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Date : 20151222


Dossier : T-2114-13

Référence : 2015 CF 1412

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

L’ECOLOGY ACTION CENTRE ET

 LA LIVING OCEANS SOCIETY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

AQUABOUNTY CANADA INC.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1]               La demande dont est saisie la Cour porte sur deux décisions ministérielles concernant le saumon de l’Atlantique (Salmo salar) génétiquement modifié comportant une seule copie du transgène opAFP-GHc2 au locus EO-1α, connu sous le nom de « saumon AquAdvantage » [SAA].

[2]               Les aliments génétiquement modifiés soulèvent la controverse; cependant, la présente demande ne concerne que deux décisions rendues par les ministres défendeurs, soit le ministre de l’Environnement et le ministre de la Santé [collectivement, les ministres]. La question n’est pas de savoir si les ministres avaient raison, mais si leurs décisions étaient raisonnables et conformes aux dispositions législatives applicables.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les décisions des ministres étaient raisonnables et qu’elles ont été rendues de la manière prescrite par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33 [LCPE]. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

Les parties

[4]               Les demandeurs sont des sociétés enregistrées sans but lucratif qui ont à cœur l’intérêt du public pour ce qui est de la protection de l’environnement marin. Les défendeurs reconnaissent qu’ils sont des parties à un litige d’intérêt public et qu’ils ont la qualité pour présenter la présente demande.

[5]               Les ministres ont des responsabilités en vertu de la LCPE, et plus particulièrement à l’égard des questions dont est saisie la Cour, conformément à la partie 6 de la LCPE intitulée Substances biotechnologiques animées. Le règlement édicté en vertu de la partie 6, à savoir le Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (organismes), DORS/2005-248 (RRSN), s’applique également à la présente demande ainsi qu’aux contestations présentées par les demandeurs.

[6]               La défenderesse, AquaBounty Canada Inc. [AquaBounty], est la société de biotechnologie qui a créé le SAA et qui détient les droits sur ce poisson. Elle soutient que le SAA atteint beaucoup plus rapidement sa taille marchande que le saumon sauvage ou le saumon d’élevage. La société exploite une [traduction] « écloserie sécurisée de recherche expérimentale sur terre » à Souris, à l’Île-du-Prince-Édouard [l’installation de l’Î.-P.-É.]. AquaBounty propose de produire commercialement des œufs de SAA uniquement femelles et stériles à son installation de l’Î.-P.-É. et de les exporter vers une installation terrestre étanche de grossissement située au Panama. Pour ce faire, AquaBounty devait présenter une demande en vertu de la partie 6 de la LCPE. Les décisions faisant l’objet du contrôle découlent de cette demande.

La demande

[7]               Les demandeurs avancent deux arguments généraux :

1.                  Que le ministre de l’Environnement n’a pas respecté les exigences de la LCPE lorsque, le 23 novembre 2013, il a publié un avis de nouvelle activité [avis de NAc] au sujet du SAA dans la Gazette du Canada

2.                  Que les ministres n’ont pas obtenu ni analysé les renseignements requis en vertu de la Loi pour effectuer leur évaluation de la toxicité aux termes de l’article 108 de la LCPE.

[8]               Je propose tout d’abord d’établir le cadre réglementaire de la LCPE et du RRSN qui s’applique en l’espèce. Je présenterai ensuite les faits pertinents et les questions précises soulevées par les demandeurs. Enfin, j’analyserai les positions des parties relativement à ces questions ainsi que les motifs de la conclusion à laquelle je suis arrivé.

Le cadre réglementaire applicable aux organismes vivants

[9]               La partie 6 de la LCPE établit un cadre réglementaire pour l’évaluation et l’approbation des substances biotechnologiques animées [organismes vivants]. Le texte complet de la partie 6 est reproduit à l’annexe A. Ce cadre repose sur une liste tenue à jour par le ministre de l’Environnement appelée Liste intérieure des substances [LIS].

[10]           Il est interdit de fabriquer ou d’importer un organisme vivant non inscrit sur la LIS si la personne qui souhaite le faire [le déclarant] n’a pas fourni au ministre de l’Environnement les renseignements réglementaires requis [un avis de NAc] et si le délai d’évaluation prévu n’est pas expiré : paragraphe 106(1) de la LCPE. Les organismes vivants doivent être évalués afin de déterminer s’ils sont effectivement ou potentiellement toxiques : paragraphe 108(1) de la LCPE. L’article 64 de la LCPE précise que, pour l’application de la partie 6 :

[...] est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à :

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie;

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaines.

Un organisme qui satisfait ou peut satisfaire à la définition énoncée à l’article 64 de la LCPE est décrit comme étant toxique au sens de la LCPE.

[11]           En ce qui concerne le SAA, l’article 4 du RRSN prévoit que le déclarant doit fournir les renseignements visés à l’annexe 5 du Règlement. En vertu de l’alinéa 3b) de l’annexe 5, les renseignements exigés comprennent les renseignements concernant « l’utilisation prévue et toute utilisation potentielle ainsi que les lieux d’introduction potentiels » et, en vertu de l’alinéa 5a), ils incluent « les données de l’essai servant à déterminer la pathogénicité, la toxicité ou le caractère envahissant de l’organisme ». Les renseignements réglementaires visés à l’annexe 5 doivent être fournis au moins 120 jours avant que le déclarant fabrique ou importe l’organisme : alinéa 5d) du RRSN.

[12]           Le déclarant peut demander aux ministres de l’exempter de l’obligation de fournir les renseignements visés à l’annexe 5, et les ministres peuvent acquiescer à sa demande si l’une des trois conditions énoncées au paragraphe 106(8) sont respectées, à savoir si :

a) les ministres jugent que les renseignements ne sont pas nécessaires pour déterminer si l’organisme vivant est effectivement ou potentiellement toxique;

b) l’organisme vivant est destiné à une utilisation réglementaire ou doit être fabriqué en un lieu où, selon les ministres, la personne qui demande l’exemption est en mesure de le contenir de façon à assurer une protection satisfaisante de l’environnement et de la santé humaine;

c) il est impossible, selon les ministres, d’obtenir les résultats des essais nécessaires à l’établissement des renseignements.

[13]           Si une exemption est accordée, le paragraphe 106(9) de la LCPE prévoit que le ministre de l’Environnement doit « publie[r] dans la Gazette du Canada le nom des bénéficiaires de l’exemption et le type de renseignements en cause ».

[14]           En outre, si une exemption est accordée en vertu de l’alinéa 106(8)b) parce que les ministres jugent que le déclarant, en ce qui concerne l’organisme vivant, « est en mesure de le contenir de façon à assurer une protection satisfaisante de l’environnement et de la santé humaine », les passages pertinents du paragraphe 106(10) disposent que « le bénéficiaire de l’exemption [...] ne peut [...] l’utiliser, le fabriquer ou l’importer que dans le lieu mentionné dans la demande d’exemption ».

[15]           L’alinéa 6d) du RRSN prévoit que, aux fins de l’évaluation de la toxicité prévue à l’article 108 de la LCPE, « le délai dont dispose les ministres pour évaluer les renseignements » fournis en vertu de l’annexe 5 est de « cent vingt jours ouvrables suivant leur réception ».

[16]           Bien que les ministres soient les seuls investis du pouvoir législatif requis pour déterminer si un organisme est toxique au sens de la LCPE, leur ministère a conclu un protocole d’entente avec le ministère des Pêches et des Océans [MPO], en vertu duquel le MPO fournit des avis sur la toxicité de tous les poissons soumis à une évaluation.

[17]           Après l’évaluation des ministres, quatre options s’offrent au ministre de l’Environnement en vertu de la LCPE. Il :

1.    peut, avant la fin du délai d’évaluation, autoriser la fabrication ou l’importation de l’organisme aux conditions que les ministres précisent si elle soupçonne l’organisme d’être effectivement ou potentiellement toxique : alinéa 109(1)a) de la LCPE;

2.    peut, avant la fin du délai d’évaluation, interdire la fabrication ou l’importation de l’organisme si elle soupçonne l’organisme d’être effectivement ou potentiellement toxique : alinéa 109(1)b) de la LCPE;

3.    peut, dans les 90 jours suivant l’expiration du délai d’évaluation, autoriser la fabrication ou l’importation de l’organisme, mais exiger une autre évaluation de la toxicité si une personne propose une « nouvelle activité » relative à l’organisme qui peut rendre celui-ci toxique : paragraphes 110(1) et 106(4) de la LCPE;

4.    autorise, dans les 120 jours suivant la réalisation de plusieurs conditions, la fabrication ou l’importation de l’organisme en l’ajoutant à la LIS : paragraphe 112(1) de la LCPE.

[18]           Au sens de l’article 104 de la LCPE, une « nouvelle activité » s’entend notamment de toute activité qui, de l’avis des ministres, donne ou peut donner lieu à la pénétration ou au rejet d’un organisme vivant dans l’environnement en une quantité ou concentration sensiblement plus grande qu’antérieurement, ou dans des circonstances et d’une manière qui sont sensiblement différentes.

[19]           Si les ministres soupçonnent qu’une nouvelle activité peut rendre l’organisme toxique, le ministre de l’Environnement peut alors publier un avis de NAc dans la Gazette du Canada dans les 90 jours suivant l’expiration du délai d’évaluation : paragraphe 110(1) de la LCPE. Après la publication de l’avis de NAc, il est interdit d’utiliser l’organisme dans le cadre d’une nouvelle activité prévue par l’avis sans avoir fourni au ministre de l’Environnement les renseignements réglementaires (c.-à-d. les renseignements visés à l’annexe 5 du RRSN) et tant que le délai d’évaluation de ces renseignements n’est pas expiré : paragraphes 110(3) et 106(4) de la LCPE.

Les faits

[20]           Les faits ne sont pas contestés. Par souci de commodité, ils sont présentés chronologiquement.

[21]           Le 29 avril 2013, AquaBounty a présenté un avis de NAc relativement au SAA. Dans son avis, AquaBounty a signalé son intention de produire des œufs de SAA uniquement femelles et stériles à son installation étanche de l’Î.-P.-É. et d’exporter jusqu’à 100 000 œufs par année vers le Panama aux fins de grossissement et de transformation. Les poissons transformés seraient ensuite vendus aux fins de consommation sur les marchés de détail approuvés. Dans son avis, AquaBounty demandait également une exemption de l’obligation de produire [traduction] « les données d’un essai visant à déterminer la pathogénicité, la toxicité ou le caractère envahissant [du SAA] ». Le délai d’évaluation de 120 jours prescrit à l’article 108 de la LCPE a donc été imposé à l’entreprise après le dépôt de son avis, lequel délai prenait fin le 27 août 2013.

[22]           Le 13 août 2013, le MPO a soumis au ministre de l’Environnement son rapport d’évaluation sur le SAA, intitulé Résumé de l’évaluation des risques pour l’environnement et des risques indirects pour la santé humaine posés par le saumon AquAdvantage [le rapport du MPO]. Dans son rapport, le MPO a conclu que si le SAA est utilisé aux fins décrites dans l’avis, il ne sera pas toxique au sens de la LCPE et ne sera pas susceptible de le devenir :

1 – Risque indirect pour la santé humaine

En se basant sur les résultats de l’évaluation de l’exposition (risque négligeable avec degré de certitude raisonnable) et de l’évaluation du danger indirect pour la santé humaine (risque faible avec degré de certitude raisonnable), il a été conclu avec un degré de certitude raisonnable que le risque global est faible et que, par conséquent, le SAA « n’est pas toxique au sens de la LCPE ».

2 – Risque pour l’environnement

En se basant sur les résultats de l’évaluation de l’exposition (risque négligeable avec degré de certitude raisonnable) et de l’évaluation du danger pour l’environnement (risque élevé avec degré de certitude raisonnable), il a été conclu avec un degré de certitude raisonnable que le risque global est faible et que, par conséquent, le SAA « n’est pas toxique au sens de la LCPE ».

[23]           Le rapport du MPO indiquait également que le MPO ne s’opposait pas à la demande d’exemption d’AquaBounty. Le Ministère jugeait que les renseignements visés par la demande d’exemption n’étaient pas nécessaires, car AquaBounty utiliserait une installation étanche :

Compte tenu du scénario d’utilisation et du fait que les renseignements fournis à l’appui de la demande de dérogation ont été jugés satisfaisants pour démontrer que l’organisme sera contenu de façon à assurer une protection satisfaisante de l’environnement et de la santé humaine, les données sur le caractère envahissant mentionnées à l’alinéa 5a) de l’annexe 5 du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (organismes) ne sont pas nécessaires pour déterminer si l’organisme est toxique au sens de la définition de l’article 64 de la LCPE (1999). [Non souligné dans l’original.]

[24]           Le MPO recommandait également que le ministre de l’Environnement publie un avis de NAc exigeant la réalisation d’une évaluation approfondie de l’utilisation du SAA dans un autre scénario que celui proposé par AquaBounty à son installation de l’Î.-P.-É. ou de l’exportation du SAA vers une autre installation que celle d’AquaBounty située au Panama :

Comme l’accent a été mis sur le confinement visant à empêcher l’exposition à l’environnement canadien, en particulier le confinement physique du SAA, il s’avère impératif de conserver le scénario d’utilisation proposé par AquaBounty, y compris les mesures opérationnelles et de confinement physique, biologique et géographique. De ce fait, toute activité ne s’inscrivant pas dans les paramètres bien définis ayant été décrits dans la déclaration réglementaire peut être considérée comme une nouvelle activité et pourrait nécessiter un avis de nouvelle activité.

[25]           Le 19 août 2013, le ministre de l’Environnement a accordé l’exemption demandée par AquaBounty.

[26]           Le délai d’évaluation a pris fin le 27 août 2013. Les ministres étaient d’accord avec l’affirmation du MPO selon laquelle la fabrication et l’utilisation du SAA proposées par AquaBounty ne rendent pas et ne sont pas susceptibles de rendre le SAA toxique au sens de la LCPE. Ils étaient également d’accord avec le MPO concernant la nécessité de publier un avis de NAc, mais n’étaient pas d’accord avec le Ministère quant à la portée de cet avis.

[27]           Comme il a été mentionné précédemment, le MPO voulait que l’avis de NAc indique qu’une « nouvelle activité » serait définie, en partie, comme une activité qui est menée à une autre installation que celle de l’Î.-P.-É. et dont le but est l’exportation vers une autre installation que celle du Panama. Les ministres se sont toutefois ralliés à la différente recommandation de leurs représentants dans un rapport intitulé Record of Decision and Rationale (RDR): Control Measures for New Organisms (Compte rendu de décision et justification : Mesures de contrôle des nouveaux organismes) [rapport RDR]. Dans ce rapport, les représentants ont adopté une approche plus fonctionnelle pour établir la définition d’une nouvelle activité. Ils étaient d’avis que [traduction] « l’activité actuelle ne se définit pas en fonction de son emplacement, mais plutôt des mesures de confinement mises en place au Canada pour éviter le rejet de poissons vivants dans l’environnement canadien », et qu’il serait probablement impossible d’appliquer des restrictions visant à limiter l’exportation vers un lieu particulier.

[28]           Le 23 novembre 2013, le ministre de l’Environnement a publié un avis de NAc concernant le SAA dans la Gazette du Canada. Comme l’avaient proposé ses représentants, la portée de l’avis était plus générale que celle recommandée par le MPO. Dans cet avis, une « nouvelle activité » était définie comme toute activité autre que les utilisations du SAA proposées par AquaBounty dans une « installation étanche » ou le grossissement de SAA triploïdes femelles dans une « installation étanche », à condition que les poissons soient euthanasiés avant de quitter l’installation :

1. En ce qui concerne l’organisme vivant identifié comme saumon de l’Atlantique (Salmo salar) génétiquement modifié comportant une seule copie du transgène opAFP-GHc2 au locus EO-1α, une nouvelle activité est toute activité autre que :

a) l’utilisation de l’organisme vivant non triploïde [c.-à-d. capable de se reproduire] dans une installation étanche :

(i) à titre d’organisme vivant destiné à la recherche et au développement,

(ii) pour la production d’une lignée triploïde [c.-à-d. stérile] entièrement femelle de l’organisme vivant;

b) l’utilisation de l’organisme vivant triploïde mâle dans une installation étanche à titre d’organisme vivant destiné à la recherche et au développement;

c) l’utilisation de l’organisme vivant triploïde femelle dans une installation étanche :

(i) à titre d’organisme vivant destiné à la recherche et au développement,

(ii) pour le grossissement alors qu’il est tué avant de quitter l’installation étanche;

d) l’exportation de l’organisme vivant triploïde femelle alors qu’il est au stade d’œuf embryonné. [Non souligné dans l’original.]

Les questions en litige

[29]           Les demandeurs affirment qu’il y a huit questions en litige :

1.         Quelle est la norme de contrôle?

2.         Les ministres ont-ils commis une erreur en voulant effectuer une évaluation du SAA aux termes de l’article 108 en ne recueillant pas et en n’évaluant pas des renseignements concernant les utilisations potentielles et les lieux d’introduction potentiels de l’organisme?

3.         Les ministres ont-ils enfreint la Loi en effectuant une évaluation du SAA aux termes de l’article 108 avant d’accorder une exemption à l’obligation de fournir des données sur la toxicité et le caractère envahissant et de publier un avis de délivrance d’une telle exemption dans la Gazette du Canada?

4.         Le ministre de l’Environnement a-t-il commis une erreur en publiant l’avis de NAc avant l’expiration du délai d’évaluation?

5.         En publiant l’avis de NAc, le ministre de l’Environnement a-t-il autorisé illégalement des utilisations du SAA qui sont contraires au paragraphe 106(10)?

6.         En publiant l’avis de NAc, le ministre de l’Environnement a-t-il autorisé de manière déraisonnable des utilisations du SAA qui n’avaient pas été évaluées dans le cadre de l’évaluation aux termes de l’article 108?

7.         Les demandeurs ont-ils la qualité pour présenter la présente demande?

8.         Quel est le recours approprié?

[30]           Puisque les défendeurs ont reconnu que les demandeurs ont la qualité pour agir dans l’intérêt public, il n’est pas nécessaire d’examiner la question 7. Compte tenu du résultat, il n’est pas nécessaire d’examiner la question 8.

[31]           Fondamentalement, les demandeurs contestent deux décisions : 1) la décision rendue aux termes de l’article 108 de la LCPE autorisant l’évaluation des renseignements sur le SAA fournis conformément à l’article 106; 2) la décision de publier l’avis de NAc.

La norme de contrôle applicable

[32]           Les demandeurs font valoir que, même si aucune jurisprudence n’établit la norme de contrôle applicable aux décisions contestées en l’espèce, les tribunaux ont conclu que [traduction] « l’abrogation des obligations ministérielles obligatoires prescrites par la LCPE est susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte » (Union Saint-Laurent, Grand Lacs c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2009 CF 408, [2010] 2 RCF 515 [Grands Lacs]).

[33]           Les demandeurs affirment que les décisions contestées comprenaient l’abrogation des obligations ministérielles obligatoires. Ils font remarquer que le paragraphe 106(9) de la LCPE prévoit que le ministre de l’Environnement « publie dans la Gazette du Canada » un avis d’exemption de l’obligation de fournir des renseignements. [Non souligné dans l’original.]  De même, le paragraphe 108(1) de la LCPE prévoit que les ministres « évaluent » les renseignements prescrits afin de déterminer si un organisme est toxique ou susceptible de le devenir. [Non souligné dans l’original.]  En résumé, leur argument est qu’étant donné que la validité des décisions contestées repose sur l’exercice de ces obligations par les ministres, leurs décisions doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

[34]           Les demandeurs citent trois décisions à l’appui de leur argument selon lequel la norme à appliquer est celle de la décision correcte. Ils citent Grands Lacs, qui énonce, aux paragraphes 237 à 240, la proposition selon laquelle « [l]’omission de se conformer à une exigence légale est une erreur de droit assujettie à la norme de la décision correcte ». Ils citent également Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kandola, 2014 CAF 85 [Kandola], qui énonce, aux paragraphes 42 et 43, la proposition selon laquelle lorsqu’il s’agit d’une « pure question d’interprétation de la loi qui ne [comporte] aucun élément discrétionnaire », le ministre « ne peut prétendre qu’il possède une expertise supérieure » à celle de la Cour. Enfin, ils citent Save Halkett Bay Marine Park Society c. Canada (Environnement), 2015 CF 302 [Halkett Bay Marine], dans laquelle la Cour s’est appuyée sur la décision Kandola dans le cadre du contrôle de la décision du ministre de l’Environnement d’accorder un permis autorisant le sabordage d’un navire pour en faire un récif artificiel. Dans Halkett Bay Marine, la demanderesse soutenait que le ministre de l’Environnement ne pouvait pas autoriser le sabordage parce que la coque contenait des substances interdites, à savoir du dichlorure de dibutylétain et du chlorure de tributylétain (des TBT). La Cour a conclu que, dans la mesure où la décision du ministre reposait sur des questions d’interprétation des lois, son interprétation était assujettie à la norme de la décision correcte. Le juge a déclaré ce qui suit au paragraphe 54 :

L’élément d’ordre purement juridique concerne le paragraphe 127(1) du Règlement sur la pollution par les bâtiments et certaines dispositions de la LCPE, qui, selon la Société, établissent une interdiction totale des TBT. L’examen de la Cour, en vue de déterminer si ces dispositions établissent en fait l’existence d’une interdiction totale des TBT au Canada ayant eu pour effet de rendre illégale la délivrance du permis, est effectué selon la norme de la décision correcte. La raison en est qu’il s’agit d’« une pure question d’interprétation de la loi qui ne comportait aucun élément discrétionnaire », que le ministre « ne peut prétendre qu’il possède une expertise supérieure » à celle de la Cour à l’égard de ces questions et qu’il n’y a pas de clause privative dans la LCPE (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kandola, 2014 CAF 85 (CanLII), au paragraphe 43). De plus, en ce qui concerne le Règlement sur la pollution par les bâtiments, celui‑ci a été pris sous le régime de la LMMC, précitée, qui n’est pas la « loi constitutive » du ministre, et aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que celui‑ci avait une connaissance approfondie de cette loi (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (CanLII), au paragraphe 50).

[35]           Je ne suis pas convaincu que ces décisions exigent l’application de la norme de la décision correcte en l’espèce. L’examen des questions en litige révèle que bon nombre d’entre elles ne sont pas de « pures » questions de droit, mais plutôt des questions mixtes de fait et de droit, comme la question de savoir si les ministres ont pris en considération tous les facteurs pertinents lorsqu’ils ont rendu leurs décisions. De plus, à supposer que les décisions des ministres reposent sur de « pures » questions de droit [p. ex. le moment auquel une exemption prend effet aux termes du paragraphe 106(8), le moment auquel une exemption doit être accordée, et la signification du mot « lieu » employé au paragraphe 106(10)], il s’agirait de questions « techniques » d’interprétation législative qui se limitent à un contexte bien précis dans le cadre de l’application des lois constitutives des ministres ou des lois étroitement liées à leur mandat. Ces décisions justifient donc un certain degré de déférence : McLean c. ColombieBritannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895, au paragraphe 28 [McLean].

[36]           La présente espèce consiste à examiner des décisions courantes qui ont été rendues en vertu d’un cadre réglementaire complexe. Dans ce contexte, j’estime qu’il est important de souligner, comme l’a fait la Cour suprême au paragraphe 31 de l’arrêt McLean, qu’« une cour de justice “[n’est] peut-être pas aussi bien qualifié[e] qu’un organisme administratif déterminé pour donner à la loi constitutive de cet organisme des interprétations qui ont du sens compte tenu du contexte des politiques générales dans lequel doit fonctionner cet organisme” » (citant National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324). Les ministres ont interprété la LCPE en fonction de leur expérience quotidienne de l’application de la Loi. Leur expertise est « supérieure » à celle de la Cour. Leur interprétation ne doit pas être déraisonnable, mais, dans la mesure où cette condition préalable est satisfaite, la Cour doit faire preuve de retenue.

[37]           La norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux questions en litige, qui, en résumé, consistent à savoir : 1) si la décision des ministres selon laquelle le SAA n’est pas toxique au sens de la LCPE était raisonnable; et 2) si la publication de l’avis de NAc par le ministre de l’Environnement était raisonnable.

L’évaluation de la toxicité

[38]           Les demandeurs présentent trois arguments à l’égard de l’évaluation de la toxicité effectuée par les ministres.

A.    Utilisations et lieux potentiels

[39]           Les demandeurs affirment que les ministres ont commis une erreur en ne tenant pas compte des renseignements sur [traduction] « les utilisations potentielles [du SAA] » et [traduction] « les lieux d’introduction potentiels » pour lesquels une exemption n’a pas été demandée ni accordée. Ils invoquent à l’appui le paragraphe 108(1) de la LCPE, qui prévoit que « les ministres évaluent [...] les renseignements disponibles [...] en application des paragraphes 106(1) [...] » (lesquels sont les renseignements réglementaires visés à l’annexe 5 du RRSN). L’alinéa 3b) de l’annexe 5 indique que les renseignements concernant « l’utilisation prévue et toute utilisation potentielle ainsi que les lieux d’introduction potentiels » doivent être fournis par le déclarant. Les demandeurs soutiennent que les ministres n’ont pas évalué les utilisations et les lieux potentiels du SAA, mais seulement l’utilisation et le lieu proposés par AquaBounty. Ils invoquent à l’appui le rapport du MPO, qui indique ce qui suit : « L’évaluation du risque porte sur le scénario d’utilisation proposé par AquaBounty consistant à élever des SAA en confinement dans les installations à l’Î.-P.-É. et au Panama suivant les conditions mentionnées dans la déclaration réglementaire ».

[40]           Je soupçonne que cette préoccupation est attribuable au fait que les demandeurs croyaient que l’omission allégué des ministres de tenir compte des utilisations et des lieux potentiels découlait d’une évaluation trop restrictive pour inclure l’ensemble des utilisations et lieux potentiels qui ont, au bout du compte, été approuvés par le ministre de l’Environnement dans l’avis de NAc. Les demandeurs croient peut-être que d’autres personnes peuvent désormais s’appuyer sur l’avis de NAc et réaliser des activités « potentiellement » toxiques qui n’ont pas encore été évaluées. Si telle est leur préoccupation, celle-ci est sans fondement, comme le démontrent les éléments ci-après.

[41]           Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec l’affirmation des défendeurs selon laquelle les ministres ont tenu compte des renseignements concernant les utilisations et lieux d’introduction potentiels du SAA. Les parties conviennent toutes que les ministres se sont appuyés sur le rapport du MPO. Comme l’ont fait remarquer les demandeurs, le rapport indique que l’évaluation du MPO portait sur le scénario d’utilisation proposé par AquaBounty. Cependant, le rapport énonce les observations suivantes :

La modification du scénario d’utilisation proposé ou des mesures de confinement suggérées dans la déclaration réglementaire pourrait donner lieu à l’introduction ou à la libération de SAA dans l’environnement pour lesquels le risque d’exposition serait très différent de celui dans l’évaluation du risque actuelle. Cette variation est due aux différences quant au nombre de SAA, aux circonstances et à la façon dont ceux-ci se seraient introduits ou auraient été libérés. Étant donné le risque potentiel posé par le SAA sur l’environnement canadien et l’incertitude qui s’y rattache, ce qui comprend le risque d’envahissement, toute nouvelle activité pourrait entraîner une modification de l’exposition et, par conséquent, donner lieu à une conclusion différente de celle présentée dans le présent rapport.

[42]           Par conséquent, le MPO a recommandé que le ministre de l’Environnement publie un avis de NAc qui exigerait la réalisation d’une évaluation approfondie de toute utilisation du SAA en dehors de celle expressément proposée par AquaBounty.

[43]           Outre le rapport du MPO, les ministres se sont appuyés sur le rapport RDR préparé par des représentants d’Environnement Canada et de Santé Canada. La rubrique « Control Measure(s) Rationale: Scientific Rationale » (Justification des mesures de contrôle : Justification scientifique) de ce rapport contient les passages suivants :

[traduction]

•           Comme l’a proposé le déclarant, il n’y a aucune exposition à l’environnement dans une installation étanche et une conclusion de toxicité au sens de la LCPE n’a donc pas été tirée.

•           Si une nouvelle activité entraîne une exposition à l’environnement, les données disponibles fournies par le déclarant ou mises à la disposition du public sont insuffisantes pour déterminer si l’organisme comporte des dangers qui constitueront un risque pour l’environnement, en particulier si l’on tient compte de l’incertitude quant à la survie ou à la persistance de l’organisme dans l’environnement.

•           Compte tenu de cette incertitude, il est recommandé de publier un avis de nouvelle activité (avis de NAc) afin de s’assurer que toutes les activités potentielles menées à l’extérieur d’une installation étanche font l’objet d’une évaluation poussée. [Non souligné dans l’original.]

[44]           Ces passages contredisent les passages précités du rapport du MPO sur lesquels les demandeurs se sont fondés pour avancer leur argument selon lequel le rapport indique que les ministres n’ont pas tenu compte des autres utilisations ou lieux d’introduction potentiels du SAA. Cet argument, de même que l’argument similaire exposé dans le rapport RDR, montrent que les ministres ont pris en compte les utilisations potentielles du SAA et ont tiré des conclusions à leur égard. Ils ont conclu qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de renseignements pour déterminer si certaines utilisations potentielles pouvaient rendre le SAA toxique. Ils ont également conclu que d’autres utilisations potentielles, comme des utilisations à l’extérieur de l’installation de l’Î.-P.-É., mais à l’intérieur d’une installation étanche, pourraient être approuvées en fonction des renseignements fournis. Le ministre de l’Environnement a donc publié un avis de NAc autorisant les utilisations potentielles du SAA qui, selon les ministres, ne rendraient pas l’organisme toxique. L’avis exigeait également la réalisation d’une évaluation supplémentaire des autres utilisations.

[45]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que [traduction] « puisque que les ministres ne disposaient d’aucun renseignement sur les utilisations ou les lieux d’introduction potentiels en dehors du scénario d’utilisation proposé par AquaBounty, ils ne pouvaient pas s’acquitter de leur obligation légale et prendre en compte de tels renseignements ». Là encore, je ne suis pas d’accord. Premièrement, comme il a déjà été mentionné, les ministres ont pris en compte, et ont même été en mesure d’évaluer, certaines utilisations et certains lieux d’introduction potentiels selon les renseignements fournis par AquaBounty. Deuxièmement, il serait déraisonnable de conclure que le RRSN exige qu’AquaBounty fournisse, ou que les ministres évaluent, des renseignements concernant des utilisations potentielles hypothétiques qui n’ont aucun lien avec l’utilisation actuellement prévue par AquaBounty. Il serait peu probable qu’une évaluation portant sur des utilisations potentielles hypothétiques permette de tirer des conclusions raisonnables sur la toxicité. De plus, l’avis de NAc vise à éviter que de telles suppositions soient formulées; il permet aux ministres d’autoriser des utilisations qui sont jugées non toxiques, en soumettant à une autre évaluation les nouvelles utilisations lorsqu’elles sont effectivement proposées.

[46]           Je suis d’avis que l’obligation de fournir des renseignements sur les utilisations et les lieux d’introduction potentiels vise à garantir que les déclarants fournissent des renseignements sur l’utilisation possible d’un organisme et le lieu où celui-ci pourrait être introduit en fonction de l’utilisation prévue par les déclarants. Cette interprétation repose sur les Directives pour la déclaration et les essais de substances nouvelles : Organismes (les Directives) qui indiquent ce qui suit :

Le déclarant doit fournir une description des utilisations prévues et potentielles de l’organisme ou du produit qui le contient. Les lieux potentiels d’introduction comprennent l’identification, en termes généraux, de l’écozone (en indiquant la référence sur la carte, dont une version réduite figure à l’appendice 2, mentionnée dans la définition de « écozone ») et des types d’habitat (p. ex. aquatique, terrestre) où l’on peut prévoir que l’organisme sera utilisé. [Non souligné dans l’original.]

Selon ces directives, les lieux potentiels d’introduction du SAA sont, en termes généraux, les lieux où l’on peut prévoir que l’organisme sera utilisé. Ces lieux sont probablement prévus en fonction de l’utilisation du SAA que prévoit faire AquaBounty. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de fournir des renseignements sur le lieu où le SAA pourrait être introduit dans tous les milieux possibles, mais plutôt sur le lieu où il pourrait être introduit selon l’utilisation que prévoit en faire AquaBounty. Ces renseignements ont été fournis. Le rapport du MPO évalue explicitement les risques que le SAA s’échappe dans l’estuaire de la baie Fortune à l’Î.-P.-É., ou dans le bassin versant situé à proximité de l’installation d’AquaBounty au Panama. Il s’agit là des lieux d’introduction potentiels, et le MPO les a longuement étudiés.

B.    Validité de l’exemption

[47]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que les ministres ont commis une erreur en ne tenant pas compte [traduction] « des données d’un essai visant à déterminer la pathogénicité, la toxicité ou le caractère envahissant [du SAA] » parce que l’exemption de l’obligation de fournir ces renseignements accordée par le ministre de l’Environnement était invalide.

[48]           Les demandeurs font valoir qu’une exemption n’est valide que lorsqu’un avis d’exemption est publié dans la Gazette du Canada. Ils affirment que la publication d’un tel avis permet d’en assurer l’exactitude, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il est publié plusieurs mois, voire plusieurs années, après l’octroi de l’exemption. Ils se fondent également sur le texte du paragraphe 106(9) de la LCPE, qui prévoit que « [l]e ministre publie [...] le nom des bénéficiaires de l’exemption [...] ». [Non souligné dans l’original.]  Dans la version anglaise, la Loi emploie le présent « is ». Selon les demandeurs, l’emploi de ce temps de verbe par le législateur laisse supposer qu’une exemption « est » accordée lors de la publication de l’avis. Si le législateur voulait laisser entendre qu’une exemption est accordée avant la publication d’un avis, il aurait utilisé un verbe au passé dans la version anglaise comme « was » ou « has been ».

[49]           Les demandeurs affirment que le ministre de l’Environnement ne peut pas attendre aussi longtemps qu’il le souhaite avant de publier un avis sur une exemption qu’il a accordée. Je suis d’accord avec eux, car un délai inutile et déraisonnable serait contraire à l’intention du législateur. Lors du débat en comité qui s’est tenu en 1999, il a été suggéré que l’exigence relative à la publication a été intégrée à la Loi par souci de transparence et de reddition de compte, et de responsabilité politique, envers le public. Par exemple, lors de ce débat, Mme Paddy Torsney, secrétaire parlementaire du ministre de l’Environnement, a déclaré que l’avis d’exemption « garantit qu’il y a publication, que des renseignements sont disponibles et que les ministres sont responsables envers le public par l’intermédiaire de la Chambre et d’autres mécanismes. Il est donc inexact de dire que, sans cet amendement, les choses pourraient se faire dans l’obscurité. »  Ce souci de transparence et de reddition de compte est atténué lorsqu’un avis est publié trop longtemps après l’expiration du délai d’évaluation.

[50]           Cependant, je ne puis être d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment qu’en l’espèce, le ministre a attendu trop longtemps parce qu’il a attendu près de six mois avant de publier l’avis d’exemption. Bien que l’avis doive être publié dans un délai raisonnable après l’octroi de l’exemption, sans quoi un bref de mandamus est établi pour l’ordonner, la loi n’exige pas que la publication de l’avis et l’octroi de l’exemption se fassent en même temps ou dans un délai rapproché. Même si la publication de l’avis vise à assurer la reddition de compte, cet objectif sera atteint que l’avis soit publié le jour même où l’exemption est accordée, ou dans un délai raisonnable après l’obtention de l’exemption. Je ne puis conclure que le délai en l’espèce était déraisonnable, car rien dans la preuve n’indique que les efforts des demandeurs pour communiquer leurs préoccupations au public ou à la Cour ont été contrariés. Qui plus est, les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour conclure que le délai allait à l’encontre de l’intention du législateur.

[51]           Je ne crois pas non plus que l’emploi du verbe « is » dans la version anglaise de la Loi permet nécessairement de conclure qu’une exemption n’est accordée qu’une fois qu’un avis a été publié. Selon la jurisprudence, il est possible que l’emploi du verbe « is » au présent renvoie également à des événements passés. Comme l’a déclaré la cour dans l’arrêt R v Letkeman, [1983] SJ No 1045 (SKQB), au paragraphe 7, [traduction] « bien que le verbe “is” renvoie le plus souvent au présent, il est grammaticalement correct qu’il renvoie également au passé, comme le verbe “has been” : voir Black’s Law Dictionary (5e éd.), à la page 745 » et voir également Village Gate Resorts Ltd v Moore, (1997), 47 BCLR (3d) 153 (BCCA), aux paragraphes 35 à 37.

[52]           À cet égard, il faut également souligner que l’octroi d’une exemption et la publication d’un avis d’exemption sont abordés dans des dispositions distinctes de la LCPE, à savoir les paragraphes 106(8) et 106(9), respectivement. Si l’intention du législateur était de faire comprendre que l’avis lui-même aurait pour effet légal d’exempter les déclarants de l’obligation de fournir des renseignements, il aurait transposé son intention dans une seule disposition explicite dans laquelle le lien entre l’avis et son effet légal aurait été établi. C’est ce qui a été fait au paragraphe 106(4). Selon ce paragraphe, en ce qui touche un organisme vivant, lorsque « le ministre publie dans la Gazette du Canada un avis l’assujettissant au présent paragraphe, il est interdit de l’utiliser dans le cadre d’une nouvelle activité prévue par l’avis [...] ».

[53]           Enfin, pendant l’examen de l’exigence en matière d’exemption effectué en 1999 par le Comité permanent de l’environnement et du développement durable, les membres ont signalé qu’ils avaient compris qu’un avis d’exemption est publié après l’octroi de l’exemption. Par exemple, M. Rick Laliberte a indiqué que l’exigence relative à la publication d’un avis « ne prévoit qu’une publication après coup de l’exemption accordée ».

[54]           Ces facteurs donnent à penser que l’octroi de l’exemption et la publication de l’avis ne doivent pas se faire simultanément. L’avis peut être publié après qu’une exemption a été accordée, et le délai d’attente de six mois du ministre n’a aucune incidence sur la validité de l’exemption ni sur la date à laquelle l’exemption a été accordée.

C.   Opportunité de l’exemption

[55]           Le troisième argument des demandeurs est que le ministre de l’Environnement a commis une erreur en n’accordant pas l’exemption avant le début de l’évaluation de la toxicité.

[56]           Les demandeurs soulignent que, selon l’alinéa 6d) du RRSN, le délai dont disposent les ministres pour effectuer une évaluation de la toxicité à l’aide des renseignements visés à l’annexe 5 est « de cent vingt jours suivant leur réception ». Ils affirment que tous les renseignements visés à l’annexe 5 doivent être fournis jusqu’à ce qu’une exemption de l’obligation de les fournir soit accordée. Ils affirment donc que le délai de cent vingt jours ne peut commencer qu’après que toutes les exemptions ont été accordées et que tous les autres renseignements réglementaires exigés ont été fournis.

[57]           L’argument des demandeurs pourrait découler d’une interprétation raisonnable du RRSN. Or, la question n’est pas de savoir si leur interprétation est raisonnable, mais plutôt si l’interprétation des ministres est déraisonnable. Selon l’interprétation des ministres, le délai d’évaluation commence lorsque les renseignements exigés ont été fournis ou, si certains renseignements n’ont pas été fournis, lorsqu’une exemption à leur égard a été demandée. L’avantage de cette interprétation est que les ministres peuvent procéder à une évaluation sans devoir attendre jusqu’à ce que toutes les demandes d’exemption soient traitées. Cette interprétation comporte toutefois un désavantage : les ministres risquent d’effectuer une évaluation en attendant le traitement d’une demande d’exemption qui finira par être rejetée, et ils devront alors effectuer une autre évaluation. Ce désavantage est reconnu et abordé dans la section 5 des Directives, qui se lit comme suit :

Les demandes de dérogation doivent être présentées par écrit dans le cadre de la déclaration et devraient inclure des explications bien documentées à l’appui de la requête. Le refus d’une exemption peut entraîner un report de l’évaluation (voir la section 9.1 des présentes directives). Afin d’éviter ces délais, nous recommandons aux déclarants de discuter des demandes de dérogation envisagées avec les représentants compétents d’Environnement Canada et de Santé Canada avant de présenter la déclaration (voir la section 6 des présentes directives). [Non souligné dans l’original.]

[58]           La question est donc de savoir si l’interprétation des ministres est conforme aux termes employés dans la LCPE et son règlement afférent. Pour trancher cette question, il faut examiner le texte de la loi, et, plus particulièrement, l’alinéa 6d) du RRSN, qui indique que le délai dont disposent les ministres pour effectuer une évaluation de la toxicité à l’aide des renseignements visés à l’annexe 5 est de « cent vingt jours suivant leur réception ». Il importe de souligner que cette disposition ne décrit pas l’incidence qu’a une demande d’exemption, et l’omission qui en découle de fournir tous les renseignements visés à l’annexe 5, sur le délai d’évaluation. Elle indique simplement que le délai d’évaluation commence lorsque les renseignements visés à l’annexe 5 sont reçus. Par conséquent, selon une interprétation étroite et strictement littérale de la disposition, le délai d’évaluation ne peut pas commencer même après qu’une exemption a été accordée, car les renseignements visés par l’exemption seront encore « ceux visés à l’annexe 5 » et n’auront pas encore été fournis. Reconnaissant cette difficulté, les demandeurs affirment que, lorsqu’il est interprété dans son contexte, l’alinéa 6d) signifie en réalité que le délai d’évaluation commence lorsque les ministres reçoivent « les renseignements visés à l’annexe 5 » ou lorsqu’une exemption est accordée à l’égard de tout renseignement qu’ils n’ont pas reçu. Les ministres soutiennent quant à eux que le délai d’évaluation commence lorsqu’ils reçoivent les « renseignements visés à l’annexe 5 » ou lorsqu’ils reçoivent une demande d’exemption de l’obligation de fournir les renseignements qu’ils n’ont pas reçus, et que la demande est ultimement accueillie. Aucune de ces précisions contextuelles sur l’alinéa 6d) n’est explicite dans le RRSN. Cependant, il est évident que certaines précisions doivent être apportées pour harmoniser cet alinéa avec la réalité des exemptions. Je ne puis dire que l’interprétation des ministres est déraisonnable. En fait, elle semble plus pratique et probablement plus raisonnable que l’interprétation proposée par les demandeurs, car, jusqu’à ce que les renseignements réglementaires soient évalués, il sera impossible de déterminer si l’exemption demandée doit être accordée ou refusée. Il n’est guère logique d’effectuer une évaluation à cette fin et d’effectuer ensuite une autre évaluation pour déterminer la toxicité.

D.   Droit de participation du public

[59]           Les arguments des demandeurs à l’égard de l’exemption laissent entendre que l’avis d’exemption a pour objectif de permettre – et permet effectivement – au public de participer à l’évaluation de la toxicité. Bien qu’il ne soit pas strictement nécessaire de trancher la question relative à la toxicité, je souhaite aborder cette interprétation, car je ne suis pas d’accord qu’une telle possibilité de participation existe telle qu’elle est décrite.

[60]           Premièrement, comme les défendeurs l’ont mentionné, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable a examiné une proposition de modification à la LCPE en 1999 qui exigeait que des observations du public soient obtenues avant l’octroi d’une exemption. Le Comité a rejeté cette modification au motif qu’elle retarderait indûment l’octroi des exemptions. Puisque la participation du public au processus d’exemption a été expressément étudiée – et rejetée – par le Comité en 1999, ce droit ne devrait pas être intégré aujourd’hui dans la LCPE.

[61]           Deuxièmement, aux termes du paragraphe 106(9) de la LCPE, un avis d’exemption publié doit seulement indiquer le nom des bénéficiaires de l’exemption et le type de renseignements en cause. Comme se sont eux-mêmes plaints les demandeurs au paragraphe 67 de leur mémoire, ce format [traduction] « rend impossible de distinguer les substances ou organismes sur lesquels portent [les avis] ou de déterminer depuis combien de temps [ces substances ou organismes] sont présents au Canada ». Bien que ces renseignements minimaux permettent un minimum de transparence, il est peu plausible de croire qu’ils accordent des droits de participation. Ce point a été explicitement reconnu pendant la réunion du Comité en 1999, lorsqu’un membre a fait remarquer qu’un avis d’exemption « ne comprend que le nom du bénéficiaire de l’exemption et le type de renseignements en cause. La disposition ne permet sûrement pas au public de présenter des observations. »

[62]           Enfin, je suis d’accord avec les défendeurs lorsqu’ils affirment que, si le législateur avait voulu autoriser la participation du public aux évaluations de la toxicité, il l’aurait explicitement indiqué, tel qu’il l’a fait dans d’autres dispositions de la LCPE, comme l’article 332, qui établit un processus pour la production d’avis et d’observations à l’égard de tout décret, arrêté ou règlement prévu par la loi.

[63]           Le processus d’évaluation de la toxicité n’est ni simple ni rapide. Un groupe d’experts est sélectionné pour examiner un avis complexe et produire un rapport de recommandations. Si on publie l’avis complet et on demande au public de présenter des observations qui devront ensuite être examinées elles aussi, il est presque certain qu’aucune décision ne pourra être rendue dans le délai de 120 jours indiqué par le législateur.

L’avis de NAc

[64]           Les demandeurs présentent deux arguments selon lesquels l’avis de NAc du ministre de l’Environnement est trop général. Premièrement, ils soutiennent que, puisque le paragraphe 106(10) de la LCPE autorise AquaBounty à utiliser le SAA uniquement « dans le lieu mentionné dans [sa] demande d’exemption » (c.-à-d. dans son installation de l’Î.-P.-É.), l’avis de NAc est trop général dans la mesure où il autorise l’utilisation du SAA dans n’importe quelle « installation étanche ». Deuxièmement, les demandeurs affirment que l’avis de NAc est illégal parce qu’il autorise le grossissement du SAA au Canada à des fins commerciales, alors que ce scénario n’a pas été évalué par les ministres.

1.    Définition trop large du terme « lieu »

[65]           Aux termes du paragraphe 106(10) de la LCPE, lorsque le ministre de l’Environnement accorde une exemption de l’obligation de fournir les renseignements exigés à l’alinéa 106(8)b), « le bénéficiaire de l’exemption ne peut faire de l’organisme vivant que l’utilisation prévue [...] ou l’utiliser, le fabriquer ou l’importer que dans le lieu mentionné dans la demande d’exemption ». Les demandeurs affirment qu’en l’espèce, le « lieu mentionné dans la demande d’exemption » soit l’installation d’AquaBounty située à l’Î.-P.-É. Ils soutiennent donc que les dispositions de l’avis de NAc sont incompatibles avec le paragraphe 106(10) parce qu’elles autorisent l’utilisation du SAA dans n’importe quelle « installation étanche » et non dans l’installation de l’Î.-P.-É en particulier.

[66]           Les défendeurs affirment qu’il n’y a aucune incohérence entre la portée des restrictions imposées dans l’avis de NAc et celles imposées dans le paragraphe 106(10). Ils soutiennent que, en publiant son avis de NAc, le ministre de l’Environnement a implicitement conclu que le terme « lieu » employé au paragraphe 106(10) de la LCPE doit être interprété largement de manière à inclure tout lieu fonctionnellement équivalent à l’installation d’AquaBounty située à l’Î.-P.-É. (c.-à-d. n’importe quelle « installation étanche »). Sous cet angle, la portée de l’avis de NAc est la même que celle du paragraphe 106(10) : ils limitent tous deux l’utilisation du SAA à une « installation étanche ».

[67]           Je suis d’accord avec l’affirmation des demandeurs selon laquelle le paragraphe 106(10) autorise AquaBounty à utiliser le SAA uniquement à son installation de l’Î.-P.-É. Je n’accepte donc pas l’interprétation que font les défendeurs du terme « lieu » employé dans ce paragraphe. Cette interprétation n’est simplement pas renforcée par le sens ordinaire de la disposition et des articles pertinents de la LCPE.

[68]           Comme il a été mentionné précédemment, les passages pertinents du paragraphe 106(10) de la LCPE disposent que « [l]e bénéficiaire de l’exemption visée à l’alinéa (8)b) ne peut faire de l’organisme vivant que l’utilisation prévue [...] ou l’utiliser, le fabriquer ou l’importer que dans le lieu mentionné dans la demande d’exemption ». [Non souligné dans l’original.]

[69]           Ni la demande d’exemption, ni l’avis d’AquaBounty n’ont été présentés à la Cour. Cette dernière ne dispose donc pas d’éléments de preuve directs en ce qui concerne le lieu précisé dans la demande. Toutefois, l’alinéa 8(1)d) du RRSN prévoit que « [l]es renseignements à fournir au ministre aux termes du présent règlement sont accompagnés des éléments suivants : [...] l’adresse municipale du site de fabrication [...] ». Les Directives prévoient, à la page 73, l’obligation suivante : « [s]i l’organisme déclaré est fabriqué au Canada, indiquer le nom du fabricant et le lieu du(des) site(s) de fabrication ». De plus, le formulaire figurant à la page 94 de ces directives indique qu’il faut fournir l’adresse, la ville et la province du « [l]ieu de fabrication proposé au Canada ». Enfin, la recommandation présentée dans le rapport du MPO au sujet de la demande d’exemption d’AquaBounty reposait sur le fait que le « lieu » dont il était question était l’installation d’AquaBounty située à l’Î.-P.-É. Il est donc évident que le « lieu mentionné dans la demande d’exemption » était l’installation de l’Î.-P.-É. Lorsqu’elle interprète le paragraphe 106(10), il n’est pas raisonnable pour le ministre de donner un sens plus large au terme « lieu » ou de lui attribuer une définition différente de celle du lieu précis indiqué par le demandeur dans sa demande d’exemption. De toute façon, rien n’indique que le ministre a fait une telle interprétation.

[70]           À mon avis, il y a une seule interprétation raisonnable du paragraphe 106(10) au vu des faits dont la Cour a été saisie. AquaBounty a demandé d’être exempté de l’obligation de produire [traduction] « les données d’un essai visant à déterminer la pathogénicité, la toxicité ou le caractère envahissant [du SAA] » et sa demande a été acceptée. Une exemption lui a été accordée parce que les ministres étaient d’avis qu’AquaBounty était « en mesure de le contenir de façon à assurer une protection satisfaisante de l’environnement et de la santé humaine » [alinéa 106(8)b) de la LCPE]. Les ministres ont pris cette décision en se référant précisément à l’installation de l’Î.-P.-É. indiquée et décrite dans la demande. Par conséquent, puisqu’AquaBounty a obtenu une exemption, l’entreprise ne peut, en ce qui concerne le SAA, « l’utiliser, le fabriquer ou l’importer que dans le lieu mentionné dans la demande d’exemption » [paragraphe 106(10) de la LCPE].

[71]           Les demandeurs soutiennent que, une fois que la Cour aura conclu que le paragraphe 106(10) autorise AquaBounty à n’utiliser le SAA qu’à son installation de l’Î.-P.-É., elle devra également conclure que l’avis de NAc est incompatible avec le paragraphe 106(10) et est donc déraisonnable. Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs soulignent que les utilisations autorisées par l’avis de NAc sont plus vastes que celles autorisées aux termes du paragraphe 106(10). Plus particulièrement, le paragraphe 106(10) autorise AquaBounty à n’utiliser le SAA que dans son installation de l’Î.-P.-É., alors que l’avis de NAc autorise quiconque à utiliser le SAA dans n’importe quelle installation étanche. Les demandeurs affirment que le maintien de l’avis de NAc mènerait au résultat absurde que d’autres personnes seraient en mesure d’utiliser le SAA dans n’importe quelle « installation étanche », et ce, même si l’avis autorise AquaBounty à ne l’utiliser que dans son installation de l’Î.-P.-É.

[72]           Les parties semblent convenir qu’il serait absurde d’interpréter la LCPE de manière à restreindre davantage l’utilisation que fait AquaBounty du SAA comparativement aux utilisations qu’en font d’autres personnes, lesquelles utilisations n’ont pas été évaluées. Les parties divergent toutefois d’opinion en ce qui concerne la solution proposée pour éviter cette prétendue absurdité. Les demandeurs résoudraient la contradiction qui existe entre le paragraphe 106(10) et l’avis de NAc en [traduction] « supprimant » l’avis de NAc, affirmant que l’avis est excessivement général et devrait être annulé pour ces motifs. En revanche, AquaBounty résoudrait la contradiction qui existe en [traduction] « supprimant » le paragraphe 106(10), affirmant que, lorsqu’un avis de NAc est publié, les restrictions qui y sont énoncées annulent et remplacent celles imposées aux termes du paragraphe 106(10), ce qui place AquaBounty sur un pied d’égalité avec les autres. Je n’accepte aucune de ces opinions. Pour comprendre pourquoi, il faut examiner les liens qui existent entre l’avis de NAc, qui déclenche l’application du paragraphe 106(4) de la LCPE, et la demande qui doit être présentée aux termes du paragraphe 106(1).

[73]           J’ai demandé aux parties à l’audience si le paragraphe 106(1) continue de s’appliquer même si AquaBounty a soumis un avis en vertu de ce paragraphe et qu’un avis de NAc a été publié. Plus particulièrement, je leur ai demandé si toutes les personnes qui souhaitent fabriquer des SAA au Canada, y compris AquaBounty si l’entreprise souhaite fabriquer des SAA dans une autre installation, seront tenues de soumettre un avis en vertu du paragraphe 106(1). J’ai eu l’impression que toutes les parties estimaient qu’un tel avis ne serait pas requis. Je ne suis pas de cet avis.

[74]           Aux termes de la partie 6 de la LCPE, il existe trois façons de traiter les organismes vivants : la fabrication, l’importation et l’utilisation.

[75]           Le processus d’avis et d’évaluation prévu au paragraphe 106(1) de la LCPE vise seulement la fabrication et l’importation, pas l’utilisation. Ce paragraphe indique très expressément qu’« [i]l est interdit de fabriquer ou d’importer un organisme vivant inscrit sur la liste intérieure sans avoir fourni au ministre les renseignements réglementaires [...] et tant que le délai d’évaluation [...] n’est pas expiré ». [Non souligné dans l’original.]

[76]           Par contre, un avis de NAc publié aux termes du paragraphe 110(1) de la LCPE vise seulement l’utilisation, pas la fabrication et l’importation. Ce fait est établi dans le paragraphe 106(4), qui prévoit ce qui suit : « En ce qui touche un organisme vivant non inscrit sur la liste intérieure pour lequel le ministre publie dans la Gazette du Canada un avis l’assujettissant au présent paragraphe, il est interdit de l’utiliser dans le cadre d’une nouvelle activité prévue par l’avis sans avoir fourni au ministre [...] les renseignements réglementaires [...] et tant que le délai d’évaluation [...] n’est pas expiré ». [Non souligné dans l’original.]

[77]           Cette différence d’optique entre le paragraphe 106(1) [fabrication et importation] et le paragraphe 106(4) [utilisation] signifie que, même si un avis de NAc autorisant l’utilisation du SAA dans une installation étanche est publié, quiconque souhaite fabriquer ou importer cet organisme doit soumettre un avis aux termes du paragraphe 106(1). Cette obligation concerne également AquaBounty qui, parce qu’elle a obtenu une dérogation en vertu de l’alinéa 106(8)b), ne doit utiliser et fabriquer le SAA que dans son installation de l’Î.-P.-É. en vertu du paragraphe 106(10) et ne peut le fabriquer dans une autre installation sans d’abord subir une autre évaluation.

[78]           En résumé, l’incidence de la partie 6 de la LCPE sur AquaBounty se décrit comme suit. Puisqu’elle a soumis un avis et a obtenu l’exemption demandée, et que le délai d’évaluation est expiré, l’entreprise ne peut « fabriquer » et « utiliser » le SAA (s’il ne s’agit pas d’une nouvelle activité) que dans son installation de l’Î.-P.-É. Si elle souhaite fabriquer le SAA dans une autre installation, ou l’importer, elle doit soumettre un nouvel avis en vertu du paragraphe 106(1). Si elle souhaite utiliser le SAA dans le cadre d’une nouvelle activité, elle doit alors soumettre un avis aux termes du paragraphe 106(4).

[79]           L’incidence de la partie 6 de la LCPE sur les personnes autres qu’AquaBounty est qu’elles doivent soumettre un avis aux termes du paragraphe 106(1) pour être autorisées à fabriquer ou à importer le SAA et elles doivent soumettre un avis en vertu du paragraphe 106(4) si elles proposent une utilisation qui constitue une nouvelle activité.

[80]           Quelle est l’incidence de cette interprétation sur la prétendue absurdité décrite précédemment? Cette interprétation supprime cette absurdité. Plus particulièrement, elle démontre que l’application du paragraphe 106(10) ne place pas AquaBounty dans une situation d’inégalité. À l’instar d’AquaBounty, toutes les personnes souhaitant fabriquer ou importer des SAA doivent soumettre un avis. Elles peuvent également demander une exemption dans leur avis. Si, comme AquaBounty, elles présentent une demande d’exemption en vertu de l’alinéa 106(8)b), elles doivent donc utiliser, fabriquer et importer le SAA seulement dans le lieu précisé dans leur demande, conformément au paragraphe 106(10). Par contre, si elles ne présentent pas de demande d’exemption, leur utilisation ne sera limitée que par la portée de l’avis de NAc. Ainsi, AquaBounty est placée sur un pied d’égalité avec tous les autres. Il n’est donc pas absurde, ni déraisonnable, que le ministre publie un avis de NAc qui autorise des utilisations plus vastes du SAA que celles autorisées aux termes du paragraphe 106(10). L’objection des demandeurs est donc réfutée.

2.    Définition trop large des utilisations autorisées

[81]           Je suis d’accord avec l’affirmation des demandeurs selon laquelle [traduction] « le grossissement à des fins commerciales au Canada n’a pas été évalué dans le cadre de l’évaluation des risques menée par le MPO ». Cependant, le MPO a évalué les risques liés au grossissement à des fins commerciales au Panama. Je suis d’accord avec l’observation d’AquaBounty selon laquelle, lorsque le dossier certifié du tribunal est lu dans son ensemble, il est évident que l’approche fonctionnelle adoptée par le ministre de l’Environnement à l’égard de l’avis de NAc l’a amenée à conclure que [traduction] « les mesures de confinement requises conformément à l’avis de NAc concernant le SAA fonctionneront également bien, et ce, que le SAA soit élevé jusqu’à sa maturité aux fins de recherche, de reproduction ou de grossissement commercial ». Les SAA adultes doivent être euthanasiés avant de quitter l’installation étanche au Canada. Rien au dossier ne prouve que les SAA euthanasiés posent un danger pour l’environnement. De plus, ils ne peuvent pas servir à la consommation humaine à moins que Santé Canada donne son approbation. Si tel est le cas, les risques pour la santé humaine seront évalués. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la portée de l’avis de NAc était trop générale et déraisonnable.

Dispositif et dépens

[82]           Pour ces motifs, la présente demande doit être rejetée. En tant que parties à un litige d’intérêt public, les demandeurs affirment que des dépens ne doivent pas leur être adjugés et ont demandé et ont obtenu l’autorisation de faire des observations écrites sur les dépens après que ces motifs auront été rendus. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre au sujet des dépens, les demandeurs doivent signifier et déposer leurs observations écrites (faisant au plus cinq pages) dans les trois semaines suivant la date du jugement, et les défendeurs doivent signifier et déposer leurs réponses (faisant au plus cinq pages) deux semaines après.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande, et, conformément aux présents motifs, la question des dépens est reportée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2114-13

 

INTITULÉ :

ECOLOGY ACTION CENTRE ET AL. c. LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Kaitlyn Mitchell

Scott McAnsh

Pour les demandeurs

 

Sharon Johnston

Pour leS défendeurS

MINISTRES DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA SANTÉ

 

Patrick Duffy

Sean Gibson

Pour la défenderesse

AQUABOUNTY CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice Environmental Law Clinic

Université d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les défendeurs

MINISTRES DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA SANTÉ

 

Stikeman Elliott LLP

Avocats-procureurs

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

AQUABOUNTY CANADA INC.

 

 

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