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Date : 20151221


Dossier : IMM-784-15

Référence : 2015 CF 1406

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ROLA EL DOR

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   L’aperçu

[1]               La demanderesse Madame Rola El Dor est une citoyenne libanaise. Elle dépose une demande de visa de résidence permanente dans la catégorie « travailleur qualifié sélectionné par le Québec » en vue de s’établir au Canada avec son mari et leurs deux fils mineurs, Rayan et Jad. En octobre 2013, dans le cadre de l’examen de la demande de Madame El Dor, un médecin désigné par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration effectue une évaluation de l’état cognitif de Jad, qui est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme. Le médecin évaluateur conclut à un résultat de 11/30, ce qui correspond à une atteinte cognitive modérée à sévère. Ces conclusions sont reprises dans le rapport du médecin examinateur de juin 2014.

[2]               Dans une lettre datée du 4 juillet 2014 [lettre d’équité], les autorités canadiennes avisent Madame El Dor de leurs conclusions sur la condition de Jad, soit un diagnostic de trouble envahissant de la personnalité du spectre autistique. La lettre informe Madame El Dor qu’au Canada, Jad devrait être pris en charge par une équipe médicale multidisciplinaire, à un coût annuel estimé à 43 068 $. Jad risque donc d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada. En réponse à la lettre d’équité, Madame El Dor dit avoir envoyé aux autorités canadiennes une lettre accompagnée notamment de rapports scolaires de Jad, d’un rapport du médecin traitant de Jad au Liban contestant l’évaluation médicale, et d’un plan de vie détaillé pour la prise en charge des soins requis par Jad.

[3]               En novembre 2014, un agent du service des visas de l’ambassade du Canada en Roumanie [l’agent] rejette la demande de visa de Madame El Dor au motif que son fils Jad constituerait un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé du Canada aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[4]               Madame El Dor demande aujourd’hui le contrôle judiciaire de cette décision de l’agent refusant sa demande. Elle plaide qu’en rendant sa décision, l’agent a ignoré la preuve déposée par Madame El Dor et n’a pas respecté les règles de l’équité procédurale. Elle soutient également que le médecin examinateur retenu par le ministre a erré dans son appréciation de la preuve et de la condition de Jad, et que son plan de mitigation n’a pas été correctement analysé. Elle demande à la Cour d’annuler la décision de l’agent et de retourner le dossier au ministre pour que sa demande soit réévaluée à la lumière de tous les éléments soumis.

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

  • Est-ce que la décision de l’agent a été prise en ignorance de la preuve et a enfreint les règles de l’équité procédurale?
  • Est-ce que la décision doit être annulée en raison du caractère incomplet du dossier certifié du tribunal [DCT]?
  • Est-ce que le médecin examinateur a erré en ignorant une partie de la preuve soumise et en procédant à une appréciation généralisée de la condition de Jad?
  • Est-ce que les décideurs ont fait défaut de procéder à une analyse individualisée du plan de mitigation soumis par Madame El Dor et de motiver son rejet?
  • Est-ce que l’agent a contrevenu aux normes de l’équité procédurale en n’envoyant pas une deuxième lettre d’équité?

[6]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Madame El Dor doit échouer car la Cour conclut que l’agent n’a commis aucune entorse aux règles de l’équité procédurale, que le médecin examinateur a considéré l’ensemble de la preuve et la condition particulière de Jad, et que la décision de l’agent refusant la demande pour des motifs sanitaires fait partie des issues possibles acceptables dans les circonstances.

II.                Le contexte

A.                Les faits

[7]               Suite au dépôt de la demande de visa de résidence permanente de Madame El Dor, un examen de l’état cognitif de son fils mineur Jad révèle un diagnostic de trouble envahissant de la personnalité du spectre autistique active, et une atteinte cognitive modérée à sévère. Le médecin examinateur retenu par le ministre, Dr. Patrick Thériault, émet une opinion médicale à cet effet en juin 2014. Dans la lettre d’équité envoyée par l’agent en juillet 2014, les autorités canadiennes avisent Madame El Dor de leurs conclusions sur la condition de Jad et l’informent que Jad devra être pris en charge par une équipe médicale multidisciplinaire de spécialistes. Puisque le coût prévu des services liés à l’état de santé de Jad est estimé à 43 068 $ annuellement, Jad risque ainsi de constituer un fardeau excessif pour les services de santé au Canada.

[8]               La lettre d’équité invite Madame El Dor à fournir des renseignements supplémentaires quant aux troubles de santé de Jad, aux services sociaux requis par ce dernier une fois au Canada, ainsi qu’un plan personnalisé visant à garantir qu’il ne constituerait pas un fardeau pour les services sociaux canadiens, accompagné d’une déclaration de capacité et d’intention.

[9]               En réponse à la lettre d’équité, Madame El Dor dit avoir fait parvenir plusieurs documents à la section des visas de l’ambassade du Canada à Bucarest, par l’entremise d’une lettre datée du 6 octobre 2014 envoyée par son avocate au Liban, Me Chelhot. Me Chelhot y référait notamment à une lettre datée du 26 septembre 2013 émanant du Dr. Joseph Dib, médecin traitant de Jad au Liban, à des rapports scolaires concernant Jad pour les années 2012-2014, ainsi qu’à une déclaration de capacité et d’intention de Madame El Dor confirmant que tous les moyens seraient pris pour que Jad ne représente pas un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens. La lettre du 6 octobre 2014 contenait également un plan de vie détaillé pour la famille, ainsi qu’une preuve d’actifs. Dans un affidavit soumis dans le présent dossier, Madame El Dor atteste qu’elle s’est personnellement chargée de transmettre l’envoi postal au bureau de la compagnie de courrier express. De plus, Madame El Dor affirme avoir personnellement remis la lettre du Dr. Dib, une deuxième fois, au médecin désigné lors d’une évaluation médicale de Jad apparemment faite le 28 septembre 2014.

[10]           Le ministre reconnaît avoir reçu la lettre de Me Chelhot du 6 octobre 2014 mais le DCT ne contient aucune opinion médicale du Dr. Dib datée de septembre 2013. Il contient plutôt une évaluation médicale signée par un neurologue libanais, le Dr. Mohamad El Bitar, datée du 23 septembre 2014. Le 12 novembre 2014, Dr. Thériault, après avoir considéré les renseignements supplémentaires fournis par Madame El Dor, se dit d’avis que son opinion médicale de juin 2014 doit être maintenue et que le plan d’atténuation soumis par Madame El Dor n’est pas raisonnable.

[11]           Le 20 novembre 2014, l’agent rejette donc la demande de visa de Madame El Dor. Le 7 juillet 2015, Dr. Thériault signe un affidavit à l’effet que la lettre du Dr. Dib ne figurait pas parmi les documents transmis par Me Chelhot en octobre 2014, et dont il a pris connaissance en novembre 2014. De ce fait, il ne l’a pas pris en considération dans sa décision. Parmi les documents transmis par Me Chelhot se trouvait plutôt la lettre du Dr. El Bitar, qui figure au DCT.

B.                 La décision de l’agent

[12]           Dans sa décision datée du 20 novembre 2014, l’agent rejette la demande de visa de Madame El Dor en vertu du paragraphe 38(1) de la LIPR, au motif que Jad « est une personne dont l’état de santé, personnalité du spectre autistique active, constitue vraisemblablement un risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé ».

[13]           Les documents additionnels fournis par Madame El Dor (suivant la réception de la lettre d’équité) n’ont pas permis de modifier l’évaluation préliminaire de l’état de santé de Jad faite par Dr. Thériault. Effectivement, le 12 novembre 2014, suite à son analyse des renseignements supplémentaires fournis par Madame El Dor, Dr. Thériault s’est dit d’avis que « ni le diagnostic, ni les services recommandés pour Jad ne sont contestés. Ils sont en fait confirmés par tous les documents présentés ». En conséquence, son opinion médicale du 3 juin 2014 est maintenue.

[14]           L’agent note dans sa décision que Madame El Dor ne conteste pas le diagnostic initial ni le coût prévu des services reliés à l’état de santé de Jad au Québec. L’agent n’accepte cependant pas l’engagement de Madame El Dor de couvrir les dépenses reliées à la condition médicale de Jad et de le placer dans une école privée spécialisée. Ces écoles reçoivent des subventions substantielles du ministère de l’Éducation du Québec et Jad va être éligible à recevoir ces services une fois arrivé au Canada. Aussi, l’agent est d’avis que Madame El Dor n’a pas présenté un plan adéquat pour mitiger les coûts des services sociaux de Jad, dont les soins sont évalués à environ 43 000$ par année.

C.                Les dispositions de la loi

[15]           Les dispositions pertinentes se retrouvent au paragraphe 38(1) de la LIPR, qui prescrit que peut être interdit de territoire pour motifs sanitaires une personne dont l’état de santé risque « d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé ». Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] définit pour sa part le concept de « fardeau excessif » au paragraphe 1(1) en précisant qu’il englobe notamment « toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée ». L’article 34 du RIPR prévoit enfin que, pour décider si l’état de santé d’un étranger risque d’entraîner un fardeau excessif, l’agent tient compte du rapport établi par un spécialiste de la santé.

D.                La norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d’un agent de visas est celle de la décision raisonnable (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 131 [Ma] au para 23; Firouz-Abadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 835 au para 10). Quant à la motivation du rejet d’une demande de visa et de l’interdiction de territoire pour des raisons médicales, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique également car il s’agit de questions mixtes de fait et de droit (Burra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1238 [Burra] au para 10; Banik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 777 [Banik] au para 18).

[17]           Ce caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les motifs d’une décision sont considérés raisonnables « s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 16; Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 47). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue et de déférence envers la décision du tribunal et ne peut lui substituer ses propres motifs. Elle peut toutefois, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland Nurses au para 15).

[18]           Pour ce qui est des questions d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). La question qui se pose alors n’est pas tant celle de savoir si la décision est correcte, mais plutôt de déterminer si, en bout de piste, le processus suivi par le décideur a été équitable (Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 au para 15; Krishnamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342 au para 13). Par ailleurs, la norme de contrôle applicable à la question du caractère complet ou incomplet du dossier d’un tribunal est aussi celle de la décision correcte (Clarke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 357 [Clarke] au para 9).

[19]           De la même manière, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux obligations du médecin désigné ou de l'agent des visas en ce qui a trait à la question de l’évaluation individualisée (par rapport à une évaluation généralisée) de l’état de santé d’un demandeur (Sapru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35 [Sapru] au para 16; Ravis Cuarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 261 au para 13; Mazhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 467 [Mazhari] au para 10). Enfin, cette norme de la décision correcte régit aussi les questions d’équité procédurale et de justice naturelle telles que la question de savoir si une partie a eu une occasion équitable de connaître la preuve qui pèse contre elle (Burra au para 9).

III.             L’analyse

A.                Est-ce que la décision de l’agent a été prise en ignorance de la preuve et a enfreint les règles de l’équité procédurale?

[20]           Madame El Dor allègue que l’affidavit du Dr. Thériault attestant que la lettre du Dr. Dib ne figurait pas dans les documents envoyés par Me Chelhot est une admission que la décision de l’agent a été prise en ignorance d’une partie importante de la preuve. Dans ses soumissions écrites, Madame El Dor prétend que l’agent a omis de considérer trois des documents joints à la lettre d’octobre 2014 de Me Chelhot, soit les pièces A-3, A-4 et A-7. Lors de l’audience devant la Cour, Madame El Dor a toutefois reconnu que son plan de vie signé en date du 6 octobre 2014 (pièce A-7) ainsi que les rapports scolaires de Jad pour les années 2012-2014 (pièce A-3), d’abord présentés comme étant manquants, se retrouvaient bel et bien au DCT et étaient donc devant l’agent lors de sa décision.

[21]           Le seul élément de preuve que l’agent aurait ignoré est donc la lettre du Dr. Dib de septembre 2013 (pièce A-4). Madame El Dor insiste sur l’importance capitale de cette évaluation médicale, qui contredit selon elle l’opinion du médecin examinateur quant à l’intensité du trouble de Jad et relativise du même souffle les besoins requis par Jad en termes de services de santé et de services sociaux.

[22]           Madame El Dor soumet une chronologie précise des étapes ayant mené à l’envoi des documents en réponse à la lettre d’équité, appuyée par ses propres affidavits et par celui de Me Chelhot. De plus, un autre affidavit souscrit par une adjointe administrative de l’étude légale représentant Madame El Dor au Québec confirme avoir déposé une copie du reçu de l’envoi postal de Me Chelhot. Madame El Dor affirme par ailleurs avoir soumis la lettre du Dr. Dib au ministre en deux occasions distinctes : d’abord dans l’envoi postal du 6 octobre 2014, puis en remettant personnellement la lettre au médecin désigné ayant procédé à une évaluation de la condition médicale de Jad le 28 septembre 2014.

[23]           Finalement, Madame El Dor questionne la valeur probante de l’affidavit du Dr. Thériault et critique le fait qu’il n’avait pas pris connaissance des affidavits autres que celui de Me Chelhot au moment où il a déposé le sien. Madame El Dor soulève aussi le fait que Dr. Thériault affirme à deux reprises (dans les notes CAIPS ainsi que dans son affidavit) que l’envoi reçu de Me Chelhot en octobre 2014 contenait 148 pages. Or le DCT, dans sa présente forme, ne contient que 132 pages relativement à cet envoi. Il semble donc manquer 16 pages au DCT en relation avec l’envoi de Me Chelhot. Madame El Dor ne peut les identifier toutes mais avance que la lettre d’une page du Dr. Dib en fait assurément partie.

[24]           Selon Madame El Dor, les documents soumis en octobre 2014 contestaient clairement le diagnostic établi quant à l’intensité de la maladie de Jad. D’après la lettre du Dr. Dib, l’intensité du trouble de Jad était léger (« mild » pour reprendre les mots exacts du médecin). Madame El Dor contestait également l’évaluation qualitative du médecin examinateur et prétendait, sur la foi des rapports scolaires, que Jad est autonome, comprend les consignes et fait preuve de capacités variées. Enfin, Madame El Dor ne partageait pas l’opinion sur l’ampleur des services requis par Jad selon l’évaluation du médecin examinateur, et soumettait sa propre évaluation des services nécessaires pour l’enfant.

[25]           Après analyse de la preuve, la Cour ne peut pas partager le point de vue de Madame El Dor sur les documents déposés en octobre 2014. La Cour constate d’abord que la preuve apparemment ignorée par l’agent, aux dires de Madame El Dor, se résume en fait à l’opinion médicale du Dr. Dib, car les autres éléments invoqués par Madame El Dor dans ses soumissions se retrouvent dans le DCT. C’est le cas pour les rapports scolaires de Jad et pour le plan de mitigation de Madame El Dor, de même que pour ses relevés bancaires, ses titres de propriété et les articles sur l’autisme joints à l’envoi de Me Chelhot.

[26]           Or, selon la Cour, la preuve révèle de façon prépondérante que le seul document que Madame El Dor reproche à l’agent et au médecin examinateur d’avoir ignoré, soit la lettre du Dr. Dib datée du 26 septembre 2013, n’a jamais été transmise en réponse à la lettre d’équité de l’agent. Dr. Thériault affirme dans son affidavit ne pas avoir eu connaissance de cette lettre du Dr. Dib; selon son témoignage, elle n’a pas été incluse dans l’envoi de Me Chelhot reçu par le ministre et elle ne fait d’ailleurs pas partie du DCT. Par ailleurs, la page couverture de l’envoi postal de Me Chelhot ne mentionne pas la lettre du Dr. Dib expressément; elle ne fait que référer à un document décrit comme « [l]e rapport médical concernant Jad », en utilisant le singulier et sans préciser le nom du médecin l’ayant rédigé. L’utilisation du singulier démontre que Me Chelhot n’a transmis qu’une évaluation médicale. Or, avec l’envoi de Me Chelhot tel que reçu par le ministre et contenu au DCT se trouvait effectivement un rapport médical, soit la lettre du Dr. El Bitar datée du 26 septembre 2014. La Cour observe que la page couverture de Me Chelhot ne décrit pas le nombre de pages dans son envoi, ni ne fournit une liste détaillée des pièces jointes. Finalement, la Cour note que, par comparaison avec le DCT, il manque deux documents au dossier déposé par Madame El Dor dans le cadre du présent recours : la lettre du Dr. El Bitar et une lettre de l’école spécialisée Mosaik du Foyer de la Providence.

[27]           Par ailleurs, la Cour ne peut s’empêcher de recenser les nombreuses irrégularités qui minent les prétentions de Madame El Dor et plombent la fiabilité des affidavits déposés à l’appui de ses soumissions. Tout d’abord, la date du 28 septembre 2014 à laquelle Madame El Dor prétend avoir personnellement remis la lettre du Dr. Dib à un « médecin désigné ayant procédé à l’évaluation médicale de Jad » ne figure nulle part dans le DCT. Aucune mention n’apparaît au dossier eu égard à un examen médical qui aurait été effectué auprès de Jad à cette date. Il n’y a même aucune référence à cette date ou à un médecin traitant autre que Dr. Thériault, ni dans les notes CAIPS, ni dans les lettres envoyées par l’agent de visa. La Cour ne trouve donc aucun appui à cette affirmation de Madame El Dor.

[28]           D’autre part, en ce qui a trait à l’envoi d’octobre 2014 de Me Chelhot, la Cour note qu’il y a aussi des différences notoires entre la preuve contenue au DCT et la preuve déposée dans les affidavits soumis par Madame El Dor à l’appui de sa position. Tout d’abord, les chiffres indiqués dans les rapports scolaires de Jad ne concordent pas entre les deux sources et donnent des résultats différents pour la performance de Jad, par exemple en ce qui a trait aux commentaires sur l’évolution psychomotrice de Jad. Il y a aussi des incongruités entre les états bancaires, qui ne couvrent pas la même période dans le dossier de Madame El Dor par rapport aux documents contenus dans le DCT. S’ajoutent enfin les deux pages manquantes du dossier de Madame El Dor mais qui figurent pourtant au DCT, soit la lettre du Dr. El Bitar et la lettre de l’école spécialisée Mosaik du Foyer de la Providence. Ces différences répétées et ces omissions s’expliquent mal et laissent planer un sérieux doute, aux yeux de la Cour, sur la teneur et le contenu des documents qui, aux dires de Madame El Dor, auraient effectivement été soumis à l’agent avec la lettre du 6 octobre 2014 de Me Chelhot.

[29]           La Cour note au passage que le rapport médical du Dr. El Bitar (que Madame El Dor passe sous silence) confirmait le diagnostic d’autisme et le besoin de traitements thérapeutiques spécialisés pour Jad. Les notes au dossier du médecin examinateur réfèrent effectivement à cette évaluation médicale.

[30]           Dans ces circonstances, la Cour considère que le DCT et la preuve soumise par Dr. Thériault sont plus convaincants et ne peut accorder qu’un poids limité aux soumissions de Madame El Dor quant aux documents effectivement envoyés à l’agent en octobre 2014. À l’instar de l’affaire Singh Khatra c (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1027 [Singh Khatra], la question dont la Cour est saisie est celle de savoir si Madame El Dor m’a convaincu que la lettre du Dr. Dib a bel et bien été remise à l’agent pour examen. Selon les faits et la preuve dont dispose la Cour, je ne suis pas persuadé que c’est le cas.

[31]           Ceci étant, la Cour constate qu’à tout événement, la lettre du Dr. Dib ne conteste pas le diagnostic du médecin examinateur. Elle se résume à quelques lignes et porte la date du 26 septembre 2013. Elle précède donc la lettre d’équité du 4 juillet 2014 et l’opinion du Dr. Thériault de juin 2014. Le Dr. Dib ne pouvait donc pas y remettre en cause le diagnostic du médecin examinateur, puisqu’il ne pouvait pas en avoir pris connaissance en septembre 2013. De la même manière, dans ses documents, Madame El Dor ne nie pas l’étendue des services requis par Jad, et reconnaît plutôt que son enfant souffre d’un trouble envahissant de la personnalité du spectre autistique dans son plan de vie, et qu’il doit être suivi par une équipe médicale multidisciplinaire malgré les progrès observés.

[32]           Le fardeau de preuve incombait à Madame El Dor de démontrer, par prépondérance de preuve, qu’elle a fourni tous les renseignements et les documents pertinents pour convaincre l’agent (Singh Khatra au para 5), et que l’agent les a ignorés. Lorsque le DCT ne contient pas un certain document et ne fait aucune mention de ce document, une simple affirmation de la part du demandeur à l’effet que le document en question aurait été envoyé ne suffit pas pour affirmer que celui-ci se soit acquitté de ce fardeau (Singh Khatra au para 6; Adewale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1190 au para 11). C’est d’autant plus le cas lorsque le dossier révèle une preuve contraire et lorsque plusieurs des documents prétendument soumis ne correspondent même pas à ceux que le tribunal a effectivement dans son dossier. La valeur probante des affidavits déposés par Madame El Dor souffre donc de ces multiples contradictions factuelles.

[33]           La Cour est d’avis que, dans les circonstances, aucune atteinte aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale n’a été commise par l’agent. La prépondérance de la preuve devant la Cour indique que la lettre du Dr. Dib que Madame El Dor reproche à l’agent et au médecin examinateur d’avoir ignorée n’était pas devant les décideurs. Il était impossible, tant pour l’agent et pour le Dr. Thériault, de savoir que l’envoi reçu de Me Chelhot n’était pas complet ou conforme à ce que cette dernière croyait avoir acheminé. Le ministre n’a pas l’obligation de démontrer le trajet effectué par son courrier et d’établir qui a ouvert l’envoi et comment. D’ailleurs, le fardeau de preuve repose en tout temps sur Madame El Dor, et elle doit subir les conséquences d’un défaut de sa part de transmettre tous les documents requis ou d’une erreur dans la livraison de son courrier.

[34]           Finalement, la Cour souligne que la page couverture de la lettre de Me Chelhot n’énonçait pas précisément que les documents joints incluaient la lettre du Dr. Dib. Elle ne faisait référence qu’à un « rapport médical » (et le ministre a effectivement reçu celui du Dr. El Bitar). Il ne s’agit pas d’une situation où, comme dans la décision Miller c Canada (Citoyenneté et de Immigration), 2015 CF 371 au para 20, un agent des visas n’a pas fait preuve de vigilance lorsque le demandeur avait spécifiquement indiqué dans sa lettre qu’il y joignait un document précis et que le demandeur n’avait aucun moyen de savoir que le document était manquant si l’agent ne le lui signalait pas. Dans la présente situation, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale (Naderika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 788 aux para 24-25).

[35]           Certes, ces considérations doivent être soupesées avec le fait qu’il semble effectivement manquer 16 pages au DCT, tel qu’il appert de l’affidavit du Dr. Thériault et de ses notes CAIPS. Madame El Dor fait valoir que la lettre du Dr. Dib est assurément parmi ces pages manquantes. La Cour conclut que ce n’est pas le cas et que la preuve ne permet pas de soutenir que Madame El Dor a fourni cette lettre. Au contraire, l’affidavit du Dr. Thériault établit que le rapport du Dr. Dib ne faisait pas partie du dossier du tribunal. Pour toutes ces raisons, rien ne permet d’affirmer que la décision de l’agent a été rendue en ignorance de la preuve ou en violation des règles de l’équité procédurale.

B.                 Est-ce que la décision doit être annulée en raison du caractère incomplet du DCT?

[36]           Il n’en demeure pas moins que le DCT manque apparemment 16 pages au niveau de l’envoi de Me Chelhot. Et la Cour doit déterminer si la décision de l’agent doit néanmoins être annulée pour cette raison.

[37]           Madame El Dor soumet que le défaut du tribunal de présenter un DCT complet est une violation de la Règle 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection de réfugiés, DORS/93-22 [Règles] qui établissent que tout document pertinent doit être inclus au DCT. Cette violation justifierait l’annulation de la décision de l’agent. Madame El Dor soutient en effet que ces 16 pages cachent au moins la lettre du Dr. Dib, qui était un élément clé pour la décision car, selon Madame El Dor, elle contredit de façon importante le diagnostic du médecin examinateur quant à l’intensité du trouble de Jad.

[38]           La Cour n’est pas d’accord. Bien que la jurisprudence ne soit pas unanime sur la question, un important courant de jurisprudence établit que, pour qu’un dossier incomplet du DCT mène à l’annulation d’une décision, le document manquant doit avoir une « importance capitale pour la décision ». Or, dans le présent dossier, la preuve ne permet même pas d’établir quels pourraient être les documents manquants au DCT. Tous ceux que Madame El Dor avait pointés du doigt dans ses soumissions n’en font pas partie. Y compris la lettre du Dr. Dib. De plus, même si la lettre du Dr. Dib devait être considérée comme manquante, la Cour est satisfaite que cette lettre ne peut pas être considérée comme capitale pour la décision de l’agent.

[39]           La Cour observe d’abord que, dans ses affidavits au soutien de la présente demande, Madame El Dor n’est pas en mesure d’identifier ce qui manque au DCT. Dans ses soumissions devant cette Cour, elle avait mis l’accent sur les rapports scolaires de Jad, le plan de mitigation pour le coût des traitements de Jad, et la lettre du Dr. Dib jointes à l’envoi de Me Chelhot. Or, Madame El Dor a reconnu que les deux premiers éléments apparaissent bel et bien au DCT. Et la Cour considère, pour les motifs exposés plus haut, que la lettre du Dr. Dib n’y a jamais figuré. Aussi, aucun des documents que Madame El Dor identifiait comme ayant échappé à l’agent ne fait partie des 16 pages apparemment manquantes du DCT.

[40]           Ainsi, 16 pages semblent avoir été omises du DCT mais la Cour ne peut identifier lesquelles ou même ce dont elles pourraient avoir traité. En fait, la Cour peut simplement déterminer que Madame El Dor n’a pas identifié quelles pouvaient être ces 16 pages manquantes dans l’envoi de Me Chelhot et quelle portée elles pourraient avoir sur la décision de l’agent. Ceci n’est certes pas suffisant pour invalider la décision de l’agent.

[41]           Au surplus, la Cour partage l’avis du ministre à l’effet que, même si on la considérait au nombre des pages manquantes du DCT, la lettre du Dr. Dib n’aurait pas constitué un document d’une importance capitale pour la décision. En effet, elle a été rédigée le 26 septembre 2013, soit avant la lettre d’équité datée du 4 juillet 2014 et avant l’opinion médicale de juin 2014 du Dr. Thériault. De ce fait, elle ne traite pas des préoccupations soulevées par le médecin examinateur. De plus, elle se limite à quelques lignes, réfère au caractère « modéré » de l’atteinte autistique de Jad et se trouve en fait à confirmer le diagnostic ultérieur du Dr. Thériault (qui parlait d’atteinte « modérée à sévère »). La lettre du Dr. Dib ne change rien au fardeau excessif que représente Jad en raison de son inadmissibilité médicale. Elle ne remet pas en cause le diagnostic du médecin examinateur quant au trouble envahissant de comportement de Jad, ni son résultat au test cognitif (11/30), ni que les soins et les services demandés sont évalués à 43 068 $ ou que les services sont subventionnés par l’État.

[42]           Dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, la Cour d’appel fédérale avait énoncé, au paragraphe 44, qu’une « décision ne doit pas automatiquement être annulée et renvoyée au décideur pour nouvelle décision parce qu’elle est déraisonnable. La décision d’accorder une réparation dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire est de nature discrétionnaire ». D’après la Règle 17, le tribunal administratif a l’obligation de constituer un DCT avec « tous les documents pertinents qui sont en possession ou sous la garde du tribunal administratif  ». Toutefois, le défaut de présenter un dossier certifié conforme aux Règles ne justifie pas, en soi, une annulation automatique de la décision (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 498 [Li] au para 15). Un DCT incomplet peut donner lieu à un manquement à l'équité procédurale, « mais ce n'est pas toujours le cas, particulièrement lorsqu'aucune iniquité n'a vraiment été occasionnée » (Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 879 au para 159; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 804 au para 32; Clarke au para 17).

[43]           Le fardeau de preuve quant à l’importance d’un document manquant est très élevé : « [u]n manquement à l’alinéa 17b) justifie l’annulation de la décision si les preuves qui manquent au dossier certifié étaient particulièrement déterminantes pour la décision qui fait l’objet du contrôle » (Machalikashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 622 [Machalikashvili] au para 9). Par exemple, dans Machalikashvili, le DCT ne comprenait pas les documents tirés du dossier de la demanderesse que l’agent des visas avait examinés et sur lesquels il avait fondé son évaluation finale de la crédibilité de M. Machalikashvili. La jurisprudence parle de « preuves qui ont une importance capitale pour la décision » (Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 102 aux para 84, 94; Aryaie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 469 au para 26; Yadav c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 140, [Yadav] au para 36; Narcissse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 514 au para 18). Dans Yadav, une bonne partie de ce qui manquait dans le DCT se trouvait dans la réponse à une demande de communication de renseignements présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’information était pertinente et aurait dû faire partie du DCT, mais comme la décision de l’agente d’immigration, « considérée globalement, n'en dépendait pas », la décision a été maintenue (Yadav au para 37).

[44]           Ni la décision Li citée par Madame El Dor, ni les autres précédents n’indiquent qu’une décision sera automatiquement annulable si le DCT est incomplet. Il n’y a, dans le présent dossier, aucune preuve déterminante de ce qui manque au DCT, et aucune preuve convaincante que la décision de l’agent aurait pu être différente en raison d’un élément manquant au DCT. Dans ces circonstances, la Cour est d’avis que rien ne justifie d’annuler la décision de l’agent en raison du caractère apparemment incomplet du DCT.

C.                Est-ce que le médecin examinateur a erré en ignorant une partie de la preuve soumise et en procédant à une appréciation généralisée de la condition de Jad?

[45]           Madame El Dor soumet d’autre part que le médecin examinateur a ignoré une partie importante de la preuve soumise. Cette preuve contestait l’intensité du trouble souffert par l’enfant, l’évaluation qualitative du médecin ainsi que les services nécessaires pour l’enfant. Ce défaut de considérer la preuve soumise aurait entraîné une conclusion déraisonnable et erronée. À cet effet, Madame El Dor renvoie à sa déclaration du 6 octobre 2014 à l’effet que : « [Jad] est autonome, comprend les consignes, fait preuve de capacités variées [...] » ainsi qu’aux rapports scolaires de l’enfant. Quant à l’étendue des besoins de Jad en services, Madame El Dor soumettait sa propre évaluation des services nécessaires pour l’enfant. Finalement, Madame El Dor plaide que la lettre de refus de l’agent semble indiquer qu’une certaine analyse de documents a été effectuée par lui, alors que seul le médecin a la prérogative de procéder à une telle analyse.

[46]           Madame El Dor allègue aussi que le médecin examinateur n’a pas procédé à une analyse individualisée de l’état de santé de Jad, contrairement aux exigences développées par la Cour suprême dans l’affaire Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57 [Hilewitz]. Elle soutient que l’ampleur de l’écart entre le rapport du médecin examinateur et la preuve soumise (après la lettre d’équité) résulte d’une erreur dans la considération de la preuve. Le médecin examinateur ne se serait pas interrogé sur la façon précise dont se manifeste la condition de l’enfant et aurait plutôt effectué une analyse généralisée.

[47]           La Cour ne partage pas l’avis de Madame El Dor et sa lecture des faits. La Cour conclut plutôt que le médecin examinateur a bien considéré l’ensemble de la preuve soumise et que son avis est raisonnable. Ses notes mentionnent d’ailleurs qu’il a pris connaissance de tout le dossier médical et des documents supplémentaires soumis par Madame El Dor avec la lettre d’octobre 2014 de Me Chelhot. Un tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve dans le dossier et il n’a aucune obligation de la commenter en détail (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36).

[48]           Par ailleurs, la Cour observe que Madame El Dor ne conteste pas le diagnostic du médecin examinateur, ni l’étendue des services requis. Elle reconnaît que Jad souffre d’un trouble envahissant de la personnalité du spectre autistique dans son plan de vie et que, bien qu’il ait fait certains progrès, il doit être suivi par une équipe médicale multidisciplinaire. Madame El Dor ne met pas en doute le résultat du test de l’état cognitif de l’enfant (11/30) et ne contredit pas le coût des services liés à l’état de santé, ni qu’ils sont subventionnés par l’État. À la lumière de la preuve, la Cour n’est pas persuadée que la décision est déraisonnable et que le médecin examinateur a erré en affirmant que ni diagnostic ni les services recommandés pour Jad ne sont contestés. En fait, la lettre du Dr. El Bitar appuie ces conclusions.

[49]           Il est vrai que le médecin examinateur aurait pu élaborer davantage sur les actifs de la famille de Madame El Dor. Cependant, il n’avait aucune obligation de le faire. Il ne s’agit pas d’une contradiction directe et claire avec un élément de preuve; « il ne faut pas non plus obliger [les tribunaux administratifs] à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve » (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998) FCJ No 1425 au para 16; Uluk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 122 au para 26). Il n’y a rien au dossier qui autorise à dire que le médecin examinateur a ignoré une partie de la preuve. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause le poids accordé par le médecin examinateur et l’agent aux éléments de faits qu’ils ont appréciés dans l’exercice de leur expertise. Leur décision fait assurément partie des issues possibles et acceptables en regard des faits et du droit.

[50]           Au chapitre de l’analyse individualisée, la preuve montre pour sa part que, loin d’avoir mené un examen superficiel basé sur les symptômes de l’autisme en général, le médecin examinateur a plutôt effectué une appréciation individualisée de la condition de Jad. À cet effet, l’agent réfère ainsi aux notes du médecin :

Son diagnostic a été confirmé d’après tous les renseignements recueillis. Jad, 10 ans, souffre d’un trouble envahissant du développement du spectre autistique suivi par une équipe multidisciplinaire depuis plusieurs années.

L’évaluation de son état cognitif fait par le médecin désigné lors de l’examen d’immigration en octobre 2013 a donné comme résultat 11/30 ce qui correspond à une atteinte cognitive modérée à sévère. Jad est capable de contact visuel, d’attention et d’interaction, cependant, sa communication verbale est limitée faite des plaquages, des stéréotypies ainsi que des écholalies. Jad a de bonnes capacités de compréhension des consignes, mais ceci ne va pas sans dire qu’il peut éventuellement perdre ses repères ou avoir une pensée dispersée lorsque les tâches demandées s’avèrent être complexes. Il semble être anxieux et semble avoir peur de tout ce qui l’entoure.

[...]

On peut raisonnablement s’attendre à ce que cela l’oblige à recevoir une prise en charge par une équipe multidisciplinaire de spécialistes en pédiatrie du développement de l’enfant, psychologues, psychiatres, en orthophonie et psychomotricité et il bénéficiera également d’une éducation spécialisée [...] jusqu’à l’âge de 21 ans.

[51]           Dans l’arrêt Hilewitz au para 56, la Cour suprême exige que l’on procède à une évaluation individualisée du fardeau probable qu’un individu risquerait d’entraîner pour les services sociaux. La jurisprudence qui a suivi Hilewitz est très claire quant à l’exigence d’une appréciation individualisée (Sapru au para 6, Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 271 [Deol] au para 60; Mazhari au para 12). La Cour considère que ce principe de l’appréciation individualisée a été entièrement respecté dans le présent dossier. L’affirmation de Madame El Dor à l’effet que l’important écart entre le diagnostic du médecin examinateur et la preuve révèle que « ce dernier ne s’est pas interrogé sur la façon précise dont se manifeste la condition de l’enfant » et qu’il s’agit d’une appréciation généralisée est tout à fait sans fondement.

D.                Est-ce que les décideurs ont fait défaut de procéder à une analyse individualisée du plan de mitigation soumis par Madame El Dor et de motiver son rejet?

[52]           Dans son plan de mitigation, Madame El Dor s’est engagée à couvrir toutes dépenses relatives à Jad et à prendre tous les moyens nécessaires pour que Jad ne représente pas un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens, incluant son inscription dans une école privée spécialisée et dans un centre de réadaptation de déficience intellectuelle. Dans sa décision, l’agent a plutôt affirmé que Jad représenterait un fardeau excessif pour les services sociaux car la plupart des services ciblés étaient subventionnés par l’État québécois. Madame El Dor souligne que cette analyse revient à interdire l’accès à la résidence permanente au Canada à toutes personnes qui pourraient avoir besoin d’éducation spécialisée au pays, sans égard à leur situation financière. Elle avance qu’une telle conclusion est déraisonnable et le fruit d’une analyse généralisée, plutôt qu’individualisée, de son plan de mitigation. Madame El Dor avait soumis un relevé bancaire d’une somme de 243,000$ US et des biens immobiliers évalués à environ 3.2 millions de dollars (canadiens). Selon Madame El Dor, les économies de la famille permettraient amplement de rencontrer les dépenses nécessaires pour toute la durée de l’éducation de Jad et les services à recevoir à l'âge adulte.

[53]           La Cour n’est pas d’accord avec Madame El Dor. La Cour est au contraire d’avis que l’agent pouvait raisonnablement conclure que le plan offert par Madame El Dor ne permettait pas de modifier le fardeau excessif que Jad représenterait pour les services sociaux en raison du caractère subventionné de la plupart des services ciblés. Sa conclusion à l’effet que le plan d’atténuation soumis par Madame El Dor n’était pas suffisant fait partie des issues possibles et acceptables. Madame El Dor a mentionné qu’elle inscrirait son fils dans une école spécialisée et dans un centre de réadaptation en déficience intellectuelle. Cependant, elle n’a pas fait des recherches sur la disponibilité de ces services et sur leur coût ou pris des dispositions avec les fournisseurs de services au Canada.

[54]           Le médecin examinateur a bien analysé le plan d’atténuation préparé par Madame El Dor et pouvait à bon droit conclure qu’il n’était pas raisonnable. Il était acceptable de considérer que le plan ignore le fait que les services spécialisés requis par Jad sont subventionnés par l’État et que Jad aura automatiquement droit à ces services à son arrivée au Canada. Les motifs de la décision sont intelligibles et transparents, et la qualité des motifs du décideur ne constitue pas un motif de contrôle indépendant.

[55]           Au surplus, il est bien établi qu’une lettre qui confirme l’intention d’une personne de ne pas être un fardeau pour le régime public, bien que cette personne ait les ressources financières voulues pour payer la totalité des services publiquement accessibles à tous, n’est pas suffisante (Deol au para 46; Burra au para 33; Ma au para 26; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1093 au para 20; Hassan Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 22 au para 52). Un tel document ne permet pas d’écarter le risque d’un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé au Canada. La capacité financière du demandeur (ou de ses parents) n’est pas le facteur le plus important dont il faut tenir compte (Ma au para 29).

[56]           La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à cette question, et les motifs de la décision sont intelligibles, transparents et permettent de déterminer que la conclusion appartient aux issues acceptables (Burra au para 38). Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland Nurses au para 16). Il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’intervenir.

E.                 Est-ce que l’agent a contrevenu aux normes de l’équité procédurale en n’envoyant pas une deuxième lettre d’équité?

[57]           Madame El Dor soutient enfin que lorsque la réponse d’un demandeur est jugée insuffisante, il appartient à l’agent de visas de soulever les préoccupations dans une seconde lettre d’équité afin de lui permettre de répondre à ses préoccupations. Le défaut de procéder à l’envoi d’une deuxième lettre d’équité porterait ainsi atteinte aux règles de l’équité procédurale.

[58]           La Cour considère que cet argument n’a pas de mérite. La première lettre d’équité du 4 juillet 2014 énonce clairement toutes les préoccupations pertinentes et a donné à Madame El Dor une possibilité véritable de répondre à celles-ci. L’agent décideur n’a pas le devoir d’informer un demandeur des lacunes de son plan d’atténuation et de lui donner l’occasion de présenter d’autres observations à cet égard (Banik au para 77). La loi n’astreint pas le ministre à une norme de perfection dans les formalités (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345 au para 22; Burra au para 23). Il n’appartient pas non plus au médecin désigné ou à l’agent de rechercher activement des renseignements à propos du demandeur; « [i]l suffit qu’il leur transmette une lettre d’équité qui expose clairement toutes les préoccupations pertinentes et qui leur accorde une véritable possibilité de répondre utilement à toutes ces préoccupations » (Sapru au para 32).

[59]           Madame El Dor a reçu une telle lettre d’équité et il n’y avait aucune obligation légale pour lui en envoyer une deuxième. Il est manifeste, aux yeux de la Cour, que l’agent n’a enfreint aucune règle d’équité procédurale à ce chapitre.

IV.             Conclusion

[60]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Madame El Dor est rejetée. La décision de l’agent refusant sa demande de résidence permanente pour des motifs sanitaires est transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, en aucun temps la procédure suivie par l’agent et par le médecin examinateur n’a violé leurs obligations en matière d’équité procédurale.

[61]           Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier dans leurs représentations écrites et orales, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune dans ce dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans dépens;

2.         Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-784-15

INTITULÉ :

ROLA EL DOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 août 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Me Guillaume Cliche-Rivard

Pour le demandeur

Me Michel Pépin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon & Associés Inc.

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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