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Date : 20151218


Dossier : IMM-2504-15

Référence : 2015 CF 1396

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

AFSHIN NOROUZI

MINA KARIMI

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [MSPPC] demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], par laquelle elle refuse de retirer aux défendeurs, un couple de citoyens iraniens, le statut de réfugiés qu’on leur a accordé en 2002. Depuis cette date, le MSPPC a découvert que les défendeurs ont obtenu leur statut de réfugiés sous de fausses représentations, soit le fait d’avoir omis de déclarer qu’avant son arrivée au Canada, le défendeur Afshin Norouzi a vécu plusieurs années au Japon où il y a été condamné pour un acte criminel et où il a servi une sentence d’emprisonnement.

[2]               Se fondant sur l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR], le MSPPC a donc demandé à la SPR d’annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile des défendeurs au motif qu’elle résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un fait pertinent, ou de réticence sur ce fait. La SPR a rejeté cette demande, estimant qu’il restait suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

[3]               Fait à noter, la défenderesse Mina Karimi n’était ni présente ni  représentée lors de l’audition devant la Cour. Le demandeur ignore où elle se trouve et la procureure du défendeur Norouzi n’a pas été en mesure de répondre aux questions de la Cour à son sujet. Toutefois, puisque la demande de contrôle judiciaire du MSPPC lui a dûment été signifiée à sa dernière adresse déclarée, un jugement par défaut sera prononcé contre elle.

[4]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du MSPPC sera accueillie.


II.                Faits

Faits allégués au soutien de la demande d’asile

[5]               Les défendeurs sont arrivés au Canada le 17 juillet 2001 en provenance des États-Unis et y ont déposé leur demande d’asile. Lors de leur entrevue avec un agent d’immigration, M. Norouzi a notamment déclaré :

•     qu’il n’avait aucun dossier criminel;

•     qu’il n’avait jamais commis de crime;

•     qu’il n’avait jamais fait l’objet d’une mesure de renvoi d’un quelconque pays;

•     qu’il est arrivé aux États-Unis le 16 juillet 2001 en provenance du Mexique; et,

•     que pour entrer aux États-Unis, il a utilisé un faux passeport qui lui a coûté 12 000 $ US.

[6]               Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], soumis le 13 août 2001, M. Norouzi répète ne jamais avoir commis d’acte criminel ni avoir fait l’objet d’une quelconque condamnation. Il affirme également ne jamais avoir vécu ou voyagé à l’extérieur de l’Iran, sauf pour le voyage qui l’a mené au Canada en 2001.

[7]               Quant au cœur de leur récit, les défendeurs allèguent avoir quitté leur pays suite aux menaces reçues de la famille de Laila Shahsavand, ex-conjointe de M. Norouzi. En mai 1999, M. Norouzi débute une relation amoureuse avec Mme Shahsavand et ceux-ci ont des relations sexuelles hors mariage, contrairement aux règles coutumières et religieuses de l’Iran. En avril 2000, Mme Shahsavand l’informe qu’elle est enceinte et qu’ils doivent contracter un mariage temporaire (« sigheh ») pour que l’enfant soit « légitime ». M. Norouzi accepte et paye un pot-de-vin pour que le mariage soit antidaté de trois mois. Quelques mois plus tard, M. Norouzi s’aperçoit que Mme Shahsavand n’est pas enceinte et il termine la relation en juillet 2000.

[8]               Quelques mois plus tard, M. Norouzi rencontre la défenderesse Karimi, qui est médecin, et ils débutent une relation amoureuse. Mme Shahsavand entend parler de cette relation et elle commence à harceler M. Norouzi, l’accusant de lui avoir pris sa virginité. M. Norouzi demande à Mme Karimi d’exécuter une chirurgie visant à restaurer l’hymen de Mme Shahsavand afin d’éviter le stigma familial. Mme Karimi accepte et exécute la chirurgie en janvier 2001; il semble que cette chirurgie soit illégale puisque Mme Shahsavand n’a pas le consentement de ses parents.

[9]               En avril 2001, Farhad, le frère de Mme Shahsavand, se présente au commerce de M. Norouzi et le menace de le faire emprisonner pour fraude s’il ne marie pas sa sœur. La même semaine, Farhad visite la clinique médicale de la défenderesse Karimi pour la soumettre à du chantage. D’avril à juin 2001, les défendeurs font l’objet d’appels téléphoniques de la part de la famille de Mme Shahsavand qui les menace et les fait chanter.

[10]           Le 12 juin 2001, Farhad vient voir M. Norouzi et lui lance un ultimatum : il doit marier sa sœur ou payer 10 millions de toomans à sa famille. Sachant que Farhad est membre du « Sepah » et qu’il a des liens étroits avec le gouvernement iranien, les défendeurs craignent pour leur vie et décident de quitter l’Iran.

[11]           Dans une courte décision rendue le 4 avril 2002, la SPR accorde le statut de réfugiés aux défendeurs.

Faits postérieurs à la décision initiale de la SPR

[12]           Le 24 avril 2003, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] est informée par le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal qu’une personne s’est présentée au poste de police pour y enregistrer une dénonciation concernant le défendeur. On y apprend notamment qu’avant de venir au Canada, M. Norouzi a vécu 11 ou 12 ans au Japon et qu’il a inventé une histoire afin d’obtenir le statut de réfugié au Canada. Voici un extrait d’un courriel du constable Éric Bournival qui résume la dénonciation reçue :

La dame me raconte qu’elle a appris que Monsieur Norouzi (d’origine Iranienne) avait menti à Immigration lors de sa demande d’immigration. Elle tient ses informations de [caviardé] et des propos dit par Monsieur Norouzi devant elle. Elle dit que Monsieur Norouzi aurait dit à immigration qu’il était poursuivi et en danger en Iran parce que son ancienne conjointe médecin pratiquait des avortements là-bas (où c’est interdit) et que ça s’était su. Cependant, selon [caviardé] ce n’est pas vrai que le couple était en danger car personne ne savait qu’ils pratiquaient des avortements. Cette histoire aurait été complètement inventé [sic] et préparé [sic] pour la demande d’immigration au Canada. De plus, il semble que Monsieur Norouzi ait passé 11-12 ans au Japon, puis aurait fait un court séjour en Iran pour y chercher son ex-conjointe Mme Mina KARIMI (la médecin) avant de venir au Canada et faire sa demande d’Immigration. Il aurait caché sa présence au Japon à Immigration Canada. [Caviardé] dit aussi que peu de temps après son arrivé au Canada avec son ex-conjointe Karimi et bien celle-ci aurait tenté de se suicider. La même chose se produit avec [caviardé] qui penserait au suicide moins de 3-4 semaines après [caviardé] Monsieur Norouzi. Elle trouve ça très bizarre. [Caviardé] dit aussi que Monsieur Norouzi a toujours en sa possession de grosses sommes d’argent. Elle dit qu’une fois où des policiers sont allés chez le couple, il y avait 10000$ sur la table. Elle dit aussi que Monsieur Norouzi ferait supposément comme métier du travail dans des restaurants. Elle dit enfin que Monsieur Norouzi a peur de la police et dit souvent de ne rien dire de ce qu’il leur dit. Elle dit aussi qu’il ferait des affaires secrètes avec le gouvernement du Japon, mais qu’elle n’en savait pas plus. Elle dit enfin qu’il n’aime pas le Canada et qu’il dit seulement vouloir obtenir sa citoyenneté canadienne et qu’il va quitter le Canada ensuite. Elle dit que Monsieur Norouzi est à Vancouver présentement pour quelques jours. Elle dit qu’un ami de Monsieur Norouzi se nomme Timur. Elle trouve tout cela très bizarre et voulait en faire part à Immigration Canada, mais étant donné que son français et son anglais ne sont pas très bons et bien elle préférait se présenter au poste de police pour divulguer ces informations.

[13]           Lors de l’audience, le défendeur s’est objecté à la production de ce courriel. Il plaide qu’on ne peut s’y fier compte tenu des nombreuses informations qui ont été caviardées.

[14]           Quoi qu’il en soit, M. Norouzi est devenu résident permanent du Canada le 18 septembre 2003. Quant à Mme Karimi, elle ne s’est pas présentée pour obtenir sa résidence permanente en février 2004 et n’a pas contacté le bureau de Citoyenneté et Immigration Canada depuis cette date.

[15]           En février 2008, l’ambassade canadienne au Japon reçoit un document du Tribunal de la région de Mito, par lequel on indique que M. Norouzi, alias Mario Costas, a été reconnu coupable le 9 octobre 1997 d’une infraction à la loi japonaise sur le contrôle des stimulants et qu’il a purgé une peine d’emprisonnement d’un an et huit mois.

[16]           Quelques mois plus tard, la Gendarmerie royale du Canada transmet à l’ASFC les résultats d’une recherche faite via Interpol. On peut y lire que M. Norouzi a un dossier criminel au Japon pour deux infractions, soit pour violation à la loi sur l’immigration en 1993 et une infraction à la loi sur le contrôle des stimulants en 1997.

[17]           En septembre 2008, CIC reçoit une lettre anonyme détaillée au sujet de M. Norouzi. On peut y lire qu’il est issu d’un milieu modeste et que lui et ses deux oncles sont allés travailler au Japon vers 1990. On y mentionne la peine d’emprisonnement purgée par M. Norouzi au Japon et le fait qu’il aurait subséquemment été déporté vers l’Iran. Muni de faux documents, M. Norouzi serait retourné au Japon et y serait demeuré pendant près d’un an. Par la suite, il serait retourné en Iran et aurait obtenu un visa américain. C’est en transitant par les États-Unis qu’il serait arrivé au Canada en 2001. On peut également y lire que M. Norouzi aurait été intercepté en Allemagne alors qu’il tentait de se rendre en Roumanie muni d’un faux passeport italien.

[18]           Le défendeur a contesté l’admissibilité de cette lettre lors des audiences devant la SPR et devant la Cour. De plus, il plaide que puisqu’il s’agit d’une dénonciation anonyme, rien ne garantit la véracité des informations y contenues.

[19]           L’ASFC a entrepris des démarches afin de vérifier les faits allégués dans cette lettre. Elle a reçu confirmation des autorités allemandes que M. Norouzi a été arrêté à Hambourg en 2007, alors qu’il utilisait un passeport italien contrefait pour se rendre en Roumanie.

[20]           L’ASFC a aussi obtenu une copie de trois courriels qu’aurait transmis M. Norouzi en avril 2008, dans lesquels il déclare i) avoir vécu plusieurs années au Japon dans les années 1990 ; ii) avoir décidé de venir vivre au Canada en 2001 ; et, iii) avoir des dossiers criminels au Japon et en Allemagne. Le défendeur a contesté également l’admissibilité de ces courriels au motif qu’ils auraient très bien pu être écrits par quelqu’un d’autre que lui et qu’ils pourraient émaner d’un compte courriel ne lui appartenant pas.

[21]           Le défendeur Norouzi a choisi de ne pas être présent lors de l’audition de la demande du MSPPC devant la SPR, mais il y a fait les admissions suivantes, par l’intermédiaire de son avocate :

     Avant son arrivée au Canada, le défendeur Norouzi a séjourné plusieurs mois, voire plusieurs années, au Japon;

     Il possède un dossier criminel, ayant été arrêté au Japon et en Allemagne;

     Il a voyagé à plusieurs reprises en Iran, et ce, même après avoir obtenu le statut de réfugié en 2002.

[22]           Par ailleurs, la SPR avait en mains le passeport iranien de M. Norouzi, émis le 17 février 2001 à Téhéran et renouvelé à Ottawa le 18 février 2005, lequel démontre ses entrées et sorties d’Iran pour une partie de la période au cours de laquelle les faits au soutien de sa demande d’asile se seraient déroulés :

     Sortie de l’Iran le 1er mars 2001 (vers la Thaïlande) et retour le 16 mars 2001;

     Sortie de l’Iran le 29 avril 2001 (vers la Turquie) et retour le 12 mai 2001;

     Sortie de l’Iran le 4 juillet 2001 (vers les États-Unis) et retour le 23 novembre 2003;

     Sortie de l’Iran le 15 avril 2004 (vers le Canada) et retour à une date inconnue;

     Sortie de l’Iran le 29 octobre 2004 (vers la Thaïlande) et retour le 6 février 2005;

     D’autres voyages en Iran et en Turquie en 2005 et 2006, et retour au Canada.

[23]           Le 29 décembre 2010, le MSPPC dépose sa demande d’annulation de la décision accordant aux défendeurs le statut de réfugiés. Plusieurs demandes de remise ont été accordées au cours des années, de sorte que l’audition de cette demande devant la SPR n’a eu lieu que le 24 février 2015.

III.             Décision contestée

[24]           La SPR note d’abord que Mme Karimi n’était pas représentée et que l’absence de M Norouzi résulte d’une recommandation de son avocate. Ensuite, la SPR tranche l’objection à la preuve et juge admissible les pièces soumises par le MSPPC, y compris i) le courriel d’Éric Bournival ; ii) la lettre anonyme reçue le 19 septembre 2008 ; et, iii) les trois courriels de M. Norouzi. La SPR ajoute qu’elle « se réserve toutefois le droit d’attribuer à ces preuves la valeur probante qu’[elle] jugera appropriée. »

[25]           La SPR annonce ensuite qu’elle fera une analyse en deux temps : elle évaluera d’abord l’application du paragraphe 109(1) de la LIPR, pour ensuite procéder à son analyse sous son paragraphe 109(2). Sous le paragraphe 109(1), la SPR doit déterminer si la décision accordant le statut de réfugié résulte « directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent ». Le cas échéant et en application du paragraphe 109(2), la SPR peut néanmoins rejeter la demande d’annulation « si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile ».

[26]           Quant au premier volet, la SPR prend note des admissions faites par le défendeur et conclut qu’il a fait des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent à sa demande d’asile. Le défendeur a omis de mentionner, dans le cadre de sa demande d’asile, qu’il a fait plusieurs séjours au Japon pendant les années 1990 et qu’il a un dossier criminel dans ce pays. La SPR conclut que ces faits constituent des éléments pertinents qui auraient dû être abordés lors de l’audience devant la SPR en 2002. Selon la SPR, les admissions du demandeur suffisent à disposer du premier volet de son analyse.

[27]           Quant au deuxième volet de l’analyse, la SPR conclut toutefois qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve dans la demande initiale pour que la décision de 2002 de la SPR soit maintenue. Selon la SPR, les omissions ou les mensonges de M. Norouzi touchent des événements qui sont survenus avant le mois de mai 1999, moment où débute le récit des demandeurs au soutien de leur demande d’asile. Il n’y a aucune preuve que leur récit serait faux ou vicié. La SPR rejette donc la demande d’annulation du MSPPC.

IV.             Question en litige et norme de contrôle

[28]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève une seule question en litige : la SPR a-t-elle erré en concluant qu’il restait suffisamment d’éléments dans la demande initiale afin de maintenir la décision de la SPR accordant le statut de réfugiés aux défendeurs ?

[29]           La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable (Al-Maari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1037 au para 8; Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 905 aux paras 22 et 24). L’analyse que fait la SPR en vertu du paragraphe 109(2) de la LIPR relève de son pouvoir discrétionnaire de sorte que la Cour doit accorder une grande déférence à ses conclusions (Waraich c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1257 aux paras 18-20; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chery, 2008 CF 1001 au para 23.).

V.                Analyse

La SPR a-t-elle erré en concluant qu’il restait suffisamment d’éléments dans la demande initiale afin de maintenir la décision de la SPR accordant le statut de réfugiés aux défendeurs ?

[30]           Dans le cadre d’une demande d’annulation d’une décision ayant accueilli une demande d’asile, le fardeau de preuve repose sur les épaules du Ministre : celui-ci doit convaincre la SPR, selon la prépondérance des probabilités, que la décision résulte, directement ou indirectement, de représentations erronées des faits (Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56 aux paras 109-110). Dans un deuxième temps, la SPR doit évaluer si, malgré les fausses représentations, il reste suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

[31]           En l’espèce, bien que la SPR énonce correctement le premier volet du test au paragraphe 23 de ses motifs, l’analyse faite dans les paragraphes qui suivent indique clairement que la seule question à laquelle la SPR a répondu est celle de la pertinence des faits ayant été faussement représentés. Elle conclut que les faits étaient pertinents à l’analyse initiale et qu’ils auraient soulevé des questions dans l’esprit du décideur. Par contre, elle n’analyse pas le lien causal entre les fausses représentations des défendeurs et la décision de la SPR de leur octroyer le statut de réfugiés, tel que le requiert le paragraphe 109(1) de la LIPR. Elle n’identifie pas non plus les faits allégués au soutien de la demande d’asile qui seraient viciés par les fausses déclarations des défendeurs.

[32]            Ce faisant, la SPR passe immédiatement au second volet du test, celui énoncé au paragraphe 109(2) de la LIPR, et conclut que le récit des défendeurs est intact. Elle se limite à un simple examen temporel et conclut qu’il n’y a aucune preuve que les défendeurs n’étaient pas en Iran du mois de mai 1999 au mois de juin 2001.

[33]           Le défendeur plaide que la SPR ne pouvait, dans le cadre du second volet du test, « réévaluer la preuve qui n’a pas été entachée par les fausses indications à la lumière de la preuve présentée par le ministre à l’audience d’annulation comme preuve des fausses indications du revendicateur lors de l’audience sur la reconnaissance du statut de réfugié » (Coomaraswamy c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153 au para 26).

[34]           Toutefois, le problème réside ici dans le fait que la SPR n’ait pas identifié la preuve initiale qui aurait été entachée par les fausses représentations des défendeurs.

[35]           La SPR a commis à cet égard un certain nombre d’erreurs qui nécessitent l’intervention de la Cour.

[36]           Premièrement, au paragraphe 30 de ses motifs, la SPR conclut que « rien dans la preuve déposée par le Ministre n’indique que l’intimé ne se trouvait pas en Iran entre mai 1999 et juin 2001 ». Or, cela est inexact. Les tampons apposés au seul passeport du défendeur déposé en preuve démontrent qu’il ne se trouvait pas en Iran pendant quatre semaines au cours de la période en question. M. Norouzi se trouvait en Thaïlande du 1er mars au 16 mars 2001 et il se trouvait en Turquie du 29 avril au 12 mai 2001. Au soutien de sa demande d’asile, M. Norouzi a allégué avoir reçu des menaces de la part du frère de Mme Shahsavand en avril 2001. Or, la nouvelle preuve démontre qu’il se serait subséquemment rendu en Turquie, y aurait séjourné 10 jours et y aurait obtenu un visa pour les États-Unis, avant de retourner en Iran. Non seulement la SPR ne fait-elle aucune analyse de l’impact de la nouvelle preuve sur le récit du défendeur, mais elle fait simplement fi de cette preuve. Cette erreur déterminante justifie à elle seule l’intervention de la Cour (Sherwani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 37 au para 17).

[37]           Deuxièmement, bien que la SPR ait admis la nouvelle preuve déposée par le demandeur et qu’elle ait indiqué au paragraphe 21 de ses motifs qu’elle se réservait le droit d’y accorder la valeur probante qu’elle jugeait appropriée, elle fait défaut de procéder à cette analyse et ne revient sur cette preuve à nulle part dans sa décision. Il se peut que le fait que la lettre reçue en septembre 2008 soit anonyme, ait un impact négatif sur sa valeur probante. Toutefois, cette lettre est fort détaillée et plusieurs des faits qui y sont allégués sont corroborés par des sources sures : les longs séjours du défendeur au Japon, le fait qu’il ait un casier judiciaire au Japon, le fait qu’il ait été intercepté par les autorités allemandes avec un faux passeport italien, etc. La SPR devait déterminer si le fait que d’importants éléments de cette lettre soient ainsi corroborés, a un impact quelconque sur la fiabilité des autres éléments qui s’y trouvent.

[38]           Avant de passer au second volet du test, la SPR devait analyser l’ensemble de la nouvelle preuve, déterminer lesquelles des allégations initiales du défendeur s’en trouvaient entachées et mettre ces allégations à l’écart avant d’amorcer le second volet du test. Elle ne l’a pas fait.

[39]           Troisièmement, si le MSPPC avait été informé du dossier criminel du défendeur au moment de l’analyse de sa demande d’asile, il aurait pu invoquer un motif d’exclusion fondé sur la clause 1Fb) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Frias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 753 aux paras 7 et suivants).

[40]           Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wahab, 2006 CF 1554au para 29, cette Cour a passé en revue la jurisprudence portant sur les demandes d’annulation et a notamment énoncé que : « [l]a SPR ne doit procéder à l’analyse prévue au paragraphe 109(2) (la deuxième étape) que si elle est convaincue que le demandeur d’asile n’est pas exclu dans l’application de l’article 98 de la LIPR. » Il est vrai que cet argument a été soulevé par le demandeur pour la première fois lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire et que le MSPPC n’a pas soumis une preuve d’équivalence entre l’infraction commise par le défendeur au Japon et une infraction connue en droit canadien (Iliev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 395 au para 6), il n’en demeure pas moins que la SPR a passé au second volet du test sans traiter de la question d’exclusion et qu’elle a en quelque sorte escamoté l’analyse du premier volet.

[41]           La décision de la SPR ne fait pas partie des issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.             Conclusion

[42]           Cette demande de contrôle judiciaire est accordée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.    La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accordée;

2.    La décision rendue le 24 avril 2015 par de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada est cassée et le dossier est retourné à un autre de ses membres pour une nouvelle détermination;

3.    Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2504-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c AFSHIN NOROUZI ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 décembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 18 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Lynne Lazaroff

Pour le demandeur

Patil Tutunjian

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Doyon & Associés Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour les défendeurs

 

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