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Date : 20151214


Dossier : IMM-3201-15

Référence : 2015 CF 1384

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

HUA SENG ZHAO, JIN HUA GAO, GEN LE ZHAO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Hua Seng Zhao, Jin Hua Gao et leur fils mineur, Gen Le Zhao [les demandeurs] ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu qu’elle n’était pas compétente pour instruire leur appel interjeté contre une décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission au motif qu’ils sont arrivés au Canada en provenance des États-Unis d’Amérique. La SAR a refusé de se saisir de l’appel des demandeurs fondé sur les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] qui mettent en œuvre l’Entente sur les tiers pays sûrs [ETPS] entre le Canada et les États-Unis (Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de pays tiers, [2004] R.T. Can. no 2).

[2]               Les défendeurs conviennent que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et l’affaire renvoyée à la SAR en vue d’un réexamen. Ils reconnaissent que les demandeurs n’ont pas présenté leur demande d’asile à un point d’entrée, et qu’ils ne sont donc pas soumis aux dispositions de la LIPR mettant en œuvre l’ETPS.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conviens avec les parties que la SAR s’est déclarée à tort incompétente pour instruire l’appel des demandeurs. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à la SAR pour qu’elle tranche l’appel des demandeurs sur le fond.

[4]               Les défendeurs demandent aussi que l’intitulé de la cause soit modifié de manière à y ajouter le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Les demandeurs consentent à cette demande et l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

II.                Contexte

[5]               Les demandeurs sont des citoyens chinois. En 2009, la demande de résidence permanente de monsieur Zhao a été rejetée et il a été déclaré interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR. En 2013, M. Zhao et Mme Gao se sont vu refuser des visas de résidence temporaire. Le 6 avril 2014, les demandeurs se sont rendus par bateau de Seattle vers une destination inconnue en Colombie-Britannique. Un passeur les a conduits directement chez un de leurs parents dans cette province, et ils n’ont jamais été contrôlés à un point d’entrée. Le 14 avril 2014, ils ont présenté une demande d’asile dans un bureau de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] en invoquant la politique chinoise de l’enfant unique.

[6]               Dans une décision datée du 4 juillet 2014, la SPR a rejeté leur demande d’asile. La crédibilité était l’enjeu déterminant. Les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de la SPR, laquelle est actuellement suspendue en attendant qu’il soit statué sur la compétence de la SAR d’instruire leur appel (ordonnance du protonotaire Aalto datée du 24 août 2015, dossier de la Cour fédérale no IMM-3226-15).

[7]               Les demandeurs, en vertu du paragraphe 110(1) de la LIPR, ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [MSPPC] est intervenu pour faire valoir que la SAR n’était pas compétente pour instruire l’appel.

[8]               Le MSPPC a fait valoir devant la SAR qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur l’appel des demandeurs étant donné qu’ils sont entrés au Canada en provenance des États‑Unis, une partie à l’ETPS. Les demandeurs n’ont pas contesté qu’ils sont ainsi entrés au Canada, mais ont fait valoir que l’alinéa 110(2)d) de la LIPR ne les empêchait pas de s’adresser à la SAR étant donné que leur demande d’asile n’a jamais été déférée à la SPR par un agent à un point d’entrée.

[9]               Dans une décision datée du 24 juin 2015, la SAR a conclu qu’elle n’était pas compétente pour instruire l’appel, soulignant qu’elle n’était pas liée par l’une de ses décisions précédentes dans laquelle elle s’était dite compétente pour statuer sur un appel relativement à des circonstances factuelles similaires (X (Re), 2015 CanLII 30384 (CA CISR) [X (Re)]). Dans des motifs succincts, la SAR a souligné que s’ils s’étaient conformés aux lois canadiennes sur le contrôle des frontières, les demandeurs n’auraient pas pu soumettre un appel à la SAR en vertu de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR. La SAR a conclu que ceux qui défient les lois du Canada ne devraient pas « se voir accorder un avantage − le droit d’interjeter appel à la SAR − par rapport aux autres demandeurs d’asile qui respectent et observent les lois canadiennes en matière de contrôle frontalier».

III.             Question en litige

[10]           La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la SAR est compétente pour instruire l’appel visant une décision défavorable de la SPR si les appelants sont entrés au Canada en provenant des États-Unis d’Amérique, sans présenter leur demande d’asile à un point d’entrée.

IV.             Dispositions législatives applicables

[11]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes au regard de la présente demande de contrôle judiciaire :

Irrecevabilité

Ineligibility

 

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

101.(1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

 

[…]

 

[…]

e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence;

Règlements

Regulations

102. (1) Les règlements régissent l’application des articles 100 et 101, définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés et, en vue du partage avec d’autres pays de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile, prévoient notamment :

102.(1) The regulations may govern matters relating to the application of sections 100 and 101, may, for the purposes of this Act, define the terms used in those sections and, for the purpose of sharing responsibility with governments of foreign states for the consideration of refugee claims, may include provisions

 

[…]

 

[…]

 

c) les cas et les critères d’application de l’alinéa 101(1)e).

(c) respecting the circumstances and criteria for the application of paragraph

101(1)e)

 

Restriction

Restriction on appeals

 

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

110(2) No appeal may be made in respect of any of the following:

 

[…]

[…]

 

d) sous réserve des règlements, la décision de la Section de la protection des réfugiés ayant trait à la demande d’asile qui, à la fois :

(d) subject to the regulations, a decision of the Refugee Protection Division in respect of a claim for refugee protection if …

 

(i) est faite par un étranger arrivé, directement ou indirectement, d’un pays qui est — au moment de la demande — désigné par règlement pris en vertu du paragraphe 102(1) et partie à un accord visé à l’alinéa 102(2)d),

(i) the foreign national who makes the claim came directly or indirectly to Canada from a country that is, on the day on which their claim is made, designated by regulations made under subsection 102(1) and that is a party to an agreement referred to in paragraph 102(2)(d), and

 

(ii) n’est pas irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) par application des règlements pris au titre de l’alinéa 102(1)c);

(ii) the claim – by virtue of regulations made under paragraph 102(1)(c) – is not ineligible under paragraph

101(1)e)
 to be referred to the Refugee Protection Division;

 

[12]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] sont également pertinentes :

Non-application : points d’entrée autres que les points d’entrée par route

Non-application – ports of entry other than land ports of entry

 

159.4 (1) L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas au demandeur qui cherche à entrer au Canada à l’un ou l’autre des endroits suivants :

 

159.4 (1) Paragraph

101(1)e)
 of the Act does not apply to a claimant who seeks to enter Canada at

 

a) un endroit autre qu’un point d’entrée; …

(a) a location that is not a port of entry; …

 

V.                Analyse

[13]           Les défendeurs reconnaissent que [traduction« [l]es personnes qui arrivent au Canada en provenance des États-Unis et qui sont en droit de présenter une demande d’asile ailleurs qu’à un point d’entrée terrestre ont le droit d’interjeter appel devant la SAR, car ils ne sont pas visés par l’ETPS » [non souligné dans l’original]. Contrairement à la position qu’ils avaient fait valoir devant la SAR, les défendeurs reconnaissent à présent que la Section d’appel a conclu à tort que les alinéas 101(1)e) et 110(2)d) de la LIPR de même que l’article 159.4 du Règlement s’appliquaient aux demandeurs.

[14]           Les défendeurs soutiennent devant la Cour que l’ETPS ne s’applique pas aux demandeurs étant donné qu’ils ne sont pas entrés, pas plus qu’ils n’ont présenté leur demande d’asile, à un point d’entrée terrestre. Ils ne tombent donc pas sous le coup de l’alinéa 101(1)e), et rien ne s’oppose à ce qu’ils obtiennent une audience devant la SPR ou à ce qu’ils interjettent appel devant la SAR. Les défendeurs endossent à présent l’analyse figurant dans la décision rendue par la SAR dans X (Re). Les demandeurs souscrivent également à cette approche.

[15]           Je conviens avec les parties que, en l’espèce, la SAR s’est déclarée à tort incompétente pour instruire l’appel des demandeurs. Une simple lecture des dispositions législatives applicables confirme que la demande présentée par le demandeur d’asile qui entre au Canada en provenance des États-Unis n’est habituellement pas recevable (alinéa 101(1)e) de la LIPR). Cependant, la LIPR prévoit aussi que le Règlement peut régir l’application de cette disposition. L’alinéa 159.4(1)a) du Règlement mentionne que l’alinéa 101(1)e) ne s’applique pas au demandeur d’asile qui cherche à entrer au Canada à un endroit autre qu’un point d’entrée. La restriction visant les appels interjetés devant la SAR contenue au paragraphe 110(2) de la LIPR ne s’applique que lorsque le demandeur d’asile entre au Canada en provenance des États-Unis et que sa demande est déférée à la SPR par un agent à un point d’entrée en vertu de l’une des exceptions à l’ETPS.

[16]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas présenté leur demande d’asile à un point d’entrée, mais dans un bureau de CIC. L’ETPS ne s’appliquait donc pas à eux (X (Re), au paragraphe 37), et ils avaient droit d’obtenir une audience devant la SPR et d’interjeter appel devant la SAR.

[17]           En l’espèce, la SAR ne jugeait pas souhaitable, et c’est compréhensible, que ceux qui défient les lois canadiennes se voient « accorder un avantage − le droit d’interjeter appel à la SAR − par rapport aux autres demandeurs d’asile qui respectent et observent les lois canadiennes en matière de contrôle frontalier ». Cependant, il semble que cette possibilité ait été envisagée par le gouverneur en conseil lorsque l’alinéa 159.4a) du Règlement a été adopté. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation se rapportant à cette disposition faisait notamment observer :

Les bureaux au Canada et les aéroports pourraient recevoir un plus grand nombre de demandes d’asile du fait que les personnes chercheront à contourner les dispositions de la Loi et du règlement. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) élabore actuellement des stratégies dans le cas où ces situations se produiraient, et il réaffectera les ressources en conséquence.

[18]           La SAR, comme la Cour, doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée et se garder de donner aux dispositions législatives une interprétation qu’elles ne peuvent raisonnablement pas recevoir dans le but d’atteindre un objectif politique non déclaré de CIC. Il incombe à CIC de mettre en œuvre des [traduction] « stratégies opérationnelles d’urgence » pour répondre à la situation, ou de modifier le Règlement, si les défendeurs craignent que des demandeurs d’asile contournent l’alinéa 159.4(1)a) du Règlement en présentant leurs demandes à un endroit autre qu’un point d’entrée.

[19]           Comme les deux parties s’entendent quant à la disposition de la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire de certifier une question aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué qui tranchera l’appel des demandeurs sur le fond. L’intitulé de la cause est modifié de manière à y ajouter le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3201-15

INTITULÉ :

HUA SENG ZHAO, JIN HUA GAO, GEN LE ZHAO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 décembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DES MOTIFS :

LE 14 décembre 2015

COMPARUTIONS :

Peter D. Larlee

POUR LES demandeurS

Cheryl D. Mitchell

Philippe Alma

POUR LES défendeurS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES demandeurS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES défendeurS

 

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