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Date : 20151229


Dossier : T-2038-14

Référence : 2015 CF 1423

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

demandeur

et

CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   L’aperçu

[1]               Le demandeur M. Gandhi Jean Pierre est un agent d’immigration pour Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. En mai 2013, il envoie une lettre à la Commission des droits de la personne [la Commission] l’avisant qu’il allait déposer une plainte de discrimination à l’encontre de son employeur. M. Jean Pierre allègue avoir été victime de discrimination entre les mois de juin 2005 et mai 2012. Notamment, il prétend avoir subi de la discrimination en 2009 puis entre novembre 2010 et octobre 2011 dans le cadre d’un processus de sélection pour un poste d’agent de l’évaluation des risques avant renvoi [ERAR] au sein de CIC. En mai 2012, M. Jean Pierre obtient des documents suite à une demande d’accès à l’information. Ces documents démontrent selon lui que des commentaires calomnieux, diffamatoires et discriminatoires tenus par son employeur auraient nui à sa possibilité d’être embauché à un nouvel emploi au sein d’un autre organisme du gouvernement fédéral.

[2]               En août 2014, après analyse et considération des représentations de M. Jean Pierre et de CIC, la Commission décide de ne pas statuer sur la plainte de M. Jean Pierre car elle estime la plainte irrecevable aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP]. Selon la Commission, M. Jean Pierre a déposé sa plainte auprès de la Commission après l’expiration du délai d’un an suivant le dernier des faits sur lesquels la plainte est fondée.

[3]               M. Jean Pierre demande aujourd’hui le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission refusant de statuer sur sa plainte. Il plaide que la décision enfreint les règles de l’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable. Il recherche une ordonnance de cette Cour annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire à un autre décideur au sein de la Commission pour reconsidération.

[4]               Les questions en litige sont les suivantes :

  • Quelles sont les normes de contrôle applicables?
  • La Commission a-t-elle manqué à son devoir d’agir équitablement à l’égard de M. Jean Pierre et de respecter les règles de l’équité procédurale dans le cadre de l’examen de sa plainte?
  • La décision de la Commission de déclarer la plainte de M. Jean Pierre irrecevable est-elle déraisonnable?

[5]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Jean Pierre doit échouer car la Cour conclut que la Commission n’a enfreint aucune règle d’équité procédurale dans la conduite de ce dossier et que sa décision de déclarer irrecevable la plainte de M. Jean Pierre n’est pas déraisonnable et constitue une issue possible et acceptable dans les circonstances.

II.                Le contexte

A.                Les faits

[6]               M. Jean Pierre est un agent d’immigration qui travaille au sein de CIC depuis septembre 1998. Outre ce poste d’agent d’immigration, M. Jean Pierre a aussi occupé, à titre intérimaire, un poste d’agent ERAR dans la division ERAR de CIC entre le mois de novembre 2010 et la fin octobre 2011.

[7]               Le 23 mai 2013, M. Jean Pierre envoie une lettre à la Commission l’informant qu’il allait déposer une plainte de discrimination à l’encontre de son employeur. Dans cette lettre, M. Jean Pierre s’engage à soumettre ses éléments de preuve dans un délai de 10 jours. Le 7 juin 2013, la Commission transmet à M. Jean Pierre une trousse d’instructions et un formulaire à remplir pour déposer sa plainte formellement. La Commission demande que la plainte soit déposée au plus tard le 8 juillet 2013. À cette date, M. Jean Pierre transmet effectivement à la Commission la trousse de plainte dûment complétée ainsi qu’une lettre datée du 5 juillet 2013[1].

[8]               Dans le formulaire de plainte et dans sa lettre du 5 juillet, M. Jean Pierre allègue avoir été victime de discrimination entre le mois de juin 2005 et le 25 mai 2012. Il prétend notamment avoir subi de la discrimination en 2009 après avoir échoué un processus de sélection pour un poste d’agent ERAR. En novembre 2009, un avis d’intérêt pour occuper un poste de superviseur aurait été envoyé à tous les employés sauf lui. Il dit avoir été promu à un poste d’agent ERAR en octobre 2010, mais avoir été rétrogradé après un an suite à des agissements discriminatoires de la part de ses supérieurs de l’époque à CIC, mesdames Giroux et Clément. Ces agissements se seraient échelonnés de novembre 2010 à octobre 2011. En octobre 2011, M. Jean Pierre informe le gestionnaire de mesdames Giroux et Clément de l’impact de leurs agissements sur sa santé. En janvier 2012, M. Jean Pierre est éliminé à la dernière étape d’un processus de sélection pour un poste d’agent d’audience en vue de combler des besoins éventuels à la division de l’Exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC]. Le 25 mai 2012, il reçoit des documents suite à une demande d’accès à l’information qu’il avait formulée auprès de l’ASFC. Ces documents démontrent, selon M. Jean Pierre, que des commentaires calomnieux et discriminatoires ont été faits à son endroit par ses supérieurs à CIC et auraient ainsi nui à sa possibilité d’être embauché à un nouvel emploi au sein de l’ASFC.

[9]               Le 15 août 2013, la Commission informe M. Jean Pierre qu’elle a examiné sa plainte et qu’elle croit que les alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP pourraient s’appliquer. La Commission mentionne alors à M. Jean Pierre qu’il y aurait un rapport relativement à ces questions et qu’il peut fournir des observations à cet égard. Le 24 septembre 2013, M. Jean Pierre transmet alors son énoncé de position sur les alinéas pertinents de la LCDP à l’enquêtrice désignée par la Commission. Relativement à l’alinéa 41(1)e), M. Jean Pierre indique avoir respecté le délai puisqu’il a pris connaissance du dernier acte discriminatoire le 25 mai 2012, en recevant des documents suite à sa demande d’accès à l’information auprès de l’ASFC. Il ajoute avoir fait deux sévères dépressions qui ont totalisé trois mois d’incapacité médicale. Le 29 octobre 2013, le CIC fait part de sa position quant aux alinéas pertinents de la LCDP. Le CIC soutient que plusieurs griefs ont déjà été déposés par M. Jean Pierre pour des motifs similaires à ceux allégués dans sa nouvelle plainte, et que la plainte de M. Jean Pierre devant la Commission a été déposée après l’expiration du délai statutaire d’un an.

[10]           Dans un rapport daté du 12 février 2014, l’enquêtrice de la Commission, Madame Caroline Audet, s’appuie sur l’alinéa 41(1)e) de la LCDP pour recommander que la Commission ne statue pas sur la plainte de M. Jean Pierre, puisque celle-ci vise des actes qui se sont produits plus d’un an avant le dépôt de la plainte et que M. Jean Pierre n’a pas fourni d’explication raisonnable pour le retard de son dépôt. Le rapport de Madame Audet est envoyé aux parties le 17 février 2014, et elles sont alors invitées à soumettre des observations d’un maximum de dix pages.

[11]           Le 17 mars 2014, M. Jean Pierre envoie des observations totalisant 38 pages à la Commission. Le 15 avril 2014, la Commission avise M. Jean Pierre qu’elle ne peut pas accepter ses observations puisqu’elles dépassent la limite prescrite de dix pages. M. Jean Pierre demande d’être dispensé de cette limite de dix pages, ce que lui refuse la Commission. Le 9 juin 2014, M. Jean Pierre soumet ses observations de dix pages répondant au rapport d’enquête du 12 février. Il y plaide notamment qu’il a déposé sa plainte à l’intérieur du délai d’un an, que la décision de Madame Audet est déraisonnable et qu’elle a entravé son pouvoir discrétionnaire en ne vérifiant pas les circonstances atténuantes. Pour sa part, le CIC dépose des représentations à l’enquêtrice en juillet 2014.

[12]           Le 29 août 2014, la Commission décide en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP de ne pas statuer sur la plainte de M. Jean Pierre puisqu’elle a été déposée après l’expiration du délai d’un an prescrit par la loi.

B.                 La décision de la Commission

[13]           La lettre informant M. Jean Pierre de la décision de la Commission indique qu’après avoir examiné le rapport d’enquête et toutes les observations transmises par la suite, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte. Le compte-rendu de la décision donne comme motif que la plainte a été déposée plus d’un an après le dernier des faits discriminatoires sur lesquels elle est fondée. La Commission détermine que la plainte est irrecevable puisque M. Jean Pierre n’a pas fait tout ce qu’une personne raisonnable ferait dans les circonstances pour instruire la plainte. La Commission note aussi que, bien que l’état de santé de M. Jean Pierre puisse avoir joué un rôle dans sa capacité à donner suite à la plainte, il n’y a pas suffisamment de preuve indiquant que son état l’aurait empêché d’instruire la plainte.

[14]           La décision de la Commission repose essentiellement sur la recommandation du 12 février 2014 envoyée par l’enquêtrice Madame Audet. Dans son rapport, Madame Audet y est d’avis que le dernier acte discriminatoire à l’origine de la plainte de M. Jean Pierre avait eu lieu en octobre 2011 et que M. Jean Pierre aurait donc dû déposer sa plainte au plus tard en octobre 2012. L’enquêtrice affirme que M. Jean Pierre aurait dû savoir, avant sa réception des documents d’accès à l’information le 25 mai 2012, qu’il faisait peut-être l’objet de pratiques discriminatoires. En fait, note Madame Audet dans son rapport, il est clair que M. Jean Pierre savait qu’il y avait des problèmes à son travail puisqu’il avait déjà déposé plusieurs plaintes et recours auprès d’autres organismes administratifs et cours de justice en relation avec les épisodes de discrimination dont il dit être victime. Certaines de ces plaintes faisaient notamment référence aux agissements de ses supérieurs à CIC, mesdames Giroux et Clément.

[15]           Madame Audet détermine par ailleurs que la lettre du 23 mai 2012 envoyée par M. Jean Pierre ne constituait pas elle-même une plainte. La plainte en format acceptable pour la Commission n’a été reçue que le 9 juillet 2013. M. Jean Pierre n’a donné aucune raison, outre ses craintes de représailles de la part de son employeur, pour laquelle il n’a pas contacté la Commission avant mai 2013. Les raisons fournies par M. Jean Pierre ne sont pas considérées suffisantes par Madame Audet pour expliquer le dépôt tardif de la plainte.

[16]           Selon les informations fournies par M. Jean Pierre et le CIC à l’enquêtrice, et que Madame Audet relate dans son rapport de février 2014, M. Jean Pierre a déposé une première plainte en juin 2009 auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique [TDFP] au sujet d’allégations de fraude, d’abus et de discrimination qu’il avait subies dans le cadre de son travail à CIC. Cette plainte est résolue par voie de médiation. En décembre 2009, M. Jean Pierre dépose aussi un grief portant sur un refus de sa candidature dans un processus de sélection. Ce grief est resté en suspens. En mars 2010, M. Jean Pierre loge une plainte contre son représentant syndical auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP]. Cette plainte sera rejetée en février 2012.

[17]           Dans ses récriminations, M. Jean Pierre mentionne notamment qu’entre novembre 2010 et octobre 2011, mesdames Giroux et Clément (qui étaient respectivement son gestionnaire et sa superviseure au sein de CIC) auraient agi de manière discriminatoire à son endroit alors qu’il occupait un poste intérimaire d’agent ERAR. En octobre 2011, il informe d’ailleurs leur gestionnaire de l’impact de ces comportements sur sa santé. En janvier 2012, M. Jean Pierre dépose aussi une plainte de pratiques déloyales auprès de la CRTFP contre mesdames Giroux et Clément et son employeur. Cette plainte sera finalement rejetée en mai 2015. M. Jean Pierre loge par ailleurs auprès du TDFP une autre plainte relativement à l’opportunité d’emploi pour laquelle il a postulé dans une autre agence fédérale, soit l’ASFC. Cette plainte est rejetée par le TDFP en août 2013 et la décision est maintenue par la Cour fédérale en avril 2015 dans Gandhi c Canada (Agence des services frontaliers), 2015 CF 436 [Gandhi], notamment en ce qui a trait aux arguments voulant que mesdames Giroux et Clément et le comité d’évaluation aient fait preuve de discrimination envers M. Jean Pierre et l’aient privé d’une opportunité d’emploi au sein de l’AFSC.

[18]           Dans ses représentations du 24 septembre 2013 envoyées à la Commission, M. Jean Pierre avait aussi soumis avoir fait deux sévères dépressions qui ont totalisé trois mois d’incapacité, sans toutefois en préciser la période. Dans son rapport du 12 février 2014, Madame Audet fait effectivement référence aux propos de M. Jean Pierre à l’effet que sa situation de travail lui causait des problèmes de santé. Dans sa décision du 29 août 2014, la Commission note également l’état de santé de M. Jean Pierre mais conclut qu’il n’y a pas suffisamment de preuve pour conclure que cela ait pu empêcher M. Jean Pierre d’instruire sa plainte devant la Commission.

C.                Les dispositions pertinentes

[19]           Les dispositions législatives pertinentes se retrouvent à l’article 41 de la LCDP et se lisent comme suit :

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

D.                La norme de contrôle

[20]           M. Jean Pierre soumet que les questions de garantie procédurale ne requièrent aucune déférence de la part de la Cour. De la même manière, il ajoute que la question portant sur la justesse de l’interprétation de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP relève aussi de la norme de la décision correcte en raison de la nature quasi-constitutionnelle de cette question (Canada (Procureur général) c Johnstone, 2014 CAF 110 [Johnstone] aux para 37 et 45-52). À titre subsidiaire, M. Jean Pierre plaide que la décision de la Commission est déraisonnable puisqu’elle ne respecte pas une interprétation large et libérale aux fins de servir l’objet de la LCDP et ne respecte pas la primauté du droit (Johnstone aux para 61-63; Public Mobile Inc c Canada (Procureur général), 2011 CF 130 aux para 62 et 64).

[21]           Au nom du ministre défendeur, le procureur général du Canada [le PGC] partage en partie l’avis de M. Jean Pierre et soutient également que les questions se rapportant au caractère équitable de la procédure suivie par la Commission pour décider de statuer ou non sur une plainte suivant le paragraphe 41(1) de la LCDP doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Panula c Canada (Procureur général), 2014 CanLII 13154 [Panula] au para 17; Boshra c Canada (Procureur général), 2011 CF 1128 [Boshra] au para 47; Khapar c Air Canada, 2014 CF 138 [Khapar] au para 45). Le PGC soumet cependant que la norme de la décision raisonnable est toutefois applicable à la décision de la Commission de statuer ou non sur une plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP et à ses conclusions de fait (Panula au para 16; Boshra au para 45; Khapar au para 46).

[22]           La Cour souscrit à l’opinion du PGC sur la norme de contrôle qui doit régir l’interprétation et l’application de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP. L’interprétation de cette disposition fait en effet partie du champ d’expertise de la Commission et la Cour a incidemment reconnu à plusieurs reprises qu’à cet égard, la Commission est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Khapar au para 46; Panula au para 16; Boshra au para 45).

[23]           Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) v Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers] aux para 30-34, la Cour suprême a confirmé que « [l]orsqu'un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (au para 30; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 54; Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), [2011] CSC 53 au para 18). Dans cette affaire, la Cour a notamment conclu que la question de l'observation d’un délai n'est pas de nature constitutionnelle et qu’elle n'a pas trait à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Alberta Teachers au para 33). Une question de délai vise précisément le régime administratif du tribunal et met en jeu des considérations et des conséquences qui relèvent bel et bien de l'expertise du tribunal dans son domaine spécialisé.

[24]           En l’espèce, le délai mentionné à l’alinéa 41(1)e) de la LCDP touche à la procédure d'enquête propre à la Commission et dont les commissaires ont une connaissance approfondie. Il ne fait aucun doute selon la Cour que ces considérations relèvent de l'expertise de la Commission, laquelle est axée sur la mise en équilibre des droits des parties, et qu’elles commandent donc le recours à la norme de la décision raisonnable.

[25]           Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les motifs d’une décision sont considérés raisonnables « s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Dunsmuir au para 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 16). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue et de déférence envers la décision du tribunal administratif et ne peut lui substituer ses propres motifs. Elle peut toutefois, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland Nurses au para 15).

[26]           Pour ce qui est des questions d’équité procédurale, il est bien établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). La Cour est d’accord avec M. Jean Pierre sur ce point. La question qui se pose alors n’est pas tant celle de savoir si la décision est correcte, mais plutôt de déterminer si, en bout de piste, le processus suivi par le décideur a été équitable (Majdalani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 294 au para 15; Krishnamoorthy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1342 au para 13).

E.                 Les questions préliminaires

[27]           Le PGC soulève deux questions préliminaires.

[28]           Premièrement, suivant la règle 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, SOR/98-106 [les Règles], le défendeur d’une demande de contrôle judiciaire devrait être la personne, autre que l’office fédéral, directement touchée par l’ordonnance recherchée. En l’instance, le PGC soumet que le défendeur devrait donc être Sa Majesté du chef du Canada (par l’entremise du PGC) comme représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Aussi, le PGC demande que l’intitulé de la cause soit modifié en conséquence.

[29]           La Cour partage l’avis du PGC sur cette question des parties au litige. Suivant la Règle 303(1)a), le défendeur directement touché par l’ordonnance recherchée est l’employeur de M. Jean Pierre. Puisque le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration figure à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11, il devrait être représenté par Sa Majesté du chef du Canada aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 dans le présent dossier. L’intitulé de la cause sera donc modifié en conséquence.

[30]           Dans un deuxième temps, le PGC soumet que plusieurs faits mentionnés dans l’affidavit de M. Jean Pierre, ainsi que des pièces jointes à son affidavit, n’ont pas été présentés à la Commission et ne font donc pas partie du dossier du tribunal. Par conséquent, ces pièces ne devraient pas être considérées par cette Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Plus particulièrement, le PGC s’oppose au dépôt des pièces CF-2, CF-3, CF-4, CF-5 (les 8 dernières pages), CF-13, CF-18, CF-19 et CF-21, qui n’étaient pas devant la Commission et ne font donc pas partie du dossier transmis à la Cour par la Commission aux termes des Règles 317 et 318.

[31]           La Cour ne partage pas entièrement la position du PGC et est d’avis que certains des documents présentés par M. Jean Pierre dans ce contrôle judiciaire devraient être acceptés et pris en compte par la Cour. Il est bien établi qu’en principe, le dossier de preuve qui doit être déposé devant la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a rendu sa décision. Il existe cependant un certain nombre d’exceptions à ce principe, notamment lorsque les éléments de preuve additionnels sont reliés à des allégations de violation de l’équité procédurale. En effet, lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est allégué, la Cour peut alors accepter des éléments de preuve qui peuvent l’aider pour déterminer la question (Khapar au para 65; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 au para 20).

[32]           M. Jean Pierre reconnaît que les pièces CF-18, CF-19 et CF-21 traitant de ses problèmes de santé et de rapports médicaux ont rapport avec la preuve que recherchait la Commission pour rendre sa décision sur le respect du délai d’un an par M. Jean Pierre et sur l’application de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP. Plus précisément, la pièce CF-18 est un rapport de l’organisme CHOC daté de septembre 2012 et faisant état de consultations psychologiques entreprises au cours de l’année 2012 par M. Jean Pierre auprès de cette entité. La pièce CF-19 regroupe différentes attestations médicales relatives à des incapacités de travailler de M. Jean Pierre en 2012. Enfin, la pièce CF-21 contient un avis médical relatif à deux jours d’absence en février. Ces pièces n’avaient pas été soumises au décideur par M. Jean Pierre, et elles ne peuvent donc faire partie du dossier devant la Cour pour déterminer le caractère raisonnable de la décision de la Commission sur l’interprétation de l’article 41(1)e) de la LCDP. Toutefois, la Cour considère que ces pièces sont aussi liées, à certains égards, aux arguments d’équité procédurale avancés par M. Jean Pierre. Ainsi, la Cour convient que les documents contenus aux pièces CF-2, CF-3, CF-18, CF-19 et CF-21 peuvent être considérés comme ayant été déposés par M. Jean Pierre en appui à ses allégations de violation des règles d’équité procédurale de la part de la Commission et, qu’à ce titre et dans ce contexte, ils peuvent être admissibles devant la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[33]           Cependant, d’autres pièces relatives au bien-fondé de la plainte de M. Jean Pierre ne touchent d’aucune façon à la question d’équité procédurale, et elles ne peuvent donc pas être considérées par la Cour aux fins de la présente demande. C’est le cas des pièces CF4, CF-5 (les 8 dernières pages) et CF-13.

III.             L’analyse

A.                La Commission a-t-elle manqué à son devoir d’agir équitablement à l’égard de M. Jean Pierre et de respecter les règles de l’équité procédurale dans le cadre de l’examen de sa plainte?

[34]           M. Jean Pierre soumet qu’à plusieurs reprises, la Commission n’a pas respecté son devoir d’équité procédurale, notamment en ne permettant pas de preuve documentaire à la première étape du processus de plainte et dans les observations sollicitées par la Commission pour évaluer l’applicabilité des alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP. De plus, suite à la production du rapport de l’enquêtrice, M. Jean Pierre pouvait soumettre des observations, mais la limite était alors de dix pages, incluant les pièces jointes, selon les normes mises en place par la Commission. M. Jean Pierre soumet qu’une offre sérieuse de documenter adéquatement ses observations aurait impliqué que la preuve soit complémentaire aux dix pages d’observations.

(1)               La position de M. Jean Pierre

[35]           M. Jean Pierre soutient que la procédure suivie par la Commission aurait dû être flexible et que la Commission aurait dû examiner les circonstances particulières de son cas (Sanofi-Synthelabo Canada Inc c Apotex Inc, 2005 CF 390; Ching-Chu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 855 au para 25; Djilal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 812 au para 36; Toussaint c Canada (Procureur général), 2010 CF 810 au para 54). M. Jean Pierre plaide qu’en suivant sa procédure avec rigidité et en limitant le nombre de pages des observations, la Commission a porté entrave à son droit à la liberté d’expression garanti par la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] et que la Commission n’a pas tenu compte de l’article premier de la Charte pour expliquer que la procédure était raisonnable (R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 aux para 63-71). M. Jean Pierre souligne que les considérations en matière de proportionnalité évoquées dans l’arrêt Oakes sont applicables dans le contexte administratif (Canadian Broadcasting Corporation c Warden of Bowden Institution, 2015 FC 173 aux para 36, 37, 38, 50). Il mentionne aussi que la Cour suprême s’est déjà prononcée sur l’importance qui doit être accordée à la liberté d’expression (Irwin Toy Ltd c Québec (Procureur général), [1989] 1 RCS 927 au para 105). M. Jean Pierre prétend qu’en raison de la limite de pages imposée par le Commission, il n’a pas pu présenter tous les faits pertinents à sa cause (Forster c Canada (Procureur général), 2006 CF 787 au para 78).

[36]           De plus, M. Jean Pierre se plaint du fait que la Commission a indiqué dans sa décision avoir eu des préoccupations au niveau de la preuve documentaire soumise tout en répétant à plusieurs reprises qu’aucune preuve n’était nécessaire à l’étape initiale du filtrage des plaintes faites à la Commission. Au surplus, selon M. Jean Pierre, la Commission ne l’a pas informé de ses réserves et ne lui a pas laissé la chance de faire de pleines observations (Standinghorn c Atcheynum, 2007 CF 1137 [Standinghorn] aux para 28-29, 40; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1023 [Kaur] au para 20; Itota c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1058 [Itota] au para 10; Keqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 388 [Keqaj] au para 58). M. Jean Pierre ajoute qu’il avait une attente légitime qu’aucune preuve n’était nécessaire à cette étape initiale du processus de la Commission (Apotex Inc c Canada (Procureur général), [2000] 4 RCF 264 au para 123).

[37]           M. Jean Pierre prétend enfin que la Commission n’a pas rencontré les facteurs de l’arrêt Baker quant à l’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 22-28). La Commission aurait dû tenir pour avérés les faits allégués par M. Jean Pierre (Love c Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, 2014 CF 643 aux para 14, 31, 51, 66). Somme toute, dit M. Jean Pierre, la Commission ne pouvait rejeter la plainte que si son irrecevabilité était manifeste et évidente (Bredin c Canada (Procureur général), 2006 CF 1178 aux para 23-24 et 42 [Bredin CF]). Compte tenu des nombreux actes abusifs et dérogatoires de la Commission, ses décisions et omissions constituent selon M. Jean Pierre un abus de pouvoir (Brown c Canada (Procureur général), 2009 CF 758 au para 34).

[38]           La Cour ne partage pas l’avis de M. Jean Pierre et conclut plutôt que la Commission n’a pas manqué à son devoir d’agir équitablement envers M. Jean Pierre. « Selon la common law, le tribunal administratif doit, pour atteindre un niveau minimal d'équité procédurale, respecter au moins trois exigences: informer la partie de la preuve qu'elle doit réfuter, offrir la possibilité de faire des observations et présenter un décideur impartial » (Standinghorn au para 40). En l’espèce, la Commission a respecté chacun de ces critères.

[39]           M. Jean Pierre a bénéficié de deux possibilités distinctes de fournir des informations après avoir été informé que les alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP pourraient s’appliquer à sa plainte. Une première fois après la lettre de la Commission du 15 août 2013 lui demandant son énoncé de position et sa preuve sur ces alinéas dans le cadre de l’enquête de Madame Audet; puis une seconde fois après la réception du rapport de l’enquêtrice du 12 février 2014. À chaque fois, M. Jean Pierre y a donné suite, d’abord avec sa lettre du 24 septembre 2013, puis avec ses soumissions du 9 juin 2014.

(2)               Les observations et soumissions de M. Jean Pierre

[40]           Pour ce qui est des représentations qui ont précédé le rapport de Madame Audet, la Commission a d’abord indiqué à M. Jean Pierre qu’il devait limiter son énoncé de position et sa preuve envoyée à l’enquêtrice aux éléments visés par les alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP. L’invitation envoyée par la Commission lui indiquait clairement quels étaient les soucis de la Commission à cette étape initiale du processus de plainte (Kaur au para 20; Itota au para 10; Keqaj au para 58). Les consignes de la Commission à ce stade de la procédure étaient claires : M. Jean Pierre devait fournir l’information et la preuve documentaire requise par rapport aux alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP. Sans plus. Le fardeau de fournir des explications satisfaisantes pour expliquer le retard de la plainte et convaincre la Commission d’accepter de statuer sur sa plainte incombait à M. Jean Pierre (Bredin c Canada (Procureur général), 2008 CAF 360 [Bredin CAF] au para 18). Il est d’ailleurs acquis et établi que la Commission n’examine ni les questions de fond sur la discrimination ni le bien-fondé du dossier à cette étape préliminaire d’une plainte (Good c Canada (Procureur général), 2005 CF 1276 au para 21; Khapar au para 64). En fait, les limites imposées par la Commission n’avaient pas pour effet de restreindre les observations et la preuve documentaire qui pouvaient être mises de l’avant par M. Jean Pierre pour répondre à la question de savoir si les alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP trouvaient application à son cas.

[41]           M. Jean Pierre a répondu à cette invitation de la Commission en déposant sa lettre du 24 septembre 2013. Il est vrai que, dans ses instructions sur l’énoncé de position, la Commission indiquait qu’elle ne tiendrait pas compte des preuves liées aux allégations concernant le bien-fondé de la plainte et la discrimination soulevée par M. Jean Pierre. M. Jean Pierre pouvait cependant déposer de la preuve liée aux alinéas 41(1)a), d) et e), et notamment à la question du délai, tant qu’il respectait les balises imposées par la Commission.

[42]           Pour ce qui est des représentations qui suivaient le rapport de l’enquêtrice, les instructions démontraient que M. Jean Pierre pouvait inclure des pièces jointes avec ses représentations, sous réserve de la limite de dix pages imposée par la Commission à cette étape. Cette Cour a confirmé que la procédure de la Commission qui restreint ainsi la longueur des observations écrites à ce stade du processus de plainte est raisonnable (Donoghue c Ministre de la Défense nationale, 2010 CF 404 [Donoghue] au para 28; Boshra aux para 50-52). De telles consignes ne soulèvent pas de problème d’équité procédurale.

[43]           Ainsi, dans les faits, M. Jean Pierre a effectivement pu soumettre des observations avant comme après la réception de la version finale du rapport de Madame Audet. La Commission a appliqué à la plainte de M. Jean Pierre sa procédure habituelle et sa politique interne usuelle. En l’espèce, la Cour est d’avis que ces deux possibilités offertes à M. Jean Pierre étaient amplement suffisantes pour respecter l’équité procédurale et ne constituent pas un abus de pouvoir.

[44]           La Cour ne partage pas l’opinion de M. Jean Pierre à l’effet qu’il ait été « bâillonné » par le processus de la Commission. Certes, dans ses observations suite au rapport de Madame Audet, M. Jean-Pierre n’a pu présenter que dix pages de soumissions au lieu des 38 pages qu’il avait initialement envoyées en mars 2014. Cela représentait plus de 50 paragraphes de soumissions à élaguer selon M. Jean Pierre. Cependant, il n’apparaît pas, selon la Cour, qu’en étant limité à dix pages, M. Jean Pierre n’ait pas pu faire valoir les arguments et déposé les éléments nécessaires pour répondre aux questions que devait considérer la Commission aux termes des alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP. Le fait que M. Jean Pierre n’ait pas pu présenter de documents sur le fond de sa plainte de discrimination ne signifie pas qu’il n’a pas pu présenter de documents relatifs aux questions soulevées par ces trois alinéas. D’ailleurs, M. Jean Pierre n’a pas démontré, dans ses représentations devant cette Cour, quels arguments il avait été somme toute empêché de faire valoir suite à la réduction de ses soumissions de 38 à dix pages. Le degré d’élaboration et de détail était certes différent, et certains des paragraphes rédigés initialement par M. Jean Pierre ont dû être amputés dans ses soumissions du 9 juin 2014, mais la Cour est satisfaite que M. Jean Pierre a eu l’opportunité de faire ses observations et de se faire entendre.

(3)               La condition médicale de M. Jean Pierre

[45]           Par ailleurs, au niveau de sa situation médicale et de ses problèmes de santé, M. Jean Pierre avait indiqué dans sa lettre du 24 septembre 2013 et dans ses soumissions du 9 juin 2014 qu’il avait eu deux sévères dépressions totalisant trois mois d’incapacité et qu’il avait consulté le groupe d’intervention CHOC. La preuve supplémentaire présentée par M. Jean Pierre dans le cadre de ce contrôle judiciaire ne démontre pas un manquement à l’équité procédurale. Devant cette Cour, M. Jean Pierre a soumis de nouveaux certificats médicaux et de thérapie (pièces CF-18, CF-19 et CF-20), mais l’information qu’ils contiennent reprend essentiellement ce qui était déjà devant la Commission et disponible au moment de l’enquête de Madame Audet. D’ailleurs, tant le rapport de Madame Audet que la décision de la Commission font référence aux problèmes de santé de M. Jean Pierre.

[46]           Dans ses représentations du 24 septembre 2013 et du 9 juin 2014, M. Jean Pierre a ainsi eu l’opportunité de faire valoir ses arguments sur le fait que le dernier acte discriminatoire allégué ne remontait pas à octobre 2011 et qu’il n’avait selon lui pris connaissance de propos qualifiés de discriminatoires et calomnieux de mesdames Giroux et Clément que le 25 mai 2012. La Commission a tenu compte des observations de M. Jean Pierre mais n’y a pas souscrit. La Commission a plutôt adopté les conclusions du rapport de l’enquêtrice Madame Audet sur la date du dernier des faits discriminatoires sur lequel la plainte était fondée. L’alinéa 41(1)e) parle de « faits sur lesquels » est fondée la plainte, et le dernier de ces faits présenté par M. Jean Pierre est survenu en octobre 2011, selon l’enquêtrice. Madame Audet a donc reçu et mentionné les représentations de M. Jean Pierre au sujet de mai 2012, mais elle ne les a pas retenues et en a expliqué les raisons dans sa décision. Il n’y a pas ici d’atteinte à l’équité procédurale.

(4)               Autres arguments de M. Jean Pierre

[47]           M. Jean Pierre soumet qu’il avait une attente légitime qu’aucune preuve n’était nécessaire. Cependant, les instructions de la Commission ne disaient pas qu’aucune preuve n’était requise; elles stipulaient plutôt que la preuve n’était pas nécessaire uniquement en ce qui concerne les allégations concernant la discrimination et les droits de la personne. Il est en effet établi dans la jurisprudence que la Commission n’examine pas le bien-fondé de la plainte à cette étape préliminaire (Good au para 21; Khapar au para 64). M. Jean Pierre avait toutefois tout le loisir de présenter de la preuve liée aux alinéas 41(1)a), d) et e) de la LCDP, en suivant la procédure et les limites de pages établies par la Commission. Que M. Jean Pierre ait mal compris ou mal interprété les instructions de la Commission au niveau de son énoncé de position à déposer dans le cadre de la préparation du rapport d’enquête ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale de la part de la Commission.

[48]           M. Jean Pierre avance par ailleurs que la Commission devait tenir pour avérées l’ensemble de ses observations jusqu’à preuve du contraire (Love aux para 14, 31, 51, 66). La Cour n’est pas d’accord. Dans cette décision citée par M. Jean Pierre, la Cour indique que ce sont les allégations de faits articulées dans la plainte qui doivent être présumées vraies et être tenues pour avérées (Love au para 31). Ce ne sont pas les observations formulées dans le cadre de l’enquête en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP. Or, l’enquêtrice et la Commission ont tenu pour avérés les faits sur lesquels la plainte de M. Jean Pierre était basée, mais non les explications données par M. Jean Pierre pour ne pas avoir respecté le délai d’un an. Aussi, la Commission n’a pas commis d’erreur en ce sens. Elle ne s’est tout simplement pas prononcée sur la véracité des faits contenus dans la plainte de M. Jean Pierre. Elle a plutôt déterminé que ses explications relatives au délai dans lequel il a déposé sa plainte n’étaient pas acceptables. Son pouvoir discrétionnaire de décider ou non de statuer sur une plainte rendait cette option ouverte et il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale dans ce contexte.

[49]           La Cour reconnaît qu’il est possible, dans certains cas, qu’un décideur administratif se trouve à restreindre son pouvoir discrétionnaire en refusant de l’exercer (Ching-Chu au para 25; Djilal au para 36; Toussaint au para 54; Brown au para 34). Cependant, dans le cas présent, ce n’est pas ce que la Commission a fait puisque le but ultime de l’enquête était de déterminer si elle devait ou non statuer sur la plainte de M. Jean Pierre. La Commission a examiné les circonstances uniques de l’affaire avant de prendre sa décision et de fournir des explications pour lesquelles elle n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire. La Commission a fait mention des observations écrites de M. Jean Pierre reprises dans le rapport de Madame Audet. Il faut encore une fois rappeler que M. Jean Pierre a eu plusieurs possibilités de présenter des observations écrites à la Commission et de présenter les faits pertinents (Fortster au para 78), avant et après le rapport de Madame Audet.

[50]           M. Jean Pierre soulève enfin une atteinte à sa liberté d’expression, un droit garanti par la Charte. Il fait valoir qu’en décidant si une décision administrative enfreint un droit de la Charte, « the reasonableness analysis is one that centres on proportionality, that is, on ensuring that the decision interferes with the relevant Charter guarantee no more than is necessary given the statutory objectives. If the decision is disproportionately impairing of the guarantee, it is unreasonable » (Canadian Broadcasting Corporation at para 37). En l’espèce, la jurisprudence a déjà établi que la procédure suivie par la Commission au niveau de la recevabilité d’une plainte n’enfreint pas l’équité procédurale. Il va donc de soi qu’elle n’enfreint pas le droit à la liberté d’expression.

[51]           Une limite de pages imposée par un organisme administratif ne saurait être considérée comme une limite déraisonnable à la liberté d’expression. En effet, il n’y a pas d’atteinte à la liberté d’expression lorsqu’un demandeur peut (comme c’est le cas ici) s’exprimer plusieurs fois devant la Commission, même s’il doit le faire dans un cadre précis. Le droit de répondre et l’équité procédurale demeurent assujettis à l’autorité d’un tribunal administratif de rester maître de ses propres procédures (Beno v Canada (Attorney General), 2002 FCT 142 au para 101; Baier v Alberta, 2007 SCC 31 au para 20; Montréal (Ville) c 2952-1366 Inc, 2005 SCC 62, au para 79). Dans To-Thanh-Hien v Canada (Attorney General), 2004 FC 1497 au para 50, la Cour a conclu que [i]t is clear that the Applicant had the opportunity to respond to the Supplementary Investigation Report. The fact that she was not permitted to augment her response does not change that fact. A tribunal is entitled to establish limits on what it will accept, as an aspect of managing its own procedures.” D’ailleurs, dans Boshra, la Cour a reconnu que le fait pour la Commission de limiter la longueur des observations du demandeur n’est pas contraire à l’équité procédurale (Boshra aux para 50-52).

[52]           Pour toutes ces raisons, la Cour conclut qu’il n’y pas eu d’atteinte aux règles de l’équité procédurale dans la décision de la Commission. Le dossier du tribunal ne permet pas de conclure que M. Jean Pierre n’a pas été en mesure de soumettre sa position à la Commission de façon efficace.

B.                 La décision de la Commission de déclarer la plainte de M. Jean Pierre irrecevable est-elle déraisonnable?

[53]           M. Jean Pierre soumet par ailleurs que la décision de la Commission est déraisonnable. Premièrement, M. Jean Pierre prétend que, dans ses motifs, la Commission aurait dû expliquer pourquoi elle était d’accord avec le rapport de l’enquêtrice et qu’elle avait pris en considération les contestations de M. Jean Pierre. Ce manque d’explication a un impact négatif sur le caractère transparent, l’intelligibilité et le caractère raisonnable de la décision (Dunsmuir au para 47; Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 834, au para 18; Baker aux para 38-39; Turner c Canada (Procureur général) 2012 CAF 159 [Turner] aux para 43, 45; Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969 [Herbert] aux para 26-27).

[54]           Deuxièmement, M. Jean Pierre soumet que l’interprétation par la Commission de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP est déraisonnable car elle impose que la date de computation du délai d’un an commence le jour où la dernière faute discriminatoire est commise. Or, selon M. Jean Pierre, le délai devrait plutôt être mesuré à partir de la prise de connaissance de l’existence d’une faute par le justiciable (Van Vlymen c Canada, 2011 CF 909 [Van Vlymen] aux para 5-12; Banque de Montréal c Bail Ltée, [1992] 2 RCS 554 au para 99). M. Jean Pierre soumet de plus que la plainte a été présentée dans les délais légaux en raison de la suspension de la prescription des délais prévus à l’article 2904 du Code civil du Québec (Caisse Desjardins de St-Hubert c Canada (Procureur général), 2014 CF 779 au para 31). Enfin, aux dires de M. Jean Pierre, la Commission a entravé son pouvoir discrétionnaire et n’a pas eu l’esprit ouvert en ne tenant pas compte de l’ensemble des facteurs pertinents qui lui aurait permis de considérer le prolongement du délai en l’espèce (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 42).

[55]           La Cour n’est pas de cet avis. La Cour est plutôt satisfaite que les motifs de la Commission en l’espèce étaient suffisants et ne rendent pas déraisonnable la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte de M. Jean Pierre. Bien que la Cour n’aurait peut-être pas tiré la même conclusion, la Cour est aussi d’avis que la preuve est suffisante pour appuyer les conclusions de la Commission et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée dans les circonstances.

(1)               La suffisance des motifs

[56]           La Cour conclut d’abord que les motifs de la Commission étaient suffisants en l’espèce et ne rendent pas la décision déraisonnable. Puisque la décision envoyée à M. Jean Pierre par la Commission le 29 août 2014 était très courte et adoptait la recommandation du rapport de l’enquêtrice Madame Audet, la Cour peut, aux fins de ce contrôle judiciaire, considérer que le rapport de l’enquêtrice fait partie du raisonnement et des motifs de la Commission (Arias c Gendarmerie royale du Canada, 2014 CanLII 13155 [Arias] au para 13; Rhéaume c Canada (Procureur général), 2007 CF 919 [Rhéaume] au para 26; Khapar au para 73; Boshra au para 48; Bredin CF au para 57).

[57]           L’arrêt Newfoundland Nurses de la Cour suprême précise que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au para 14). La Cour ne doit donc pas substituer ses motifs pour ceux de la Commission, mais doit plutôt examiner le contenu du dossier pour apprécier le caractère raisonnable de la décision. En d’autres termes, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses au para 16). La norme qu’il convient d’appliquer est le caractère raisonnable, et non le caractère parfait de la décision.

[58]           La Cour est d’avis que, considérée dans son ensemble, la décision de la Commission a tenu compte de tous les facteurs pertinents et est étayée par une explication tout à fait raisonnable à la lumière de la preuve. Elle permet de voir le mode d’analyse par lequel l’enquêtrice et la Commission sont arrivées à leur conclusion. À ce titre, les motifs de la décision sont transparents, intelligibles et reflètent un examen de l’ensemble de la preuve au dossier.

[59]           Certes, la jurisprudence a établi que « la Commission doit faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si une plainte mérite un examen plus approfondi » (Khapar au para 46). De plus, « la Commission ne devrait refuser de statuer sur une plainte que dans les cas les plus évidents, étant donné que la décision rendue par la Commission à l’étape de l’examen préalable met un terme à la plainte » (Khapar au para 46). Par contre, la Commission jouit aussi d’« un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider dans quel cas elle peut refuser de statuer sur une plainte à cette étape préliminaire » (Khapar au para 46).

[60]           Dans le cas de M. Jean Pierre, les motifs et le dossier de la Commission permettent à la Cour de comprendre pourquoi celle-ci a décidé de ne pas statuer sur la plainte logée par M. Jean Pierre. La Commission y énonce que les explications fournies par M. Jean Pierre ne démontrent pas qu’il a fait tout ce qu’une personne raisonnable ferait dans les circonstances pour instruire la plainte et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve sur son état de santé précédant le dépôt de la plainte. Il n’y a rien qui indique que la Commission ait omis d’examiner des observations ou des arguments mis de l’avant par M. Jean Pierre (Turner au para 43; Herbert aux para 26-27).

(2)               Les conclusions de la Commission

[61]           Il est aussi manifeste de la décision que la Commission a pris en compte le rapport de l’enquêtrice et les observations des parties. Madame Audet a examiné mais rejeté les arguments de M. Jean Pierre. M. Jean Pierre a laissé sous-entendre qu’il existait un autre incident après le 25 mai 2012, mais qu’il ne pouvait pas le révéler. L’enquêtrice l’a noté dans son rapport mais ne pouvait donc pas en tenir compte faute de preuve. L’enquêtrice a aussi pris note des représentations de M. Jean Pierre voulant qu’il n’ait pas pris connaissance du dernier acte discriminatoire avant le 25 mai 2012, mais ne les pas retenues. Elle a expliqué que le fait de recevoir des documents ou des informations suite à sa demande d’accès à l’information ne constitue pas un acte discriminatoire en tant que tel. Cette conclusion n’est pas déraisonnable. En effet, les faits visés par les documents reçus par M. Jean Pierre remontaient à l’automne 2011 et aux agissements reprochés à mesdames Giroux et Clément, que M. Jean Pierre connaissait fort bien. Les faits identifiés par l’enquêtrice lui permettaient ainsi de conclure que le dernier acte discriminatoire remontait plutôt à octobre 2011. La Cour considère que cette conclusion est raisonnable et trouve appui dans la preuve.

[62]           Madame Audet aurait peut-être pu référer avec plus de détails à certaines mentions faites par M. Jean Pierre dans sa lettre du 24 septembre 2013 au sujet d’événements qui auraient eu lieu après mai 2012 (par exemple, le travail clérical que M. Jean Pierre aurait été appelé à faire et le refus de ses supérieurs d’accepter une recommandation d’un superviseur). Cependant, le fait que Madame Audet n’ait pas expressément mentionné ces éléments dans son rapport ne signifie pas qu’elle ne les a pas considérés. Un tribunal administratif est présumé avoir considéré toute la preuve dans le dossier et il n’a aucune obligation de la commenter en détail (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36). De même, un tribunal administratif n’a pas l’obligation de mentionner chacun des arguments soulevés par les parties ou de référer à chaque élément qui les compose (Newfoundland Nurses au para 16). De plus, la Cour observe que ces références faites par M. Jean Pierre demeuraient vagues et générales, tant en ce qui concerne le contenu des actes allégués que le moment où ces faits se seraient produits.

(3)               La computation du délai d’un an

[63]           La Cour ne partage pas l’avis de M. Jean Pierre voulant qu’il ait été déraisonnable de la part de la Commission de débuter la computation du délai d’un an en octobre 2011, au moment où le dernier acte discriminatoire se serait déroulé. Certes, ce n’est pas dans toutes les situations qu’un plaignant sera au courant de l’acte discriminatoire au moment où celui-ci se produit. Dans certains cas, même si un acte s’est déroulé dans le passé, le fait auquel se réfère la LCDP pour déclencher le délai pourrait naître à partir du moment où la personne qui est en mesure de déposer la plainte en prend connaissance.

[64]           En l’espèce toutefois, l’enquêtrice a conclu, sur la foi des éléments décrits par M. Jean Pierre au soutien de sa plainte, que le dernier acte discriminatoire pertinent aurait eu lieu en octobre 2011 et non à la date de réception de documents suite à sa demande d’accès à l’information. L’enquêtrice ajoute que, lorsqu’un plaignant prend connaissance d’un acte discriminatoire après les faits, la date de discrimination est le moment où le plaignant aurait dû savoir qu’il était victime de discrimination. Dans le cas de M. Jean Pierre, la preuve démontrait que M. Jean Pierre décrivait et faisait référence à une situation de discrimination qui durait depuis plusieurs années et qui l’avait amené à prendre plusieurs recours parallèles depuis 2009. Les documents révélés par la demande d’accès à l’information corroboraient cet état de choses et renvoyaient d’ailleurs à la période de l’automne 2011 et aux comportements de mesdames Giroux et Clément qui avaient déjà amené M. Jean Pierre à déposer des recours à leur égard. Selon l’enquêtrice, M. Jean Pierre « aurait dû savoir avant mai 2012 qu’il faisait peut-être l’objet de pratiques discriminatoires. En fait, il est clair qu’il réalise qu’il y a un problème au travail avant mai 2012, car il dépose des griefs contre le [CIC] et plusieurs plaintes auprès du TDFP et de la CRTFP à partir de 2009 ». L’enquêtrice précise qu’il ne semble pas que « le plaignant ait reçu de l’information supplémentaire sur ses allégations de discrimination qu’il n’aurait pas dû savoir au préalable en mai 2012 ».

[65]           D’ailleurs, M. Jean Pierre avait, dans le cadre d’un de ses recours déposés devant le TDFP, allégué avoir été l’objet de discrimination de la part de mesdames Giroux et Clément et du comité d’évaluation pour le poste qu’il convoitait. Dans ces circonstances, la Cour est d’avis que la conclusion de la Commission et de l’enquêtrice est raisonnable et trouve appui dans les éléments de preuve devant le décideur. Il était ainsi loisible pour l’enquêtrice et la Commission de conclure que le dernier fait discriminatoire remontait à octobre 2011 et que M. Jean Pierre avait connaissance des éléments factuels pertinents au sujet de ces actes discriminatoires. Il a peut-être appris, en obtenant la réponse à sa demande d’accès à l’information en mai 2012, de nouveaux renseignements sur les agissements de l’automne 2011; mais cela ne fait pas de cette réponse un nouveau fait discriminatoire au sens de la LCDP. Selon la Cour, il n’était donc pas déraisonnable pour l’enquêtrice d’écrire que M. Jean Pierre aurait dû savoir avant mai 2012 qu’il y avait des actes discriminatoires à son endroit. Ce n’est pas une situation similaire aux décisions en matière de prescription auxquelles réfère M. Jean Pierre, où les plaignants ne connaissaient pas la situation donnant ouverture au recours qu’ils souhaitaient entreprendre (Van Vlymen aux para 5-12).

[66]           Le rapport de l’enquêtrice contient plusieurs commentaires qui supportent les raisons pour lesquelles M. Jean Pierre aurait dû être au courant des faits discriminatoires et aurait dû loger sa plainte avant mai 2013. La Cour ne considère pas qu’il s’agit de spéculation mais est plutôt d’avis que ce sont des conclusions raisonnables en regard de la preuve dont Madame Audet disposait. L’irrecevabilité de la plainte de M. Jean Pierre était suffisamment manifeste et évidente (Bredin CF au para 24).

(4)               La date de dépôt de la plainte de M. Jean Pierre

[67]           Par ailleurs, même si la Cour supposait que la réception de la réponse à la demande d’accès à l’information de mai 2012 constituait effectivement le dernier fait discriminatoire allégué au sens de la LCDP, M. Jean Pierre a quand même déposé sa plainte au-delà du délai maximal d’un an à partir de cette date plus tardive. En effet, sa lettre du 23 mai 2013 ne constituait pas une plainte selon la Commission, et la plainte de M. Jean Pierre n’a été effectivement reçue qu’en date du 9 juillet 2013. Elle ne respectait donc pas, elle non plus, le délai d’un an car elle a été déposée plus de six semaines trop tard.

[68]           Or, il était encore une fois raisonnable pour l’enquêtrice et pour la Commission de déterminer que la plainte en format acceptable n’a été déposée que le 9 juillet 2013 par M. Jean Pierre. En l’espèce, même si la Cour ne serait peut-être pas arrivée à la même conclusion, il était loisible pour la Commission de déterminer qu’elle n’a véritablement reçu la plainte de M. Jean Pierre que le 9 juillet 2013, soit après l’expiration du délai d’un an. Dans l’affaire Good, la Cour a d’ailleurs indiqué, en discutant de la décision Johnston c Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2004 CF 918, que « la date à laquelle la demanderesse a communiqué pour la première fois avec la Commission pour l’informer de son éventuelle intention de porter plainte, n’empêche pas le délai d’un an de continuer de courir » (Good au para 26). De plus, dans Rhéaume, au paragraphe 33, la Cour a déterminé qu’une simple correspondance antérieure avec la Commission au sujet de l’intention de la demanderesse à déposer une plainte ne constituait pas une plainte au sens de la LCDP.

[69]           En l’espèce, la Commission a raisonnablement conclu que la plainte officielle de M. Jean Pierre a été reçue le 9 juillet 2013 (au moment où il a complété les exigences usuelles pour une telle plainte) et non le 23 mai 2013 (lorsque la lettre de M. Jean Pierre ne contenait pas toutes les informations nécessaires à une plainte en forme acceptable pour la Commission). La plainte doit être dans une forme acceptable pour la Commission (Rhéaume aux para 33, 37), et il appartenait à M. Jean Pierre de se conformer à cette exigence. Il est clair dans les circonstances que la Commission n’a pas reconnu la lettre du 23 mai 2013 comme une plainte acceptable.

[70]           Donc, même en épousant les dates de M. Jean Pierre, la plainte de M. Jean Pierre était aussi hors délai aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP.

[71]           M. Jean Pierre soutient aussi que la Commission aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur la plainte malgré son retard. La Commission a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances. Encore une fois, il lui était loisible de le faire. La Cour est satisfaite que cette décision ne peut être qualifiée de déraisonnable puisque la Commission a pris en compte les observations et explications de M. Jean Pierre mais ne les a simplement pas acceptées. La décision de la Commission à ce chapitre est étayée par des motifs et elle appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir au para 47). Une fois encore, même si la Cour pourrait avoir préféré une conclusion différente, ce n’est pas suffisant pour rendre déraisonnable celle de la Commission.

[72]           L’enquêtrice a aussi fait mention, dans son rapport, des propos de M. Jean Pierre indiquant que sa situation au travail lui causait des problèmes de santé. Et dans sa décision, la Commission a référé expressément aux problèmes de santé de M. Jean Pierre mais a ajouté que la preuve était insuffisante pour conclure que cet état de santé l’avait empêché de porter plainte à la Commission. Ainsi, tant l’enquêtrice que la Commission ont examiné l’allégation de M. Jean Pierre à l’effet qu’il était en situation d’incapacité pendant une partie de la période précédant le dépôt de sa plainte, mais elle ne l’a pas retenu. En l’absence de preuves de la part de M. Jean Pierre à l’effet que cette incapacité affectait son aptitude à déposer une plainte dans les délais prescrits, cette conclusion n’était pas déraisonnable. Il est en effet bien établi qu’il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve et de soupeser à nouveau sa valeur probante dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Gandhi au para 70).

[73]           La Commission a considéré les facteurs pertinents en prenant sa décision. Même si M. Jean Pierre prétendait avoir seulement pris connaissance du dernier acte discriminatoire le 25 mai 2012, il était raisonnable que l’enquêtrice détermine que ce facteur n’était pas de nature à justifier une prorogation puisque M. Jean Pierre avait tout de même travaillé à résoudre ses difficultés au travail. L’enquêtrice n’a pas accepté l’explication de M. Jean Pierre qu’il avait peur de représailles de la part de son employeur puisque c’était le 4e recours qu’il exerçait à l’encontre de son employeur eu égard aux allégations de discrimination dont il se prétend victime (et notamment aux agissements de mesdames Giroux et Clément). M. Jean Pierre avait en effet déposé des recours devant le CRTFP et devant le TCDP, tel que l’a noté Madame Audet dans son rapport. La Cour n’est pas persuadée que la conclusion de l’enquêtrice et de la Commission à cet égard ne fait pas partie des issues possibles et acceptables dans les circonstances.

[74]           D’ailleurs, l’utilisation d’un autre recours n’absout pas un plaignant de ses responsabilités de déposer une plainte dans les délais prescrits (Arias au para 14).

[75]           Enfin, M. Jean Pierre ne peut pas prétendre à la suspension de son recours aux termes de l’article 2904 du Code civil du Québec. En effet, M. Jean Pierre ne peut pas avancer ce nouvel argument voulant que sa plainte aurait été déposée dans les délais légaux en raison de la suspension de la prescription des délais prévue à cet article 2904 du Code civil du Québec puisqu’il n’a pas soulevé cet argument devant la Commission (Alberta Teachers au para 22). Il est forclos de le faire devant cette Cour.

[76]           La Cour est donc d’avis qu’à la lumière de la preuve dont la Commission disposait, la décision de ne pas statuer sur la plainte de M. Jean Pierre fait partie des issues raisonnables possibles en regard des faits et du droit.

IV.             Conclusion

[77]           Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Jean Pierre est rejetée. La décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte de M. Jean Pierre est transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, dans le processus, la Commission a respecté les règles de l’équité procédurale envers M. Jean Pierre.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens.
  2. L’intitulé de la cause est modifié pour remplacer « Citoyenneté et Immigration Canada » par « Canada (Procureur général) » à titre de partie défenderesse.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2038-14

INTITULÉ :

GANDHI JEAN PIERRE c CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

mONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 juin 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 29 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Gandhi Jean Pierre

Pour le demandeur

Se représente seul

Me Chantal Labonté

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gandhi Jean Pierre

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Se représente seul

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 



[1] La lettre de M. Jean Pierre porte la date du 5 juin 2013 mais celui-ci a reconnu à maintes reprises que la date aurait effectivement dû être le 5 juillet 2013.

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