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Date : 20151223


Dossier : IMM-1938-15

Référence : 2015 CF 1413

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MEHMET SINKIL

FATIMA SINKIL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi] à l’encontre de la décision par laquelle un agent [l’agent] a refusé la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] des demandeurs. La Cour a entendu la présente demande en même temps que la demande des demandeurs, dans le dossier IMM‑1939‑15, visant à obtenir le contrôle judiciaire du refus de leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La présente demande ne concerne que la décision relative à la demande d’ERAR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur principal et son épouse sont tous les deux des citoyens turcs d’origine kurde. Ils sont entrés au Canada pour la première fois en 2008, avec leurs trois enfants à l’époque, et ont présenté des demandes d’asile, qui ont été refusées en 2011. Les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire et la Cour fédérale a ordonné que les demandes des deux fils plus âgés fassent l’objet d’une nouvelle décision. Une nouvelle décision s’en est suivie et les deux fils plus âgés se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention en raison de leur refus d’effectuer leur service militaire en Turquie.

[4]               La chronologie des événements qui s’appliquent aux demandeurs est la suivante :

         le demandeur principal affirme que ses problèmes en Turquie ont commencé en 1990;

         en 1995, le demandeur principal s’est rendu en Allemagne et s’est réclamé à nouveau de la protection de la Turquie;

         en 1997, 2002, 2004 et 2005, le demandeur principal s’est rendu aux États‑Unis et s’est chaque fois réclamé à nouveau de la protection de la Turquie;

         en 2008, le demandeur principal et sa famille sont entrés au Canada et ont présenté des demandes d’asile, qui ont été refusées le 25 mai 2011;

         le 13 septembre 2011, l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard des demandes d’asile refusées a été accordée, à la suite de quoi les demandes des deux fils plus âgés ont été renvoyées pour faire l’objet d’une nouvelle décision, moment auquel ils se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention;

         le 12 décembre 2011, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs et de leur fille a été refusée;

         en août 2012, la demande d’ERAR des demandeurs et de leur fille a été rejetée;

         le 14 octobre 2012, les demandeurs et leur fille ont été renvoyés du Canada et sont retournés en Turquie à la suite du rejet de leur demande d’asile et de leur demande d’ERAR;

         le 30 décembre 2012, les demandeurs se sont rendus aux États‑Unis;

         le 31 décembre 2012, les demandeurs ont demandé l’autorisation de venir au Canada pour présenter une demande d’asile, mais on a jugé qu’ils ne pouvaient présenter une telle demande et n’avaient pas le droit de présenter une demande d’ERAR;

         le 31 décembre 2012, les demandeurs ont quitté le Canada et sont demeurés aux États‑Unis jusqu’en juin 2013;

         en juin 2013, les demandeurs se sont réclamés à nouveau de la protection de la Turquie;

         le 14 août 2013, le demandeur principal, non accompagné de sa famille, est retourné aux États‑Unis, et n’a présenté aucune demande d’asile durant son séjour;

         le 21 mai 2014, la famille du demandeur principal l’a rejoint aux États‑Unis;

         le 10 juin 2014, les demandeurs sont arrivés au Canada en demandant le statut de personne à protéger, moment auquel les demandeurs ont fait l’objet d’une mesure d’expulsion du Canada puisqu’ils ne pouvaient présenter une demande d’asile et qu’une demande d’ERAR avait été présentée;

         le 17 mars 2015, la demande d’ERAR des demandeurs a été refusée, ce qui constitue l’une des deux décisions dont les demandeurs demandent le contrôle judiciaire, l’autre étant la décision par laquelle leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été refusée le 19 mars 2015 (IMM-1939-15).

II.                Questions en litige

[5]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      L’agent a‑t‑il violé les principes d’équité et de justice fondamentale en tirant des conclusions quant à la crédibilité défavorables aux demandeurs sans leur accorder une audience?

2.      L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale et de justice fondamentale en s’appuyant sur une preuve extrinsèque inexacte sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre?

3.      L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de procéder à une analyse fondée sur l’article 97 de la Loi?

III.             Analyse

A.                Audience

[6]               Les demandeurs soutiennent que la tenue d’une audience était requise selon l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR ou le Règlement] parce qu’ils ont présenté de nouveaux éléments de preuve relatifs au risque, sous la forme d’une déclaration solennelle du demandeur principal et d’une lettre d’un avocat turc indiquant qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre le demandeur principal. Ils font valoir que, s’ils avaient été crus et acceptés, les éléments de preuve auraient entraîné une décision favorable, vu le bilan du gouvernement turc en matière de droits de la personne.

[7]               Je ne souscris pas à cet argument. La preuve fournie dans la déclaration solennelle n’était pas étayée par d’autres éléments de preuve au dossier et le demandeur principal ne s’était donc pas acquitté de la charge ultime qui lui incombait, car la preuve présentée n’établissait pas les faits nécessaires selon la prépondérance des probabilités.

[8]               Le rejet par l’agent de la demande d’asile des demandeurs était fondé sur une preuve objective, et non sur une conclusion quant à la crédibilité. La conclusion d’absence de preuve subjective reposait sur la preuve établissant que le demandeur principal s’était réclamé à nouveau de la protection de son pays d’origine d’une manière continuelle pendant plusieurs années, notamment en 2013, après les incidents de 2012, sur lesquels la demande d’asile est fondée. Cette conclusion reposait également sur son omission de demander l’asile aux États‑Unis à la première occasion après avoir allégué avoir été battu et torturé en Turquie.

[9]               Parmi les autres constatations démontrant l’insuffisance de la preuve présentée par les demandeurs, mentionnons les suivantes :

1.      il n’existait aucune preuve établissant que le demandeur principal et sa fille avaient été transportés à l’hôpital;

2.      il n’existait aucune preuve établissant que la fille des demandeurs avait été traitée pour des blessures causées par du gaz lacrymogène;

3.      il n’existait aucune preuve médicale concernant la déclaration du demandeur principal selon laquelle il avait été battu ou avait consulté un médecin après avoir été torturé pendant deux jours;

4.      les autorités n’avaient aucune raison de pousser plus loin l’enquête sur le demandeur principal après qu’il eut été arrêté lors des manifestations du parc Geza;

5.      même s’il était surveillé par les autorités, le demandeur principal avait pu quitter la Turquie;

6.      il n’existait aucune preuve établissant que la fille des demandeurs, qui n’a pas obtenu de visa américain et est toujours en Turquie, avait eu des difficultés.

[10]           De la même façon, il n’existait aucune preuve objective corroborant le fait que le demandeur principal avait appris, en 2013, qu’il était recherché par les autorités et qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre lui, ce qui l’aurait amené à quitter les États‑Unis et à demander l’asile au Canada. L’agent avait à juste titre des motifs raisonnables de rejeter cet élément de preuve parce qu’aucun mandat n’avait été joint à la lettre d’un paragraphe de l’avocat, sans quoi ladite lettre n’avait aucun poids perceptible.

[11]           Il est clair en droit que les demandeurs doivent s’acquitter de la charge de présentation, et qu’ils ne se sont pas acquittés de cette charge parce que la preuve présentée n’établit pas les faits nécessaires selon la prépondérance des probabilités : Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067. Il est également reconnu que la recherche d’une preuve corroborante relève du bon sens : Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7.

B.                 Preuve extrinsèque

[12]           Nul ne conteste que l’agent a commis une erreur en se fondant sur une preuve extrinsèque inexacte lorsqu’il a affirmé ceci : [traduction] « De plus, selon mes recherches sur les dispositions en matière d’antiterrorisme, il n’existe pas d’article 10, et l’article 10 a été annulé par décision de la Cour constitutionnelle en date du 31‑03‑192 » [non souligné dans l’original].

[13]           Toutefois, je conviens avec le défendeur que l’emploi du terme « de plus », après toutes les autres raisons fournies dans les motifs susmentionnés, confère au commentaire un caractère accessoire, non essentiel à la décision. À mon avis, lorsque tous les éléments de preuve sont considérés dans leur ensemble, cette erreur ne justifie pas l’intervention de la Cour : Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 160.

C.                 Omission de procéder à une analyse fondée sur l’article 97

[14]           Je rejette également la prétention des demandeurs voulant que l’agent ait commis une erreur en omettant de procéder à une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR. L’agent a conclu que [traduction] « la preuve objective est insuffisante pour établir que les demandeurs subiront un préjudice à leur retour en Turquie ». Il a expressément conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger, citant le libellé de l’article 97.

[15]           Cette conclusion et la décision dans son ensemble appartiennent à une gamme raisonnable d’issues acceptables au regard des faits et du droit.

[16]           Par conséquent, la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1938-15

 

INTITULÉ :

MEHMET SINKIL ET FATIMA SINKIL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

 

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Walmand et associés

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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