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Date : 20151209


Dossier : IMM‑383‑15

Référence : 2015 CF 1370

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 9 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

FAUZIA YAQOOB

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Par la présente demande, Mme Yaqoob, qui est citoyenne pakistanaise, conteste la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) a refusé, en date du 25 novembre 2014, de lui accorder un permis d’études pour qu’elle puisse suivre un programme d’études au Canada.

[2]               La demande de permis d’études de Mme Yaqoob a été rédigée par son avocat dans une lettre détaillée datée du 5 août 2014 qui était adressée au Haut‑commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan (dossier de la demande, aux pages 11 à 17). La lettre donne des renseignements complets sur la vie personnelle de la demanderesse, ses études et son expérience professionnelle, y compris une description précise des raisons justifiant pourquoi le programme qu’elle souhaitait suivre au Canada lui serait utile dans sa carrière.

I.                   La décision contestée

[3]               L’agent a donné les seuls motifs suivants pour justifier le rejet de la demande de permis d’études :

[traduction]

Examen du cas et de tous les documents présentés à l’appui. La cliente souhaite suivre au Collège Sheridan un programme d’études de trois ans menant à l’obtention d’un diplôme dans le domaine de l’administration des affaires et du marketing. Elle est déjà titulaire d’une maîtrise en administration des affaires (MBA) et elle travaille dans un secteur s’y rapportant. La cliente s’est déjà vu refuser un permis d’études deux fois. Le cheminement qu’elle propose pour la poursuite de ses études n’est pas logique puisqu’elle est déjà titulaire d’un MBA; ce type de diplôme n’améliorera donc pas ses perspectives de carrière. Investir une somme aussi importante dans ce programme d’études n’est pas une décision sensée. Après avoir examiné tous les aspects, je ne suis pas convaincu que le projet d’études au Canada est logique et justifie les dépenses s’y rapportant. Les renseignements expliquant comment ce projet améliorerait ses perspectives de carrière au point qu’il contrebalancerait les frais d’études à l’étranger sont insuffisants.

Compte tenu des renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que la DP est bien établie au Pakistan et qu’elle serait véritablement une étudiante.

[Non souligné dans l’original.]

(Dossier de la demande, p. 6)

D’après mon évaluation, il ressort des motifs que l’agent se doutait que la demande de permis d’études de Mme Yaqoob était faite pour une raison illégitime. Puisque l’agent doit fonder sa décision sur la preuve dont il dispose, la Cour doit examiner cette preuve minutieusement pour déterminer si elle étaye les motifs fournis.

II.                La preuve présentée au nom de Mme Yaqoob

[4]               Les raisons justifiant la demande de permis d’études présentée par Mme Yaqoob sont décrites en ces termes dans la lettre de son avocat, sous la rubrique [traduction« Programme d’études » :

[traduction]

Tel qu’il a été mentionné précédemment, Fauzia a été acceptée au programme d’administration des affaires – marketing, d’une durée de trois ans, offert au Collège Sheridan, à Brampton. Vous trouverez ci‑joint la lettre d’acceptation destinée aux étudiants étrangers, datée du 11 juillet 2014. La date de début des cours est fixée au 2 septembre 2014, et la remise des diplômes est prévue en avril 2017. Les frais d’inscription au programme pour la première année (2 semestres) consistent en ce qui suit : les droits de scolarité de 14 764 $, incluant les frais administratifs de 476 $, les frais afférents au programme de 40 $, les frais de gestion de 180 $ et l’assurance médicale de 550 $. Le paiement exigible pour le premier semestre se chiffrait à 7 727 $. Vous trouverez ci‑joint la facture correspondante du Collège Sheridan. Fauzia a déjà versé un montant de 7 777 $ au Collège Sheridan le 21 juillet 2014. Vous trouverez ci‑joint le reçu du Collège Sheridan, ainsi que la preuve du paiement de ce montant émanant de TD Canada Trust.

Fauzia souhaite acquérir une connaissance plus approfondie de l’administration des affaires en s’intéressant davantage au marketing. Après avoir acquis une expertise pointue des tendances internationales en travaillant à la Banque nationale du Pakistan, elle souhaite maintenant combiner les connaissances qu’elle a acquises dans le secteur bancaire et en administration des affaires avec les dernières tendances et les nouvelles connaissances en marketing, un sujet qui l’intéresse énormément et qu’elle veut explorer davantage. Elle croit que le programme d’administration des affaires – marketing offert au Collège Sheridan lui procurera l’avancement professionnel dont elle a besoin pour faire progresser sa carrière et pour lui procurer un avantage concurrentiel dans un domaine de plus en plus populaire.

Compte tenu de son intérêt marqué pour le marketing, Fauzia est particulièrement enthousiaste à l’idée de faire des études au Canada, car elle croit que le programme offert à l’Université Sheridan est digne de mention en raison de l’intérêt accordé à cette matière. À la fin de ses études, Fauzia espère qu’elle aura acquis des connaissances approfondies sur le sujet et qu’elle sera en mesure de trouver un bon emploi dans le domaine du marketing. Bref, Fauzia est confiante dans le fait que ce programme est celui qui convient le mieux dans le cadre de ses projets à long terme.

Comme autre raison qui l’a incitée à choisir un établissement d’enseignement canadien, il y a le fait que son frère le plus âgé, Naeem, est citoyen canadien et se trouve déjà au Canada et qu’il est disposé à l’aider pendant son séjour au Canada. Elle a aussi un autre frère, Sohail, qui est résident permanent depuis 2013; il est actuellement à la recherche d’un emploi. Comme elle sera loin de la maison pour faire ses études, Fauzia et sa famille se sentent réconfortées à l’idée de savoir qu’elle pourra bénéficier du soutien et de l’aide de ses deux frères en cours de route.

[5]               En ce qui a trait à la vie professionnelle de Mme Yaqoob, la preuve suivante a été présentée sous la rubrique [traduction« Renseignements généraux pertinents » :

[traduction]

Fauzia est citoyenne pakistanaise; elle est née à Karachi, au Pakistan, le 21 avril 1981. Elle habite actuellement à l’adresse suivante : C‑87, Block 10, Federal B Area, Karachi, Pakistan. Fauzia a obtenu un certificat ou un diplôme en technologie de l’information au New Institute of Data Processing à Karachi en juin 2001 et elle s’est ensuite inscrite au programme de maîtrise en administration des affaires au Shaheed Zulfikar All Bhutto Institute of Science and Technology, au campus de Karachi, de l’automne 2002 jusqu’au printemps 2004, alors qu’elle a obtenu son diplôme.

Après sa maîtrise, Fauzia a commencé à chercher un emploi. Elle a été engagée comme chargée de projet par la Standard Chartered Bank de janvier à novembre 2005. En décembre 2005, elle a commencé à travailler comme agente de système d’information de gestion (SIG) / données prévisionnelles pour le Groupe des services bancaires commerciaux et de détail de la Banque nationale du Pakistan, au siège de l’établissement à Karachi. Elle occupe toujours ce poste à l’heure actuelle.

[6]               Pour ce qui est de la vie familiale de Mme Yaqoob, les détails suivants ont été donnés sous la rubrique [traduction« Pakistan et les liens avec le Canada » :

[traduction]

La mère de Fauzia, Sbamim Fatima, son frère, Shakeel Ahmed, qui est médecin, et sa sœur, Kaneez Fatima, vivent tous à Karachi. Leurs liens sont tissés serrés, et ils se soutiennent les uns les autres dans tous les aspects de leur vie. De plus, tel qu’il a été expliqué précédemment, Fauzia a un bon emploi à la Banque nationale du Pakistan, qu’elle occupe depuis 2005.

Fauzia a deux frères au Canada, Naeem Ahmed, qui est citoyen canadien, et Sohail Ahmed, qui est résident permanent. Mis à part ses frères, elle n’a personne d’autre au Canada ni aucun autre lien ici. Tel qu’il a été mentionné précédemment, si Fauzia obtient son permis d’études, son frère aîné, Naeem, la soutiendra pendant son séjour au Canada. Globalement, ses liens sont plus forts avec le Pakistan qu’avec le Canada.

Par conséquent, nous soutenons, en toute déférence, que Fauzia a des liens très importants avec son pays d’origine, le Pakistan. Elle y est née, y a été élevée et éduquée, elle y travaille, et elle y est entourée par la plupart des membres de sa famille et de nombreux amis; sa vie est au Pakistan.

[7]               En ce qui concerne les intentions de Mme Yaqoob, les explications suivantes ont été données sous la rubrique [traduction« Statut temporaire et double intention – paragraphe 22(2) de la LIPR » :

[traduction]

Fauzia comprend que, si elle obtient un permis d’études, son statut sera de nature temporaire et qu’elle devra quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Nous soulignons que Fauzia n’a jamais violé les conditions assorties au statut temporaire qui lui a été accordé par la passé par les pays qu’elle a visités. De plus, elle est disposée à continuer de respecter toutes les modalités qui lui seront imposées.

Fauzia a une double intention concernant son statut au Canada. À la suite de son permis d’études, elle pourra demander une autorisation d’emploi postérieure à l’obtention d’un diplôme. Si elle l’obtient, l’expérience de travail qu’elle acquerra dans le cadre de cette autorisation lui permettra de demander le statut de résidente permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC). Le cas advenant qu’elle souhaite poursuivre les programmes d’immigration offerts et demander la résidence permanente au Canada dans le futur, cette démarche ne devrait pas l’empêcher de faire cette demande. Comme vous le savez, l’intention d’obtenir un jour le statut de résident permanent n’empêche pas un demandeur de devenir résident temporaire, comme le prévoit le paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (double intention). De plus, tel qu’il ressort de la jurisprudence, les motifs invoqués initialement par le demandeur pour entrer et demeurer au Canada peuvent changer à la suite de son arrivée. C’est le scénario décrit dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). 2006 CF 224 :

[…] les dispositions légales et réglementaires actuelles ne mentionnent pas que la fin temporaire initiale visée par une personne doit demeurer inchangée. La seule exigence est qu’il existe une fin temporaire.

Voir aussi : Stanislavsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 835.

[8]               De toute évidence, les motifs de l’agent ne tiennent pas du tout compte de la preuve apparemment franche et transparente soumise par Mme Yaqoob. Il est donc raisonnable de conclure que cette preuve a été écartée. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir quelle raison probante serait à l’origine du doute qui ressort des motifs? En l’absence de tout autre motif étayé par la preuve, il est évident que les demandes antérieures de Mme Yaqoob présentées au Haut‑commissariat du Canada à Karachi étaient au cœur de la décision faisant l’objet du présent contrôle.

[9]               Cette conclusion se fonde sur les déclarations suivantes de l’agent : [traduction« [l]a cliente s’est déjà vu refuser un permis d’études deux fois »; [traduction« [c]ompte tenu des renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que la DP est bien établie au Pakistan et qu’elle serait véritablement une étudiante ». À mon avis, ce sont ces déclarations qui expriment le doute non fondé que, dans sa troisième demande de permis d’études, Mme Yaqoob ne dise pas la vérité au sujet de sa vie professionnelle et de sa vie familiale au Pakistan et au sujet de son intérêt pour le programme d’administration des affaires – marketing offert par le Collège Sheridan.

[10]           En vue de s’assurer que cela ne se produise pas, l’avocat de Mme Yaqoob a directement abordé la question dans la lettre ou la demande en expliquant ceci :

[traduction]

Nous soulignons que Fauzia a déposé antérieurement deux autres demandes en vue d’obtenir un permis d’études au Canada. Sa première demande de permis d’études a été présentée en octobre 2012 et a été refusée le 22 octobre 2012. Nous vous invitons à prendre connaissance de la lettre de refus ci‑jointe. Dans cette lettre, l’agent d’immigration conclut en ces termes :

Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitterez le Canada au terme de votre séjour. Pour arriver à cette décision, j’ai pris en considération plusieurs facteurs, dont les suivants :

❖ les perspectives d’emploi limitées dans votre pays de résidence;

❖   vos biens personnels et votre situation financière.

En juin 2013, Fauzia a présenté une nouvelle demande de permis d’études, qui a aussi été refusée, le 5 juin 2013. Nous vous invitons à prendre connaissance de la lettre de refus ci‑jointe. Dans cette lettre, l’agent d’immigration conclut en ces termes :

Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitterez le Canada au terme de votre séjour. Pour arriver à cette décision, j’ai pris en considération plusieurs facteurs, dont les suivants :

❖   vos antécédents de voyage;

❖   vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence ;

❖   le but de la visite;

❖   vos biens personnels et votre situation financière.

En toute déférence, nous affirmons que les présentes observations écrites abordent en détail les facteurs relatifs à la délivrance d’un permis d’études et, en particulier, dissipent tous les doutes exprimés par les agents précédents. [Non souligné dans l’original.]

Compte tenu du résultat, cet argument a lui aussi été écarté, semble‑t‑il.

III.             Caractère raisonnable de la décision

[11]           Je suis d’avis que la décision de l’agent des visas est déraisonnable. Outre la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, le caractère raisonnable tient aussi « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47) [Non souligné dans l’original.]. La décision de l’agent ne peut se justifier au regard des faits.

IV.             Manquement à l’obligation d’équité

[12]           Étant donné que la crédibilité de Mme Yaqoob était au cœur de la décision faisant l’objet du contrôle, je suis d’avis que l’agent a manqué à son obligation d’équité envers elle en ne lui donnant pas la possibilité, lors d’une entrevue, de le détromper quant aux doutes entretenus à son sujet dans le processus décisionnel.

V.                Mesure de redressement

[13]           Par conséquent, la décision de l’agent doit être annulée, et la demande de permis d’études de Mme Yaqoob doit être réexaminée. Je conviens avec l’avocat de Mme Yaqoob que le nouvel examen doit être fait par un autre agent, à un autre endroit que le Haut‑commissariat du Canada à Islamabad. Il est tout à fait compréhensible que Mme Yaqoob doute que ce nouvel examen, sa quatrième tentative en vue d’obtenir un permis d’études, soit fait de façon équitable par un agent de ce bureau déterminé.

[14]           À l’issue de l’audience relative à la présente demande, j’ai prononcé de vive voix ma décision, telle qu’elle est exposée dans les présents motifs. Par la suite, le défendeur a confirmé que le nouvel examen pouvait être fait par le Haut‑commissariat du Canada à New Delhi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est annulée et que l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre agent, conformément aux directives qui suivent :

Le nouvel examen sera fait par un agent du Haut‑commissariat du Canada à New Delhi, et si, au cours de ce nouvel examen, un doute survient quant à la question de savoir si la demande satisfait aux exigences du paragraphe 216(1) du RIPR, il sera procédé à une entrevue de Mme Yaqoob en personne, par téléconférence ou par vidéoconférence, en présence d’un représentant de Mme Yaqoob, si elle l’exige.

Je suis d’avis qu’il existe des raisons spéciales d’adjuger les dépens à Mme Yaqoob. En termes simples, en raison de la décision particulièrement déraisonnable et inéquitable qui a donné lieu au présent contrôle judiciaire, Mme Yaqoob devrait être dédommagée pour les efforts qu’elle a déployés en vue d’obtenir une décision raisonnable et juste. Par conséquent, une somme globale de 500 $ lui est adjugée au titre des dépens.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑383‑15

 

INTITULÉ :

FAUZIA YAQOOB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NovembRe 2015

juGEment ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

MARIO D. BELLISSIMO

POUR LA DEMANDERESSE

VERONICA CHAM

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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