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Date : 20160119


Dossier : T-2067-14

Référence : 2016 CF 57

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

DALE RANDOLPH SKINNER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

ET ÉTABLISSEMENT À SÉCURITÉ MOYENNE BEAVER CREEK

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Dale Randolf Skinner, est un détenu de 53 ans purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité à Beaver Creek, un établissement à sécurité moyenne (et minimale) situé à Gravenhurst, en Ontario. Il demande un contrôle judiciaire du refus de son grief au troisième palier après son examen annuel de réévaluation de la cote de sécurité, qui a eu lieu en juin 2011. Les motifs du refus sont énoncés dans la réponse au grief du détenu datée du 9 février 2012, qui a été faite par un commissaire adjoint du Service correctionnel du Canada (SCC). Dans son avis de demande déposé le 7 octobre 2014, le demandeur demande à la Cour d’examiner la décision du commissaire adjoint.

I.                   Contexte

[2]               Avant de se trouver à l’établissement Beaver Creek, le demandeur a purgé une partie de sa peine à l’établissement Pittsburgh, soit un établissement à sécurité minimale. À la fin de février 2007, le demandeur a été placé en isolement préventif à l’établissement Joyceville, ce qui, selon lui, était attribuable à des préoccupations découlant de commentaires qu’il aurait faits à l’endroit d’une agente correctionnelle. Il a nié avoir fait de tels commentaires et a demandé de connaître l’identité de l’informateur, mais on ne lui a pas fourni ces renseignements.

[3]               En mars 2007, le demandeur a déposé un grief au deuxième palier en ce qui concerne son isolement et son transfèrement de l’établissement Pittsburgh, un établissement à sécurité minimale, à l’établissement Warkworth, un établissement à sécurité moyenne. Il a également déposé une requête d’habeas corpus auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario concernant son transfèrement à l’établissement à sécurité moyenne. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté sa demande de bref d’habeas corpus dans une décision rendue le 3 juin 2009, par laquelle elle a conclu que les commentaires allégués du demandeur lui avaient été communiqués à deux reprises et que la non-divulgation de l’identité des informateurs ne contrevenait pas aux principes de l’équité procédurale, car, dans le milieu carcéral, la divulgation d’une telle information [traduction] « entraînerait presque assurément des blessures à ces personnes ou leur décès ».

[4]               Depuis son transfèrement imposé de l’établissement Pittsburgh, le demandeur a tenté d’obtenir un recours pour ce qu’il considère comme un transfèrement arbitraire par des voies autres que le processus de griefs établi par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC). En juin 2010, le demandeur a envoyé une lettre au solliciteur général du Canada pour lui demander des renseignements de son dossier de sécurité et se plaindre que le SCC avait refusé de mener une enquête approfondie sur la fiabilité des renseignements qui ont précédé son transfèrement de l’établissement Pittsburgh. La réponse à cette lettre semble être une lettre de la Direction des droits, des recours et des résolutions du SCC datant du 27 septembre 2010, dans laquelle elle informe le demandeur que ses préoccupations auraient dû être abordées au moyen du processus des griefs et, comme il a décidé de comparaître devant un tribunal au lieu de déposer un grief au troisième palier, la question ne relève essentiellement pas du SCC.

[5]               Après l’examen de la cote de sécurité du demandeur en juin 2011, il a déposé un grief au deuxième palier en ce qui a trait à la décision de maintenir sa cote de sécurité moyenne. La décision de maintenir la cote de sécurité moyenne était fondée en partie sur le commentaire que le demandeur aurait fait à l’endroit de l’agente correctionnelle en 2007, de même que plusieurs évaluations psychologiques et son refus de prendre les médicaments pour réduire la pulsion sexuelle à dose élevée qu’on lui avait recommandés. Le demandeur a fait valoir qu’on ne lui avait pas bien expliqué l’« essentiel » des renseignements fournis par l’informateur 2007 et en quoi ils étaient jugés fiables. Il a également demandé que les renseignements soient éliminés de son évaluation de 2011 si le SCC ne divulgue pas les détails de son enquête menée en 2007. Cependant, le 19 septembre 2011, on a informé le demandeur que son grief au deuxième palier avait été refusé et, le 4 octobre 2011, il a donc déposé un grief au troisième palier, auquel il a ensuite ajouté des renseignements supplémentaires. Le commissaire adjoint a refusé le grief au troisième palier dans une décision en date du 9 février 2012. Comme il a été mentionné précédemment, cette décision fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

II.                La décision du commissaire adjoint

[6]               Dans sa décision, le commissaire adjoint définit deux questions : (1) La réévaluation de la cote de sécurité du demandeur et (2) la validité des renseignements utilisés pour justifier la réévaluation.

[7]               En ce qui a trait à la réévaluation de la cote de sécurité, le commissaire adjoint a indiqué que la note de l’évaluation du demandeur en fonction de l’échelle de réévaluation de la cote de sécurité était passé de 20 en 2010 à 19,5 et qu’il avait répondu à toutes les exigences en matière de programmes, sauf le Programme national pour délinquants sexuels – Maintien des acquis. Le commissaire adjoint a examiné les raisons pour lesquelles la cote d’adaptation à l’établissement du demandeur était passée de modérée à faible, malgré son organisation d’une manifestation pacifique en 2009 qui a évolué en une perturbation majeure, et sa cote de risque d’évasion était faible, malgré le fait que les commentaires faits à l’endroit de l’agente correctionnelle en 2007 constituait une « porte de sortie » de l’établissement. Toutefois, le commissaire adjoint a observé que sa cote du risque pour la sécurité du public était toujours élevée, ce qui est fondé non seulement sur les commentaires qu’il a faits en 2007, mais aussi sur une évaluation psychologique réalisée en 2011 qui ne révèle aucun changement important et les actes de violence antérieurs qu’il a commis lorsqu’il était en liberté sous condition. Le commissaire adjoint a conclu que la cote de sécurité du demandeur demeurait raisonnablement à modéré et, puisque la réévaluation avait été réalisée conformément à la politique pertinente, il a donc refusé cette partie du grief.

[8]               Pour ce qui est de la deuxième partie du grief concernant la validité des renseignements utilisés pour la réévaluation, le commissaire adjoint a indiqué que le demandeur conteste les renseignements liés aux commentaires qu’il aurait faits en 2007 et à sa participation à l’organisation d’une manifestation pacifique en 2009. Le commissaire adjoint a également révélé que les renseignements quant à l’incident de 2007 qui ont été utilisés pour justifier le transfèrement du demandeur à l’établissement Warkworth. Le commissaire adjoint a observé que le demandeur était au courant de ces renseignements depuis plus de deux ans avant de déposer le grief et que, même si on en a tenu compte au cours de la réévaluation de la cote de sécurité, il ne s’agissait pas des seuls renseignements pris en compte.

[9]               Le commissaire adjoint a reconnu que, en vertu de l’article 24 de la LSCMLC, il faut s’assurer que les renseignements sur un détenu sont aussi exacts, à jour et exhaustifs que possible. De plus, un détenu peut demander au SCC de corriger les renseignements inexacts. Il déclare d’ailleurs que, selon la politique du SCC sur la consignation des renseignements de sécurité préventive et la correspondance avec les membres du personnel de l’établissement Pittsburgh, les renseignements fournis par l’informateur en 2007 ont le statut « jugés dignes de foi », c’est-à-dire qu’ils semblent vraiment exacts, mais n’ont pas été confirmés. En revanche, les renseignements sur la participation du demandeur à l’émeute de 2009 ont le statut « dignes de confiance», c’est-à-dire qu’ils ont été appuyés ou confirmés par une source indépendante. Les renseignements indiquant que le demandeur a mené la manifestation en 2009 ont le statut « Fiabilité inconnue », c’est-à-dire que l’agent de sécurité n’a pas été en mesure d’en évaluer la fiabilité. Le commissaire adjoint a observé que, malgré que le demandeur ait demandé que les renseignements utilisés dans la réévaluation de sa cote de sécurité soient modifiés ou éliminés, il n’avait pas présenté de demande de correction de dossier conformément à la DC 701 du SCC, alors qu’on lui avait suggéré d’employer ce processus dans le grief au deuxième palier. Par conséquent, le commissaire adjoint a conclu que les renseignements utilisés dans la réévaluation de la cote de sécurité du demandeur avaient été déterminés et utilisés correctement. Il a donc refusé la deuxième partie du grief.

[10]           Après la décision du commissaire adjoint, le demandeur a reçu d’autre information sur les renseignements fournis par l’informateur dans une note de service datée du 5 avril 2013, qui avait été préparée en vue de son audience de la Commission des libérations conditionnelles du Canada en juillet 2013. On y mentionnait deux détenus anonymes qui refusaient de confirmer que le demandeur avait fait les commentaires à l’endroit de l’agente correctionnelle. L’agent ayant rédigé la note de service croyait que le demandeur avait choisi de faire les remarques expressément à des détenus qui n’allaient pas le « donner » aux autorités. Après que la Commission des libérations conditionnelles a conclu en juillet 2013 que la demande de semi-liberté du demandeur ne devrait pas être accordée, il a produit une déclaration contre Sa Majesté la Reine, le SCC, un informateur anonyme (John Doe), le directeur de l’établissement Pittsburgh et deux employés de l’établissement à la Cour supérieure de la justice de l’Ontario en novembre 2013. Dans sa déclaration, il demandait, entre autres, des dommages-intérêts pour diffamation et faute dans l’exercice d’une charge publique par suite de son transfèrement imposé en 2007. Dans une décision datée du 5 juin 2014, la déclaration du demandeur a été rejetée, en partie parce que la Cour de l’Ontario a conclu que plusieurs demandes relevaient de la compétence exclusive de la Cour fédérale.

III.             Questions en litige

[11]           Le demandeur soulève de nombreuses questions relatives aux violations alléguées du SCC contre ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, à savoir l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, ch. 11 [la « Charte »]. Il soulève d’ailleurs la question de savoir si le SCC :

1.                  a violé l’article 4 de la LSCMLC, qui prévoit que le SCC doit prendre les mesures les moins restrictives possible, que les délinquants continuent à jouir de droits et privilèges, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui leur est infligée, et que les décisions en matière correctionnelle doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

2.                  a omis d’exercer correctement le pouvoir qui lui est conféré quant au grief au troisième palier;

3.                  a enfreint les règles d’équité procédurale en refusant de se conformer aux articles 40 à 44 de la LSCMLC;

4.                  a violé le droit du demandeur d’accéder à des renseignements protégés en vertu de la DC 701 du SCC;

5.                  a omis de traiter adéquatement le grief au troisième palier en ne respectant pas les exigences de l’article 90 de la LSCMLC.

[12]           Les défendeurs soutiennent quant à eux que les questions en litige sont de savoir 1) s’il est inapproprié de la part du demandeur de contester la décision relative à son transfèrement imposé en 2007 dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, et 2) si la décision rendue à l’égard du grief au troisième palier est raisonnable.

[13]           Je suis plutôt d’avis que les questions qui méritent l’attention de la Cour consistent à savoir : 1) si la présente demande de contrôle judiciaire ne vise que la décision rendue à l’égard du grief au troisième palier, 2) si la décision du commissaire adjoint était raisonnable, et 3) s’il y a eu manquement à l’équité procédurale en ce qui a trait à la décision relative au grief au troisième palier.

IV.             Analyse

A.                Quelle décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire?

[14]           Dans son avis de demande, le demandeur demande à la Cour de réviser la décision du commissaire adjoint et demande à juste titre une ordonnance de certiorari pour annuler cette décision.

[15]           Le demandeur demande également : 1) une ordonnance pour rétablir sa cote de sécurité minimale et le transférer par la suite à l’établissement à sécurité minimale Beaver Creek, et 2) une ordonnance enjoignant au SCC [traduction] « de supprimer les renseignements fournis par l’informateur incriminé sur lesquels repose le dossier en l’espèce ».

[16]           Il n’est ni approprié ni possible d’accorder ces deux demandes dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, car elles remettent indirectement en cause l’isolement préventif et le transfèrement imposé du demandeur de l’établissement Pittsburgh en 2007. L’équité procédurale du transfèrement imposé du demandeur a été examinée directement par la Cour supérieure de l’Ontario en juin 2009. La Cour supérieure de l’Ontario avait également refusé d’annuler son transfèrement imposé.

[17]           En outre, notre Cour ne peut pas étudier, et encore moins renverser, ces demandes, car semble-t-il que le grief au deuxième palier déposé par le demandeur au sujet de ces demandes n’a pas encore été réglé. À l’audience, le demandeur a exprimé son désaccord avec la déclaration des défendeurs selon laquelle il avait abandonné son grief au sujet de son isolement préventif et de son transfèrement imposé. Selon le demandeur, ce grief a été reporté en raison de sa requête d’habeas corpus. S’il a été reporté, l’article 81 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620) [le Règlement] se lit comme suit :

81. (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste.

81. (1) Where an offender decides to pursue a legal remedy for the offender’s complaint or grievance in addition to the complaint and grievance procedure referred to in these Regulations, the review of the complaint or grievance pursuant to these Regulations shall be deferred until a decision on the alternate remedy is rendered or the offender decides to abandon the alternate remedy.

(2) Lorsque l’examen de la plainte ou au grief est suspendu conformément au paragraphe (1), la personne chargée de cet examen doit en informer le délinquant par écrit.

(2) Where the review of a complaint or grievance is deferred pursuant to subsection (1), the person who is reviewing the complaint or grievance shall give the offender written notice of the decision to defer the review.

[18]           Le dossier soumis à la Cour ne contient aucun renseignement ou élément de preuve prouvant que le grief au deuxième palier déposé par le demandeur a été abandonné ou reporté. Il semble néanmoins que le demandeur ne s’est pas prévalu du mécanisme de révision interne mis à sa disposition pour contester son isolement préventif et son transfèrement imposé de l’établissement Pittsburgh en 2007. Par conséquent, la Cour ne devrait se pencher sur aucune question liée à ces événements (voir Robertson c. Canada (Revenu national), 2015 CF 303, aux paragraphes 32 et 33, [2015] ACF no 371, et Spidel c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1028, [2010] ACF no 1292).

[19]           En ce qui concerne la demande du demandeur de supprimer les renseignements fournis par l’informateur, la Cour ne devrait pas envisager d’accorder ni accorder une mesure de redressement à cet égard, car le demandeur ne s’est apparemment pas encore prévalu de la procédure dont il peut se prévaloir conformément au paragraphe 24(2) du Règlement pour corriger les renseignements fournis par l’informateur. Cette procédure a été portée à l’attention du demandeur dans la décision rendue à l’égard du grief au deuxième palier, puis dans la décision du commissaire adjoint.

[20]           En bref, les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire se limitent aux questions à trancher relativement au grief au troisième palier. La Cour ne devrait pas se pencher sur les questions liées à l’isolement préventif et au transfèrement imposé du demandeur en 2007. La Cour supérieure de l’Ontario s’est penchée sur de telles questions en 2009 et il semble que le grief déposé par le demandeur à l’égard de ces questions n’a pas encore été réglé. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les trois questions relatives à la Charte soulevées par le demandeur étant donné qu’elles portent sur son isolement et son transfèrement imposé en 2007.

B.                 La décision du commissaire adjoint était-elle raisonnable?

[21]           Les normes de révision applicables à la décision du commissaire adjoint ont été succinctement exposées dans l’arrêt Fischer c. Canada (Procureur général), 2013 CF 861, 438 FTR 70, où le juge Martineau a déclaré ce qui suit :

[22]      Dans le contexte du contrôle judiciaire de décisions rendues lors du processus de règlement de griefs des détenus du SCC, les questions d’équité procédurale, de même que les questions relatives à l’interprétation de dispositions législatives, sont généralement soumises à la norme de contrôle de la décision correcte : Kim c. Canada (PG), 2012 CF 870, au paragraphe 32 (Kim); [autres renvois omis]...Cependant, les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit que l’on tire au cours du processus de règlement de griefs des détenus du SCC ainsi qu’au titre de la LSCMLC sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : [renvois omis]...Par ailleurs, la Cour se doit de faire preuve d’un degré de déférence élevé à l’égard du SCC, du fait de son expertise en matière de gestion de détenus et d’institutions : Kim, au paragraphe 59.

[22]           En outre, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve soumis au commissaire adjoint (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61, [2009] 1 RCS 339). Bien que la Cour puisse intervenir « si le décideur a ignoré des éléments de preuve importants ou pris en compte des éléments qui sont inexacts ou dénués d’importance » (James c. Canada (Procureur général), 2015 CF 965, au paragraphe 86, 257 ACWS (3d) 113), elle ne devrait pas intervenir si la décision du commissaire adjoint est intelligible, transparente, justifiable et défendable au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Les motifs répondent aux critères établis « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

[23]           Dans sa décision, le commissaire adjoint a tranché deux questions de fond : 1) il a rejeté le grief du demandeur au sujet de sa cote de sécurité, et 2) il a rejeté le grief concernant la validité des renseignements fournis par l’informateur qui ont été utilisés, en partie, pour justifier la décision relative à la cote de sécurité. Globalement, je conclus que la décision du commissaire adjoint est intelligible, transparente, justifiable et défendable au regard des faits et du droit.

[24]           Le refus par le commissaire adjoint du grief concernant la réévaluation de la cote de sécurité fait partie des issues acceptables. Le commissaire adjoint a examiné la politique et le règlement applicables en la matière et a clairement indiqué que les commentaires qu’aurait tenus le demandeur en 2007 n’étaient pas les seuls renseignements ni les renseignements les plus récents sur lesquels était fondé l’évaluation de la cote du risque pour la sécurité du public du demandeur.

[25]           En ce qui concerne la validité des renseignements sur lesquels reposait l’évaluation de la cote de sécurité, le demandeur soutient que le SCC a violé le paragraphe 24(1) de la LSCMLC en utilisant des renseignements erronés. Il soutient également que les renseignements fournis par l’informateur ont été exagérés et n’ont pas été confirmés, et que la fiabilité de ceux-ci repose, à tort, sur l’opinion personnelle de l’agent de sécurité qui a enquêté sur les commentaires qu’il aurait tenus en 2007. Cependant, les arguments du demandeur à cet égard doivent être rejetés à la lumière de la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Tehrankari c. Canada (Procureur général), 2012 CF 332, [2012] ACF no 441, où la Cour a conclu (au paragraphe 35) que même si le paragraphe 24(1) de la LSCMLC oblige le SCC à « veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets », cela ne veut pas dire que le SCC doit à nouveau faire enquête sur des renseignements obtenus de sources fiables. En l’espèce, le commissaire adjoint avait le droit de s’appuyer sur des renseignements « jugés dignes de foi » et « dignes de confiance » sans avoir à enquêter de nouveau sur ces cotes de fiabilité. La décision du commissaire adjoint quant à la validité des renseignements sur lesquels était fondée l’évaluation de la cote de sécurité est raisonnable.

[26]           Le commissaire adjoint a fait remarquer qu’il revient au demandeur de décider s’il veut entamer une procédure de correction de dossier. Cette suggestion est raisonnable à la lumière des décisions rendues par la Cour dans les arrêts Eakin c. Canada (Procureur général), 2014 CF 959, aux paragraphes 60 et 65, 465 FTR 132, et Wood c. Canada (Procureur général), 2015 CF 2, au paragraphe 21, [2015] ACF no 518. En outre, il convient de noter que dans l’arrêt Kim c. Canada (Procureur général), 2012 CF 870, aux paragraphes 46 et 58, 415 FTR 135, la Cour a conclu qu’il était injuste d’exiger qu’un délinquant entame une procédure distincte pour faire corriger les renseignements dans son dossier. Bien que ces arrêts se distinguent par leurs faits du dossier du demandeur, ils laissent clairement entendre, toutefois, qu’il était raisonnable en l’espèce que le commissaire adjoint suggère et exige au demandeur de contester ce qu’il jugeait être des renseignements inexacts en présentant une demande de correction de dossier conformément à la DC 701 du SCC.

C.                 La décision du commissaire adjoint enfreint-elle les règles d’équité procédurale?

[27]           Le demandeur soulève certains points relativement aux questions de savoir si le SCC a exercé correctement le pouvoir qui lui est conféré ou a traité de façon incorrecte son grief, contrairement à ce que prévoit l’article 90 de la LSCMLC. Toutefois, ses arguments reposent sur les événements de 2007 et sur l’utilisation des renseignements fournis par l’informateur. Ils ne remettent pas en question la manière dont le commissaire adjoint a rendu sa décision. Les directives du commissaire (DC 081, LD 081-1) définissent les procédures à suivre en ce qui concerne le règlement des griefs, et le demandeur n’a signalé aucune erreur quant à la conformité avec ces directives. De plus, le demandeur n’a signalé aucun problème de conformité avec la réglementation relative aux procédures de règlement des griefs.

[28]           L’argument du demandeur selon lequel le commissaire adjoint n’a pas agi équitablement conformément à l’article 90 de la LSCMLC en fondant sa décision relative au grief au troisième palier sur des opinions personnelles plutôt que sur des renseignements fiables est mal fondé. La décision du commissaire adjoint ne contient aucune opinion personnelle. Dans la mesure où le demandeur fait référence aux opinions personnelles de l’agent de sécurité qui a initialement enquêté sur les événements de 2007, ces éléments dépassent le cadre de la décision du commissaire adjoint et de la présente demande de contrôle judiciaire.

[29]           Les autres questions et arguments soulevés par le demandeur portent également sur l’isolement et le transfèrement imposé du demandeur en 2007 et mettent en doute ces mesures, mais ne contestent pas la façon dont le commissaire adjoint a rendu sa décision. Par conséquent, la Cour n’est pas tenue d’intervenir pour corriger une quelconque iniquité procédurale subie par le demandeur lorsque le commissaire adjoint a rendu sa décision.

V.                Conclusion

[30]           Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2067-14

 

INTITULÉ :

DALE RANDOLPH SKINNER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA ET ÉTABLISSEMENT À SÉCURITÉ MOYENNE BEAVER CREEK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario) [PAR VIDÉOCONFÉRENCE]

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2016

 

COMPARUTIONS :

Dale Randolph Skinner

 

Pour le demandeur

(EN SON PROPRE NOM)

 

Ayesha Laldin

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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