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Date : 20151118


Dossier : IMM‑1721‑15

Référence : 2015 CF 1290

[traduction française certifiée, non révisée]

Québec (Québec), le 18 novembre 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DAVID CASTILLO OCAMPO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 24 mars 2015, par laquelle un agent principal d’immigration [agent] a rejeté sa demande de résidence permanente présentée au Canada pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Colombie ayant quitté son pays en 1998, à l’âge de 15 ans, pour immigrer aux États‑Unis où il a travaillé comme poseur de cloisons sèches. Il n’est jamais retourné en Colombie depuis. En 2008, le demandeur est arrivé au Canada et a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée en 2011. Pendant qu’il était au Canada, il a continué de travailler comme poseur de cloisons sèches. En 2013, il a fondé sa propre entreprise de pose de cloisons sèches, laquelle compte maintenant quatre employés. En 2015, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, du fait de son degré d’établissement au Canada, de ses relations personnelles au Canada et en Colombie, et de sa crainte de discrimination en Colombie en tant qu’Afro‑Colombien.

[3]               L’agent n’a pas jugé que la situation personnelle du demandeur faisait en sorte que l’exigence d’obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada lui causerait des difficultés inhabituelles ou excessives. L’agent a noté que le demandeur a travaillé comme poseur de cloisons sèches de 2009 à 2013. L’agent a également noté que le demandeur avait suivi plusieurs cours de sécurité et de construction en lien avec son entreprise, ainsi que des cours pour parfaire sa maîtrise de l’anglais afin de mieux communiquer avec ses clients. L’agent a examiné diverses lettres de recommandation indiquant que la société du demandeur avait été engagée comme sous‑entrepreneur par plusieurs sociétés agissant comme entrepreneur, ainsi qu’une lettre d’une personne déclarant qu’elle travaillait à temps partiel pour l’entreprise du demandeur. Même si l’agent a reconnu que le demandeur n’avait pas été en Colombie pendant les dix‑sept dernières années, il a estimé qu’[traduction« il ne retournerait pas dans un endroit qui ne lui est pas familier et, où la langue et la culture, si elles lui sont étrangères, rendraient sa réintégration irréalisable ». L’agent a présumé que le demandeur bénéficierait du soutien de sa mère et de ses frères et sœurs à Cali, et qu’il serait en mesure de se servir de son expérience de travail et de ses habiletés pour obtenir un emploi. En ce qui a trait à la crainte de discrimination exprimée par le demandeur, l’agent a souligné que selon le rapport de 2013 du Département d’État des États‑Unis sur les droits de la personne en Colombie [la preuve extrinsèque ou le rapport du Département d’État des États‑Unis], le gouvernement avait pris des mesures, d’ordre juridique et politique, pour lutter contre la discrimination dont les Afro‑Colombiens sont victimes dans leur pays.

[4]               Le demandeur soutient que la décision contestée est déraisonnable et que l’agent a porté atteinte au principe d’équité procédurale lorsqu’il a eu recours à la preuve extrinsèque. La norme de contrôle applicable à l’évaluation globale de la preuve faite par l’agent qui doit se prononcer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. Sur la question de l’équité procédurale, il convient d’appliquer une approche plus stricte, et ces questions devraient être examinées selon la norme de la décision correcte (Nicayenzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 595, au paragraphe 11 [Nicayenzi]). Lors de l’audience de la présente demande, le procureur du défendeur était disposé à admettre que l’agent s’était livré à une interprétation sélective de la preuve. Pour ce seul motif, le défendeur était disposé à présenter une demande de jugement sur consentement dont l’effet serait d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. En revanche, le défendeur a continué de soutenir que l’agent n’avait porté atteinte à aucun principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Le demandeur a insisté pour que la Cour se prononce sur les deux questions, et il n’était pas disposé à consentir au prononcé d’un jugement sur consentement selon les modalités proposées par le défendeur postérieurement à l’audience.

[5]               Bien qu’un agent ne soit nullement tenu de répertorier chacun des éléments de preuve, il ou elle doit tenir compte de l’ensemble de la preuve. De plus, l’obligation de faire des observations sur des éléments de preuve est fonction de l’importance que revêt ces éléments de preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF)). Selon la jurisprudence, un agent est tenu d’examiner les éléments de preuve contradictoires importants (Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 ACF 1358 (CanLII), aux paragraphes 22 à 23) et il n’est pas autorisé à « disséquer » la preuve documentaire pour en utiliser seulement les parties qui étayent son point de vue. Comme la Cour l’a souligné dans la décision Gulyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 583, au paragraphe 40, « [i]l ne suffit pas à l’agente de dire qu’elle a examiné l’ensemble de la preuve, si elle s’abstient ensuite de s’intéresser à la preuve qui contredit ses conclusions […]. »

[6]               Le problème fondamental en l’espèce repose sur le fait que l’agent ne s’est apparemment pas intéressé à des éléments de preuve contradictoires figurant dans le rapport du Département d’État des États‑Unis, ou a arbitrairement choisi de les rejeter, lesquels démontraient que la réalité sur le terrain demeurait très difficile pour les Afro‑Colombiens. Par exemple, le rapport du Département d’État des États‑Unis indique que la discrimination sociale exercée contre les Afro‑Colombiens a restreint en certaines occasions la capacité d’exercer leurs droits (p. 1); que des menaces et la violence dirigées contre des leaders et les communautés afro‑colombiens continuent de provoquer un grand nombre de déplacements forcés (p. 28); que des organismes internationaux et des ONG restent préoccupés par la lenteur des réponses institutionnelles apportées aux déplacements (p. 27 et 28); et que les Afro‑Colombiens font l’objet de beaucoup de discrimination économique et sociale (p. 43).

[7]               De plus, ces informations contradictoires ont aussi été corroborées par des éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire – des éléments de preuve indiquaient que des Afro‑Colombiens sont victimes de racisme, d’exclusion socio‑économique et de discrimination dans les milieux de travail en Colombie. Il est mentionné ce qui suit dans un document intitulé « Afro‑Colombians battle racism and socio‑economic exclusion » (Colombia Reports) : [traduction« Les Afro‑Colombiens sont aux prises avec des taux élevés de travail informel et de chômage, des niveaux élevés de décrochage, l’analphabétisme, le surpeuplement, la précarité d’accès à l’eau potable, les mauvaises conditions d’hygiène, le travail des enfants et un mauvais accès aux services gouvernementaux, entre autres choses. » L’article souligne de plus ce qui suit :

[traduction] « Mêmes si les dispositions constitutionnelles et législatives [adoptées par le gouvernement] sont louables, la […] mise en application de la législation de la Colombie à l’égard des communautés afro‑colombiennes demeure largement inadéquate, limitée et sporadique », extrait d’une déclaration faite en 2010 par Gay McDougall, l’expert indépendant des Nations Unies pour les questions concernant les minorités.

[8]               Un autre document intitulé « Afro‑Colombians Fighting against Discrimination at Work », produit par le demandeur, souligne ce qui suit : [traduction« La probabilité est beaucoup plus forte pour les Afro‑Colombiens, par rapport aux autres travailleurs colombiens, de gagner moins que le salaire minimum et de trouver des emplois où ils ne pourront pas se syndiquer afin d’améliorer leurs conditions de travail. »

[9]               La Cour estime qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas avoir traité dans ses motifs de ces éléments de preuve contradictoires et de ne pas y avoir inclus une appréciation du caractère adéquat des efforts du gouvernement visant à améliorer la situation des Afro‑Colombiens en Colombie. Contrairement aux affaires concernant la protection de l’État, l’agent est tenu d’apprécier l’existence probable de difficultés qui sont susceptibles de se présenter, plutôt que de se limiter aux seuls efforts déployés par l’État pour contrer ces difficultés. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale au paragraphe 55 de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 (CanLII) « [l]es agents doivent toujours analyser les faits particuliers portés à leur attention et rechercher si le demandeur subit ou non, personnellement et directement, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives […] » [non souligné dans l’original]. C’est en ce sens qu’il était manifestement déraisonnable pour l’agent de se limiter à une déclaration toute faite selon laquelle le gouvernement déployait des efforts pour améliorer la situation, si l’on tient compte des éléments de preuve contradictoires précis présentés par le demandeur et de l’existence d’éléments contradictoires dans le rapport même sur lequel l’agent s’est fondé.

[10]           Par ailleurs, bien qu’il appartienne à l’agent de déterminer le poids à donner aux diverses considérations liées à la demande pour motifs d’ordre humanitaire, il ne ressort pas de la lecture des motifs de l’agent qu’il ait vraiment appliqué un tel processus d’évaluation. L’agent semble plutôt avoir tiré des conclusions qui n’étaient pas fondées sur une évaluation raisonnable de la preuve. Si l’on tient compte de la preuve documentaire au dossier selon laquelle les Afro‑Colombiens sont exposés à des difficultés socio‑économiques et à la discrimination en Colombie, la décision de l’agent ayant trait à la capacité du demandeur de trouver du travail en se servant de ses habiletés dans le domaine de la construction et de son entrepreneuriat, et celle concernant l’aptitude de sa mère, et de ses frères et sœurs, à lui fournir du soutien, ressemblent plus à des déclarations conjecturales plutôt qu’à des inférences raisonnables (Ukleina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1292, aux paragraphes 8 et 14).

[11]           Dans la décision Damte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1212 (CanLII), la Cour a souligné au paragraphe 33 que « [l]es directives prévoient donc une évaluation subjective et une évaluation objective de la difficulté », et que « pour analyser si les répercussions seraient disproportionnées, le décideur doit comprendre ce qu’une personne affronterait, physiquement et mentalement, si elle était forcée de quitter le Canada ». En l’espèce, le demandeur a vécu à l’extérieur de la Colombie pendant la moitié de sa vie, et la dernière fois qu’il est retourné dans son pays il était un garçon âgé de quinze ans. Selon les éléments de preuve documentaires qu’il a présentés, le demandeur risque de retourner dans un pays où il serait exposé à beaucoup de discrimination, à des conditions économiques difficiles et à des possibilités d’avancement restreintes du fait de ses origines ethniques. Bien qu’il n’appartienne pas à la Cour de tirer des conclusions quant au fond de l’affaire, il semble que l’officier se soit fermé à l’idée de comprendre la réalité du demandeur et qu’il ait omis d’apprécier les difficultés auxquelles le demandeur aurait à faire face s’il devait retourner en Colombie.

[12]           Étant donné que j’estime, dans l’ensemble, que la décision contestée est déraisonnable et qu’elle doit être annulée, la question de savoir si l’agent a aussi manqué au principe de l’équité procédurale ne revêt plus, en quelque sorte, qu’un intérêt théorique. Toutefois, comme ce point a été pleinement débattu lors de l’audience, je vais néanmoins donner mon opinion sur la question. J’estime également que l’agent a commis une erreur à ce chapitre.

[13]           Le document de CIC intitulé « Considérations d’ordre humanitaire : recherche » (http://www.cic.gc.ca/français/ressources/outils/perm/ch/outils/recherche.asp) donnent aux agents les directives suivantes : 

Vous pouvez effectuer une recherche au sujet des questions soulevées dans la demande. Les sources d’information à consulter varieront en fonction du cas.

Si les renseignements sont tirés de recherches sur Internet :

•     Communiquez au demandeur ces documents et tout document externe (PDF, 1,11 Mo) pertinent sur lequel vous avez l’intention de fonder votre décision. Ces mesures doivent être prises si le demandeur ne peut raisonnablement être censé avoir vu ces renseignements ou en être au courant, même s’ils sont « accessibles au public ».

•     Conservez au dossier les copies de tous les documents trouvés sur Internet et ayant servi dans le processus décisionnel.

•     Consultez les sources d’information les plus récentes.

[non souligné dans l’original]

[14]           Aussi, le document de CIC intitulé « Principes de droit administratif – Guide pour la prise de décision sur les demandes CH » (http://www.cic.gc.ca/francais /ressources/outils/perm/ch/outils/principe.asp) énonce en ce qui a trait aux « points à prouver » ce qui suit :

Aucun point en particulier ne doit « être prouvé ». Le demandeur détermine quelles sont, à son avis, les considérations d’ordre humanitaire qui doivent être prises en compte dans son cas et il présente des observations à l’appui de sa demande. Il peut arriver que vous obteniez des renseignements ou des éléments de preuve d’une autre source que le demandeur (renseignements extrinsèques). Si vous comptez utiliser ces renseignements aux fins de votre évaluation à l’étape 1 ou à l’étape 2, vous devez les communiquer au demandeur et lui donner la possibilité de présenter des observations à leur égard.

[non souligné dans l’original]

[15]           En l’espèce, les seuls éléments de preuve quant aux conditions relatives au pays ayant trait à la Colombie versés au dossier du Tribunal sont les suivants :

         une copie papier d’un document présenté par le demandeur et tiré d’un site Web anonyme, lequel est intitulé [traduction] « La lutte des Afro‑Colombiens contre la discrimination au travail »;

         une copie papier d’un article présenté par le demandeur, tiré de l’Internet et publié par Colombia News;

         le rapport de 2013 du Département d’État des États‑Unis sur les droits de la personne en Colombie, obtenu de façon indépendante par l’agent chargé de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la preuve extrinsèque ou le rapport du Département d’État des États‑Unis].

[16]           Bien que l’agent ait décidé de consulter le rapport du Département d’État des États‑Unis, il n’a tenu compte d’aucun des autres documents qui faisaient partie du Cartable national de documentation [CND] sur la Colombie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR]. Même si le CND est un document accessible au public et qu’il peut donc être consulté par un agent, il n’est pas légalement tenu de le faire. Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient que si un agent décide de consulter cet élément de preuve extrinsèque, il doit communiquer l’information sur laquelle il entend se fonder dans la mesure où elle contredit les autres renseignements objectifs présentés par le demandeur.

[17]           Le défendeur reconnaît que le demandeur n’a pas invoqué ou présenté le rapport du Département d’État des États‑Unis, mais il maintient que puisqu’il s’agit d’un document accessible au public, l’agent était néanmoins autorisé à le consulter, et à l’invoquer, sans en aviser le demandeur. Au cours de la plaidoirie, en guise de réponse à la question de savoir si une lettre d’équité aurait dû être envoyée au demandeur pour l’informer que l’agent pensait invoquer le rapport du Département d’État des États‑Unis, les procureurs du défendeur ont fait valoir qu’il y aurait un prix à payer pour les demandeurs d’asile si l’exigence relative à la lettre d’équité devait être respectée, soit le ralentissement d’un processus déjà long.

[18]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les règles en matière d’équité procédurale exigent que dans les cas où la décision rendue par le décideur est de toute évidence fondée sur une conclusion quant à la crédibilité ou sur des préoccupations qui n’auraient pas pu être raisonnablement prévues par le demandeur, le décideur a l’obligation de faire part de ces préoccupations au demandeur afin de permettre à ce dernier d’y répondre de façon valable. (Nicayenci, ci‑dessus, au paragraphe 18). Cette obligation est cohérente avec les propres lignes directrices de la politique de CIC, lesquelles énoncent que même si un document est accessible au public, il devrait être communiqué au demandeur s’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il détienne ou connaisse ces informations (voir aussi Mark c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 364, aux paragraphes 16 à 18, et De Vazquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 530, aux paragraphes 27 à 29). En l’espèce, le recours par l’agent à un élément de preuve extrinsèque concernant les efforts déployés par le gouvernement pour combattre la discrimination ne pouvait raisonnablement être prévu par le demandeur eu égard aux circonstances propres à l’espèce.

[19]           Compte tenu du fait que l’agent s’est fondé de façon sélective sur des extraits du rapport du Département d’État des États‑Unis, lesquels contredisaient directement la preuve du demandeur, et étant donné que ce rapport constituait en fait un élément clé du raisonnement de l’agent, selon lequel le demandeur n’aurait pas à faire face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à son retour en Colombie, le principe de l’équité procédurale exige de l’agent qu’il communique ces éléments de preuve au demandeur pour ainsi lui fournir l’occasion d’y répondre.

[20]           Le défendeur propose que la question suivante soit certifiée :

[traduction] Lorsqu’il examine une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, un agent a‑t‑il le droit, sans envoyer de lettre d’équité au demandeur, de consulter de façon indépendante seulement un document qui se trouve dans la liste des « Sources de renseignement sur les pays d’origine » de CIC, lorsque d’autres documents provenant de cette source existent aussi?

[21]           En revanche, le demandeur propose que les trois questions suivantes soient certifiées :

[traduction]

a)   Le principe d’équité procédurale exige‑t‑il d’un agent d’immigration qui exerce le pouvoir discrétionnaire dévolu en vertu de l’article 25 de la LIPR qu’il fasse expressément référence à des éléments de preuve contradictoires, qu’il les soupèse et qu’il les analyse?

b)   Y a‑t‑il une apparence de partialité dans une affaire lorsqu’un agent d’immigration a recours à une approche « passe‑partout » lors de l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il omet de prendre en considération et d’apprécier des documents contradictoires?

c)   Compte tenu des règles de justice naturelle et d’équité procédurale, l’application de principes d’efficacité administrative peut‑elle justifier une atteinte au droit du demandeur à être entendu?

[22]           À mon avis, aucune des trois questions proposées par le demandeur ne devrait être certifiée. La question concernant la façon dont un agent d’immigration doit soupeser et évaluer des éléments de preuve contradictoires a été soulevée plusieurs fois, ainsi que celle de l’utilisation d’une approche « passe‑partout » par un agent d’immigration. Les principes généraux applicables à l’équité procédurale dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sont énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699, et ils n’ont pas à être réexaminés. Je ne crois pas non plus que la question proposée par le défendeur soit appropriée à des fins de certification. En l’espèce, la question de savoir si un agent est tenu d’envoyer une lettre d’équité au demandeur, s’il appert que cet agent a consulté de façon indépendante un document répertorié dans la liste des « Sources de renseignement sur les pays d’origine » de CIC, lorsqu’il existe aussi d’autres documents provenant de ces mêmes sources, est de nature principalement factuelle, et je doute qu’il soit possible d’y répondre dans l’abstrait (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, aux paragraphes 17 et 62). De plus, comme l’agent en est arrivé à une décision déraisonnable après avoir effectué une lecture sélective de la preuve, je ne crois pas que la question ayant trait à l’équité soit déterminante (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, aux paragraphes 13 et 16).

[23]           En conclusion, la Cour accueillera la demande et prononcera un jugement annulant la décision attaquée et ordonnera son renvoi devant un autre agent pour nouvel examen. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision attaquée de l’agent est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1721‑15

 

INTITULÉ :

DAVID CASTILLO OCAMPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 18 novembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Sandra Palmieri

 

pour le demandeur

Thomas Cormie

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandra Palmieri

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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