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Date : 20160106

Dossier : IMM-685-15

Référence : 2016 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

R.S.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   LE CONTEXTE

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, (la Loi) contre la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 23 janvier 2015 (la décision) dans laquelle la demande d’asile présentée par le demandeur au titre des articles 96 et 97 de la Loi a été rejetée parce qu’il a été jugé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de l’article 96 de la Loi, ni une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

[2]               Le ministre est intervenu dans le présent dossier et a participé à l’audience tenue devant la SPR. Le ministre a soutenu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention et que le demandeur d’asile n’est pas une personne à protéger.

[3]               L’affaire a été entendue à huis clos et les faits de la présente décision, y compris le nom du demandeur, ont été anonymisés conformément à l’ordonnance de la Cour visant à supprimer tout renseignement susceptible de révéler l’identité du demandeur, celle de membres de sa famille ou d’associés, notamment leur nom, âge, lieu de naissance et autres renseignements semblables.

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 13 août 2010 à bord du MV Sun Sea. Il a demandé l’asile parce qu’il craignait d’être persécuté, d’être soumis à la torture et d’être exposé à une menace à sa vie. Il affirme craindre i) le gouvernement sri lankais; ii) les forces de sécurité sri lankaises; iii) les groupes paramilitaires meurtriers et les camionnettes blanches sans plaque de l’EPDP, et iv) les TLET.

[5]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il y avait lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

A.                Aperçu général

[6]               Dans sa décision, la SPR a déclaré que le demandeur n’était pas crédible et que la crainte qu’il a alléguée n’était pas fondée. À titre subsidiaire, la SPR a déclaré que la situation dans le pays avait changé et que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté ou de subir un préjudice s’il était renvoyé dans son pays d’origine. La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas un profil, en qualité de demandeur d’asile débouté ou de passager à bord du MV Sun Sea, susceptible d’étayer une demande d’asile sur place. La décision fait un peu plus de 25 pages dont 19 sont consacrées à l’analyse et aux conclusions. La décision fait constamment référence à la jurisprudence de la Cour ainsi qu’à une grande diversité de documents relatifs à la situation dans le pays.

[7]               La SPR s’est dite convaincue que le demandeur était un citoyen sri lankais, un Tamoul de la province du Nord qui est arrivé au Canada à bord du MV Sun Sea. Le demandeur a témoigné à l’audience en tamoul à l’aide d’un interprète qui a traduit son témoignage en anglais.

B.                 Les conclusions relatives à la crédibilité

[8]               La SPR a estimé que la question cruciale était la crédibilité. Les principales conclusions qu’a tirées la SPR en matière de crédibilité étaient que le demandeur a concocté une histoire selon laquelle il aurait été arrêté par les autorités sri lankaises, ensuite battu, interrogé et libéré avec l’obligation de se présenter aux autorités. Il a également dit qu’un groupe armé s’était rendu chez lui, avait essayé de lui extorquer de l’argent et qu’après son refus, ils étaient revenus chez lui 15 ou 16 fois sur une période de trois ans et étaient toujours à sa recherche.

[9]               La SPR a rejeté la version fournie par le demandeur et déclaré qu’il « s’[était] appuyé sur des faits élémentaires » indiquant que le gouvernement sri lankais avait de lourds antécédents en matière de torture et de mauvais traitements et elle a estimé que le témoignage fourni par le demandeur n’était pas digne de foi ni fiable.

[10]           La SPR a conclu que le témoignage du demandeur ne contenait pas des explications et des détails importants, notamment :

1.      la nature de la menace à laquelle il était exposé selon son FRP était qu’il serait abattu, mais cet élément n’a pas été mentionné dans son témoignage

2.      il a rayé le mot rançon dans son FRP et paraphé le changement, mais n’a pu expliquer cet élément à l’audience

3.      comment aurait‑il pu résister à des hommes armés et refuser de verser l’argent qu’ils exigeaient et s’évanouir lorsqu’ils l’ont menacé avec une arme à feu

4.      il n’a pas fait mention dans son FRP de la notion de personne dans une situation semblable, mais il en fait mention à l’audience

[11]           La SPR a résumé ses conclusions en matière de crédibilité en disant que « [l]e manque d’uniformité des réponses et des explications fournies ainsi que leur caractère vague, confus et incohérent » ont amené le tribunal à conclure que le demandeur n’a pas été victime de persécution de la part de l’ALS ou d’un groupe armé dans son pays. Elle a conclu qu’il avait inventé cette histoire pour donner du poids à sa demande d’asile et « [u]sant d’exagérations et d’embellissements, [il] s’est forgé un récit de persécution personnelle ». Après avoir tiré cette conclusion, la SPR a ensuite conclu au paragraphe 31 de sa décision que :

Malgré la preuve documentaire, le témoignage du demandeur d’asile et les observations écrites de la conseil, le présent tribunal conclut qu’il n’existe aucun fondement concernant une crainte subjective en l’espèce.

[12]           Résultat, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas une crainte subjective d’être persécuté et que, par conséquent, la demande fondée sur l’article 96 de la Loi n’était pas justifiée.

C.                 Changement dans la situation et demande d’asile sur place

[13]           La SPR a examiné si la situation au Sri Lanka avait tellement changé que les motifs pour lesquels le demandeur demandait l’asile n’existaient plus. Elle a reconnu que, pour évaluer les nouvelles conditions dans le pays, les facteurs tels que le caractère durable, effectif et réel doivent être pris en considération et que « plus le changement est durable selon la preuve, plus il joue en défaveur du demandeur d’asile ».

[14]           La SPR a reconnu que l’avocate du demandeur avait soutenu ce qui suit :

Il existe une vaste preuve documentaire montrant que le gouvernement du Sri Lanka a maintes fois établi un lien entre le MV Sun Sea et les TLET. Le haut-commissaire du Sri Lanka en Australie a dit à un journal sri‑lankais qu’un bateau appelé le Sun Sea transportait 200 personnes soupçonnées d’être des militants des TLET.

[15]           L’avocate a ensuite fait référence à des décisions favorables de la SPR, en disant qu’il existe dans la preuve documentaire objective un ensemble de faits fondamentaux démontrant un risque de persécution et de torture qui s’appliquent à toutes les demandes d’asile touchant le MV Sun Sea et que c’est le raisonnement qui doit être appliqué à la demande d’asile du demandeur.

[16]           La SPR a examiné et résumé l’expérience tamoule en faisant référence à quatre documents sur la situation dans le pays. Elle a reconnu que les Tamouls originaires du Nord et de l’Est du Sri Lanka avaient été victimes de violations des droits de la personne de la part des TLET et d’autres groupes. Elle a également reconnu que le gouvernement sri lankais avait déclaré victoire sur les TLET en mai 2009. La SPR a ensuite mentionné qu’elle se fondait sur les lignes directrices du 5 juillet 2010 du HCR et les lignes directrices du HCR du 21 décembre 2012 pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que, selon elle, le demandeur ne serait pas considéré par le gouvernement sri lankais et les forces de sécurité comme étant un membre, un partisan ou un sympathisant des TLET et qu’il ne serait pas exposé aux risques mentionnés ci‑dessus s’il retournait dans ce pays. La SPR a également conclu que le demandeur n’était pas une personne faisant partie de l’un des quatre groupes considérés comme étant à risque par le HCR en 2010, ni une personne appartenant à l’un des sept groupes considérés comme étant en danger dans le rapport du HCR de 2012.

[17]           Pour ce qui est de savoir si le demandeur serait soupçonné d’avoir des liens avec les TLET, la SPR a déclaré qu’aucune preuve crédible n’avait été présentée pour établir que le demandeur était soupçonné d’avoir des liens avec les TLET lorsqu’il a quitté le Sri Lanka en août 2009 et qu’il n’y avait pas de preuve directe ou indirecte démontrant qu’il était, ou est, une personne recherchée ou figurant sur la liste d’alerte de sécurité du gouvernement. Le tribunal a estimé que le demandeur, s’il retournait au Sri Lanka, ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution de par sa simple identité en tant qu’homme tamoul du Nord du Sri Lanka ayant voyagé à bord du MV Sun Sea, étant donné qu’il ne représente que peu d’intérêt, voire aucun, pour les autorités sri‑lankaises et qu’il n’a décrit aucun lien avec les TLET ni exprimé de sympathie envers ceux‑ci.

[18]           Le tribunal a estimé qu’il est important de prendre en compte le fait que, selon le droit canadien, les personnes dont l’appartenance aux TLET est établie peuvent être jugées inadmissibles au processus de demande d’asile ou être exclues de la protection des réfugiés, mais que ces arguments n’avaient pas été invoqués contre le demandeur. Le tribunal a donc déclaré qu’il est :

raisonnable de s’attendre à ce que les autorités sri‑lankaises, si elles en venaient à apprendre que le demandeur était à bord du MV Sun Sea, concluent également que, selon toute logique, des représentants canadiens auraient fait enquête pour découvrir s’il avait des liens avec les TLET.

[19]           Le tribunal a examiné diverses mesures prises par le gouvernement sri lankais, tant favorables que défavorables. Il a examiné le rapport du Service danois de l’immigration sur les droits de la personne et les questions de sécurité concernant les Tamouls du Sri Lanka, dont certaines parties concernent les Tamouls qui reviennent de l’étranger pour vivre à Jaffna. Selon le rapport, les réfugiés provenant de l’étranger ne sont pas particulièrement exposés à des risques lorsqu’ils reviennent au Sri Lanka et ils diffèrent sur ce point des réfugiés qui reviennent de camps situés au Sri Lanka.

[20]           En se fondant sur l’arrêt Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 1, la SPR a énoncé les critères applicables au titre alinéas 97(1)a) et b) de la Loi :

i.                    il doit y avoir des éléments de preuve convaincants, c’est‑à‑dire selon la prépondérance des probabilités, établissant les faits auxquels le demandeur d’asile se fie pour affirmer qu’il est exposé à un risque considérable d’être torturé ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner dans son pays;

ii.                  le danger ou le risque doit être tel qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur d’asile serait soumis à la torture ou à d’autres traitements ou peines cruels et dégradants.

[21]           La SPR a également invoqué l’arrêt Yusuf c Canada (Emploi et Immigration), [1995] 1 CF 629 (CAF) selon lequel « pour déterminer si les circonstances ont changé », il faut établir les faits, et que le seul critère est de savoir si « le demandeur du statut [a] actuellement raison de craindre d’être persécuté ».

[22]           La SPR a conclu qu’il y a de nombreux rapports défavorables concernant le Sri Lanka, mais que, à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée, le tribunal juge que la situation, bien qu’imparfaite, n’est pas mauvaise au point que le demandeur d’asile serait persécuté pour un motif prévu dans la Convention ou qu’il subirait un préjudice tel que le définit l’article 97 de la LIPR, étant donné que le demandeur n’est pas, selon la prépondérance des probabilités, perçu par le gouvernement du Sri Lanka comme étant une personne qui fait partie des TLET, et qu’il ne serait donc probablement pas pris pour cible par ce gouvernement.

III.             La norme de contrôle

[23]           Les parties conviennent, tout comme moi, que les questions dont je suis saisie touchent des décisions de la SPR qui concernent des questions mixtes de fait et de droit et que c’est donc la norme de contrôle de la raisonnabilité qui s’applique à la décision (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

[24]           Dans le cadre du contrôle de la décision selon la norme de la raisonnabilité, je devrai décider si le processus décisionnel était justifié, transparent et intelligible et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

IV.             La décision de la SPR était‑elle raisonnable?

A.                Les conclusions relatives à la crédibilité

[25]           Le demandeur affirme que le tribunal n’a pas pris en compte l’ensemble des éléments de preuve preuves lorsqu’il a évalué sa crédibilité. Il allègue en particulier que le tribunal a accroché sur des erreurs mineures portant sur des questions sans importance, comme sur le fait que son témoignage n’était pas aussi détaillé que son FRP et le tribunal a même à un moment donné conclu de façon déraisonnable que le demandeur ne connaissait pas très bien le sens du mot « rançon » alors qu’en fait la confusion que ce terme a pu causer découlait de l’utilisation par l’interprète d’un mot erroné en anglais.

[26]           L’avocat du demandeur a examiné certaines incohérences alléguées sur lesquelles le tribunal s’est fondé, comme l’identité de la personne qui était ciblée par le groupe armé, l’omission de mentionner une personne dans une situation semblable dans son FRP et dans son témoignage, concernant le fait de savoir s’il disposait vraiment d’argent pour payer le groupe armé. Il a prétendu que l’interprétation qu’a donnée le tribunal quant aux réponses du demandeur était soit erronée soit déraisonnable.

[27]           Le demandeur affirme ensuite que la conclusion défavorable relative à sa crédibilité a influencé l’ensemble de la décision et il cite Becerra Vazquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 9, ainsi que Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 510, pour étayer son argument selon lequel la décision doit être infirmée en raison de ce problème.

[28]           Le défendeur soutient que l’appréciation de la crédibilité est au cœur de la compétence et de l’expertise de la SRP, un tribunal administratif spécialisé. C’est la raison pour laquelle il y a lieu de lui accorder un degré élevé de retenue. Il soutient également que le demandeur effectue une analyse microscopique de la décision, en faisant référence à des extraits particuliers du compte rendu plutôt qu’à l’ensemble du dossier.

[29]           Pour ce qui est de la possibilité que des mots aient été mal interprétés une fois traduits en anglais, le défendeur signale que cela vaudrait dire que deux interprètes différents (un pour le FRP et un à l’audience) ont chacun fourni une interprétation erronée. Le défendeur soutient que l’argument du demandeur selon lequel il n’a pas compris les questions est dénué de fondement puisqu’il était représenté par un avocat, et que la question a été soulevée par l’avocat, non pas par le demandeur, qui a d’autres moments a bel et bien déclaré à la SPR qu’il ne comprenait pas la question.

B.                 La demande d’asile sur place

[30]           Le demandeur affirme que l’analyse qu’a effectuée la SPR quant à la demande d’asile sur place présentée par le demandeur contient trois erreurs liées :

1.                  l’analyse portait sur la question de savoir si le demandeur avait été identifié comme un membre des TLET au moment où il avait quitté le Sri Lanka et non pas s’il serait identifié comme un tel membre à son retour, en raison de son voyage sur le MV Sun Sea;

2.                  la SPR a omis de prendre en compte le risque sérieux de torture pendant les interrogatoires visant à obtenir des renseignements au sujet des personnes se trouvant à bord du MV Sun Sea qui étaient membres des TLET et celles qui ne l’étaient pas;

3.                  la SPR a omis de prendre en compte dans leur ensemble chacun des facteurs de risque constituant de la persécution et a plutôt structuré l’analyse comme si elle était de nature disjonctive.

[31]           Le demandeur affirme que le tribunal n’a pas procédé à une analyse détaillée des répercussions de son voyage sur le MV Sun Sea, qui était le principal motif de risque qu’il avait soulevé. En outre, il soutient que les trois erreurs liées mentionnées ci‑dessus démontrent que l’analyse était mauvaise. Il s’appuie sur les décisions rendues par la Cour dans Rajadurai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 532, et dans B407 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1085, d’après lesquelles le fait de se contenter d’examiner s’il avait déjà eu des liens avec les TLET par opposition à s’il en aurait à son retour est une erreur qui exige que la décision soit infirmée.

[32]           Le demandeur affirme également qu’en ce qui concerne son voyage sur le MV Sun Sea, le tribunal a écarté [traduction] « des éléments de preuve objectifs convaincants établissant que les autorités sri lankaises estimaient qu’il existait un lien entre le navire et les TLET », et qu’elles utilisaient couramment la torture pour obtenir des renseignements au sujet des TLET.

[33]           Le défendeur répond ce qui suit :

1.      la SPR a tiré sa conclusion en se fondant sur l’ensemble de la preuve, y compris sur le manque de crédibilité du demandeur et sur l’examen de documents objectifs concernant la situation dans le pays;

2.      contrairement à l’argument du demandeur, la SPR a explicitement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves permettant de croire que le gouvernement sri lankais estimerait que le demandeur avait des liens avec les TLET pour la seule raison qu’il s’était rendu au Canada sur le MV Sun Sea;

3.      la SPR a estimé que le Canada considère les TLET comme étant une organisation terroriste et que si le Canada l’avait reconnu comme étant membre des TLET, il aurait été déclaré interdit de territoire et il aurait fait l’objet d’une mesure d’expulsion; par conséquent, même si un certain nombre de membres des TLET se trouvaient sur le MV Sun Sea, cet élément ne permet pas à lui seul d’établir le bien‑fondé de sa demande.

[34]           Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et que, compte tenu du contexte, la façon dont le demandeur a été traité avant de quitter le Sri Lanka, le fait qu’il ait quitté ce pays légalement et qu’il n’ait pas prétendu être un sympathisant des TLET, sont des éléments qui étayent tous la conclusion selon laquelle il n’avait pas le profil d’un TLET avant de quitter le Sri Lanka.

[35]           Le défendeur s’appuie sur la décision S.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 78, pour affirmer qu’on ne peut pas présumer qu’il existe plus qu’une simple possibilité que tous les passagers du MV Sun Sea soient torturés et que la question est plutôt de savoir si un demandeur d’asile en particulier sera torturé, un exercice qui exige que l’on prenne en compte la situation personnelle de ce demandeur et que l’on détermine s’il est probable que les autorités concluent qu’il était lié aux TLET.

[36]           Dans le même ordre d’idées, le défendeur invoque la décision B198 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1106 (B198), pour appuyer la conclusion de la SPR selon laquelle, étant donné que le demandeur n’avait pas de lien réel ou présumé avec les TLET lorsqu’il se trouvait au Sri Lanka, et qu’il a quitté ce pays légalement, le seul fait d’être un passager du MV Sun Sea n’était pas un élément suffisant pour l’exposer à un risque.

C.                 Analyse

[37]           La SPR a tiré plusieurs conclusions non litigieuses, notamment le fait que le demandeur a été interrogé une fois en 2006 et une autre fois en 2007, et que c’était là les deux seuls contacts qu’il ait eus avec l’armée. Il a également obtenu un passeport peu après sa deuxième détention et en mars 2010, il a franchi des postes de contrôle sans difficulté. En fin de compte, le demandeur a réussi à quitter le Sri Lanka. Finalement, la demande d’asile sur place du demandeur repose sur la réponse à la question de savoir si le seul fait d’être un passager du MV Sun Sea suffit à établir le bien-fondé de sa demande fondée sur l’article 97.

[38]           Le demandeur relève des cas précis où la SPR a peut‑être mal interprété une partie de son témoignage, mais, même si cela est exact (ce qui n’est pas une conclusion que je suis tenue de tirer) cela ne tient pas compte de « l’image d’ensemble » qui est que, de son propre aveu, le demandeur n’est pas et n’a pas été un sympathisant des TLET. Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité étaient bien étayées par des références aux faits, et il y avait des motifs clairs et détaillés justifiant ces conclusions. Le demandeur invite en fait la Cour à apprécier à nouveau les éléments de preuve, mais ce n’est pas une tâche qui incombe à la Cour.

[39]           La Cour a déjà examiné au moins 60 demandes d’asile présentées par des passagers se trouvant soit sur le MV Sun Sea soit sur son navire jumeau l’Ocean Lady. Dans certains cas, le voyage sur le navire a été jugé suffisant pour accorder l’asile alors que dans d’autres cas le tribunal n’a pas conclu en ce sens. Dans B198, le juge Kane a déclaré au paragraphe 66 que « même si, en apparence, différentes approches semblent avoir été adoptées en réponse à des situations similaires, chaque demande est différente. Le rôle de la Cour consiste à examiner le caractère raisonnable de la décision de la Commission, et non d’imposer sa propre conclusion » et il a ensuite fait référence au passage suivant de la décision de la juge Snider dans P.M. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 77 :

[17] En outre, et il s’agit d’un facteur encore plus important, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Il est possible de parvenir à des conclusions différentes à partir de faits similaires. Je reconnais que le demandeur a mis de l’avant un raisonnement logique à l’appui de la conclusion qu’il est exposé à un risque, en raison de son arrivée au pays à bord du NM Sun Sea. Cela ne signifie toutefois pas que le raisonnement adopté par la Commission était déraisonnable. L’existence d’un éventail d’issues possibles est la caractéristique principale de la norme de la raisonnabilité et elle constitue la fondation de la déférence envers les décideurs. La question de savoir si le demandeur en l’espèce serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution était une question factuelle qui relevait de la Commission. Malgré le fait qu’il soit possible que moi, ou qu’un autre commissaire, ayons pu parvenir à une conclusion différente, il était raisonnablement loisible à ce tribunal de la Commission d’en arriver à cette décision au vu du dossier de preuve en l’espèce. La Cour ne devrait pas intervenir.

[40]           Je souscris tout à fait à ces affirmations. Il incombe au demandeur d’établir le bien‑fondé de sa demande. Il appartient à la SPR de décider si les éléments de preuve présentés par le demandeur sont crédibles et dignes de foi et d’appliquer ensuite le droit aux faits constatés. La SPR est un tribunal spécialisé et c’est elle qui est compétente pour juger si un témoignage est crédible et digne de foi.

[41]           Les conclusions de la SPR, comme celles de n’importe quel décideur, ne sont pas infaillibles, mais je suis convaincue que, en l’espèce, le tribunal a examiné de façon équitable les éléments de preuve et fourni des motifs détaillés pour rejeter la demande d’asile du demandeur. Cela permet à la Cour de déterminer pourquoi le tribunal en est arrivé à sa conclusion et de savoir s’il a appliqué les bons critères juridiques pour y arriver. Le dossier soumis au tribunal étaye la décision, laquelle appartient aux issues possibles et acceptables. Il importe peu de savoir si j’en serais arrivée à la même conclusion, puisque la SPR s’est acquittée des tâches que lui a confiées le législateur et a satisfait aux exigences en matière de raisonnabilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir.

[42]           Étant donné que les sont justifiés, transparents et intelligibles et que la conclusion appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et j’estime que les faits n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-685-15

 

INTITULÉ :

R.S. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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