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Date : 20160114


Dossier : IMM-3430-15

Référence : 2016 CF 40

Montréal (Québec), le 14 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

KATERYNA MYKYTINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR], datée du 18 juin 2015.

[2]               La demanderesse est citoyenne de l’Ukraine, originaire de la région de Donetsk et sa langue maternelle est le russe. Elle est retraitée et dit craindre l’armée ukrainienne et les rebelles russophones que se livrent à des combats dans sa région natale. Elle a quitté l’Ukraine en juillet 2014 pour le Canada où habite sa sœur, et en août 2014, elle a demandé l’asile. Dans une décision du 2 janvier 2015, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a déterminé que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ou de personne à protéger, sous les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

[3]               Tout d’abord, la légalité des déterminations préliminaires de la SAR concernant la non-admissibilité de certains éléments de preuve et la non-tenue d’une audience orale ne sont pas en cause aujourd’hui.

[4]               En second lieu, ayant examiné son rôle comme tribunal d’appel et examiné la jurisprudence de la Cour fédérale à ce sujet (notamment Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702; Eng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 711; Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799; et Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913), la SAR a procédé à sa propre évaluation de l’ensemble de la preuve présentée devant la SPR, ainsi que de la preuve admissible présentée devant la SAR, afin de déterminer si la SPR a commis une erreur manifeste et dominante. Cette approche du commissaire ne constitue pas une erreur révisable en l’espèce, puisque la Cour d’appel fédérale ne s’est toujours pas prononcée sur la question de la portée d’un appel et du test applicable devant la SAR (Alyafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952).

[5]               Au niveau du mérite de l’appel lui-même, la SAR a ensuite examiné l’évaluation de la PRI faite par la SPR à la lumière des deux volets identifiés par la Cour d’appel fédérale dans les affaires Rasaratnam c Canada [1992] 1 CF 706 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada [1994] 1 CF 589 (CA) et qu’on peut résumée comme suit :

  1. La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.
  2. De plus, la situation dans la partie du pays que l’on estime constituer une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur.

[6]               Dans un premier temps, la SAR a estimé que la preuve présentée par la demanderesse n’a pas démontré que, selon la prépondérance des probabilités, il y a une possibilité sérieuse de persécution ou qu’il y a une probabilité que la demanderesse soit exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou à la torture, si elle devait s’établir dans la ville de Kiev en Ukraine. La SAR a noté que la demanderesse ne pensait pas que les personnes qu’elle craignait dans sa ville de Donetsk pourraient la retrouver ou s’en prendre à elle dans la ville de Kiev. La raisonnabilité de la conclusion d’absence de risque personnalisé ou de possibilité sérieuse de persécution n’est pas remise en cause aujourd’hui par la demanderesse.

[7]               Dans un deuxième temps, la SAR s’est également demandée s’il était déraisonnable pour la demanderesse de chercher refuge à Kiev. À ce sujet, la SAR a pris en compte le témoignage de la demanderesse selon lequel elle aurait de la difficulté à se trouver un travail à Kiev – parce que des voisins de Donetsk qui y étaient allés pour s’y établir sont revenus à Donetsk et lui ont dit qu’il était difficile de se trouver un emploi à Kiev – et qu’elle aurait besoin de travailler à Kiev – parce que sa pension n’est pas élevée et qu’elle aurait besoin de se payer un logement à Kiev.

[8]               D’un autre côté, la SAR a également noté que le nouveau document sur l’Ukraine du UNHCR de janvier 2015, déposé en appel par la demanderesse et accepté en preuve par la SAR, indique que le gouvernement ukrainien a établi un système d’enregistrement pour les personnes déplacées provenant de zones de conflit afin de pouvoir obtenir leur pension de l’État et autres bénéfices monétaires, alors que la date limite du 1er février 2015 pour effectuer cet enregistrement ne s’appliquerait pas à la demanderesse. Le même document indique aussi que le parlement ukrainien a adopté une loi en octobre 2014 afin d’assurer le respect des droits des personnes déplacées et pour faciliter l’accès aux services sociaux et à l’emploi. La SAR a considéré que le simple fait que les voisins de la demanderesse avaient dit avoir eu des difficultés à se trouver du travail à Kiev ne démontre pas qu’il sera impossible pour la demanderesse d’y travailler, surtout lorsqu’on considère le fait qu’elle a une longue expérience en tant qu’éducatrice. En conséquence, la SAR a déterminé que les difficultés financières évoquées par la demanderesse ne rendaient pas déraisonnable la PRI.

[9]               Mais l’analyse de la SAR ne s’est pas arrêtée là. La SAR a également aussi considéré d’autres facteurs pertinents, notamment le fait que la demanderesse n’a plus de famille proche en Ukraine et qu’elle préfère demeurer avec sa sœur au Canada. Cependant, la SAR a déterminé que l’absence de membres de sa famille à Kiev ne rendait pas la PRI déraisonnable, parce que la demanderesse vivait déjà sans sa sœur en Ukraine et ne recevait pas d’aide de sa famille. Finalement, la SAR a noté que la demanderesse a fait valoir que les résidents de Kiev pourraient savoir qu’elle provient d’une région de l’est du pays en raison de son accent en langue ukrainienne, et que certains de ces résidents pourraient ainsi « la regarder mal ». Néanmoins, la SAR a constaté qu’une lecture de la preuve documentaire révèle qu’une majorité de résidents de Kiev parlait le russe – la langue maternelle de la demanderesse.

[10]           Pour tous ces motifs, la SAR a conclu que la PRI à Kiev ne serait pas déraisonnable pour la demanderesse et que la SPR n’avait pas erré dans son analyse de la PRI.

[11]           Ayant considéré les arguments d’attaque de la demanderesse, je ne suis pas satisfait que la SAR a commis une erreur révisable dans son analyse, tandis que la conclusion générale de la SAR m’apparaît comme une issue acceptable à la lumière du droit applicable, des motifs fournis par la SAR et de l’ensemble de la preuve au dossier.

[12]           À ce chapitre, j’accepte les arguments de rejet de la demande de contrôle présentés par le défendeur dans son mémoire et repris oralement à l’audience. En particulier, je rejette la prétention générale de la demanderesse à l’effet que la SAR n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve au dossier. Au contraire, la SAR pouvait raisonnablement conclure que les difficultés financières soulevées par la demanderesse ne rendaient pas déraisonnable la PRI. La SAR a effectivement tenu compte de la preuve au dossier, incluant le fait que la demanderesse était à la retraite et que les autorités ont pris des mesures pour que les personnes déplacées puissent recevoir leur pension et avoir accès aux services sociaux et à l’emploi. La SAR a également considéré que la majorité des résidents de Kiev parle le russe, et que l’absence de famille à Kiev ne rendait pas la PRI déraisonnable. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec la conclusion de la SAR, elle n’a pas sérieusement contesté la preuve au dossier sur laquelle la SAR fonde son raisonnement. En ce qui concerne la preuve documentaire traitant de la situation générale des femmes en Ukraine, la SAR est présumée en avoir pris connaissance, et cette preuve, à elle seule, ne permet pas d’inférer l’existence d’un risque particularisé.

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les procureurs conviennent que ce dossier ne soulève aucune question d'importance générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3430-15

 

INTITULÉ :

KATERYNA MYKYTINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 janvier 2016

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 janvier 2016

 

COMPARUTIONS :

Éric Taillefer

Pour la demanderesse

Thi My Dung Tran

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield et Associés

Avocats

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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