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Date : 20151224


Dossier : T‑1950‑13

Référence : 2015 CF 1421

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 24 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LE SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

demandeur

et

CANADA (LE MINISTRE DES TRANSPORTS) ET SUNWING AIRLINES INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le Syndicat canadien de la fonction publique [le SCFP] présente, par écrit, une requête en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, par laquelle il demande à la Cour de rendre une ordonnance portant qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de rendre des motifs quant à une demande de contrôle judiciaire qui est dorénavant théorique. Je rejette l’invitation que m’a faite le SCFP d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire sur le fond, et ce, pour les motifs qui suivent.

II.                Le contexte

[2]               L’article 705.104 du Règlement de l’aviation canadien – [le Règlement], dans sa version en vigueur au moment du dépôt de la demande de contrôle judiciaire du SCFP, exigeait la présence d’au moins un agent de bord pour chaque tranche de 40 passagers à bord d’un aéronef commercial. À la suite d’un communiqué de presse du ministre des Transports [le Ministre] dans lequel il annonçait que tous les exploitants aériens avaient le droit de demander une exemption quant à l’application de l’article 705.104 du Règlement, le SCFP a écrit au Ministre pour le compte de ses membres qui travaillent à titre d’agents de bord de Sunwing Airlines Inc. [Sunwing]. Dans sa lettre, le SCFP prétendait qu’il avait le droit de participer au processus par lequel le Ministre examinait une demande d’exemption. Le SCFP a demandé, entre autres choses, au Ministre de lui donner un avis dans l’éventualité où Sunwing devait demander une telle exemption.

[3]               Le 19 juin 2013, Sunwing a présenté une demande d’exemption et elle a informé le SCFP qu’elle cherchait à obtenir une telle exemption. Le SCFP a fourni des observations écrites au Ministre relativement à ses oppositions à l’égard de l’exemption. Le Ministre a accordé l’exemption le 18 octobre 2013, laquelle devait être valide jusqu’au 31 décembre 2015. La date d’expiration de l’exemption n’est plus pertinente, compte tenu des faits survenus entre‑temps et exposés ci‑dessous. L’exemption permettait à Sunwing d’utiliser un agent de bord par tranche de 50 sièges passagers posés sur le même plancher d’un avion, plutôt que le rapport d’un agent par 40 personnes à bord prévu par l’article 705.104 du Règlement. Le Ministre n’a pas avisé le SCFP de la délivrance de cette exemption.

[4]               Le SCFP a présenté une demande de contrôle judiciaire visant la décision du Ministre d’accorder l’exemption à Sunwing. Le SCFP prétendait que le Ministre a contrevenu aux droits du SCFP en matière d’équité procédurale en ne lui permettant pas de participer au processus décisionnel. Le SCFP a aussi prétendu que la décision était déraisonnable, partiellement du fait que le Ministre a refusé d’appliquer la norme établie dans la législation.

[5]               Lors d’une audience tenue le 13 mai 2015, les parties ont présenté leurs plaidoiries devant la Cour. Le 17 juin 2015, le Ministre a annoncé diverses modifications au Règlement. Le Règlement modifiant le Règlement de l’aviation canadien (Parties I, VI et VII — agents de bord et évacuation d’urgence) [le Règlement modificatif], qui est entré en vigueur le 1er août 2015, modifiait l’article 705.104 de manière à permettre aux exploitants d’avoir le choix entre l’adoption du rapport d’un agent de bord par tranche de 40 passagers à bord prévu dans le Règlement au moment de la demande de contrôle judiciaire, et le rapport d’un agent de bord par 50 sièges installés. Dans l’éventualité où un exploitant choisissait le rapport d’un agent de bord par tranche de 50 sièges, il aurait l’obligation de répondre à des normes supplémentaires en matière de sécurité, lesquelles sont exposées dans une nouvelle disposition, soit le paragraphe 604.221(2).

[6]               Les parties conviennent que la question soulevée dans la demande de contrôle judiciaire instruite le 13 mai 2015 est dorénavant théorique, en raison du Règlement modificatif. Le SCFP a présenté un nouvel avis de demande de contrôle judiciaire concernant les modifications au régime règlementaire. Cependant, le SCFP soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre une décision, afin que la question liée à l’exemption accordée à Sunwing puisse être tranchée.

III.             Analyse

[7]               La seule question soulevée par la présente requête est celle de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher la présente affaire malgré son caractère théorique. Bien qu’il n’y existe plus de litige réel entre les parties, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement quant au bien‑fondé d’une cause. Dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski] la Cour Suprême du Canada a énoncé un cadre de travail général en vue de guider les tribunaux judiciaires devant trancher la question de savoir s’ils doivent rendre ou non une décision dans une affaire devenue théorique :

a)                  L’existence d’un débat contradictoire entre les parties;

b)                  Les questions relatives à l’économie des ressources judiciaires et à l’importance des questions en litige;

c)                  Les limites et les avantages des fonctions de la Cour dans l’élaboration du droit.

[8]               Ces critères ne sont pas examinés selon un processus mécanique, et un critère peut avoir préséance sur les autres (Borowski, précité, au paragraphe 42; Ficek c Canada (Procureur général), 2013 CF 430, [2013] ACF no 676, au paragraphe 18). Après un examen minutieux des observations des parties et des critères mentionnés ci‑dessus, je suis d’avis que l’affaire dont la Cour est saisie ne soulève pas une question exceptionnelle qui nécessiterait l’intervention de la Cour.

[9]               En premier lieu, le fondement du problème a fait l’objet de règlementation et celui‑ci est actuellement visé par une nouvelle demande de contrôle judiciaire du SCFP. La présente affaire se rapportait à l’exemption spécifique concernant le rapport d’agents de bord au Règlement, et non la compétence générale du Ministre d’accorder des exemptions. Contrairement à ce qu’affirme le SCFP, je suis d’avis qu’une décision de la Cour ne serait pas nécessairement contraignante à l’égard des éventuelles décisions du Ministre d’accorder des exemptions (Sbeiti c Canada (Procureur général), 2015 CF 1039, [2015] ACF no 1036, aux paragraphes 4 et 6). L’objet de la demande de contrôle judiciaire du SCFP est fortement lié aux faits. Le degré d’équité procédurale qu’il convient d’accorder à une personne ou un organisme, le cas échéant, peut varier selon la nature de la possible exemption. De plus, il faut aussi tenir compte de l’important pouvoir discrétionnaire qu’accorde le paragraphe 5.9(2) de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A‑2 au Ministre en ce qui a trait à l’octroi d’exemptions à l’égard de l’application des règlements, arrêtés ou mesures de sûreté. Une décision à l’égard de la demande de contrôle judiciaire dont est actuellement saisie la Cour peut avoir un impact minime, dans le meilleur des cas, quant à la question de savoir si les autres allégations en ce qui a trait à l’équité procédurale en lien avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre peuvent être accueillies. Ayant ces considérations à l’esprit, je ne peux conclure qu’il existe une relation contradictoire continue entre les parties.

[10]           Deuxièmement, je conclus que, même si l’affaire a été pleinement débattue par les parties, ce seul facteur est insuffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Comme l’a mentionné le juge Sopinka dans l’arrêt Borowski, au paragraphe 44, « [f]aire droit à cet argument aurait comme conséquence d'affaiblir la doctrine du caractère théorique qui par définition s'applique si, à quelque étape que ce soit, le fondement de l'action disparaît ». De plus, je ne suis pas d’avis qu’il s’agisse d’une question délicate ou susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux. Exemption faite des contraintes de temps qui peuvent survenir, le SCFP et les autres syndicats auraient amplement la possibilité de déposer et de débattre des demandes de contrôle judiciaire en lien aux exemptions liées au rapport d’agents de bord, dans la mesure où de telles exemptions sont accordées à l’avenir. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que la question des rapports d’agents de bord n’est plus une question délicate, puisqu’elle est maintenant hautement règlementée et qu’elle ne fait plus l’objet de l’exemption contestée. De plus, je ne suis pas convaincu que mon refus de trancher l’affaire entraînerait des coûts sociaux, pas plus que je ne souscris à l’affirmation du SCFP selon laquelle une décision de la Cour sur le fond relativement à la demande de contrôle judiciaire aurait un effet concret sur les droits des parties. La présente affaire ne soulève aucune circonstance qui nécessite que la Cour fasse « l’utilisation [des ressources judiciaires], si limitées soient-elles, à la solution d'un litige théorique » (Borowski, précité, au paragraphe 34).

[11]           Troisièmement, la Cour ne devrait pas s’écarter de son rôle traditionnel, qui est de trancher des litiges. Elle ne peut plus accorder au SCFP les redressements que ce dernier réclame et, comme il a été mentionné précédemment, une décision de la Cour n’aurait probablement pas un poids important dans un ensemble de faits différents de celui‑ci. Contrairement aux situations où la jurisprudence est contradictoire, la présente affaire ne soulève pas d’incertitude juridique.

[12]            En résumé, je ne conclus pas à l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient un écart du principe général du caractère théorique, lequel oblige les cours à « refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite » (Borowski, précité, au paragraphe 15).


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête est rejetée;

2.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

3.                  Chaque défendeur se voit accorder le montant de 3 000 $ à titre de dépens.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T‑1950‑13

INTITULÉ :

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE c CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET SUNWING AIRLINES INC.

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDonnance et motifs :

LE JUGE BELL

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 24 DÉCEMBRE 2015

OBSERVATIONS ÉCRITES :

M. Stephen J. Moreau

Mme Nadia Lambek

POUR LE DEMANDEUR

LE SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

M. Sean Gaudet

M. Joseph Cheng

POUR LE DÉFENDEUR CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

M. Paul Michell

M. Matthew R. Law

POUR la défenderesse SUNWING AIRLINES INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

LE SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

Lax O'Sullivan Scott Lisus Gottlieb LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE SUNWING AIRLINES INC

 

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