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Date : 20151216


Dossier : T-1445-13

Référence : 2015 CF 1391

Montréal (Québec), le 16 décembre 2015

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

RICHARD TIMM

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               M. Richard Timm, le demandeur, est détenu au pénitencier fédéral de La Macaza. Le 6 septembre 2013, il dépose une action (déclaration amendée) à l’encontre de la défenderesse, qu’il tient responsable de ce qu’il allègue être des fautes de la part de cinq (5) préposés ou mandataires à l’emploi de Service correctionnel Canada (SCC) et de qui il réclame le paiement d’une somme totale de 1.2 million de dollars à titre de dommages.

[2]               Le 20 octobre 2014, la défenderesse présente quant à elle une requête visant à obtenir un jugement sommaire rejetant l’action de M. Timm dans sa totalité, s’appuyant sur les règles 213 et 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles].

[3]               Le 2 janvier 2015, un juge de la Cour fédérale accueille cette requête et rejette l’action de M. Timm qui porte son dossier en appel devant la Cour d’appel fédérale. Cette dernière détermine notamment que les motifs du juge de la Cour fédérale sont insuffisants et que cette détermination suffit pour disposer de l’appel. Ainsi, le 27 octobre 2015, la Cour d’appel fédérale accueille l’appel de M. Timm, casse le jugement de la Cour fédérale accueillant la requête pour jugement sommaire et retourne l’affaire au juge en chef de la Cour fédérale afin que la requête soit décidée à nouveau par un autre juge.

[4]               La Cour est donc de nouveau saisie de la requête de la défenderesse visant à obtenir un jugement sommaire rejetant l’action de M. Timm dans sa totalité.

II.                Faits pertinents

[5]               En septembre 2013, M. Timm dépose donc son action (déclaration amendée) contre la défenderesse, action qu’il appuie sur l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 et sur l’alinéa 3a)(i) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 [LRCECA], tous deux (2) reproduits en annexe.

[6]               Les faits sur lesquels M. Timm fonde son action sont liés à deux séries d’évènements. La première série est constituée de deux commentaires écrits par son agent de libération conditionnelle [ALC], Mme Valéry Beaulieu-Guibault, et d’un commentaire prononcé par l’agent de liaison autochtone [ALA], M. Yves Maillé, entre les mois de septembre 2012 et janvier 2013, commentaires que M. Timm considère comme du harcèlement et de la discrimination à son endroit. La deuxième série est constituée des agissements de trois (3) décideurs administratifs, à qui M. Timm reproche d’avoir « fermé les yeux » dans le cadre de leurs fonctions.

[7]               En effet, toujours selon sa déclaration amendée, M. Timm est insatisfait du comportement de son ALC et de l’ALA, contre lesquels il a présenté un grief de harcèlement et de discrimination, et de celui des trois (3) décideurs administratifs qui ont été appelés à statuer sur l’issue de ce grief.

[8]               Dans ce grief, logé le 15 février 2013 et dont les faits ne sont pas contestés, M. Timm pointe d’abord vers deux (2) commentaires inscrits par son ALC dans le système de gestion des détenus [SGD]. Ces commentaires, chacun extrait d’une entrée au système, se lisent comme suit :

                                                          i.Dossier SGD de Richard Timm du 14 septembre 2012 : « Je l’avise que je trouve difficile de l’atteindre et qu’il est difficile de lui faire confiance étant donné les multiples plaintes qu’il fait contre le personnel ».

                                                        ii.Dossier SGD de Dave Roy du 11 janvier 2013 : « De plus, je remarque que ce n’est pas lui qui a écrit la demande [de programme de sortie avec escorte] mais bien un autre détenu très légaliste. Je l’avise aussitôt de faire attention à ses fréquentations et que ce détenu ne fera que lui nuire ».

[9]               M. Timm pointe ensuite vers l’ALA, à qui il reproche d’avoir indiqué à un autre détenu, M. Dave Roy, que le fait de fréquenter M. Timm pouvait lui nuire dans le cheminement de son dossier. Alors que les parties s’entendent sur le fait que cette conversation a bien eu lieu, elles n’admettent pas les paroles exactes de l’ALA, ni si d’autres personnes ont pu entendre ou ont pu être affectées par cette conversation.

[10]           Toujours dans son grief, M. Timm invoque le paragraphe 23 de la Directive du commissaire [DC] 081, qui indiquerait que tout délinquant doit avoir libre accès à la procédure de griefs sans crainte de représailles, et l’article 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCMLC], qui prévoit que « tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs ». Il cite les définitions des termes harcèlement et discrimination telles qu’elles sont énoncées à l’annexe A de la DC 081, et reproduites en annexe.

[11]           Finalement, dans ce grief, M. Timm demande que le SCC reconnaisse que son ALC et l’ALA ont violé les dispositions des paragraphes 10, 12 et 23 de la DC 081 et l’article 91 de la LSCMLC.

[12]           Le 5 mars 2013, le sous-directeur intérimaire de La Macaza, M. Yves Guimont, rejette le grief au premier palier et conclut que l’ALC et l’ALA n’ont pas fait de harcèlement selon la définition de la DC 081. Il note que les registres d’intervention peuvent par ailleurs susciter un certain questionnement, mais conclut à cet égard que l’ALC a agi par transparence afin de venir en aide à M. Timm, à qui il indique au passage qu’il lui est possible de loger une plainte faisant abstraction de harcèlement.

[13]           Le 8 mars 2013, M. Timm présente un grief au second palier réitérant ses allégations de harcèlement et de discrimination et ajoutant une allégation contre le sous-directeur intérimaire à qui il reproche d’avoir rejeté son grief et d’avoir enfreint les dispositions 6k, 11 et 12a prévues à la DC 060, reproduites en annexe, en fermant les yeux sur le ciblage à son endroit et en omettant de prendre les mesures appropriées contre son ALC et l’ALA.

[14]           Le 17 avril 2013, le sous-commissaire régional (Québec), M. Réjean Tremblay, rejette le grief au deuxième palier. Il conclut essentiellement que les situations évoquées par M. Timm ne constituent pas du harcèlement selon la définition de la DC 081 et que les décisions rendues au premier palier et les mesures prises par les membres du personnel étaient appropriées. De plus, M. Tremblay précise notamment que le Plan correctionnel élaboré pour M. Timm indique que ce dernier doit apprendre à développer un lien de confiance avec son EGC (équipe de gestion des cas) et à collaborer avec les membres du personnel puisque cela représente un élément central de l’évaluation du risque qu’il représente.

[15]           Le 6 mai 2013, M. Timm présente un grief au troisième palier dans lequel il reprend les allégations des griefs précédents et auxquelles il ajoute une allégation contre le sous-commissaire régional (Québec), à qui il reproche d’avoir enfreint les dispositions 6k, 11 et 12a de la DC 060 précitées, en fermant les yeux sur le ciblage à son endroit et en omettant de prendre des mesures contre son ALC et l’ALA.

[16]           Le 12 août 2013, la sous-commissaire principale, Mme Anne Kelly, maintient le grief au troisième palier de M. Timm puisqu’il n’a pas été adressé conformément aux dispositions de la DC 081 et des Lignes directrices [LD] 081-1 – Processus de règlement des plaintes et des griefs.

[17]           La sous-commissaire principale cite particulièrement le paragraphe 28 des LD 081-1, qui exige du décideur qui examine les faits allégués « d’établir si ceux-ci constitueraient du harcèlement » avant même de déterminer si de tels actes se sont réellement produits, et les paragraphes 50 et 51 de la DC 081 qui stipulent notamment que le décideur doit déterminer si les allégations, une fois prouvées constitueraient du harcèlement. La sous-commissaire principale conclut que le sous-directeur intérimaire n’a pas exécuté cette étape et qu’il a fait défaut de considérer si la situation présentée correspond à la définition de harcèlement.

[18]           La sous-commissaire principale ne conclut cependant pas que M. Timm a souffert de harcèlement ou de discrimination et n’accorde pas les mesures correctives qu’il demande, mais enjoint plutôt le directeur de l’établissement La Macaza (1) d’effectuer un rappel à tout le personnel quant aux dispositions prévues à l’article 91 de la LSCMLC et au paragraphe 54 de la DC 081 et (2) de corriger le registre pour le rendre conforme.

III.             L’action intentée par M. Timm

[19]           La Cour comprend de sa déclaration amendée que M. Timm reproche aux préposés et/ou mandataires à l’emploi de SCC d’avoir volontairement et délibérément commis des actes de harcèlement et de discrimination à son endroit, d’avoir agi en violation des DC 060 et 081 et de l’article 91 de la LSCMLC, violant ainsi aussi les lois fédérales et provinciales régissant la conduite des employés ayant commis des fautes contractuelles, délictuelles et extracontractuelles.

[20]           De plus, il reproche à la sous-commissaire principale d’avoir commis une faute en omettant de répondre à toutes les mesures correctives demandées et en omettant de lui transmettre, avant de rendre sa décision, une copie conforme des recommandations écrites de l’analyste au dossier.

[21]           Les actes de la part des cinq (5) préposés et/ou mandataires de l’État lui auraient par ailleurs causé un préjudice, dont il ne précise cependant pas la nature.

[22]           Il n’est pas inutile de mentionner que la déclaration amendée de M. Timm consacre 11 de ses 18 pages à la reproduction de son grief au troisième palier et rappelle qu’il a été maintenu par « Ottawa ». M. Timm s’appuie ensuite sur les articles 4, 10, 10.1, 24 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12 et, selon ce que la Cour comprend de son propos, il soumet au titre de la notion de la faute que « la transgression d’un devoir découlant de la conduite qui s’impose à une personne raisonnable en société qui fonde sa responsabilité extracontractuelle » et qu’un individu est fautif lorsqu’il « affiche un comportement social qui ne correspond pas au modèle que celle-ci attend de lui ».

[23]           Principalement, M. Timm soutient que la faute alléguée des préposées et mandataires de SCC a été reconnue puisque son grief a été maintenu au troisième palier. Il demande, à titre de réparations, une série de déclarations contre chacune des cinq (5) personnes déjà nommées, un montant de 800 000 $ pour des dommages-intérêts exemplaires et punitifs et un montant de 400 000 $ pour dommages moraux et atteinte à la réputation.

IV.             Requête de la défenderesse pour jugement sommaire

[24]           La défenderesse revoit d’abord les règles et principes en lien avec le jugement sommaire et rappelle qu’elle doit démontrer, dans sa requête, qu’il n’y a aucune véritable question de fait importante qui requiert la tenue d’un procès.

[25]           La défenderesse soutient que cette exigence est rencontrée puisque (A) les faits allégués contre l’ALC et l’ALA ne constituent pas une faute civile, (B) M. Timm n’allègue aucun fait susceptible d’établir une faute contre les trois (3) décideurs de ses griefs et (C) M. Timm n’a subi aucun dommage.

A.                Les faits allégués contre l’ALC et l’ALA ne constituent pas une faute civile

[26]           La défenderesse soumet que les agents du SCC sont des préposées de l’État. Ainsi, conformément à l’effet combiné du sous-alinéa 3a)(i) de la LRCECA et de l’article 1463 du Code civil du Québec [CcQ] la responsabilité de l’État ne peut être engagée qu’en raison de fautes commises par ses préposés dans l’exercice de leurs fonctions.

[27]           La défenderesse indique comprendre de la déclaration d’action de M. Timm qu’il vise des fautes de nature contractuelle, délictuelle et extracontractuelle de la part des préposées et/ou mandataires, mais elle soutient que les allégations de M. Timm sont trop vagues pour en comprendre la nature. En outre, M. Timm fait référence aux « lois provinciales », autres que le CcQ, sans préciser lesquelles, alors que la relation entre les préposés du SCC et les détenus dans un milieu carcéral n’est pas soumise aux lois provinciales.

[28]           Puisque les fautes alléguées visent la conduite des préposés, la défenderesse soumet que les dispositions législatives et les directives internes de SCC sont pertinentes puisqu’elles définissent la norme de conduite d’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances. Par ailleurs, une violation même de ces règles ne permettrait pas, selon la défenderesse, de conclure à une faute.

[29]           M. Timm invoque de la discrimination, cependant, compte tenu de la définition de ce terme, la défenderesse soumet que son recours est mieux analysé sous ses allégations de harcèlement ou de représailles. La défenderesse reprend donc la définition de « harcèlement » et les dispositions relatives aux mesures de représailles.

[30]           En lien avec la conduite de son ALC et le commentaire consigné dans le SGD du 14 septembre 2012, la défenderesse soutient que le récit que M. Timm a lui-même fourni de la rencontre ayant précédé l’inscription au registre lors de son contre-interrogatoire après défense est incompatible avec ses allégations de harcèlement. En effet, M. Timm ne pouvait se souvenir des propos alors tenus, a indiqué que le ton n’était aucunement agressif et a aussi indiqué que la rencontre s’est terminée en bons termes. La défenderesse soutient que, lue dans son contexte, l’entrée SGD démontre de la bonne foi de la part de l’ALC afin d’améliorer la relation de confiance entre M. Timm et son équipe de gestion de cas.

[31]           En lien avec les commentaires de l’ALA au détenu Dave Roy, la défenderesse plaide qu’ils ne font pas partie d’une tentative d’inciter les autres détenus à ne pas communiquer avec M. Timm, mais représentent plutôt des conversations isolées avec un seul détenu. Au surplus, les détenus n’ont pas cessé de communiquer avec M. Timm.

[32]           La défenderesse soumet que le présent cas ne constitue pas un cas de harcèlement ou de représailles pour le dépôt d’un grief, mais plutôt un cas où deux (2) préposés de SCC ont exprimé leurs inquiétudes envers l’habitude du demandeur de faire des plaintes multiples et souvent non fondées. Les commentaires étaient faits de bonne foi et isolément, ce qui ne peut constituer une faute civile de l’État. Il s’agit plutôt de gestes posés de manière professionnelle et répondant à la norme de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

B.                 M. Timm n’allègue aucun fait susceptible d’établir une faute contre les trois (3) décideurs de ses griefs

[33]           Au titre de la faute alléguée contre les trois (3) décideurs administratifs, la défenderesse soutient que M. Timm n’allègue aucun fait au soutien de son affirmation qu’ils auraient tous « fermer les yeux » sauf leurs décisions elles-mêmes, lesquelles lui sont défavorables.

[34]           L’allégation de M. Timm est infondée puisque son ALC et l’ALA n’ont eux-mêmes commis aucune faute et puisqu’il n’existe aucune allégation de fait qui permettrait de constater que les décideurs auraient volontairement fermé les yeux, entrainant leur responsabilité.

[35]           En l’absence de fait substantiel appuyant les allégations formulées contre les décideurs au premier et deuxième palier, ces allégations ne révèlent aucune véritable question litigieuse qui requiert la tenue d’un procès.

[36]           Quant à la faute alléguée contre la sous-commissaire principale, la défenderesse soumet que M. Timm a mal compris la nature de la décision qu’elle a rendue et les directives applicables.

[37]           En effet, la sous-commissaire principale n’ayant pas conclu que le harcèlement avait eu lieu, sa réponse aux mesures correctives demandées constitue évidemment le refus de les accorder. Quant aux recommandations de l’analyste, la défenderesse soumet que M. Timm n’a pas le droit de recevoir des documents d’analyse ou des résumés internes utilisés dans la prise de décision.

C.                 M. Timm n’a subi aucun dommage

[38]           Finalement, au titre des dommages, la défenderesse soutient que M. Timm n’identifie aucun fait qui justifierait les dommages de 1.2 million de dollars qu’il réclame, qu’il n’a pas donné de détails quant à la réclamation de 800 000 $ pour dommages exemplaires et punitifs lors de son contre-interrogatoire après défense et qu’il n’y a aucune preuve justifiant la réclamation de 400 000 $ pour dommages moraux et atteinte à la réputation. Bref, la défenderesse soutient que M. Timm n’a souffert aucun dommage en lien avec les faits allégués.


V.                Position de M. Timm en réponse à la requête pour jugement sommaire

[39]           M. Timm soutient que sa demande comporte de véritables questions litigieuses qui doivent être débattues devant la Cour afin d’assurer un traitement juste et équitable du dossier.

[40]           M. Timm reprend les faits et soutient (A) que le jugement sommaire n’est pas le remède approprié, (B) qu’une interprétation contradictoire de la réponse du grief au troisième palier nécessite la tenue d’une audition complète, (C) que la preuve de la défenderesse se base sur des réponses qu’il a fournies en interrogatoire et qui ne permettent pas de bien évaluer sa crédibilité, (D) qu’il n’a pas eu la possibilité de faire ses propres interrogatoires et (E) qu’il existe donc une véritable question litigieuse.

A.                Le jugement sommaire n’est pas le remède approprié

[41]           M. Timm reprend les principes qui doivent guider la Cour en matière de jugement sommaire et indique qu’en l’instance, toute la preuve pertinente ne se trouve pas au dossier et qu’il manque notamment les témoignages des différents intervenants dans le processus décisionnel ayant mené au maintien de son grief. De plus, M. Timm soutient que le juge doit entendre l’ensemble des témoignages de vive voix.

B.                 Une interprétation contradictoire de la réponse du grief au troisième palier nécessite la tenue d’une audition complète

[42]           M. Timm rappelle que son action initiale en est une en dommages-intérêts contre la défenderesse et qu’elle fait suite à la décision de la sous-commissaire principale, Mme Kelly, de maintenir son grief. Il soutient que les actes reprochés ne sont pas vagues et qu’ils sont bien exposés, notamment dans son grief au troisième palier.

[43]           D’ailleurs, M. Timm prétend que la sous-commissaire principale, en maintenant son grief, a maintenu ses allégations de harcèlement, représailles et discrimination et que la conclusion de la sous-commissaire de maintenir son grief en totalité suffit d’ailleurs à démontrer qu’il y a eu fautes délictuelles. Une ambiguïté sur cette question justifie la tenue d’une audience.

C.                 La preuve de la défenderesse se base sur des réponses qu’il a fournies en interrogatoire et qui ne permet pas de bien évaluer sa crédibilité

[44]           M. Timm soutient que la défenderesse aborde les questions de faute et de dommages en citant des passages de son interrogatoire après défense, mais en les interprétant et en les tronquant, ce qui ne permet pas d’évaluer la réelle crédibilité des propos qu’il a alors tenus. M. Timm soumet ainsi des passages plus complets de cet interrogatoire pour situer les extraits dans leur contexte. M. Timm évoque plutôt la situation problématique qui subsistait entre son ALC et lui et que la défenderesse fait défaut d’aborder ou même d’ailleurs de réfuter.

[45]           M. Timm soutient qu’il s’agit ici d’évaluer sa crédibilité, et que l’affaire doit conséquemment être instruite.


D.                M. Timm n’a pas eu la possibilité de faire ses propres interrogatoires

[46]           M. Timm plaide qu’il n’a pas été possible pour lui d’interroger les intervenants pertinents, ce qui s’avère nécessaire considérant les questionnements soulevés par la défenderesse quant à l’interprétation à faire de la décision au troisième palier. Les parties devraient continuer à procéder et régler ainsi les questions litigieuses.

E.                 Il existe donc une véritable question litigieuse

[47]           Ainsi, M. Timm indique que l’action en dommages est basée sur la décision de la sous-commissaire principale de maintenir en totalité son grief au troisième palier, décision qui vient reconnaitre la faute des agents et ne nécessite donc aucune preuve additionnelle de sa part. La suite de l’action se résume, selon M. Timm, à l’évaluation du dommage et la détermination du quantum.

VI.             Analyse

[48]           Les règles 213 à 219 traitent du jugement et procès sommaire et elles ont pour but de permettre à la Cour de rendre jugement sommairement dans les instances qu'elle considère ne pas nécessiter la tenue d'un procès, pour le motif qu'elles ne comportent aucune question sérieuse à instruire à l'égard de la réclamation (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al. (1994), 58 CPR (3d) 221 (CF 1re inst). La règle 215 énonce que la Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense. La Cour en a énoncé les principes notamment dans la décision Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd SA, [1996] 2 CF 853.

[49]           Il incombe à la partie requérante de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse et qu’elle a droit à un jugement sommaire. Elle doit alors présenter ses meilleurs arguments afin de permettre à la Cour de décider s’il existe une question qui doit faire l’objet d’un procès (Collins c Canada, 2014 CF 307 au para 31). Comme l’a écrit la Cour d’appel fédérale dans TPG Technology Consulting Ltd c Canada, 2013 CAF 183 au para 4, « le fardeau qui incombe au demandeur qui répond à la requête en jugement sommaire en vue de faire rejeter une déclaration n'est pas aussi lourd que le fardeau du demandeur à l'occasion d'un procès [...]. Le juge qui instruit la requête en jugement sommaire doit rechercher si le demandeur a "présent[é] une preuve montrant qu'il existe une véritable question litigieuse" ».

[50]           Tenant compte de ces principes, et pour les motifs qui suivent, la Cour est satisfaite que la déclaration d’action de M. Timm ne soulève pas de véritable question litigieuse et accueillera donc la requête en jugement sommaire.

[51]           En effet, l’action de M. Timm repose sur la décision de la sous-commissaire principale de maintenir son grief au troisième palier et, prétend-il, de reconnaitre ainsi que les agissements des employés de SCC constituent du harcèlement, des représailles et de la discrimination. Ainsi, selon M. Timm, les agissements de son ALC et de l’ALA, et celui des décideurs qui ont refusé de les sanctionner, constitueraient en retour des fautes entrainant la responsabilité de l’État. M. Timm prétend donc que la décision de maintenir son grief au troisième palier confirme qu’il a été victime de harcèlement et de discrimination aux mains des préposés de SCC, ce qui constitue une faute que les décideurs administratifs ont ignorée en se fermant les yeux. Cette interprétation de la décision de la sous-commissaire principale constitue donc le fondement de son action en dommages.

[52]           Or, contrairement à ce que prétend M. Timm, bien que la sous-commissaire principale ait en effet maintenu son grief, elle ne conclut pas que M. Timm a été victime de harcèlement et de discrimination. Elle conclut plutôt que le décideur au premier palier a fait défaut d’examiner si les allégations, une fois prouvées, et si les actes, avant de déterminer s’ils se sont réellement produits, constitueraient du harcèlement ou de la discrimination, examen prescrit par le paragraphe 28 des LD 081 et les paragraphes 50 et 51 de la DC 081 (page trois de la décision au troisième palier).

[53]           La sous-commissaire principale n’a pas, dans le cadre de son analyse, conclut que M. Timm avait été victime de harcèlement ou de discrimination. Elle a même plutôt avalisé la conclusion de l’enquête complétée par la direction de l’établissement à l’effet que l’ALC et l’ALA n’avaient pas adopté un comportement préjudiciable à l’endroit de M. Timm.

[54]           Ainsi, le fondement même des allégations de faute imputée aux préposés ou mandataires visés par M. Timm n’est pas soutenu par le dossier.

[55]           De plus, la Cour a le bénéfice de la transcription de l’interrogatoire après-défense de M. Timm et est en mesure de contextualiser les passages cités par chacune des parties.

[56]           Finalement, la Cour souscrit à la position de la défenderesse à l’effet que M. Timm n’a souffert aucun dommage lié aux faits allégués.

[57]           La Cour est satisfaite qu’il n’existe donc pas de véritable question litigieuse et que les conditions permettant le recours au jugement sommaire sont rencontrées.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La requête en jugement sommaire est accueillie.

2.         L’action du demandeur est rejetée dans sa totalité.

3.         Le tout avec dépens.

« Martine St-Louis »

Juge


ANNEXE

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 art 17 :

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

(2) Elle a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :

a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d’argent appartenant à autrui;

b) un contrat conclu par ou pour la Couronne;

c) un trouble de jouissance dont la Couronne se rend coupable;

d) une demande en dommages-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

(3) Elle a compétence exclusive, en première instance, pour les questions suivantes :

a) le paiement d’une somme dont le montant est à déterminer, aux termes d’une convention écrite à laquelle la Couronne est partie, par la Cour fédérale — ou l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada — ou par la Section de première instance de la Cour fédérale;

b) toute question de droit, de fait ou mixte à trancher, aux termes d’une convention écrite à laquelle la Couronne est partie, par la Cour fédérale — ou l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada — ou par la Section de première instance de la Cour fédérale.

(4) Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d’une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l’objet de demandes contradictoires.

(5) Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :

a) au civil par la Couronne ou le procureur général du Canada;

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits — actes ou omissions — survenus dans le cadre de ses fonctions.

(6) Elle n’a pas compétence dans les cas où une loi fédérale donne compétence à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une loi provinciale sans prévoir expressément la compétence de la Cour fédérale.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 para 3a)(i) :

3. En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

a) dans la province de Québec :

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

Directive du commissaire 081, annexe A :

Discrimination : des actes, des paroles ou des décisions du personnel du SCC qui incitent le délinquant à s'estimer victime de discrimination fondée sur le sexe, la race, l'ethnie, la langue, l'orientation sexuelle, la religion, l'âge, l'état civil ou une déficience mentale ou physique. Sont inclus les comportements du personnel qui enfreignent les droits de la personne ou la Charte canadienne des droits et libertés.

Harcèlement : tout comportement inapproprié de la part d'un membre du personnel du SCC à l'égard d'un délinquant, et dont l'auteur ou les auteurs savaient ou auraient raisonnablement dû savoir qu'il serait offensant ou préjudiciable. Le harcèlement comprend tout acte, propos ou exhibition répréhensible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d'intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Directive du commissaire 060, dispositions 6k, 11 et 12a :

6. Commet une infraction l'employé qui :

k. en tant que superviseur ou responsable, ferme les yeux ou omet de prendre des mesures lorsqu'un employé commet une infraction aux Règles de conduite professionnelle, un manquement au Code de discipline, ou toute autre irrégularité dont il prend connaissance;

11. Les employés doivent aider et encourager activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, notamment en établissant avec eux des relations constructives en vue de faciliter leur réinsertion dans la collectivité. Ces relations seront empreintes d'honnêteté, d'intégrité et d'équité. Les employés contribueront à créer un lieu de travail sûr et sécuritaire, exempt de mauvais traitements, de harcèlement et de discrimination, et respecteront la culture, la race, les antécédents religieux et ethniques des délinquants ainsi que leurs droits. Les employés éviteront les conflits d'intérêts avec les délinquants et leurs familles.

12. Commet une infraction l'employé qui :

a. par ses paroles ou ses actes, maltraite, humilie, harcèle, discrimine et/ou se montre injurieux à l'égard d'un délinquant ou de la famille ou des amis d'un délinquant;

Federal Courts Act, RSC 1985, c F-7 s 17:

17. (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Federal Court has concurrent original jurisdiction in all cases in which relief is claimed against the Crown.

(2) Without restricting the generality of subsection (1), the Federal Court has concurrent original jurisdiction, except as otherwise provided, in all cases in which

(a) the land, goods or money of any person is in the possession of the Crown;

(b) the claim arises out of a contract entered into by or on behalf of the Crown;

(c) there is a claim against the Crown for injurious affection; or

(d) the claim is for damages under the Crown Liability and Proceedings Act.

(3) The Federal Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine the following matters:

(a) the amount to be paid if the Crown and any person have agreed in writing that the Crown or that person shall pay an amount to be determined by the Federal Court, the Federal Court — Trial Division or the Exchequer Court of Canada; and

(b) any question of law, fact or mixed law and fact that the Crown and any person have agreed in writing shall be determined by the Federal Court, the Federal Court — Trial Division or the Exchequer Court of Canada.

(4) The Federal Court has concurrent original jurisdiction to hear and determine proceedings to determine disputes in which the Crown is or may be under an obligation and in respect of which there are or may be conflicting claims.

(5) The Federal Court has concurrent original jurisdiction

(a) in proceedings of a civil nature in which the Crown or the Attorney General of Canada claims relief; and

(b) in proceedings in which relief is sought against any person for anything done or omitted to be done in the performance of the duties of that person as an officer, servant or agent of the Crown.

(6) If an Act of Parliament confers jurisdiction in respect of a matter on a court constituted or established by or under a law of a province, the Federal Court has no jurisdiction to entertain any proceeding in respect of the same matter unless the Act expressly confers that jurisdiction on that court.

Crown Liability and Proceedings Act, RSC 1985, c C-50 para 3(a)(i):

3. The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

(a) in the Province of Quebec, in respect of

(i) the damage caused by the fault of a servant of the Crown, or

Commissioner’s Directive 081, annex A:

Discrimination: when an offender believes that actions, language or decisions of CSC staff were made in a discriminatory manner based on gender, race, ethnicity, language, sexual orientation, religion, age, marital status, or a physical or mental disability. The category includes staff behaviour that constitutes a violation of the offender's human rights or the Canadian Charter of Rights and Freedoms.

Harassment: any improper conduct by a CSC staff member, that is directed at and offensive to an offender, and that the individual knew or ought reasonably to have known would cause offence or harm. It comprises any objectionable act, comment or display that demeans, belittles, or causes personal humiliation or embarrassment, and any act of intimidation or threat. It includes harassment within the meaning of the Canadian Human Rights Act.

Commissioner’s Directive 060, sections 6k, 11 and 12a:

6. An employee has committed an infraction, if he/she:

k. as a supervisor, or as one in authority, condones or fails to take action when an employee has committed an infraction of the Standards of Professional Conduct, a breach of discipline or any other irregularity coming to his/her attention;

11. Staff must actively encourage and assist offenders to become law abiding citizens. This includes establishing constructive relationships with offenders to encourage their successful reintegration into the community. Relationships shall demonstrate honesty, fairness and integrity. Staff shall promote a safe and secure workplace, free of mistreatment, harassment and discrimination, and respect an offender's cultural, racial, religious and ethnic background, and his/her civil and legal rights. Staff shall avoid conflicts of interest with offenders and their families.

12. An employee has committed an infraction, if he/she:

a. maltreats, humiliates, harasses, discriminates and/or is abusive, by word or action, to an offender or the offender's friends or relatives;


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1445-13

INTITULÉ :

RICHARD TIMM c SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À MONTRÉAL (QUÉBEC) SUITE AUX RÈGLES 213, 215 ET 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE St-Louis

DATE DES MOTIFS :

LE 16 décembre 2015

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Pierre Tabah

pour le demandeur

Erin Morgan

pour lA défendeRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pierre Tabah

St-Jérôme (Québec)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour lA défendeERESSE

 

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