnable exige une évaluation de la prise de décision qui a eu effectivement lieu au moment où les dispositions modificatives ont été interprétées et appliquées par le conseil. Précisément, un élément essentiel de cette approche consiste à déterminer la qualité des efforts déployés par le conseil pour tirer une conclusion concernant l’interprétation de l’article 31.

A.                La position du demandeur concernant l’interprétation

[5]               Suivant les Règles, dans leur version en vigueur avant la modification examinée, le conseil des aînés occupait une fonction d’appel dans le cadre des élections de la bande indienne de Lower Nicola. Le demandeur soutient que, en raison du fait que la modification apportée aux Règles en vue de retirer le conseil des aînés constitue en réalité une modification constitutionnelle de la structure de gouvernance de la bande indienne de Lower Nicola, un vaste appui de la collectivité est requis avant que le processus de modification ne soit mis en œuvre. En conséquence, le demandeur soutient que les dispositions modificatives exigent que le conseil respecte un ensemble d’étapes séquentielles en vue de modifier les Règles :

[version anglaise originale]

A resolution proposed by way of petition from 30 percent of the entire electorate of the LNIB,

which would then be endorsed by way of Band Council Resolution (BCR) to hold an initial special meeting no later than 60 days from the date of the resolution,

with conspicuous notices of a Special Meeting in at least 2 locations, citing the specific amendments proposed,

with a special information meeting after the resolution has been passed within 30 days,

and then a special meeting of the band to adopt those resolutions.

[traduction

[Une résolution est proposée par voie de pétition et signée par au moins 30 p. 100 de l’ensemble des électeurs de la bande indienne de Lower Nicola;

ladite résolution est ensuite entérinée au moyen d’une résolution du conseil de bande (RCB) prévoyant la tenue d’une première assemblée spéciale dans les 60 jours de la date de la résolution;

des avis annonçant la tenue de l’assemblée spéciale et le texte précis des modifications proposées sont affichés bien en vue à au moins deux endroits;  

une assemblée d’information spéciale est tenue dans les 30 jours de l’adoption de la résolution;

la bande tient ensuite une assemblée spéciale pour l’adoption de ces résolutions.]

(Observations écrites du demandeur, au paragraphe 46)

[6]               À l’appui de l’interprétation de l’article 31 avancée, le demandeur met l’accent sur l’utilisation du mot anglais « which », qui n’est pas disjonctif et qui est utilisé au lieu du terme anglais « or », exige que la disposition soit interprétée de façon à n’offrir qu’un seul moyen pour modifier les Règles : une pétition nécessitant la publication d’une résolution. 

B.                 La position de la défenderesse concernant l’interprétation

[7]               La position de la défenderesse est bien différente de celle du demandeur :

[traduction]

D’après le sens ordinaire des mots utilisés dans la première partie de l’article 31, [...] il est clair que le conseil peut, de son propre chef, lancer le processus de modification officiel en adoptant une résolution pour la convocation d’une assemblée spéciale de la bande. La seule restriction imposée au conseil est que l’assemblée spéciale de la bande soit tenue « dans les 60 jours de la date de la résolution ». Il n’y a aucune autre restriction relative au pouvoir du conseil de convoquer une assemblée spéciale de la bande dans la première partie de l’article 31.

D’après le sens ordinaire des mots utilisés dans la deuxième partie de l’article 31, il est également clair que le conseil peut être obligé de convoquer une assemblée spéciale pour tenir un vote sur les modifications proposées aux Règles, s’il reçoit une pétition signée par 30 p. 100 des électeurs. Toutefois, sur le plan grammatical, cette deuxième partie est une « disposition connexe non restrictive ». Elle ne restreint d’aucune façon le pouvoir absolu du conseil de convoquer une assemblée spéciale de son propre chef prévu dans la première partie. Si les rédacteurs avaient souhaité que le conseil ait le pouvoir de convoquer une assemblée spéciale de la banque seulement dans les cas où il reçoit une pétition, ils auraient dû utiliser le mot anglais « that » au lieu du mot anglais « which » après la virgule; ou, subsidiairement, ils auraient dû faire en sorte que la première partie soit expressément assujettie à la deuxième partie.

Legal and Legislative Drafting, Paul Salembier (LexisNexis Canada Inc. 2009), aux pages 176 à 178; Legal and Legislative Drafting, Paul Salembier (LexisNexis Canada Inc. 2009), aux pages 260 à 264.

(Mémoire des faits et du droit présenté par la défenderesse, aux paragraphes 55 et 56)

[8]               Pour étayer l’interprétation proposée, l’avocat de la défenderesse soutient que, aux termes de l’article 31, le conseil demeure libre de prendre sa propre décision politique en ce qui concerne la modification des Règles et, aux termes de l’article 32, dans la mesure où il donne avis de sa décision en temps opportun, il a le droit de soumettre la décision aux électeurs de la bande indienne de Lower Nicola pour obtenir leur approbation de la manière prévue à l’article 33.

II.                Processus ayant mené à modifier les Règles le 6 juin 2013

[9]               La chronologie suivante n’est pas contestée.

[10]           Au tout début du processus de modification en 2010, un avocat, Me Cliff Thorstenson, a réalisé un examen exhaustif des Règles et a ensuite présenté un rapport connexe au conseil le 25 mars 2010 (dossier de la défenderesse, aux pages 232 à 243). Dans le rapport, de nombreuses modifications aux Règles étaient proposées, notamment la possibilité de permettre à d’autres personnes que les aînés de faire partie du conseil des aînés (dossier de la défenderesse, à la page 236). Le rapport comprenait également des conseils à l’intention des membres du conseil sur la procédure à suivre pour obtenir l’approbation des électeurs.

[traduction]

Prochaines étapes

Résolution du conseil de bande

L’article 31 des présentes Règles [de 1998] prévoit ce qui suit :

[...]

En conséquence, une RCB est requise pour lancer un processus de modification. Je constate que vous avez beaucoup de difficulté à atteindre le quorum aux assemblées du conseil. Les RCB ne sont pas valides en l’absence de quorum, et cette invalidité pourrait bloquer le processus de modification.

Il s’agit d’un problème de taille pour le conseil. Les exigences relatives à la mise en candidature et au vote en personne sont probablement contraires à la loi. Si la bande indienne de Lower Nicola tient une élection en conformité avec les Règles, les résultats pourraient faire l’objet d’une contestation judiciaire. Si elle permet l’envoi postal des candidatures et des bulletins de vote sans modifier les Règles, les résultats pourraient faire l’objet d’une contestation judiciaire.

Une solution serait que les membres du conseil de bande obtiennent la pétition décrite à l’article 31. Dans ce cas, le conseil aurait l’obligation de publier une RCB conformément aux dispositions de l’article 31. Toutefois, il vous faudra discuter avec l’avocat de la bande de la façon dont vous devriez vous acquitter de cette obligation si le quorum du conseil n’est toujours pas atteint. Aussi, je constate que la proportion de 30 p. 100 des électeurs de la bande correspond à environ 300 personnes et il peut être difficile d’obtenir autant de signatures à l’appui des modifications générales proposées.

Si vous êtes en mesure d’obtenir la résolution du conseil de bande requise, gardez à l’esprit l’échéancier requis pour mettre en œuvre les modifications pour la prochaine élection générale de la bande le 2 octobre 2010. [...]

[Non souligné dans l’original]

(Dossier de la défenderesse, à la page 241)

[11]           Au cours de l’étape de préparation du rapport de Me Thorstenson, des assemblées de la collectivité ont eu lieu le 16 novembre 2009, le 7 décembre 2009, le 4 janvier 2010, le 18 janvier 2010 et le 1er février 2010 pour discuter de la modification des Règles. Le 26 avril 2010, les conseillères Joanne Lafferty, Lucinda Seward et Molly Toodlican ont examiné les modifications et les conseils fournis par Me Thorstenson. Ces conseillères ont toutes été réélues aux mêmes postes le 2 octobre 2010 et elles ont signé la résolution du 14 mai 2013 qui fait l’objet du présent examen (dossier de la défenderesse, au paragraphe 35 de la page 12 et à la page 476).

[12]           Les assemblées de la collectivité pour discuter des modifications apportées aux Règles ont repris le 10 janvier 2013. Ces assemblées ont eu lieu par la suite le 21 janvier, le 4 février, le 18 février et le 4 mars 2013. À la suite de l’assemblée du 4 mars 2013, Me Thorstenson a rédigé les modifications provisoires proposées aux Règles et CopperMoon Communications a réalisé un sondage sur les modifications provisoires auprès des membres de la bande indienne de Lower Nicola en avril 2013 (dossier de la défenderesse, aux paragraphes 59 à 73 des pages 19 à 21,).

[13]           Dans le compte rendu des discussions de l’assemblée spéciale tenue le 4 février 2013 pour obtenir les idées des membres de la bande indienne de Lower Nicola concernant les modifications proposées aux Règles, il est indiqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les règles actuelles qui habilitent le conseil des aînés de la bande indienne de Lower Nicola à trancher les appels en matière d’élection se sont révélées problématiques. Ce processus a été parfois difficile pour les participants aînés et il est compliqué de trouver des aînés qui ne sont pas liés de quelque façon que ce soit avec un ou plusieurs candidats. [...] On propose qu’un seul arbitre, détenant de l’expérience dans les affaires concernant les Premières Nations, soit nommé par le BC Arbitration and Mediation Institute. Ainsi, a) les coûts seront moindres, b) la compétence sera assurée, et c) les perceptions de conflits d’intérêts seront dissipées.

(dossier de la défenderesse, à la note 6 de la page 391)

[14]           Le 14 mai 2013, à la suite de l’examen du rapport final sur le sondage et l’élaboration d’une version provisoire définitive des modifications proposées, le conseil a adopté la résolution suivante :

[TRADUCTION]

IL EST RÉSOLU QUE :

Une assemblée d’information spéciale de la bande indienne de Lower Nicola aura lieu le jeudi 30 mai 2013, entre 18 h et 21 h, pour examiner les modifications proposées aux Custom Election Rules of the Lower Nicola Indian Band.

IL EST ÉGALEMENT RÉSOLU QUE :

Une assemblée spéciale de la bande indienne de Lower Nicola aura lieu le jeudi 6 juin 2013, entre 18 h et 21 h, pour voter sur les modifications proposées aux Custom Election of the Lower Nicola Indian Band.

Les Custom Election Rules of the Lower Nicola Indian Band en vigueur et les modifications proposées connexes sont jointes à la résolution du conseil de bande à titre de référence.

La présente résolution est entérinée par les soussignés et adoptée le 14 mai 2013.

(dossier de la défenderesse, à la page 476)

La résolution a été signée par le chef Victor York et les conseillers Lucinda Seward, Molly Toodlican, Mary June Coutlee, Joanne Lafferty et Robert Sterling.

[15]           En ce qui concerne le respect de l’article 32 des Règles, à la suite de la publication de la résolution, le conseil a demandé que la dernière version des modifications proposées soit transmise aux membres aux fins de discussion lors d’une assemblée d’information spéciale tenue le 30 mai 2013. La dernière version des modifications proposées aux Règles a été livrée aux domiciles situés dans les réserves de la bande indienne de Lower Nicola et elle a été postée aux membres non résidents les 16 et 17 mai 2013 (dossier de la défenderesse, au paragraphe 73 de la page 21). Les éléments suivants faisaient partie de la livraison de la dernière version des modifications proposées : une description détaillée des modifications proposées (dossier de la défenderesse, aux pages 477 à 489); les avis relatifs à l’assemblée d’information tenue le 30 mai 2013 et à l’assemblée spéciale de la bande prévue le 6 juin 2013 (dossier de la défenderesse, à la page 490); et une explication des modifications proposées (dossier de la défenderesse, aux pages 490 à 495).

[16]           L’assemblée d’information spéciale prévue le 30  mai 2013 a eu lieu, tout comme l’assemblée spéciale de la bande du 6 juin 2013 dans le cadre de laquelle un vote a eu lieu sur la modification des Règles.

III.             Le caractère raisonnable de l’interprétation et des mesures du conseil

[17]           À mon avis, il existe de nombreux éléments de preuve qui démontrent que le conseil a déployé des efforts concertés afin d’interpréter les articles 31, 32 et 33 des Règles d’une manière qui tient compte de toutes les exigences qu’ils comportent. Le conseil a sollicité et suivi les conseils donnés en 2010 par un avocat, Me Thorstenson, pour arriver à une décision sur la signification de l’article 31. Sur cette question, il est important de noter que le conseil a agi de manière conséquente en ce qu’il a demandé des conseils à Me Thorstenson en 2010 et les a suivis en adoptant la résolution examinée : les conseillères Joanne Lafferty, Lucinda Seward et Molly Toodlican ont participé à ces deux activités.

[18]           J’estime que les conseils de Me Thorstenson respectent le critère du caractère raisonnable. Il a fourni des conseils transparents et intelligibles en indiquant que l’article 31 offre un choix au conseil en ce qui concerne la modification des Règles : il peut soit adopter une résolution de son propre chef ou adopter une résolution après avoir reçu une pétition des électeurs. Suivant les conseils de Me Thorstenson, le conseil a décidé d’adopter une résolution de son propre chef. À mon avis, cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et des Règles. Par conséquent, je conclus que l’interprétation de l’article 31 du conseil est raisonnable. 

[19]           J’estime que le conseil a bien compris les exigences de l’article 32 des Règles et les a respectées. L’assemblée d’information spéciale a eu lieu le 30 mai 2013. Pour ce qui est de l’exigence relative à l’affichage d’avis en format papier de l’assemblée à deux endroits différents, je juge que cette exigence a été respectée et même surpassée par la livraison à domicile décrite au paragraphe 15 des présents motifs. J’estime qu’il ne fait aucun doute que les personnes qui ont reçu l’avis livré ont bien été informées que l’assemblée d’information prévue le 30 mai 2013 et l’assemblée de la bande prévue le 6 juin 2013 portaient sur le retrait du conseil des aînés des Règles.

[20]           Je suis d’avis que la décision du conseil de publier la résolution était justifiée. Un long processus de consultation a eu lieu en ce qui concerne les modifications à apporter aux Règles, y compris le retrait du conseil des aînés de la structure de gouvernance de la bande indienne de Lower Nicola. Comme le démontre la présente demande, la modification concernant ce retrait était litigieuse. Quoi qu’il en soit, la modification a été adoptée par les électeurs aux deux tiers des voix lors du vote tenu à l’assemblée spéciale du conseil qui a eu lieu à cette fin le 6 juin 2013, comme le prévoient les articles 31 et 33 des Règles.

IV.             Décision

[21]           Je conclus que l’interprétation des dispositions modificatives des Règles par le conseil et les mesures prises selon cette interprétation étaient raisonnables.

V.                Dépens

[22]           Pour ce qui est de l’adjudication des dépens, étant donné que la présente demande portait sur l’étendue du pouvoir du conseil de la bande indienne de Lower Nicola, la question à trancher est celle de savoir si la défenderesse doit payer des dépens au demandeur.

[23]           Dans le jugement Knebush c Maygard, 2014 CF 1247, le juge Mandamin a examiné la jurisprudence portant sur l’adjudication de dépens dans les litiges touchant les Premières Nations qui ont fait l’objet d’un règlement. Au paragraphe 24, la règle sur l’adjudication des dépens est énoncée : « Dans une instance litigieuse, selon la règle générale, les dépens doivent suivre l’issue de la cause, c’estàdire que la partie qui a gain de cause se voit adjuger les dépens, à moins qu’il existe un motif pour déroger à la règle générale » [non souligné dans l’original]. Pour ce qui est de l’existence d’un tel motif, le juge Mandamin formule le commentaire suivant aux paragraphes 57 à 60 :

La certitude dans la loi sur la gouvernance des Premières Nations constitue un avantage important pour une communauté des Premières Nations. À cet égard, dans les cas où le résultat donne lieu à une meilleure compréhension et à un meilleur engagement en ce qui a trait à l’observation de la loi sur la gouvernance des Premières Nations, il convient d’examiner la question de savoir si des dépens devraient être adjugés à l’encontre de la Première Nation.

Tout d’abord, des dépens ont été adjugés à l’encontre de la Première Nation dans une situation où le défendeur a, dans les faits, agi pour le compte de la Première Nation (Bellegarde c Poitras, 2009 CF 1212). Dans cette décision, le juge Russell Zinn était convaincu que la Première Nation avait acquitté certains frais juridiques des défendeurs. Il a conclu que la Cour avait compétence pour adjuger des dépens à l’encontre d’un tiers (voir le paragraphe 9).

Il faut également tenir compte du déséquilibre entre un membre d’une Première Nation qui présente une demande de contrôle judiciaire pour faire respecter les lois de la Première Nation et les défendeurs qui constituent l’organisme dirigeant de la Première Nation. Ces défendeurs, généralement les chefs et les conseillers, sont en position de se faire rembourser leurs frais juridiques par la Première Nation. Si une demande de contrôle judiciaire traite bel et bien de la question de la loi de la Première Nation, il me semble que, dans l’intérêt public, les demandeurs individuels peuvent eux aussi avoir le même droit de s’adresser à la Première Nation pour se faire rembourser leurs frais [non souligné dans l’original].

J’estime que l’adjudication raisonnable de dépens fondée sur l’intérêt public à l’encontre d’une Première Nation, laquelle a bénéficié d’une clarification à ses lois sur la gouvernance, fait en sorte qu’aucune conclusion défavorable quant aux perdants ou aux gagnants n’est tirée. Le règlement de la question d’une manière conforme aux valeurs de la Première Nation servirait l’intérêt public.

[Non souligné dans l’original]

[24]           À mon avis, la présente demande a résolu une question importante en matière de gouvernance, c’est‑à‑dire l’interprétation des Custom Election Rules of the Lower Nicola Indian band (1998), particulièrement en ce qui concerne l’article 31. J’estime que la résolution en question a été adoptée dans l’intérêt des membres de la bande indienne de Lower Nicola. Par conséquent, je conclus qu’il est juste et équitable que la défenderesse verse des dépens au demandeur.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  REJETTE la présente demande.

2.                  ADJUGE des dépens d’un montant forfaitaire de 10 000 $ au demandeur, payables sans délai par le défendeur.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T ‑1640‑13

INTITULÉ :

VICTOR COUTLEE c BANDE INDIENNE DE LOWER NICOLA

LIEU DE L’AUDIENCE

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 NOVEMBRE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 23 NOVEMBRE 2015

ONT COMPARU :

Andreas E. Kuntze

POUR LE DEMANDEUR

David C. Rolf

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chouinard & Company

Richmond (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Parlee McLaws LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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