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Date : 20151208


Dossier : IMM-5438-15

Référence : 2015 CF 1359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ANAKI SALETA SASHA BAPTISTE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1]               La demanderesse sollicite une ordonnance de sursis à l’exécution de son renvoi à la Grenade, qui devait avoir lieu le 7 décembre 2015, en attendant qu’une décision soit rendue par la Cour à l’égard de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision datée du 3 décembre 2015 par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent) a rejeté sa demande de report de renvoi.

[2]               La requête en sursis a été entendue le 7 décembre 2015 en matinée et les motifs de l’ordonnance ont été rendus oralement à la fin de l’audience. Voici les motifs écrits plus détaillés expliquant la décision de surseoir au renvoi de la demanderesse.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la requête en sursis est accueillie.

I.                   Contexte

[4]               La demanderesse est arrivée au Canada avec sa mère à l’âge de 11 ans. Elle a été incapable d’obtenir le statut de résidente permanente après un certain nombre de procédures infructueuses engagées par sa mère, puis par elle-même. Ces procédures comprennent une demande d’asile rejetée, deux demandes de mauvaise foi dans la catégorie des époux et une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) infructueuse.

[5]               En mai 2009, la demanderesse ne s’est pas présentée à une entrevue avant renvoi. Un mandat d’arrestation a été lancé contre elle le 29 juin 2009. Elle a été arrêtée subséquemment le 14 novembre 2015, soit plus de six ans plus tard.

[6]               Alors qu’elle habitait illégalement au Canada, la demanderesse a marié un citoyen canadien et a eu un enfant, âgé de deux ans au moment de son arrestation le 15 novembre 2015.

[7]               Le 26 novembre 2015, des dispositions ont été prises en vue du renvoi de la demanderesse à la Grenade le 7 décembre 2015. Le 27 novembre 2015, la demanderesse a demandé le report de son renvoi, ce qui lui a été refusé par l’agent dans la décision datée du 3 décembre 2015. Par la suite, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent et, le vendredi 4 décembre 2015, elle a introduit la présente requête en sursis.

II.                Analyse

[8]               Il est généralement admis que le critère conjonctif en trois volets, selon lequel la demanderesse doit démontrer une question sérieuse (et grave), un préjudice irréparable et la balance des inconvénients en sa faveur, s’applique à une procédure visant à surseoir à l’exécution de la décision par laquelle l’agent a rejeté sa demande de report de renvoi : Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302, 6 Imm LR (2d) 123 (CAF); Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, au paragraphe 51.

[9]               Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties, la Cour conclut que le fait que l’agent de renvoi n’a pas été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme si la demanderesse était renvoyée à la Grenade constitue une question sérieuse : Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (Munar), 2005 CF 1180, au paragraphe 40 :

[40]      Il est clair que ce n’est pas ce genre d’évaluation qu’un agent de renvoi doit faire lorsqu’il doit décider quand « les circonstances […] permettent » d’appliquer une ordonnance de renvoi. Toutefois, il doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. Par exemple, il est clair que l’agent de renvoi a le pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi jusqu’à ce que l’enfant ait terminé son année scolaire, si l’enfant doit partir avec l’un de ses parents. De la même façon, je ne peux tirer la conclusion que l’agent de renvoi ne devrait pas vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés. Il est clair que ceci est dans son mandat, dans la mesure où l’article 48 de la LIPR doit s’accorder avec les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le fait de s’enquérir de la question de savoir si on s’occupera correctement d’un enfant ne constitue pas une évaluation CH approfondie et ne fait en aucune façon double emploi avec le rôle de l’agent d’immigration qui doit par la suite traiter d’une telle demande (voir Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161).

[Non souligné dans l’original.]

[10]           Je conclus que l’insuffisance de mesures prises relativement à la garde de l’enfant au moment du renvoi de la mère équivaut, en l’espèce, à une omission de s’assurer que les parents ont eu une possibilité raisonnable de décider lequel devrait continuer d’avoir la garde de l’enfant au moment de la séparation le 7 décembre 2015, et si des mesures d’adaptation adéquates sont en place pour répondre aux besoins à court terme de l’enfant après le renvoi de la mère.

[11]           Bien que l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) exige que la demanderesse soit renvoyée le plus rapidement possible, son renvoi à la Grenade dans un délai dépassant légèrement trois semaines suivant son arrestation soulève une question sérieuse, soit celle de l’enfant de deux ans qui est confronté à des circonstances exceptionnelles quant aux difficultés et au risque de préjudices émotionnels découlant du renvoi inattendu et très soudain de sa mère.

[12]           Je pense qu’il doit être évident pour une personne raisonnable que le renvoi de la mère trois semaines après son arrestation et son incarcération est prématuré et ne donne pas aux parents suffisamment de temps pour prendre des décisions éclairées quant à ce qu’il y a de mieux pour l’enfant dans les circonstances et aux mesures qui doivent être prises afin de prévoir le changement important relativement à la garde.

[13]           À cet égard, je suis en désaccord avec la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve est insuffisante pour établir qu’à court terme le conjoint et l’enfant de la demanderesse seront incapables de faire face à la situation. Une interprétation raisonnable de la preuve au dossier ne pourrait que donner à penser que la demanderesse incarcérée et son mari n’ont pas eu la possibilité de tenir compte adéquatement de l’intérêt supérieur de l’enfant de deux ans quant à la personne qui devrait en prendre soin après le renvoi.

[14]           La mère semble prête à abandonner l’enfant bien que ce soit elle qui s’occupe principalement de lui, mais l’intérêt supérieur de l’enfant est loin d’être clair. Le fait que la personne s’occupant principalement de l’enfant disparaisse soudainement de sa vie risque d’avoir de graves conséquences sur lui. La question de savoir avec qui l’enfant doit demeurer exige manifestement une certaine réflexion, voire une aide professionnelle. Étant donné son renvoi précipité, la mère n’a pas été en mesure de vérifier les options susceptibles de lui être offertes à la Grenade pour lui permettre d’emmener l’enfant avec elle.

[15]           Par contre, si l’enfant reste avec son père au Canada, tout indique que ce dernier n’aura, du moins à court terme, ni le temps ni les moyens de prendre soin de l’enfant dans une situation présentant des difficultés exceptionnelles pour l’enfant et les parents et causée par la rapidité inutile du renvoi de la mère.

[16]           Il ne s’agit pas de cas simples, mais je crois que « l’essentiel » pour ce qui est de l’équilibre entre la nécessité de renvoyer l’étranger le plus rapidement possible et l’intérêt supérieur d’un enfant, peut-être particulièrement pour un enfant en bas âge, est que les agents de renvoi soient réceptifs, attentifs et sensibles relativement au renvoi de la personne qui s’occupe principalement de l’enfant, lequel pourrait être trop précipité. Pour le bien de l’enfant, il faut donner aux parents l’occasion raisonnable de déterminer le meilleur moyen de réagir à la séparation brusque et de s’assurer que des mesures d’adaptation adéquates sont en place pour ce que le psychologue a décrit en l’espèce comme [traduction] « l’équivalent de la mort d’un parent pour cet enfant sur le plan psychologique; ».

[17]           Bien que je sois d’accord avec le principe énoncé par le défendeur selon lequel les parents auraient dû savoir que ce jour viendrait et se préparer en conséquence, la réalité est que les personnes qui vivent d’espoir et d’amour le font rarement. Cela est confirmé par l’incapacité bien connue de réduire la criminalité en durcissant les peines, étant donné que les criminels pensent qu’ils ne se feront pas prendre. Mis à part ce débat, le fait important demeure que peu importe ce que les parents auraient dû faire pour se préparer en conséquence, les résultats négatifs affectent l’enfant, qui en subit les conséquences.

[18]           N’accorder que trois semaines, alors que l’environnement de l’enfant a été grandement déstabilisé et que la mère demeure incarcérée, n’est tout simplement pas suffisant pour permettre la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant pour ce qui est de la garde et de l’accès ou des mécanismes d’adaptation adéquats pour composer avec le monde transformé auquel il est maintenant confronté.

[19]           Par conséquent, je conclus que le fait que l’agent ne s’est pas montré « réceptif, attentif et sensible » aux effets d’un renvoi trop rapide de la demanderesse et à son incapacité de décider avec son mari de la personne qui devrait avoir la garde et des mécanismes d’adaptation qui pourraient être mise en place pour répondre aux besoins de l’enfant dans les deux cas soulève une question sérieuse et satisfait au premier volet du critère permettant d’annuler la décision comme dans l’affaire Munar.

[20]           Comme dans l’affaire Munar, je conclus également que la question sérieuse ayant trait au fait de ne pas avoir tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme permet également de démontrer l’existence d’un préjudice irréparable et une conclusion selon laquelle la balance des inconvénients penche en faveur d’une ordonnance de sursis à l’exécution du renvoi de la demanderesse.

[21]           En conséquence, la Cour ordonne que la mesure de renvoi de la demanderesse soit suspendue en attendant l’issue de la demande d’autorisation visant à faire annuler la décision de l’agent.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE qu’il soit sursis au renvoi de la demanderesse en attendant l’issue de la demande d’autorisation et l’annulation de la décision de l’agent.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu, B.A. trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5438-15

 

INTITULÉ :

ANAKI SALETA SASHA BAPTISTE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO) (en cabinet par conférence téléphonique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2015

 

motifs de l’ordonnance :

le juge aNNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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