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Date : 20151218


Dossier : IMM‑1558‑15

Référence : 2015 CF 1402

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

FeiHu REN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 22 ans et possède six années de scolarité. Enfant, il a été élevé par ses grands‑parents et a vécu avec eux. Le demandeur était au chevet de son grand‑père lorsque celui‑ci est décédé en janvier 2011 et, pendant ses derniers moments de vie, son grand‑père lui a dit qu’il allait vers un lieu paisible. Après le décès de son grand‑père, le demandeur est devenu frustré et déprimé, en plus d’avoir peur de souffrir de [traduction« douleurs spirituelles » causées par la perte de membres de sa famille dans le futur.

[2]               Environ un mois après le décès de son grand‑père, le demandeur a fait part à sa grand‑mère de ses préoccupations concernant la perte de son grand‑père. Sa grand‑mère lui a dit de ne pas s’en faire parce que son grand‑père est au paradis, un endroit rempli de grand bonheur et paix. Elle a aussi dit au demandeur qu’elle et son grand‑père étaient chrétiens. Le demandeur était intrigué par ce que sa grand‑mère lui a dit et croyait que, s’il devenait chrétien, il rencontrerait à nouveau son grand‑père au paradis. Ainsi, le demandeur a décidé de fréquenter la maison‑église de sa grand‑mère qui, depuis de nombreuses années, exerçait ses activités dans la clandestinité.

[3]               Le demandeur a fréquenté pour la première fois la maison‑église avec 13 autres personnes le 6 février 2011. Après cette première fois, il s’y est rendu tous les dimanches. Le 6 mai 2012, alors que le demandeur assistait à une cérémonie, le téléphone cellulaire du dirigeant a sonné, et les membres de la congrégation ont été avisés que des agents du Bureau de la sécurité publique [le BSP] approchaient de la maison. Le demandeur et sa grand‑mère ont fui et se sont rendus au domicile de la tante du demandeur, où ils se sont cachés. Deux jours plus tard, le demandeur a appris que les agents du BSP s’étaient rendus à son domicile ainsi qu’à celui de sa grand‑mère pour les arrêter en raison d’accusations d’activités religieuses illégales et parce qu’ils seraient des [traduction« membres clés » d’une religion illégale. Les agents du BSP ont interrogé les parents du demandeur sur l’endroit où lui et sa grand‑mère pouvaient se trouver; ils sont retournés le jour suivant pour délivrer une citation à comparaître au demandeur et à sa grand‑mère.

[4]               Subséquemment, les parents du demandeur étaient d’avis qu’il devait quitter la Chine, et il l’a fait le 31 juillet 2012. Avec l’aide d’un passeur, le demandeur est arrivé au Canada le 1er août 2012. Après son arrivée au Canada, le demandeur a présenté une demande d’asile sur le fondement de son christianisme, ayant peur que s’il était renvoyé en Chine il serait arrêté et emprisonné en raison de ses activités religieuses illégales, et qu’il ne pourrait pratiquer librement sa religion. Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dans une décision datée du 9 mars 2015. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’était pas un véritable chrétien et, par conséquent, a refusé sa demande d’asile. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SPR en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et il demande à la Cour d’infirmer la décision de la SPR et d’ordonner que sa demande soit réexaminée par un tribunal différemment constitué de la SPR.

II.                La décision de la SPR

[5]               Bien que la SPR ait reconnu qu’un témoignage sous serment est présumé être véridique à moins qu’il n’existe une raison de douter de sa véracité, la SPD a néanmoins exprimé de multiples réserves en matière de crédibilité. Le commissaire a noté que, tandis qu’aucune de ces réserves prises individuellement ne suffisait à rejeter la demande d’asile, l’effet cumulatif de chacune d’entre elles était tel qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour conclure que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.

[6]               La SPR a conclu que si le demandeur était recherché pour être arrêté, comme il l’alléguait, il aurait été intercepté alors qu’il quittait Beijing en utilisant son propre passeport, puisque les autorités chinoises surveillent toutes les sorties aux aéroports. Le demandeur a affirmé que son passeport n’avait pas été lu au moyen d’un lecteur par un agent de contrôle des sorties, mais la SPR a conclu que cela n’était ni vraisemblable ni crédible en raison du projet Bouclier d’or et a tiré une conclusion défavorable. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun pot‑de‑vin n’avait été versé à un agent de contrôle des sorties en Chine et que le témoignage du demandeur à cet égard minait sa crédibilité parce qu’il laissait entendre qu’aucune donnée n’avait été inscrite dans les bases de données informatiques des autorités chinoises permettant d’établir que le demandeur était recherché par celles‑ci.

[7]               Dans l’évaluation des connaissances religieuses du demandeur, la SPR a tout d’abord mis l’accent sur un tatouage de Guan Yin sur son dos, notant qu’il s’agissait d’une figure religieuse bouddhiste. Le demandeur a déclaré avoir fait faire ce tatouage lorsqu’il avait 19 ans, parce qu’il aimait l’image. Néanmoins, la SPR a conclu que ce tatouage avait probablement été fait après que le demandeur eut commencé à assister à des messes chrétiennes. La SPR a déclaré que, « compte tenu d’autres problèmes flagrants » en ce qui concerne la connaissance de la religion chrétienne du demandeur, son tatouage bouddhiste a mené à une conclusion défavorable, du fait qu’il s’agit « d’une violation évidente du deuxième commandement de la Bible ».

[8]               La SPR a ensuite posé au demandeur de nombreuses questions au sujet de sa connaissance du christianisme « pour évaluer l’authenticité de la présumée adhésion au christianisme du demandeur d’asile ». La SPR a conclu notamment ce qui suit :

                     le demandeur s’est montré évasif quant à la portion de la Bible qu’il aurait lue;

                     il a été incapable de réciter le Notre Père et le Credo des apôtres;

                     après son arrivée au Canada, le demandeur ne s’est pas rendu immédiatement à une messe à l’église en août ou en septembre 2012, ce qui a amené la SPR à tirer une conclusion défavorable puisqu’un véritable chrétien aurait tenté de trouver une église dès que possible après son arrivée;

                     une conclusion défavorable doit être tirée en raison du manque de diligence du demandeur en vue d’obtenir une lettre du pasteur de l’église à Toronto, et du fait que cette lettre, contrairement au témoignage du demandeur, indiquait qu’il avait commencé à aller à l’église en août 2012;

                     il a été baptisé le 20 octobre 2012, compte tenu de son baptême précédent en Chine, en septembre 2011;

                     lorsqu’on lui a demandé où se trouvent les dix commandements dans la Bible, le demandeur a donné la mauvaise réponse et n’a pas mentionné l’Ancien Testament, ni les tablettes avec les dix commandements « comme il serait justifié de s’attendre de la part d’une personne se trouvant dans sa situation »;

                     le demandeur a erronément déclaré que l’église Living Water dont il est membre est évangélique, plutôt que pentecôtiste;

                     il a été incapable de citer à quel endroit dans la Bible se trouve une référence à la Pentecôte, ce qui a amené la SPR à noter qu’une personne qui fréquente une église pentecôtiste depuis 2012 « [devrait] en mesure de dire correctement quel est le fondement biblique de la confession du christianisme à laquelle il appartient »;

                     le demandeur a été incapable de définir ce qu’est un chrétien pentecôtiste et, parce qu’il n’a nommé qu’une seule croyance fondamentale des chrétiens pentecôtistes (qui selon la SPR était « difficilement le propre » du pentecôtisme) la SPR a conclu que cela « dénote des lacunes flagrantes en ce qui concerne ses présumées connaissances, croyances et identité chrétiennes »;

                     parce qu’il avait omis de faire référence au Saint‑Esprit ou au jour saint de la Pentecôte, qui souligne les événements du Livre des Actes, au deuxième chapitre, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à l’identité chrétienne du demandeur;

                     lorsqu’il a été interrogé au sujet de ses croyances de base ou fondamentales en tant que chrétien, le demandeur a affirmé : « comme ma grand‑mère l’a dit, nous serons tous réunis à l’avenir », une réponse qui, selon la SPR, « ne faisait aucunement mention des principes fondamentaux du christianisme », et que la croyance du demandeur dans une vie après la mort « est un élément que partagent de nombreuses religions ». D’après la SPR, les principes généraux de la chrétienté sont les suivants :

1)                  « que les chrétiens authentiques croient avoir été sauvés par la mort et la résurrection de Jésus‑Christ »;

2)                  « en étant baptisés, en se repentant et en croyant, renaître à la vie éternelle »;

                     après quatre années en tant que chrétien, le demandeur n’avait pas fini de lire la totalité de la Bible et ne pouvait pas nommer les livres de la Bible;

                     même s’il pouvait nommer l’Ancien et le Nouveau Testament, il était confus quant au Testament qui portait Jésus, et sur celui qui concernait Jéhovah, affirmant que : « je les ai peut‑être inversés »;

                     même si le demandeur pouvait nommer trois des quatre Évangiles du Nouveau Testament, la SPR a tiré une conclusion défavorable à l’endroit du demandeur, lorsque celui‑ci a regardé l’index de la Bible qu’il avait apportée, concluant qu’il s’agissait d’une conduite inappropriée;

                     le demandeur a mélangé certains concepts bouddhistes avec ceux du christianisme, ce qui a mené le commissaire de la SPR à déclarer ce qui suit : « Je ne peux comprendre le fait qu’un chrétien authentique puisse parler de concepts bouddhistes lorsqu’il est questionné au sujet de la Sainte‑Trinité chrétienne. »;

                     même si le demandeur était « dans l’ensemble exact » quant à la signification du baptême, il a donné une réponse vague lorsqu’on lui a demandé quel était le péché originel dans la Bible, et il n’a pas identifié Adam et Ève et ne savait rien du baptême de Jésus dans les premiers versets de l’Évangile selon Saint Marc.

[9]               Après avoir interrogé le demandeur sur ses croyances religieuses, la SPR a ensuite évalué la fréquentation de l’église du demandeur au Canada. La SPR a noté l’incompatibilité entre la lettre du pasteur et le témoignage du demandeur quant au moment où il a commencé à fréquenter l’église, et elle a conclu que le demandeur avait « présenté un document contenant des affirmations fausses ou frauduleuses », ce qui a donné lieu à une inférence défavorable. La SPR a ensuite posé la question au demandeur quant à savoir lequel des dix commandements il avait violé en n’assistant pas à la messe chaque dimanche (à laquelle le demandeur a correctement répondu le quatrième, soit observer le Sabbat), mais elle a conclu que, si le demandeur était un véritable chrétien, il trouverait un emploi qui lui permettrait d’assister à la messe. La SPR a tiré une conclusion défavorable de l’explication du demandeur selon laquelle il devait travailler chaque jour, y compris le dimanche, pour rembourser le passeur.

[10]           La SPR a conclu que le demandeur possédait peu de connaissances au sujet du christianisme et n’a pas fait preuve d’un degré raisonnable d’engagement à l’égard d’activités chrétiennes au Canada et, par conséquent, elle a tiré une conclusion défavorable « de son manque d’enthousiasme et d’application dans l’apprentissage du christianisme ». La SPR a aussi conclu qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’il était un véritable chrétien pratiquant. La SPR a donc conclu que le demandeur n’a jamais été un chrétien pratiquant et que, selon la prépondérance des probabilités, il n’était pas recherché par le BSP. Par conséquent, la SPR a accordé peu ou pas de poids aux documents de comparution, compte tenu de la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir des documents frauduleux en Chine. Puisque la SPR a conclu que le demandeur fabriquait sa demande pour être considéré comme un chrétien, elle a accordé peu de poids aux autres documents qu’il avait soumis (c.‑à‑d. un certificat de baptême, des photos de baptême, ainsi que la lettre d’une église au Canada).

[11]           La SPR a aussi conclu que, si le demandeur était un chrétien pratiquant dans une maison‑église en Chine, la preuve documentaire n’a pas établi que les policiers effectuaient des descentes dans de telles églises dans la province de Hebei, où résidait le demandeur, et qu’ils arrêtaient des membres de ces églises. Par conséquent, après un examen approfondi de la jurisprudence et de la preuve documentaire à cet égard, la SPR a conclu que le demandeur serait libre de pratiquer dans une petite église dans le Hebei. La SPR a également conclu, selon la prépondérance des probabilités que, même si le demandeur avait fréquenté une maison‑église à Hebei, celle‑ci n’avait pas fait l’objet d’une descente, et le BSP ne cherchait pas à l’emprisonner. En outre, puisque le demandeur n’était pas recherché par le BSP et, compte tenu des documents du pays selon lesquels les maisons‑églises ou les églises formées de petits groupes, comme celle que fréquentait le demandeur, sont généralement tolérées dans le Hebei, la SPR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution en fréquentant une petite église ou une maison‑église dans le Hebei. Ainsi, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

III.             La norme de contrôle et les questions en litige

[12]           La norme de contrôle applicable à l’examen fait par la SPR de la preuve dont elle a été saisie, y compris la crédibilité du demandeur et la sincérité de ses croyances religieuses, est celle de la décision raisonnable (Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993, aux paragraphes 8 et 15, [2014] 1 RCF 405).

[13]           Bien que le demandeur soulève diverses questions à l’égard de la SPR, la seule question à trancher en l’espèce est le caractère raisonnable de la décision. Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime que la décision de la SPR est déraisonnable et que l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire de la SPR en vue d’un nouvel examen conformément aux présents motifs.

IV.             L’analyse

[14]           Il y a trois motifs pour lesquels la décision de la SPR ne peut être justifiée et n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). En premier lieu, la SPR a tiré une conclusion déraisonnable relativement à des invraisemblances lorsque le demandeur a quitté la Chine. En second lieu, elle a évalué de façon déraisonnable les croyances chrétiennes du demandeur. En troisième lieu, elle a évalué de façon déraisonnable le mandat d’arrestation lancé contre le demandeur.

A.                Le départ de la Chine du demandeur

[15]           Le demandeur a témoigné avoir utilisé les services d’un passeur pour l’aider à quitter la Chine sans être intercepté par les autorités chinoises, et que le passeport en son nom n’avait pas été lu au moyen d’un lecteur à l’aéroport de Beijing. Cependant, la SPR a conclu que cela n’était pas plausible et a déclaré ce qui suit :

[39]      Le demandeur d’asile a dit lors de son témoignage que son passeport n’avait pas été lu au moyen d’un lecteur à l’aéroport de Beijing. Toutefois, si le passeport n’a pas été lu et compte tenu de la complexité du système du Bouclier d’or, il serait raisonnable de s’attendre à ce que le transporteur aérien n’ait pas pu délivrer de carte d’embarquement au demandeur d’asile; en effet, selon la citation ci‑dessus, les ports frontaliers « ont instauré des procédures d’inspection complètement informatisées et intégré les opérations ». Les passeports sont mis dans un lecteur, ce qui permet aux agents de contrôle des sorties du pays de vérifier si leur détenteur n’est pas un criminel recherché grâce à l’apparition de dossiers informatisés sur des écrans placés devant eux.

[40]      À cet égard, j’estime que le témoignage du demandeur d’asile selon lequel son passeport n’a pas été mis dans un lecteur n’est ni vraisemblable ni crédible, ce qui m’amène à tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[16]           Cette conclusion de la SPR ne peut être justifiée à la lumière des décisions de la Cour dans les décisions Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533, 169 ACWS (3d) 848 [Zhang], et Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387 [Sun]. Il n’est pas vraisemblable qu’une personne puisse quitter la Chine munie de son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui a soudoyé la personne appropriée; « Un seul fonctionnaire ayant accès au système informatique suffirait » (Zhang au paragraphe 11). L’explication du demandeur selon laquelle il a engagé un passeur qui lui a dit de se présenter à une sortie particulière n’est pas invraisemblable et peut expliquer pourquoi il a été en mesure de partir muni de son propre passeport. Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Sun :

[26]      La Commission a tiré une autre conclusion tout aussi contestable, à savoir qu’il était peu probable que le demandeur, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrestation, arrive à utiliser son véritable passeport pour quitter la Chine sans être remarqué. La Commission fonde principalement sa conclusion sur une Réponse à la demande d’information mentionnant l’existence et le développement d’une base de données d’envergure nationale des forces de police chinoises et utilisée par le BSP et aussi aux ports d’entrée et de sortie du pays. […] Il est bien établi qu’il n’est possible de conclure à l’invraisemblance que dans les « cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7), lorsque [traduction] « les faits tels qu’ils ont été présentés sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut avec raison conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit » (Lorne Waldman, Immigration Law and Practice (Markham (Ont.), Butterworths, 1992), article 8.22, cité au paragraphe 24 de la décision Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653). […]

B.                 Le critère de la connaissance du christianisme

[17]           Dans la décision Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139 (Gao), le juge Southcott a récemment examiné la jurisprudence de la Cour portant sur les préoccupations qui peuvent être soulevées lorsque la SPR évalue la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur, et il a conclu ce qui suit :

[26]      Selon mon interprétation de la jurisprudence, il n’est pas approprié pour la Commission de poser des questions sur la religion lorsqu’elle tente d’évaluer l’authenticité des croyances d’un demandeur d’asile, mais ces questions et l’analyse qui en a résulté doivent de fait porter sur l’authenticité de ces croyances et non sur leur exactitude théologique. Il peut s’agit d’un tâche difficile pour la Commission, car la Commission a le droit de déterminer si le demandeur d’asile a atteint un niveau de connaissance religieuse correspondant à ce à quoi il serait possible de s’attendre d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile, mais ne doit pas tirer de conclusion défavorable fondée sur de menus détails ou sur une norme déraisonnablement élevée de connaissances religieuses.

[18]           En d’autres termes, ce n’est pas l’objectivité des croyances religieuses d’un demandeur qui importe ou la validité ou l’exactitude de celles‑ci, mais plutôt la sincérité ou l’authenticité des croyances religieuses du demandeur. Pour évaluer les croyances religieuses d’un demandeur, la SPR ne devrait pas adopter une norme de connaissance aussi déraisonnablement élevée ou mettre l’accent sur quelques erreurs ou malentendus au point d’en faire une analyse microscopique (voir : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503, au paragraphe 12, 409 FTR 264, et les décisions qui y sont citées). En outre, selon la jurisprudence, l’évaluation par la SPR des croyances religieuses d’un demandeur sera déraisonnable lorsqu’elle s’attend à ce que les réponses à des questions concernant la religion d’un demandeur correspondent à la propre connaissance qu’a la SPR de cette religion (voir : Ullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 FCJ No 1918, au paragraphe 11).

[19]           La SPR a pour tâche d’évaluer la crédibilité d’un demandeur, « et non le bien‑fondé de ses convictions théologiques. Il se peut qu’un revendicateur d’asile ait une compréhension médiocre des détails de la doctrine religieuse, mais cela ne signifie pas nécessairement que sa foi n’est pas authentique » (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 346, au paragraphe 9, 214 ACWS (3d) 558). En bref, les questions posées à un demandeur d’asile au sujet de ses croyances religieuses ne sont justifiées que si elles portent sur la sincérité de la croyance, et toute conclusion d’absence d’authenticité ou de sincérité quant aux croyances religieuses est fondée non pas sur l’exactitude de la réponse, mais plutôt sur l’incohérence, l’imprécision et l’aspect non éclairant ou contradictoire des réponses à de telles questions.

[20]           En l’espèce la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un véritable chrétien n’est pas raisonnable. Bien que certaines questions posées par la SPR sur les croyances religieuses du demandeur étaient raisonnables et que certaines des réponses du demandeur étaient vagues, la SPR a néanmoins mené une enquête et une forme d’inquisition exigeante et, en fait microscopique, de la connaissance du demandeur du christianisme. Cela est apparent, non seulement dans la transcription de l’audience, mais aussi dans les motifs de la décision de la SPR, qui démontrent tous deux que le demandeur était assujetti à un questionnaire étendu sur des futilités religieuses et sur l’étendue de ses connaissances sur des parties de la Bible.

[21]           La SPR a conclu que le demandeur n’est pas un chrétien en se fondant sur une évaluation de l’exactitude théologique de ses réponses, et non sur la sincérité de ses croyances religieuses. La SPR a exprimé sa conclusion à cet égard de la manière suivante :

[114]    Le tribunal ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile est un authentique chrétien et, par conséquent, il ne croit pas que celui‑ci pratiquerait nécessairement le christianisme s’il devait retourner en Chine aujourd’hui.

[115]    Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal estime que le demandeur d’asile a participé à des activités chrétiennes à Toronto en vue d’appuyer une demande d’asile frauduleuse. Par conséquent et compte tenu du fait que le tribunal n’est pas convaincu que le demandeur d’asile était un authentique chrétien en Chine avant de venir au Canada, le tribunal accord peu d’importance au certificat de baptême, aux photos et au document provenant de l’église au Canada. Le tribunal est d’avis que le demandeur d’asile a obtenu ces documents pour faire valoir son affirmation selon laquelle il a qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger et que ces documents, à eux seuls, ou les connaissances de base sur le christianisme dont le demandeur d’asile a fait preuve à l’audience ne corroborent pas le fait qu’il est vraiment un authentique chrétien ou qu’il l’a déjà été.

[116]    Pour tous les motifs mentionnés ci‑dessus et selon la prépondérance des probabilités, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’est pas chrétien, qu’il n’était pas chrétien en Chine et qu’il n’est pas recherché par le PSB dans ce pays.

[renvoi omis]

[22]           En l’espèce, tandis que certaines des questions posées par la SPR au sujet de la foi du demandeur semblent être des questions de base, qui sont légitimes, la plupart des questions à cet égard évaluent l’exactitude des connaissances théologiques du demandeur, à un tel point que la SPR a perdu de vue la question centrale de l’authenticité ou de la sincérité des croyances du demandeur. Le nombre important et la portée des questions sur les croyances et les connaissances religieuses du demandeur entachent la décision de la SPR, parce qu’elle est axée sur des aspects précis et détaillés de la doctrine religieuse, plutôt que sur l’authenticité des croyances du demandeur. La nature des questions posées par la SPR au demandeur quant à ses croyances et connaissances religieuses dans la présente affaire était telle que bon nombre des personnes se considérant comme chrétiennes au Canada auraient vraisemblablement échoué la forme d’inquisition ou le test auquel le demandeur a été soumis.

[23]           En outre, la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur a présenté une demande « frauduleuse » requiert une norme de preuve stricte puisqu’elle soulève une question d’intention de tromper. En laissant entendre que le demandeur avait une intention frauduleuse, la SPR a montré qu’elle soumettait le demandeur « à une norme de connaissances religieuses élevée, qui est bien au‑delà de la norme de connaissances religieuses relativement peu élevée nécessaire pour l’établissement de la sincérité des croyances » (voir : Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002 au paragraphe 15).

C.                 Le mandat d’arrestation

[24]           La SPR a conclu que, compte tenu de la crédibilité du demandeur, il n’a jamais été membre d’une église clandestine en Chine et n’a jamais été recherché par le BSP. À cet égard, la SPR a déclaré ce qui suit :

[111]    En conséquence des diverses réserves énoncées ci‑dessus, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’a jamais été membre de la moindre maison‑église en Chine et qu’il n’a jamais été recherché par le PSB.

[112]    J’estime donc que la citation à comparaître présentée par le demandeur d’asile devrait se voir accorder peu d’importance, voire aucune, dans ce contexte et compte tenu de la preuve documentaire sur la fréquence des documents falsifiés ou frauduleux en Chine.

[25]           Cette conclusion tirée par la SPR pose problème et, par conséquent, est déraisonnable. La prévalence générale de documents faux ou frauduleux et l’accès facile à ceux‑ci dans un pays ne signifie pas nécessairement qu’un document provenant d’un tel pays ne doit se voir accorder que peu de poids, voire aucun. Au contraire, la SPR doit traiter les éléments de preuve documentaire séparément et intégralement avant de tirer une conclusion générale en matière de crédibilité. Comme l’a noté la Cour dans la décision Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1219, 152 ACWS (3d) 308 :

[8]        […] il incombait à la SPR d’examiner la preuve dans son intégralité avant de tirer des conclusions générales sur la valeur à accorder à la preuve. Pour ce faire, la SPR devait d’abord examiner l’authenticité de la preuve documentaire elle‑même. Or, elle ne l’a pas fait. En réalité, indépendamment de la question de la crédibilité du demandeur, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve sur lequel fonder sa conclusion que les documents soumis étaient des faux. Elle n’avait que des soupçons. La « facilité avec laquelle on peut se procurer des documents contrefaits au Pakistan » ne permettait pas de conclure que les documents précis soumis à la SPR étaient effectivement des faux. Pour ce seul motif, je conclus que le rejet de la preuve documentaire constitue une conclusion arbitraire.

[26]           L’essentiel est que la décision de la Cour dans l’affaire Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 157, 405 FTR 21 (Lin), où le demandeur était un homme qui, avec l’aide d’un passeur, avait quitté la Chine en raison de son christianisme allégué. Dans la décision Lin, la Cour a conclu que la disponibilité aisée de documents frauduleux en Chine ne veut pas dire que les documents du demandeur sont frauduleux, et la SPR doit toujours établir si un document présenté est authentique :

[53]      […] Le simple fait que des documents frauduleux soient faciles à obtenir en RPC [Chine] n’implique pas nécessairement, à lui seul, que les documents du demandeur étaient frauduleux. Comme le juge Konrad von Finckenstein l’a dit dans la décision Cheema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, au paragraphe 7 :

Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux. […] la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.

[54]      Le raisonnement de la SPR impliquerait que même des documents authentiques ne seraient pas acceptables. Le fait que des documents non authentiques soient disponibles ne dispense pas la SPR de l’obligation de déterminer si des documents précis présentés par un demandeur sont authentiques ou non. […]

[55]      […] Il se peut bien qu’il soit facile de se procurer des documents frauduleux en RPC. Cependant, il ne s’ensuit pas que tous les documents qui proviennent de la RPC sont nécessairement frauduleux. La SPR était tenue d’examiner et de soupeser les documents précis qui lui avaient été présentés plutôt que de les rejeter tout simplement d’entrée de jeu.

[27]           Il ne fait aucun doute que la SPR a le droit de remettre en question l’authenticité d’un document comme le mandat d’arrestation présenté par le demandeur en l’espèce. Toutefois, elle ne peut pas le faire sans soumettre le document à une analyse indépendante. En l’espèce, la SPR a conclu expressément, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas membre d’une maison‑église clandestine et n’était pas recherché par le BSP. Cependant, ces conclusions seules ne suffisent pas pour que la SPR « estime donc que la citation à comparaître présentée par le demandeur d’asile devrait se voir accorder peu d’importance, voire aucune, dans ce contexte […] ». La SPR devait prendre en compte l’authenticité du mandat d’arrestation et n’était pas autorisée à rejeter ou à diminuer son importance uniquement sur le fondement de ses autres conclusions préalables au plan de la crédibilité. Il était déraisonnable pour la SPR en l’espèce de mettre en doute la validité ou l’authenticité des mandats, sur le fondement de ses conclusions défavorables à l’égard de la crédibilité du demandeur et de la disponibilité de documents frauduleux en Chine.

V.                Conclusion

[28]           Pour les motifs qui ont été exposés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SPR pour qu’un autre commissaire rendre une nouvelle décision, conformément aux présents motifs. Aucune question n’est certifiée étant donné qu’aucune demande n’a été formulée en ce sens par les parties.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie; l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision, conformément aux motifs du présent jugement; et qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Nathalie Gadbois, B.A. (trad.), LL.L., J.D.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1558‑15

 

INTITULÉ :

FeiHu REN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 3 novembre 2015

 

mOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Jordana Rotman

 

pour le demandeur

 

Sybil Thompson

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pouR le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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