Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151222


Dossier : IMM-558-15

Référence : 2015 CF 1410

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

NAGARAJAN SEENIVASAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de Nagarajan Seenivasan à titre de réfugié au titre de la Convention et de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) le 2 janvier 2015 au motif qu’il n’était pas un témoin crédible et digne de foi, que la conclusion concernant la crédibilité s’appliquait à tous les éléments de preuve pertinents fournis par M. Seenivasan et que sa demande n’avait pas un minimum de fondement. Il demande le contrôle judiciaire de la décision aux termes de l’article 72 de la Loi.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

I.                   La décision faisant l’objet du contrôle

[3]               Le demandeur a raconté une histoire compliquée au sujet de ses opérations foncières dans la région du Tamil Nadu, en Inde, et de son engagement auprès de politiciens régionaux qui souhaitaient s’associer avec lui afin d’acheter des terres pour eux‑mêmes et pour d’autres politiciens à un prix inférieur au prix du marché. Des articles de presse produits par le demandeur à l’appui de sa demande traitent d’autres méthodes utilisées pour forcer les gens à vendre leurs terres à des prix réduits ou pour acheter des terres sans payer le vendeur. Le commissaire a eu de la difficulté à comprendre le témoignage du demandeur au sujet de son engagement et du risque auquel il était exposé du fait de ses opérations foncières, car il était vague, se contredisait et a relaté beaucoup plus d’événements que ceux qu’il avait énoncés dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ou pendant son entrevue au point d’entrée. Le commissaire a demandé des précisions au demandeur à plusieurs reprises afin de connaître la nature du risque auquel il prétend être exposé et l’identité des personnes dont il a peur, et d’obtenir des détails sur les incidents qu’il a décrits, mais qui ne sont pas mentionnés dans les notes d’entrevue prises au point d’entrée ni dans son FRP, ainsi que des explications au sujet de ces omissions.

[4]               La Commission a soulevé de nombreuses préoccupations relatives à la crédibilité, qui découlent, pour la plupart, d’omissions dans le FRP du demandeur qui n’ont pas été expliquées à la satisfaction de la Commission. La Commission a souligné que le demandeur avait confirmé qu’il avait compris son obligation de faire un compte rendu complet et d’être honnête. En raison du manque de crédibilité du demandeur et des explications déraisonnables qu’il a fournies pour justifier ses omissions et ses contradictions, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents qu’il avait racontés ne s’étaient pas produits.

[5]               Premièrement, l’exposé circonstancié du demandeur ne faisait pas état de l’incident de janvier 2011, au cours duquel le demandeur, selon sa déclaration, aurait reçu la visite du secrétaire principal d’un politicien régional, accompagné d’un conseiller municipal, en partenariat avec lequel il achetait des terres et payait ou recevait des commissions pour des transferts de terres, puis aurait été « enlevé » par ceux‑ci. Le demandeur a été « enlevé » afin de passer quelques heures dans la maison du politicien, où il soutient avoir reçu des menaces subtiles. Le demandeur a expliqué qu’il a omis cet incident, car il craignait que celui‑ci soit interprété à tort comme une activité criminelle.

[6]               Deuxièmement, le demandeur a déclaré que la police avait reçu cinq plaintes portées contre lui relativement aux gestes qu’il a posés dans le cadre de plusieurs transferts de biens. Il a également affirmé que la police n’avait pas pris les plaintes au sérieux avant les élections, car elle appuyait le parti au pouvoir. Après les élections, le parti au pouvoir a commencé à sévir contre ces pratiques. Le demandeur a expliqué qu’il avait omis ce fait de son exposé circonstancié, car son interprète lui avait dit d’être bref afin d’éviter des erreurs d’interprétation, et l’avait informé qu’il pourrait donner des détails sur les problèmes politiques à l’audience.

[7]               Troisièmement, le demandeur a déclaré qu’il avait été « conduit » par la police en mars et en mai 2012, qu’il avait été détenu pendant quelques heures et qu’on avait crié contre lui. Il a expliqué qu’il n’avait pas énoncé ces incidents dans son FRP, car il craignait que le gouvernement du Canada croie qu’il avait commis un crime. À l’audience, la Commission a signalé au demandeur qu’il avait répondu par la négative lorsque l’agent d’immigration lui avait précisément demandé s’il avait déjà été détenu par la police. Il a expliqué qu’il avait répondu par la négative, car il n’avait aucune preuve qu’il avait été détenu.

[8]               Quatrièmement, le demandeur a déclaré que la police le cherchait, car il avait transféré six biens à son frère au lieu de les transférer à des membres de la famille de politiciens. Il a aussi affirmé qu’il s’était caché de mai à juillet 2012. À l’audience, à la question de savoir pourquoi il n’avait pas mentionné dans l’exposé circonstancié de son FRP qu’il s’était caché, le demandeur a répondu que l’interprète lui avait seulement demandé où il habitait et qu’il avait donné une réponse honnête à celui‑ci, soit qu’il vivait en Inde.

[9]               La Commission a souligné qu’en général, le demandeur a décrit des événements tout à fait différents de ceux énoncés dans son exposé circonstancié, et les explications qu’il a données pour justifier l’omission de détails, à savoir qu’il craignait que le gouvernement du Canada croie qu’il était un criminel, n’étaient pas raisonnables ni satisfaisantes.

[10]           La Commission a conclu qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur énonce tous les événements importants et les motifs pour lesquels il demande l’asile dans son exposé circonstancié, et elle a souligné que l’entrevue au point d’entrée et le FRP du demandeur étaient semblables et ne mentionnaient pas ces incidents.

[11]           La Commission a conclu qu’elle ne pouvait s’appuyer sur aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour rendre une décision favorable. La Commission a rejeté la demande du demandeur aux termes des articles 96 et 97.

II.                Les questions en litige

[12]           Le demandeur soutient que les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité n’étaient pas raisonnables.

[13]           Le demandeur fait aussi valoir que la Commission a commis une erreur en omettant d’évaluer sa demande au titre de l’article 97, et souligne qu’une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité, qui peut être déterminante pour une demande d’asile présentée au titre de l’article 96, n’est pas nécessairement déterminante pour une demande présentée au titre de l’article 97. Le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve corroborant ses allégations, en particulier des procurations notariées, qui prouvent qu’il avait l’autorisation de vendre des terres au nom des propriétaires de celles‑ci, des articles de presse au sujet des mesures prises pour sévir contre ces saisies des terres et de documents objectifs sur la situation dans le pays portant sur la corruption dans le système judiciaire.

III.             La norme de contrôle

[14]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour doit décider si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il faut faire preuve de retenue à l’égard du décideur et la Cour n’appréciera pas la preuve de nouveau. 

[15]           Il est de droit constant que les commissions et les tribunaux jouissent d’une position idéale pour apprécier la crédibilité et leurs conclusions sur la crédibilité commandent une considérable retenue judiciaire : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 11, au paragraphe 7, 228 FTR 43.

[16]           Dans la décision Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 41 à 46, [2012] ACF no 369 (QL), la juge Mary Gleason a résumé les principaux principes de la jurisprudence au sujet de la crédibilité et a souligné le rôle limité de la Cour dans l’examen des conclusions relatives à la crédibilité, car « le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve » (au paragraphe 42). Elle a aussi souligné que les contradictions relevées dans la preuve, particulièrement dans le témoignage du demandeur d’asile, donneront généralement raison de conclure que le demandeur manque de crédibilité, à condition toutefois qu’elles soient réelles, et non pas banales ou illusoires (au paragraphe 43).

IV.             Les conclusions relatives à la crédibilité étaient raisonnables

[17]           Le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnable que la Commission rejette presque la totalité de son témoignage et de l’exposé circonstancié de son FRP, et conclue qu’il n’était pas un témoin crédible en raison de ses omissions. Il fait valoir que son exposé circonstancié était bref et général, et que son témoignage donnait des détails sur les principaux aspects de son exposé circonstancié concernant sa participation dans le stratagème de saisie de terres. Il ajoute qu’il a uniquement omis les incidents qu’il n’était pas en mesure de corroborer. Il laisse entendre que la Commission a effectué un examen microscopique des questions pertinentes et a accordé trop d’importance aux notes d’entrevue prises au point d’entrée, malgré le fait qu’il ait précisé dans son témoignage qu’on lui avait conseillé d’être bref.

[18]           Comme il l’a déjà été souligné, la Commission jouit d’une position idéale pour apprécier la crédibilité d’un demandeur.

[19]           En l’espèce, le demandeur a omis des parties importantes de son histoire à la fois dans son entrevue au point d’entrée et dans son FRP. Pendant son témoignage, il a donné des réponses contradictoires et a contredit des réponses précises qu’il avait données au cours de son entrevue au point d’entrée. Les détails omis étaient essentiels à la compréhension de la demande du demandeur, y compris des risques auxquels il était soi-disant exposé en Inde et du fait qu’il était directement impliqué dans un stratagème illégal de saisie de terres, qu’il avait vécu en cachette et qu’il avait quitté l’Inde parce qu’en raison du changement de gouvernement, il risquait de faire l’objet d’accusations au criminel du fait de sa participation dans le stratagème illégal de saisie de terres. L’exposé circonstancié général et bref fourni dans son FRP ne comprenait pas la moindre précision.

[20]           Les décisions antérieures sur lesquelles s’est appuyé le demandeur au sujet des notes prises au point d’entrée n’appuient pas son argument selon lequel la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions relatives à la crédibilité fondées sur ses omissions.

[21]           Dans la décision Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102, [2010] ACF no 1388 (QL) (Wu), la Cour a formulé une mise en garde contre le fait de trop s’appuyer sur les notes au point d’entrée compte tenu des circonstances dans lesquelles elles sont prises. Cependant, la décision Wu était axée sur l’incapacité du demandeur à comprendre l’interprète, ce qui expliquait les différences entre les notes au point d’entrée et les déclarations du demandeur. En l’espèce, le demandeur soutient que l’interprète lui a dit d’être bref; il n’a pas laissé savoir qu’il ne comprenait pas ce qu’on lui disait. Au contraire, au cours de son témoignage devant la Commission, il a confirmé qu’il avait compris.

[22]           Dans la décision Samarakkodige c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 301, [2005] ACF no 371 (QL), la Cour a simplement souligné que le demandeur n’est pas tenu de donner tous les détails relatifs à une demande au point d’entrée. En l’espèce, le demandeur a livré un témoignage contredisant les réponses qu’il avait fournies au point d’entrée quant à la question de savoir s’il avait déjà été arrêté ou détenu.

[23]           Dans la décision Fernando c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1349, 58 Admin LR (4th) 272 (Fernando), le juge Blais a souligné la distinction entre des différences mineures et des omissions d’importance, au paragraphe 20 :

Bien que la Cour reconnaisse que les notes au point d’entrée et le FRP sont établis en des circonstances différentes, il a été décidé depuis longtemps que ces notes étaient admissibles en preuve devant la Commission (Multani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 361). En outre, bien qu’on ne devrait pas considérer fatales, aux fins de l’appréciation de la crédibilité, de petites différences existant entre le FRP et les notes au point d’entrée, une jurisprudence abondante a établi que la Commission peut prendre en compte les contradictions entre le FRP et les notes au point d’entrée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur et que la Commission peut tirer des inférences défavorables relativement à toute omission d’importance dans ces notes (Sava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 445). Comme l’a fait remarquer à cet égard le juge Konrad W. von Finckenstein dans Markandu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 956, au paragraphe 5 : « L’un des principaux moyens dont peut se servir la Commission pour évaluer la crédibilité du demandeur consiste à comparer son FRP et ses déclarations au PDE, puis à l’interroger durant l’audience sur toute contradiction relevée. »

[24]           Plus récemment, dans la décision Fahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 406, [2015] ACF no 364, la Cour s’est exprimé en ces termes :

[16]      [...] S’il est vrai que des divergences mineures entre des déclarations faites au PDE et des déclarations lors du témoignage de vive voix ne sont pas suffisantes pour conclure qu’un demandeur manque de crédibilité, la Commission peut toutefois tirer des inférences négatives d’une omission concernant un élément clé de la demande d’asile (Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792 au paragraphe 25; Alekozai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 158 au paragraphe 8).

[25]           La Commission a souligné que les principaux incidents, que le demandeur a soulevés ultérieurement à l’audience, n’étaient mentionnés ni dans les notes au point d’entrée ni dans le FRP. Le demandeur n’a pas omis des détails mineurs et la Commission n’a pas effectué un examen microscopique. Un examen de la transcription révèle que le commissaire a tenté d’approfondir le témoignage du demandeur et lui a donné l’occasion d’apporter des précisions et de donner des explications dans l’objectif de mieux comprendre ses allégations au sujet du stratagème compliqué de saisie de terres et le rôle des politiciens. Le demandeur a livré un témoignage contradictoire portant à confusion. Les explications qu’il a données au sujet des omissions ont raisonnablement été jugées insatisfaisantes, c’est‑à‑dire qu’il n’a pas réussi à expliquer les omissions.

[26]           La Commission a raisonnablement tiré des inférences défavorables concernant la crédibilité en raison des omissions et des contradictions.

V.                La Commission n’a pas commis d’erreur en omettant d’évaluer la demande au titre de l’article 97

[27]           Le demandeur soutient qu’une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité n’est pas nécessairement déterminante pour une demande présentée au titre du paragraphe 97(1) et que la Commission a commis une erreur en omettant d’analyser objectivement la situation du demandeur et en ne tenant pas compte de la situation dans le pays et des antécédents du pays en matière de respect des droits de la personne.

[28]           Le demandeur fait valoir qu’il a fourni des éléments de preuve objectifs pour prouver qu’il était impliqué dans les opérations foncières qu’il a décrites et que le nouveau gouvernement a commencé à sévir contre les personnes impliquées. Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte de ces éléments de preuve corroborants et du risque auquel il serait exposé à son retour en Inde compte tenu des conséquences associées aux accusations au criminel dont il peut faire l’objet.

[29]           Le demandeur soutient que les conclusions de la Commission selon lesquelles il n’aurait pas été enlevé, menacé, ni détenu sont contredites par les éléments de preuve qu’il a produits, en particulier par les procurations notariées, qui concernent les biens qu’il a transférés, et les articles de presse qui mentionnent que le parti politique alors au pouvoir menait des activités de saisie de terres en collaboration avec la police.

[30]           Selon le défendeur, aucun élément de preuve ne peut soutenir les allégations de crainte du demandeur aux termes de l’article 96 ou 97 de la Loi. La Commission n’était pas tenue de faire référence à ces éléments de preuve, car ces documents ne sont aucunement liés à la situation du demandeur. La Commission a jugé que le demandeur n’était pas crédible en ce qui a trait à chacune de ses allégations.

[31]           Le défendeur ajoute que l’histoire du demandeur, même si on y ajoute foi, ne permet pas d’étayer une demande d’asile. Le témoignage du demandeur semble révéler que celui‑ci travaillait en partenariat avec des politiciens corrompus dans un stratagème de saisie de terres et, lorsque le gouvernement a commencé à sévir contre ces pratiques, il a transféré les terres à des membres de sa famille et est entré au Canada afin d’éviter de faire l’objet d’accusations au criminel. Ses allégations selon lesquelles il aurait été détenu par la police révèlent seulement que des personnes auraient crié contre lui et l’auraient menacé d’intenter une poursuite en justice contre lui.

[32]           La jurisprudence a établi que dans certaines circonstances, une demande présentée au titre de l’article 97 doit être prise en compte même s’il a été conclu que le demandeur manquait de crédibilité. Toutefois, les circonstances de l’espèce ne l’exigent pas. 

[33]           Dans l’arrêt Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, [2002] 3 RCF 537, la Cour d’appel a donné l’explication suivante :

[28]      En outre, le paragraphe 69.1(9.1) prévoit que la Commission ne peut conclure à l’« absence de minimum de fondement » que s’il n’a été présenté à l’audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel le commissaire aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. En d’autres termes, le commissaire ne peut conclure à l’« absence de minimum de fondement » s’il dispose d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui peuvent lui permettre de reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, même si la Commission décide, en se fondant sur la preuve dans son ensemble, que la revendication est dénuée de fondement.

[29]      Cependant, comme le juge MacGuigan l’a reconnu dans l’arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu’il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s’appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

[34]           Dans la décision Levario c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 314, 9 Imm LR (4th) 198, la Cour a souligné que pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement d’une demande d’asile, le seuil à franchir est élevé. Elle a formulé la remarque suivante au paragraphe 19 : « C’est donc dire que s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités. »

[35]           Comme l’a souligné la Cour dans la décision Fernando, au paragraphe 31, la question de savoir si la Commission doit apprécier la preuve documentaire dépend de la nature de cette preuve de même que de son lien avec la demande d’asile. En outre, il revient au demandeur de prouver l’existence d’un lien entre sa situation et les risques auxquels il prétend qu’il sera exposé. La Cour a ajouté ceci au paragraphe 34 :

J’ai du mal à croire qu’une fois établi le manque de crédibilité du demandeur, le tribunal ait comme obligation d’examiner la preuve documentaire pour y trouver un lien avec des faits propres à la situation du demandeur. C’est le demandeur, non le tribunal, qui doit démontrer l’existence d’un tel lien.

[Non souligné dans l’original.]

[36]           Dans la décision Manickan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1525, au paragraphe 5, [2006] ACF no 1913 (QL) (Manickan), la Cour s’est reportée à la décision Fernando et a souligné que la question de savoir s’il est nécessaire d’examiner la preuve documentaire dépend de la nature de cette preuve et de son lien avec la demande d’asile, et que chaque cause est examinée en fonction des faits qui lui sont propres. La Cour a ajouté ceci au paragraphe 6 :

La preuve documentaire n’a pas besoin d’être examinée lorsque la seule preuve qui établit un lien entre un demandeur et les documents est le témoignage discrédité du demandeur. Par exemple, il y aura des cas où les rapports sur la situation du pays ne pourront pas éclairer davantage la situation particulière d’un demandeur. Dans d’autres cas, les rapports sur la situation du pays pourraient établir l’existence du bienfondé d’une base objective pour la crainte de persécution. Dans ce dernier cas, la Commission doit tenir compte de cette preuve

[Non souligné dans l’original.]

[37]           Dans la décision Sido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1187, [2013] ACF no 1305 (QL) (Sido), au paragraphe 20, la Cour, qui appliquait la jurisprudence précitée, a conclu qu’en fonction des faits portés à sa connaissance, « nous ne sommes pas en présence d’une affaire où la seule preuve qui établit un lien entre les demandeurs et la preuve documentaire est le témoignage discrédité des demandeurs » [non souligné dans l’original]. La Cour a souligné que des éléments de preuve révélaient que les enfants des demandeurs étaient des militants politiques, et qu’en raison de ces éléments de preuve, il était nécessaire de tenir compte de la preuve sur la situation dans le pays afin d’évaluer le risque connexe auquel seraient exposés les demandeurs. 

[38]           Compte tenu du fait qu’une conclusion d’« absence d’un minimum de fondement » entraîne de graves conséquences et doit être tirée en fonction de celles‑ci, la question consiste à savoir si le demandeur a fourni, outre son propre témoignage, jugé non crédible, des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à l’appui de son allégation de crainte à l’égard de politiciens ou du système judiciaire découlant de sa participation dans le stratagème de saisie de terres.

[39]           Les seuls éléments de preuve pouvant peut-être corroborer des éléments de sa demande sont les procurations notariées et les articles de presse. Les procurations prouvent uniquement qu’il a participé à des opérations immobilières, qu’il avait un pouvoir à l’égard de certaines terres et qu’il avait délégué un pouvoir à d’autres personnes à l’égard d’autres terres. Elles ne prouvent pas qu’il a participé à un stratagème de saisie de terres, que ces activités étaient illégales d’une quelconque manière, qu’il a été enlevé ou menacé par des politiciens ou qu’il faisait l’objet d’accusations de la police.

[40]           Les articles de presse font référence à la question de la saisie de terres au Tamil Nadu, donnent une description du stratagème différente de la description des opérations fournies par le demandeur et indiquent que le nouveau parti au pouvoir n’admet pas ces pratiques. Les articles de presse n’établissent aucun lien avec les éléments de preuve fournis par le demandeur et ne corroborent pas ses allégations. En outre, les renseignements ne permettent pas de prouver que quiconque risque d’être torturé, tué ou soumis à des traitements ou peines cruels et inusités. Ils prouvent seulement que les personnes impliquées dans les stratagèmes feront l’objet d’une enquête et de poursuites.

[41]           Les décisions Manickan et Fernando précisent que chaque cause est examinée en fonction des faits qui lui sont propres et qu’il est nécessaire de tenir compte de la nature de la demande d’asile et de son lien avec la preuve. Le demandeur avait le fardeau de prouver l’existence d’un lien entre sa situation personnelle et le risque objectif éventuel attribuable au stratagème de saisie de terres en Inde. Il n’a pas prouvé l’existence d’un tel lien.

[42]           Contrairement à la décision Sido, en l’espèce, le seul élément de preuve établissant un lien entre le demandeur et la preuve documentaire est le témoignage discrédité du demandeur. De plus, le demandeur n’est exposé à aucun autre risque éventuel, outre ceux qui, selon son témoignage, découleraient de sa participation aux opérations de saisie de terres.

[43]           La Commission a tiré des conclusions claires relativement à la crédibilité, qui étaient bien étayées par la preuve, et a raisonnablement conclu que la demande d’asile n’avait pas un minimum de fondement. Autrement dit, la Commission n’a cru aucun élément des allégations du demandeur. Il ne relevait pas de la Commission, d’après les faits dont elle était saisie, de tenter d’approfondir la description alambiquée qu’a fournie le demandeur au sujet de ses opérations commerciales dans l’objectif de trouver un lien possible avec un risque auquel il peut être exposé si une quelconque partie de sa demande était authentique.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-558-15

 

INTITULÉ :

NAGARAJAN SEENIVASAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉCEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

pour le demandeur

 

Marina Stefanovic

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.