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Date : 20151204


Dossiers : T-2465-14

T-2466-14

Référence : 2015 CF 1342

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Camp

Dossier : T-2465-14

ENTRE :

BIANCA LIGONDÉ

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-2466-14

ET ENTRE :

ADRIAN EGBERS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   LE CONTEXTE

[1]               Bianca Ligondé et Adrian Egbers (les demandeurs) sollicitent un contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, des décisions de la Commission de la fonction publique du Canada (la Commission) dans lesquelles il était établi qu’ils avaient commis une fraude dans le cadre d’une procédure de nomination interne. Les demandeurs présentent des demandes distinctes, mais compte tenu de leurs positions factuelles et juridiques communes, les deux instances ont été regroupées. Les demandes seront donc traitées dans une seule décision. Les deux demandeurs sollicitent des ordonnances annulant la décision de la Commission, renvoyant l’affaire pour un nouvel examen et octroyant des dépens.

[2]               Mme Ligondé a commencé à travailler au gouvernement fédéral en 2002 et travaille actuellement en tant qu’analyste des politiques à Environnement Canada. M. Egbers s’est joint à la fonction publique fédérale en 2009 et travaille actuellement à Industrie Canada. Les deux demandeurs sont titulaires de diplômes d’études supérieures.

[3]               En décembre 2012, les demandeurs ont postulé à un poste d’analyste des politiques à Transports Canada. Le poste avait été annoncé dans le cadre d’un processus interne, ce qui signifie qu’il n’était ouvert qu’aux fonctionnaires fédéraux. Les candidats étaient tenus d’avoir un diplôme universitaire. L’une des compétences clés en matière de leadership, qui étaient énoncées pour le poste, touchait « les valeurs et l’éthique ».

[4]               Parmi les 217 demandes reçues, 114 candidats ont été invités à passer un examen écrit à domicile par voie électronique. Les candidats ayant réussi l’examen écrit seraient convoqués à une entrevue, puis assujettis à une vérification des références, à une évaluation de la langue seconde et à une habilitation de sécurité. Les deux demandeurs étaient parmi les 114 candidats invités à passer l’examen.

[5]               Les demandeurs ont reçu un courriel comportant des directives relatives à l’examen. Ils ont reçu pour instruction de lire les directives et, s’ils y consentaient, de répondre au courriel en reprenant la déclaration suivante : [traduction] « J’accepte les conditions de l’examen écrit. » Les directives concernaient des renseignements détaillés se rapportant à l’équipement, aux outils, à l’environnement, au calendrier, au report de l’examen, aux mesures d’adaptation, à la sécurité et à la confidentialité. Les principaux détails comprenaient ce qui suit :

[traduction]

GÉNÉRALITÉS :

[…]

4. Lorsque vous recevez votre examen, vous devez lire et suivre les instructions.

[…]

ÉQUIPEMENT/OUTILS/ENVIRONNEMENT :

[…]

3. Il incombe au candidat de s’assurer que l’environnement est adéquat pour l’examen.

[…]

SÉCURITÉ/CONFIDENTIALITÉ/SOUTIEN :

1. Tous les renseignements concernant cet examen, y compris l’examen, sont confidentiels et ne doivent pas être échangés avec d’autres personnes avant ou après l’examen.

2. Il ne doit y avoir aucune communication entre les candidats pendant ou après cet examen – cela garantira l’intégrité de cet examen.

[6]               Hormis la règle selon laquelle les candidats ne doivent pas communiquer ou partager des renseignements avec d’autres personnes, il n’y a aucune mention de l’utilisation d’Internet ou de sources externes. On n’a pas expressément interdit aux candidats de consulter Internet ou de se référer à des documents externes. Il n’y a également aucune instruction expresse selon laquelle les réponses doivent être fournies dans les propres mots des candidats.

[7]               L’examen a été envoyé, par courriel, à chacun des demandeurs. Le texte du courriel reproduisait les directives susmentionnées. L’examen écrit lui-même était joint au courriel, qui comprenait d’autres instructions :

[traduction]

Vous trouverez ci-joint les copies des questions auxquelles vous devrez répondre pendant l’examen. Vous serez évalué sur les plans suivants :

          Connaissance des questions clés relatives au transport

          Connaissance des nouvelles tendances et des nouveaux développements touchant l’économie canadienne

          Connaissance des priorités économiques actuelles du gouvernement du Canada

Le but de cet examen est d’évaluer les facteurs liés aux « connaissances », ainsi que la capacité de communiquer efficacement à l’écrit.

Vous avez deux (2) heures pour terminer cet examen. Vous devez terminer et renvoyer votre examen, par courriel, deux (2) heures après la réception du document. Aucun retard ne sera toléré.

Tout le matériel nécessaire est fourni pour cet examen.

[Souligné dans l’original.]

[8]               L’examen comportait trois questions :

[traduction]

1.         Veuillez indiquer et décrire brièvement trois problèmes clés liés au secteur des transports au Canada.

2.         Veuillez décrire deux (2) nouvelles tendances ou nouveaux développements clés (à l’échelle mondiale ou en Amérique du Nord) qui ont une incidence sur l’économie canadienne et comment ces tendances ou développements touchent le secteur des transports.

3.         Veuillez décrire deux (2) des principales priorités du gouvernement et expliquer leur pertinence, ou leurs répercussions, pour le secteur des transports.

[9]               Même si les instructions figurant dans le document de l’examen indiquaient que [traduction] « [t]out le matériel nécessaire est fourni pour cet examen », aucun autre document n’a été fourni aux candidats.

[10]           Les demandeurs ont passé l’examen écrit à 9 h, le 8 mars 2013, dans leurs lieux de travail respectifs. Les deux ont présenté leurs examens dans le délai imparti. Les examens des demandeurs ont, ensuite, été corrigés par un comité d’évaluation qui a remarqué que des renseignements provenant de diverses sources avaient été copiés et collés dans les deux examens. M. Egbers, aux questions 1 et 2, avait copié et collé des extraits du rapport annuel « Les transports au Canada 2011 », une publication accessible sur la page Web de Transports Canada. Il a apporté de petites modifications à certaines parties du texte copié et a laissé d’autres parties inchangées. Pour la troisième question, M. Egbers a inclus une référence au plan budgétaire 2012 du Canada, également accessible en ligne, et a copié certains extraits dans sa réponse. Il a mis un extrait entre guillemets, en identifiant sa source comme « Budget 2012 ». Mme Ligondé a également copié des renseignements du rapport annuel « Les transports au Canada 2011 », ainsi que des renseignements du site Web Plan d’action économique du gouvernement du Canada, du site Web de Transports Canada et du site Web du Parlement du Canada.

[11]           Un certain nombre d’autres candidats ont également copié, dans l’examen, des extraits provenant de sources externes sans mentionner leur source de manière appropriée. Une autre catégorie de candidats a copié l’information, mais l’a citée ou a repris des citations directes. Ces derniers candidats n’ont pas fait l’objet d’une enquête plus approfondie. Bien que le comité d’évaluation ait d’abord cherché à éliminer la candidature des candidats qui avaient copié des renseignements sans mentionner leur source de manière appropriée, il a été décidé d’évaluer tous les examens en fonction de leur contenu. Mme Ligondé a réussi l’examen. M. Egbers ne l’a pas réussi et ses perspectives pour le poste ont pris fin.

[12]           Le 7 juin 2013, Mme Ligondé a reçu un courriel de Transports Canada l’informant que sa demande était passée à l’étape suivante du processus. Elle a été convoquée à une entrevue, la semaine suivante. Mme Ligondé a répondu, le 11 juin 2013, pour décliner l’invitation et se retirer de la procédure de nomination. Elle n’était pas au courant des allégations de fraude au moment de sa décision de se retirer.

[13]           Transports Canada a communiqué, par la suite, avec la Commission, qui a lancé une enquête sur cinq des candidats, y compris les demandeurs. Le 20 août 2013, les demandeurs ont été informés par lettre qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour fraude. La Commission a interrogé chacun des demandeurs, ainsi que Mélanie Aubin et Ghyslaine Franche, responsables des ressources humaines de Transports Canada, et Sandra Lafortune, la gestionnaire responsable de l’embauche.

[14]           Le 6 août 2014, la Commission a publié un rapport d’enquête à l’égard de chaque demandeur. La Commission a conclu que Mme Ligondé et M. Egbers avaient commis une fraude au sens de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13 [LEFP] en ayant fourni des réponses plagiées aux questions de l’examen écrit à la maison. La Commission a adopté la définition de fraude précisée dans la décision Seck c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 314, aux paragraphes 39 à 41 [Seck] :

[39]... Ainsi, la fraude comporte deux éléments essentiels : (1) la malhonnêteté, qui peut comprendre la non-divulgation de faits importants; (2) la privation ou le risque de privation.

[40] La malhonnêteté est établie lorsqu’on a sciemment employé la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif dans le cadre d’une procédure de nomination, ce qui peut également comprendre la non-divulgation ou la dissimulation de faits importants dans des circonstances où elle serait considérée comme malhonnête par une personne raisonnable.

[41]… la victime de la fraude n’est pas tenue de prouver que les actes frauduleux lui ont réellement causé un préjudice ou une perte. Dans le cas de l’article 69 de la Loi, il suffit donc d’établir, pour satisfaire au second élément, que le processus de nomination aurait pu être compromis.

[15]           Sur la foi de cette définition, la Commission a déterminé le critère juridique applicable consistant à savoir si, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs avaient inclus, dans leur examen, des renseignements copiés de diverses sources afin d’améliorer leurs chances d’être nommés. La Commission a constaté que la procédure de nomination peut être compromise lorsqu’un candidat copie sciemment des renseignements provenant d’une autre source dans un examen. De l’avis de la Commission, l’objectif de l’examen a été clairement communiqué aux candidats. La Commission a beaucoup insisté sur le fait que les candidats soient informés que l’examen permettait d’évaluer leur [traduction] « aptitude à communiquer efficacement à l’écrit ».

[16]           Même si les instructions de l’examen manquaient de clarté et ont omis de préciser si les candidats pouvaient utiliser Internet pour consulter ou citer des renseignements accessibles au public, la Commission a constaté que ce n’était pas le problème. Selon la Commission, le problème était plutôt de savoir si les demandeurs avaient commis un acte de plagiat. La Commission a constaté qu’une personne raisonnable, en particulier celle qui a fait des études universitaires, serait au courant du plagiat, saurait que le plagiat n’était pas autorisé et que le fait de copier-coller des renseignements sans mentionner leur source de manière appropriée empêcherait l’évaluateur d’évaluer l’aptitude du candidat à communiquer efficacement à l’écrit. Le commissaire a conclu ce qui suit :

[traduction]

[…] il est raisonnable de croire, selon la prépondérance des probabilités, que [les demandeurs] savai[en]t qu’[ils] reprenai[en]t le travail de quelqu’un d’autre et le faisai[en]t passer pour le [leur] afin d’améliorer [leurs] chances de nomination. Lorsqu’un candidat copie et utilise sciemment des renseignements provenant d’un texte et le fait passer pour le sien, il agit d’une manière malhonnête parce qu’il tente de démontrer au jury d’évaluation qu’il répond aux qualifications essentielles pour le travail à accomplir afin d’améliorer ses chances de nomination. Une procédure de nomination peut être compromise lorsqu’un examen comporte une réponse à une question que le candidat a sciemment copiée d’une autre source. En copiant des renseignements et en les faisant passer pour les [leur], [les demandeurs] [ont] commis une fraude dans le cadre de la procédure de nomination.

[17]           Les demandeurs ont chacun obtenu leur rapport d’enquête respectif et ont eu la possibilité de commenter et de faire des observations sur les mesures correctives proposées.

[18]           Par lettres datées du 3 novembre 2014, chaque candidat a été informé de la décision définitive de la Commission. On a joint aux lettres un compte rendu de décision, dans lequel la Commission avait conclu que les demandeurs avaient commis une fraude au cours de la procédure de nomination [traduction] « en présentant un examen écrit comportant des renseignements plagiés provenant d’Internet ». La Commission a constaté que cette conduite remet en question l’intégrité de la procédure de nomination. Elle a, ensuite, pris des mesures correctives. Elle a fait remarquer que le but d’une mesure corrective est de rectifier une situation et d’éviter qu’elle se reproduise. À cette fin, elle a ordonné que, pendant une période d’un an, les demandeurs devront obtenir une autorisation écrite avant d’accepter un poste ou un travail au sein de la fonction publique fédérale. Tout défaut de le faire entraînerait la révocation de la nomination. Deuxièmement, pendant une période d’un an, les demandeurs devront aviser la Commission s’ils acceptent un travail dans le cadre de programmes d’emploi occasionnel ou d’études, sinon leur administrateur général serait informé du constat de fraude. Troisièmement, une copie de chaque rapport d’enquête et compte rendu de décision sera envoyée au sous-ministre des ministères respectifs des demandeurs. Quatrièmement, chaque demandeur devra suivre un cours de déontologie, puis discuter du cours avec son supérieur.

[19]           Depuis cet incident, Transports Canada a révisé ses instructions d’examen. Elles précisent désormais que les candidats sont libres d’utiliser Internet ou les sites intranet et toute autre ressource pendant l’examen. Cependant, le fait de copier-coller un texte provenant d’une source est désormais expressément interdit.

II.                QUESTIONS EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[20]           Les parties sont d’accord quant aux questions à résoudre dans le présent contrôle judiciaire :

  1. La décision de la Commission selon laquelle les demandeurs ont commis une fraude était-elle raisonnable?
  2. La mesure corrective ordonnée par la Commission était-elle raisonnable?

[21]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Une décision raisonnable en est une qui se situe dans une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour doit déterminer si la décision est justifiée, transparente et intelligible, compte tenu de la preuve, des observations dont les parties ont fait part au décideur et de la procédure : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 18.

III.             THÈSES DES PARTIES

A.                La décision de la Commission selon laquelle les demandeurs ont commis une fraude était-elle raisonnable?

(1)               Les demandeurs

[22]           Les demandeurs ont avancé plusieurs arguments à l’appui de leur point de vue selon lequel le constat de fraude était déraisonnable.

[23]           Premièrement, les demandeurs soutiennent que la définition de la fraude dans le cadre de l’article 69 de la LEFP est adapté du contexte criminel, exigeant que les demandeurs aient sciemment copié et collé des passages d’Internet, sans mentionner leur source, dans l’intention de tromper les personnes responsables de la procédure de nomination et d’améliorer ainsi leurs perspectives de nomination.

[24]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que le constat de fraude en vertu de l’article 69 de la LEFP a des conséquences très graves, et les actions qui constituent le fondement d’un constat de fraude devraient, donc, atteindre un certain niveau de criminalité ou presque. Les demandeurs soutiennent que cette interprétation est appuyée par l’économie de la LEFP, car la fraude est la seule infraction pénale qui figure dans la loi. L’article 133 prévoit ce qui suit :

133. Quiconque commet une fraude dans le cadre d’une procédure de nomination est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

133. Every person who commits fraud in any appointment process is guilty of an offence punishable on summary conviction.

[25]           À la suite de la constatation de la fraude par la Commission, les demandeurs font remarquer qu’une copie du rapport d’enquête et d’autres renseignements pertinents peuvent être transmis à la Gendarmerie royale du Canada : Seck, aux paragraphes 6, 31 et 38. En plus des conséquences pénales, les demandeurs soutiennent que le constat de fraude peut causer des dommages irréparables à la réputation d’un fonctionnaire, car la Commission conserve le pouvoir de publier les noms et les renseignements personnels des demandeurs dans le cadre de l’enquête. Les demandeurs soutiennent qu’un constat de fraude constitue l’accusation ultime, ce qui peut pousser leur employeur et le public à perdre toute confiance en leur intégrité personnelle : Samatar c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1263, aux paragraphes 122 à 125.

[26]           Troisièmement, on fait valoir que le comportement des demandeurs est beaucoup moins grave que les cas signalés concernant la fraude visée par l’article 69 de la LEFP. Par exemple, dans Seck c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1335, conf. par 2012 CAF 314, le demandeur a fourni une recommandation falsifiée, en affirmant qu’une certaine personne était son superviseur et en rédigeant la fausse recommandation au nom de cette personne. Dans Challal c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1251 [Challal], le demandeur a, d’une façon ou d’une autre, obtenu l’accès au guide de correction d’un examen et en a copié les réponses, mot pour mot. Dans St-Amour c. Agence des services frontaliers du Canada, 2014 CRTFP 93, le demandeur a faussement prétendu, dans son curriculum vitæ, qu’il était titulaire d’un diplôme d’études. Selon le demandeur, ces cas traduisent un comportement plus grave, qui témoigne de l’intention délibérée de tromper afin d’obtenir un avantage dans le cadre de la procédure de nomination.

[27]           Quatrièmement, on fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte du comportement des demandeurs dans le contexte législatif en général, en particulier le paragraphe 67(2) de la LEFP :

67 (2) La Commission peut, sur demande de l’administrateur général, mener une enquête sur le processus de nomination interne entrepris par celui-ci dans le cadre du paragraphe 15(1), et lui présenter un rapport sur ses conclusions; s’il est convaincu qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, l’administrateur général peut :

67 (2) The Commission may, at the request of the deputy head, investigate an internal appointment process that was conducted by a deputy head acting under subsection 15(1), and report its findings to the deputy head and the deputy head may, if satisfied that there was an error, an omission or improper conduct that affected the selection of the person appointed or proposed for appointment,

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

(b) take any corrective action that he or she considers appropriate.

[28]           Selon les demandeurs, la Commission définit la « mauvaise conduite » comme étant [traduction] « un comportement fautif, que ce soit par action ou inaction, relativement à une procédure de nomination » : MacAdam v Canada (Attorney General), 2014 FC 443 [MacAdam]. Une intention de mauvaise foi n’est pas requise. Dans MacAdam, la Cour a conclu, au paragraphe 77, que [traduction] « la mauvaise conduite peut raisonnablement être établie lorsqu’un comportement inadéquat lié à la procédure de nomination porte atteinte à une ou plusieurs des valeurs directrices de la LEFP ». Les demandeurs font valoir que le paragraphe 67(2) de la LEFP prévoit donc un comportement moins grave que la fraude et saisit, de façon plus appropriée, les actes reprochés dans la présente instance. Ils affirment que le mauvais jugement dont ils ont fait preuve en copiant et en collant sans mentionner la source de manière appropriée peut, au mieux, être décrit comme un « comportement inadéquat » ou une « mauvaise conduite », au sens de la loi, plutôt qu’une fraude d’ordre pénal.

[29]           Cinquièmement, les demandeurs soutiennent que les circonstances factuelles en question n’atteignent pas le niveau de la fraude. Les demandeurs soutiennent que leur conduite doit être examinée à la lumière du fait incontesté que les instructions et les directives de l’examen manquaient de clarté; que l’examen était mal conçu et mal exécuté (comme en témoigne le fait que de nombreux candidats ont copié et collé de l’information à partir d’Internet pour répondre aux questions de l’examen, avec ou sans mention de la source); que M. Egbers, en particulier, avait clairement fait un renvoi au budget de 2012 parmi les deux sources auxquelles il avait fait référence dans son examen. En outre, on a fait valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs avaient l’intention de tromper est aussi déraisonnable et non étayée par la preuve. Les demandeurs répètent qu’ils n’ont jamais eu l’intention de tromper. Ils soulignent que le contenu copié n’était pas ésotérique, mais bien connu, accessible au public et facilement accessible en ligne. On fait valoir que s’ils avaient vraiment l’intention de tromper, ils n’auraient pas copié une source aussi évidente qu’un rapport annuel du site Web du ministère même auquel ils présentaient leur candidature.

[30]           Enfin, les demandeurs soutiennent que les faits ne permettaient pas de conclure à une privation ou un risque de privation, car les fonctionnaires de Transports Canada étaient au courant de l’absence de mesures de contrôle de l’examen et auraient éliminé les candidats qui ne possédaient pas les connaissances et les compétences nécessaires à l’étape de l’entrevue subséquente de la procédure de nomination.

[31]           Dans l’ensemble, les demandeurs sont d’avis que le défaut de citer dûment des sources bien connues et facilement accessibles dans le cadre d’un examen à la maison, où les instructions ne sont certes pas claires, peut traduire un manque de jugement, mais il est déraisonnable de conclure qu’un tel comportement atteint le niveau de la fraude.

(2)               Le défendeur

[32]           Le défendeur est d’avis que le constat de fraude était fondé sur le fait que les demandeurs avaient donné des réponses plagiées à l’examen. Le défendeur soutient que la fraude exige la preuve de deux éléments : (1) la malhonnêteté; (2) la privation ou le risque de privation : Seck, au paragraphe 39.

[33]           Selon le défendeur, le premier élément est établi lorsqu’une personne commet sciemment un acte malhonnête : Seck, au paragraphe 40, citant l’arrêt R c. Cuerrier, [1998] 2 RCS 371, aux paragraphes 110 à 116 [Cuerrier]. Le défendeur invoque la conclusion de la Commission selon laquelle une personne raisonnable sait que le plagiat n’est pas autorisé et que le fait de copier et de coller des renseignements sans mentionner la source de manière appropriée ne permettrait pas à l’évaluateur d’évaluer l’aptitude des candidats à communiquer efficacement à l’écrit. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il était du « devoir » des demandeurs de citer dûment leurs sources. On fait valoir que M. Egbers savait que le plagiat n’était pas autorisé à la lumière de ses études et tel qu’il ressort du fait qu’il avait renvoyé au budget de 2012 en répondant à la question 3 de l’examen. Le défendeur souligne également que M. Egbers a admis que le fait de ne pas mentionner la source de ses réponses était une erreur de jugement. On a également soutenu que Mme Ligondé savait que le plagiat n’était pas autorisé à cause de ses études. Ainsi, comme la Commission l’a conclu et comme le défendeur l’a soutenu, cette preuve était suffisante pour conclure que les demandeurs possédaient les connaissances nécessaires pour arriver à un constat de fraude. En outre, le défendeur soutient que le fait que le texte source soit accessible au public et bien connu des gestionnaires de Transports Canada est sans importance.

[34]           En ce qui concerne le deuxième élément, le défendeur soutient que la privation est établie lorsque la procédure de nomination aurait pu être compromise. Selon le défendeur, le plagiat dans un examen qui permettait de vérifier les connaissances et l’aptitude à la rédaction améliorait les chances de ce candidat à la nomination parce que l’évaluateur évaluait les compétences en rédaction de l’auteur du texte source plutôt que ceux des demandeurs, compromettant ainsi l’intégrité de la procédure de nomination.

[35]           Enfin, en réponse aux arguments des demandeurs selon lesquels la jurisprudence sur la fraude en vertu de l’article 69 de la LEFP traduit un comportement beaucoup plus grave que l’espèce, le défendeur soutient que ces cas ne sont que quelques exemples et chaque enquête doit être fondée sur ses propres mérites.

B.                 La mesure corrective ordonnée par la Commission était-elle raisonnable?

[36]           Les demandeurs soutiennent que l’ordonnance de la Commission d’envoyer le rapport d’enquête et le compte rendu de décision à leurs ministères respectifs était vague et imprécise. En particulier, les demandeurs soutiennent que la Commission a omis de préciser un échéancier indiquant pendant combien de temps cette information devait rester active et si cette information devait être incluse dans leurs dossiers. Par conséquent, on fait valoir que la mesure pourrait indéfiniment nuire aux carrières respectives des demandeurs dans la fonction publique. Selon les demandeurs, il serait excessivement sévère de conserver ces renseignements à perpétuité dans leurs dossiers, en particulier à la lumière de la nature de la conduite qu’on leur reproche et du dommage irrévocable que le constat de fraude pourrait avoir sur leur réputation. Les demandeurs sont d’avis que le rapport d’enquête et le compte rendu de décision ne doivent pas rester dans leurs dossiers plus de six mois.

[37]           Le défendeur est d’avis que la mesure corrective relevait de la compétence de la Commission pour protéger et renforcer l’intégrité de la procédure de nomination. Selon le défendeur, les mesures correctives assuraient, dans ce cas, l’intégrité de la procédure de nomination de deux façons : premièrement, en empêchant toute nouvelle fraude des demandeurs pendant une période d’un an; deuxièmement, en s’assurant que les candidats comprennent leurs obligations à titre de fonctionnaires fédéraux. On fait valoir que la Commission a un très grand pouvoir discrétionnaire relativement aux mesures correctives : Seck aux paragraphes 49 et 51; MacAdam, aux paragraphes 112 et 113.

IV.             ANALYSE

A.                La décision de la Commission selon laquelle les demandeurs ont commis une fraude était-elle raisonnable?

[38]           À mon avis, la décision de la Commission n’était pas raisonnable. La décision assimile le plagiat à la fraude. En outre, la Commission n’a pas pris en compte ou attribué un poids insuffisant à toutes les circonstances entourant cette enquête, dont plusieurs atténuaient le rejet des versions des demandeurs.

[39]           L’article 69 de la LEFP confère la compétence à la Commission d’enquêter sur les allégations de fraude dans le cadre d’une procédure de nomination :

69. La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut :

69. If it has reason to believe that fraud may have occurred in an appointment process, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that fraud has occurred, the Commission may

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;


(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

[40]           Dans Seck, la Cour d’appel fédérale a déterminé que le sens de la fraude dans l’article 69 de la LEFP est adopté de la loi pénale. La seule différence réside dans le fardeau de la preuve, car la norme de preuve applicable à la constatation de la fraude par la Commission est celle de la prépondérance des probabilités (paragraphe 38). Les parties de la présente instance conviennent que la fraude exige une privation malhonnête. Dans Seck, la Cour a approuvé la définition de la fraude énoncée dans l’arrêt Cuerrier. Dans ce cas, le juge Cory, s’exprimant au nom de la majorité, a cité les motifs du juge McLachlin (tel était alors son titre) dans l’arrêt R. c. Théroux, [1993] 2 RCS 5, dans lequel il a décrit les éléments essentiels de la fraude aux pages 25 et 26 :

Pour établir l’actus reus de la fraude, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu recours à la supercherie ou au mensonge, ou qu’il a accompli quelque autre acte frauduleux. […] il faudra démontrer que l’acte reproché en est un qu’une personne raisonnable considérerait comme malhonnête. Il faut ensuite démontrer qu’il y a effectivement eu privation ou risque de privation. Pour établir la mens rea de la fraude, le ministère public doit démontrer que l’accusé a sciemment employé le mensonge, la supercherie ou un autre moyen dolosif alors qu’il savait qu’une privation pouvait en résulter.

[41]           Le juge McLachlin a ensuite fait remarquer à la page 26 :

L’exigence d’un acte frauduleux intentionnel exclut la simple déclaration inexacte faite par négligence. Elle exclut également le comportement commercial imprudent ou le comportement qui est déloyal au sens de profiter d’une occasion d’affaires au détriment d’une personne moins astucieuse. L’accusé doit intentionnellement tromper, mentir ou accomplir quelque autre acte frauduleux pour que l’infraction soit établie. Une déclaration inexacte faite par négligence ou une pratique commerciale déloyale sont insuffisantes puisque, dans ni l’un ni l’autre cas, on ne trouve l’intention requise de priver par un moyen dolosif. Une déclaration faite par négligence, même si elle est inexacte, ne constitue pas un mensonge intentionnel du point de vue subjectif. De même, le fait de sauter sur une occasion d’affaires sans être motivé par l’intention subjective de causer une privation en trompant ou en induisant autrui en erreur ne constituera pas une fraude. Encore une fois, la supercherie employée négligemment sans s’attendre à des conséquences comme, par exemple, une plaisanterie innocente ou une déclaration faite au cours d’un débat, à laquelle on ne veut pas donner suite, ne constituerait pas une fraude parce que l’accusé ignorerait que sa plaisanterie mettrait en péril le bien de ceux qui l’ont entendue. Il reste donc les actes frauduleux accomplis délibérément qui, à la connaissance de l’accusé, mettent vraiment en péril le bien d’autrui. À mon avis, une telle conduite peut être à bon droit criminalisée.

[42]           La citation ci-dessus illustre la façon dont le plagiat ne constitue pas toujours une fraude. Pour répondre à la définition de la fraude, le plagiat doit être trompeur ou celui qu’une personne raisonnable pourrait autrement considérer comme étant malhonnête; le plagiat doit, en effet, entraîner une privation réelle ou potentielle à la propriété d’autrui. En outre, il doit y avoir une mens rea subjective de frauder. La personne doit être consciente que l’acte malhonnête du plagiat pourrait, par conséquent, priver les autres de ce qui leur appartient.

[43]           La Commission a, dans ses rapports d’enquête, formulé la question de savoir si les demandeurs ont plagié pour améliorer leurs chances de nomination :

[traduction]

77.       Selon la définition de la Cour d’appel fédérale dans la décision Seck, pour conclure que la fraude a eu lieu conformément à l’article 69 de la LEFP, la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que [les demandeurs] [ont] soumis l’examen écrit en ligne qui comportait des renseignements copiés de diverses sources pour améliorer [leurs] chances d’être nommés. Une procédure de nomination peut être compromise lorsqu’un examen comporte une réponse à une question que le candidat a sciemment copiée d’une autre source.

[44]           La décideuse s’est penchée sur le volet fraude des connaissances dans ce cas, de manière un peu confuse : elle a invoqué la norme d’une personne raisonnable. Par exemple :

[traduction]

84.       Une personne raisonnable saurait que le plagiat n’était pas autorisé et que le fait de copier et de coller des renseignements dans ses réponses aux Q1 et Q2 sans mentionner ses sources ne permettrait pas à l’évaluateur d’évaluer l’aptitude du candidat à communiquer efficacement à l’écrit. M. Egbers a admis qu’il a copié et collé du contenu d’Internet dans ses réponses aux questions de l’examen sans citer les sources. Il a déclaré que le fait de ne pas renvoyer au document de Transports Canada était un manque de jugement de sa part.

[Non souligné dans l’original.]

[45]           Se fondant sur le principe qu’une personne raisonnable saurait que le plagiat n’était pas autorisé, la Commission a rejeté les allégations des demandeurs selon lesquelles ils n’avaient pas l’intention de tromper en les qualifiant de non crédibles :

[traduction]

81.       L’argument de Mme Ligondé selon lequel elle n’avait pas l’intention de tromper n’est pas crédible. Bien que la preuve démontre que les instructions de l’examen écrit ne portaient pas sur le copier-coller ou le plagiat, une personne raisonnable ayant suivi des études universitaires ou même secondaires, comme Mme Ligondé, serait au courant du plagiat. Mme Ligondé a affirmé, lors de son témoignage, qu’elle savait que le but de l’examen était d’évaluer son aptitude à communiquer efficacement à l’écrit. Elle a admis qu’elle avait copié et collé un contenu d’Internet dans ses réponses aux questions de l’examen sans citer ses sources.

82.       Elle a soutenu, lors de son témoignage, qu’au cours de ses études, elle devait toujours renvoyer aux documents consultés. Elle a déclaré qu’elle ne considérait pas cet examen de [Transports Canada] comme une recherche ou un projet et, en outre, puisqu’il s’agissait d’un examen de deux heures, elle ne pensait pas qu’elle devait inclure des renvois. Ces explications ne sont pas raisonnables.

[À partir de la décision de Mme Ligondé; non souligné dans l’original.]

83.       L’argument de M. Egbers, selon lequel il n’avait pas l’intention de tromper, n’est pas crédible. Bien que la preuve démontre que les instructions de l’examen écrit ne portaient pas sur le copier-coller ou le plagiat, une personne raisonnable ayant suivi des études universitaires ou même secondaires, comme M. Egbers, serait au courant du plagiat. Il était clair d’après le témoignage de M. Egbers qu’il savait que le but de l’examen était d’évaluer son aptitude à communiquer efficacement à l’écrit et que le plagiat n’était pas autorisé. Sinon, il n’aurait indiqué aucune référence, comme il a soutenu l’avoir fait, dans sa réponse à la troisième question de l’examen.

[À partir de la décision de M. Egbers; non souligné dans l’original.]

[46]           Les deux dernières phrases des extraits précédents ne sont pas logiquement convaincantes. Plus généralement, en ce qui concerne les éléments essentiels de la fraude, la norme de la personne raisonnable est appliquée à l’égard de savoir si un acte reproché est malhonnête. Cependant, la mens rea de la fraude est subjective. La question n’est pas ce que les demandeurs auraient dû savoir, ou ce qui était raisonnable, mais ce qu’ils savaient réellement. Cela nécessite un examen du contexte factuel global, mais la Commission ne s’est pas préoccupée du fait que les instructions de l’examen n’étaient pas claires :

[traduction]

Cela dit, bien que les instructions de l’examen quant à savoir si les candidats pouvaient utiliser Internet et consulter les renseignements accessibles au public lors de l’examen n’étaient pas claires et qu’il n’y avait aucune mention de la citation des références dans les instructions ou dans les « Directives à l’intention des candidats », là n’est pas le problème. La question est de savoir si [les demandeurs] [ont] commis un plagiat à l’étape de l’examen écrit de la procédure de nomination.

[47]           La question n’est pas de savoir si un plagiat a été commis, mais si une fraude a été commise. Pour déterminer si le plagiat équivalait à une fraude, toutes les circonstances auraient dû être prises en considération. Une fois que la Commission a isolé puis négligé le fait que les instructions n’étaient pas claires et qu’une certaine confusion en a résulté, l’examen des actions des demandeurs est devenu déraisonnable. Cela ne veut pas dire que les lacunes de la procédure d’examen font l’objet de cette procédure; toutefois, ces lacunes sont importantes pour évaluer le comportement des demandeurs.

[48]           Quelles étaient les circonstances qui prévalaient lorsque les demandeurs se sont assis devant leur ordinateur, puis ont passé l’examen? Après avoir lu les instructions de l’examen, les demandeurs savaient ce qui suit :

  1. Cet examen visait à évaluer leurs connaissances.
  2. Cet examen visait à évaluer leur aptitude à communiquer.
  3. Les instructions indiquaient que tout le matériel nécessaire était fourni.
  4. Dans la mesure où la sécurité et la confidentialité étaient concernées, l’examen était confidentiel et il ne devait y avoir aucune communication avec d’autres personnes.

[49]           Les demandeurs, étant des personnes instruites ayant une formation universitaire, savaient aussi que, dans le cours normal des choses, l’attribution doit être faite en citant une autre source. J’emploie le qualificatif « dans le cours normal des choses » parce que M. Egbers a donné un exemple d’un cas où l’attribution n’avait pas été utilisée dans des travaux du gouvernement et que Mme Ligondé ne croyait pas que l’attribution était nécessaire dans un examen à livre ouvert de deux heures, contrairement aux projets de recherche effectués au cours de ses études universitaires.

[50]           La responsable principale de ceux qui avaient participé à l’organisation de l’examen, Mme Aubin, a déclaré, lors de son témoignage, que les « gestionnaires » ne voulaient pas que les candidats accèdent à Internet pendant l’examen et qu’elle avait informé au moins une autre personne de ce fait. Cependant, les instructions ne comprenaient aucune mise en garde à cet égard. Mme Aubin a admis que les instructions de l’examen auraient pu être plus précises.

[51]           Il y avait une mise en garde, mais elle ne disait pas si Internet pouvait être consulté, et au cas où il était accessible, si ce fait devait être noté. La mise en garde était limitée à la confidentialité et à la non-communication avec d’autres personnes. Cela a conduit à une conclusion possible que la mise en garde comportait cette seule limite.

[52]           Les problèmes causés par l’insuffisance des instructions ont fait que les instructions de l’examen ont depuis été reformulées.

[53]           Les problèmes qui en ont résulté n’étaient pas limités au fait que les deux candidats n’avaient pas révélé qu’ils utilisaient Internet. Il semble qu’un certain nombre d’autres candidats ont accédé à Internet pour fournir des réponses pendant l’examen. Cela leur a donné un avantage sur les autres. Pourtant, les autorités ont poursuivi le processus, en pensant qu’ils pouvaient identifier d’une façon ou d’une autre, aux étapes ultérieures du processus de sélection, ceux qui n’avaient pas respecté ce que je peux appeler « l’esprit » du processus d’examen. C’est de là qu’est venu le préjudice réel. Qui peut dire combien de ceux qui n’ont pas utilisé Internet aurait pu réussir si on leur avait donné l’occasion de poursuivre le processus de sélection? Le fait qu’un certain nombre de ceux qui ont passé l’examen pensaient qu’ils pouvaient consulter Internet illustre une situation de véritable confusion quant à ce qui était permis et ce qui ne l’était pas. C’est un point très important. Le fait que d’autres étaient embrouillés ne peut pas être perdu de vue pour juger de l’état d’esprit des candidats. La question n’est donc plus s’il était raisonnable pour eux d’être embrouillés – c’était bien le cas, comme en témoignait la confusion des autres – mais si, dans leur confusion, ils avaient vraiment conscience de commettre une fraude ou l’intention de le faire.

[54]           Ceux qui n’ont pas consulté Internet se sont alors comportés de diverses manières, sur plusieurs plans. Certains, paraît-il, se sont servis d’Internet comme un aide-mémoire ou pour vérifier les faits. Peut-être que certains ont utilisé Internet encore davantage et ont fondé leurs réponses directement sur ce qu’ils y ont consulté, mais ont suffisamment modifié la formulation pour que les autorités ne les voient pas comme un copiage ou un plagiat. (Une autre façon de se pencher sur cette conduite serait de dire qu’elle indiquait vraiment un état d’esprit délictuel.) Pourtant, ces gens n’ont pas été réprimandés et sont probablement passés à la prochaine étape dans une proportion plus élevée que celle des candidats qui n’avaient pas accédé à Internet ou à un document de source externe pendant l’examen. Ensuite, il y avait ceux qui ont utilisé Internet et copié et collé du contenu, mais qui ont cité leur source. Enfin, il y avait environ six candidats qui ont utilisé Internet, mais n’ont pas suffisamment dissimulé leurs traces et n’ont pas cité leur source. Les deux candidats comptent parmi ce dernier groupe.

[55]           La Commission s’est elle-même privée de la possibilité d’examiner la preuve des demandeurs dans ce contexte global, et cela a conduit presque inévitablement à la conclusion à laquelle elle est parvenue : que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Cette approche ne cadre pas avec le fait que les autres candidats, en plus des demandeurs, étaient embrouillés et ont exprimé leur confusion en réagissant de différentes manières. Ce facteur conduit à une conclusion différente lors de l’examen des versions des demandeurs.

[56]           Je répète que la mens rea de la fraude est subjective. Même selon la norme de la prépondérance des probabilités en vertu de l’article 69 de la LEFP, la conclusion selon laquelle les demandeurs ont commis une fraude d’ordre pénal à cause de ce qu’ils devraient ou auraient dû savoir, ou selon ce qu’une personne raisonnable saurait ou ferait dans ces circonstances, ne suffit pas – en particulier, lorsque les règles n’étaient pas claires et que la confusion régnait.

[57]           Pour des raisons pratiques, le fait de savoir si un acte de plagiat particulier constitue une fraude est souvent une question de degré plutôt que de nature. D’une part, le seul acte imprudent de l’omission d’une source atteindra rarement le niveau de privation malhonnête. D’autre part, le fait d’accéder au guide de correction d’un examen et d’en copier le contenu mot pour mot est non seulement un plagiat, mais un comportement qui témoigne d’une intention claire de frauder : Challal. Comme le souligne le défendeur, la reproduction d’un texte entier sans indiquer sa source pourrait également suffire dans certains contextes : Nicolas c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1045 [Nicolas], même si je fais remarquer que la décision Nicolas concernait une constatation de plagiat, pas de fraude. Encore une fois, les deux notions ne doivent pas être confondues. Bien que je sois d’accord avec le défendeur que la référence à des exemples plus flagrants de la jurisprudence ne conduit pas nécessairement à la conclusion que la conduite moins grave ne devrait pas être visée par le sens de la fraude, la jurisprudence, à mon avis, illustre effectivement un point : une mens rea subjective, comme une intention de tromper, doit être établie par la preuve.

[58]           À mon avis, étant donné que les faits de l’espèce ne tombent dans aucune catégorie du spectre, la Commission était tenue d’examiner attentivement si les faits – tous les faits – avaient établi que les demandeurs avaient la mens rea subjective requise de frauder. Le plagiat, qui est le produit d’une simple imprudence, négligence ou confusion de la part des candidats, est insuffisant.

[59]           J’estime que la constatation de fraude, dans ce cas, était déraisonnable.

B.                 La mesure corrective ordonnée par la Commission était-elle raisonnable?

[60]           Le défendeur a soutenu que tout ce que la Commission pourrait faire était de produire un rapport et de le transmettre de façon adéquate. Une fois qu’il est dans les mains d’un autre ministère, la Commission n’a pas le pouvoir de dire ce qu’il faut faire du rapport. Pour cette raison, la mesure corrective ordonnée ne peut pas être considérée comme étant déraisonnable. Tout grief à l’égard de l’utilisation des rapports, une fois qu’ils sont transmis, semble toucher les ministères respectifs des demandeurs plutôt que la Commission.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies, et les décisions sont renvoyées à la Commission pour réexamen par un autre décideur.
  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Robin Camp »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

T-2465-14 ET T-2466-14

 

DOSSIER :

T-2465-14

 

INTITULÉ :

BIANCA LIGONDÉ c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T-2466-14

 

INTITULÉ :

ADRIAN EGBERS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMP

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Colleen Bauman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex Kaufman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SACK GOLDBLATT MITCHELL LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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