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Date : 20160120


Dossier : T-2080-14

Référence : 2016 CF 56

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC
ROBERT PLANTE
CLAUDE LESSARD

demandeurs

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

et

L’AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Les demandeurs contestent la décision de l’Agence du revenu du Canada [ARC] de transmettre à l’Agence du revenu du Québec [ARQ], une copie des nombreux documents saisis chez la demanderesse SPE Valeur Assurable inc [SPE] dans le cadre d’une enquête criminelle, et qui ont servi à l’établissement d’avis de nouvelles cotisations contre SPE et son principal dirigeant, le demandeur Robert Plante. Les demandeurs plaident qu’une fois l’enquête criminelle complétée et la décision prise par l’ARC de ne porter aucune accusation, l’ARC ne pouvait conserver une copie de ces documents, encore moins les transmettre à l’ARQ.

[2]               L’ARC plaide pour sa part que ses fonctions civile et pénale ne sont pas mutuellement exclusives et qu’elle a le pouvoir d’utiliser les documents saisis légalement dans le cadre d’une enquête criminelle afin de cotiser un contribuable, qu’elle pouvait conserver une copie des documents à cette fin et qu’en vertu du sous-alinéa 241(4)d)(iii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR], elle peut les transmettre à son homologue provincial à des fins de taxation.

[3]               L’ARQ, qui a été autorisée à intervenir en l’instance, ajoute que les demandeurs ne peuvent, par le biais d’une demande de contrôle judiciaire, contester la validité d’un mandat de perquisition émis en janvier 2012 par la Cour du Québec et que les dispositions fiscales applicables permettent le transfert d’information entre les agences fiscales fédérale et provinciales.

II.                Faits

[4]               SPE est une société œuvrant dans le domaine du développement et de la commercialisation de logiciels de gestion des immobilisations et de gestion d’entretiens préventifs. Robert Plante en est le président et principal dirigeant alors que Claude Lessard a, comme plusieurs autres investisseurs, acquis une licence d’exploitation du logiciel développé par SPE.

[5]               En 2007, l’ARC a amorcé une vérification fiscale des affaires de SPE et de celles d’un certain nombre de détenteurs de licences. En cours de vérification, l’ARC a eu des motifs de croire qu’une infraction pénale à la LIR avait été commise par SPE de sorte qu’elle a présenté une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition en application de l’article 487 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. SPE n’a pas contesté la validité de ce mandat et la perquisition a été exécutée dans ses bureaux le 25 janvier 2012.

[6]               Un rapport de saisie a été produit conformément à l’article 489.1 du Code criminel, et l’ARC a été désignée gardienne des choses saisies pour une période de trois mois, laquelle a été prolongée à deux reprises du consentement de M. Plante. L’enquête criminelle a été complétée en décembre 2012 et aucune accusation n’a été portée contre SPE ou contre M. Plante. Les originaux des documents saisis ont été remis à M. Plante et l’ARC en a conservé une copie.

[7]               Alors que l’enquête de l’ARC était en cours, plusieurs investisseurs, dont le demandeur Claude Lessard, ont reçu des avis de nouvelles cotisations des deux agences fiscales, en lien avec leur licence pour l’exploitation du logiciel de SPE. Ils ont interjeté appel de ces cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt et devant la Cour du Québec. Le dossier de M. Lessard a été désigné comme cause type par la Cour du Québec.

[8]               Une fois son enquête terminée, l’ARC a émis des avis de nouvelles cotisations contre SPE et M. Plante, se fondant notamment sur les documents saisis. Informé de ce fait, le procureur de l’ARQ a demandé la remise de l’audition du dossier de M. Lessard devant la Cour du Québec afin de permettre à l’ARQ d’obtenir de l’ARC les documents saisis qui ont servi à l’établissement des avis de nouvelles cotisations contre SPE et M. Plante.

[9]               Dans un premier temps, l’ARC a transmis à l’ARQ son rapport de vérification (T-20) et son rapport de pénalité pour les années d’imposition 2003 à 2010.

[10]           En novembre 2013, l’ARQ a fait une nouvelle demande de renseignements auprès de l’ARC afin d’obtenir cette fois la dénonciation pour l’obtention d’un mandat de perquisition, l’inventaire des biens saisis, le dossier de vérification complet et la correspondance échangée avec la division des appels. L’ARC a répondu qu’aucune accusation n’avait été portée, mais que des cotisations civiles avaient été émises. En conséquence, si elle désirait obtenir les documents demandés, l’ARQ devait déposer une requête en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel, ce qu’elle a fait en mars 2014.

[11]           Toutefois, l’ARC a subséquemment fait volte-face et elle a avisé l’ARQ que cette requête n’était plus nécessaire. Le 13 mai 2014, elle a donc transmis à l’ARQ les documents suivants :

         sommaire des redressements pour SPE rédigé par le vérificateur;

         sommaire des redressements pour Robert Plante rédigé par le vérificateur;

         diverses feuilles de travail de conciliation (dépôts et retraits des comptes américains, conciliation des dépenses, divers documents justificatifs) du vérificateur;

         factures, contrat d’agence, feuilles de balance de vérification de Services préventifs d’évaluation inc et documents de transferts bancaires; et

         feuilles de travail du vérificateur caviardées résumant des courriels incluant des notes de compréhension.

Ces documents appuyaient l’avis de nouvelle cotisation émis le 7 octobre 2013 à l’encontre de SPE, et celui émis le 18 octobre 2013 à l’encontre de M. Plante.

[12]           Le 3 juin 2014, l’ARQ a avisé les demandeurs que le Procureur général du Canada (maintenant la Procureure générale du Canada) [PGC] avait changé d’avis quant à la nécessité pour l’ARQ de présenter une requête en vertu du paragraphe 490(15) du Code criminel afin d’obtenir la documentation convoitée. Le même jour, les demandeurs ont signalé leur opposition à la communication des documents et quelques semaines plus tard, ils ont exposé leurs motifs d’opposition par lettre de leur procureur.

[13]           Le 31 juillet 2014, l’ARQ s’est désistée de sa requête sous le paragraphe 490(15) du Code criminel et le PGC a transmis une lettre aux demandeurs les informant que leurs « motifs de contestation à l’égard de ladite demande n’[avaie]nt plus de pertinence », compte tenu du désistement de l’ARQ. Quant à la communication des documents, le PGC rassurait les demandeurs qu’une telle communication serait faite conformément aux dispositions du sous-alinéa 241(4)d)(iii) de la LIR et que si les demandeurs n’étaient pas satisfaits de cette réponse, leurs recours étaient prévus à l’article 18 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. On invite finalement les demandeurs à communiquer avec le procureur de l’ARQ « afin d’obtenir copie de la liste des documents qui auront été communiqués ». C’est cette décision, confirmée par courriel du PGC le 9 septembre 2014, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[14]           Lors de l’audition de cette demande, il a été difficile de savoir exactement quels documents avaient été communiqués à ce jour : la procureure de l’ARC a laissé entendre que tous les documents avaient été communiqués et que partant, la demande est devenue théorique. Le procureur de l’ARQ a, pour sa part, fermement nié avoir reçu tous les documents demandés, les documents reçus ne représenteraient selon lui qu’une petite partie des documents ayant servi à l’établissement des avis de nouvelles cotisations contre SPE et M. Plante.

[15]           Chose certaine, les demandeurs qui recherchent notamment une ordonnance enjoignant l’ARC à leur « transmettre, dans les cinq (5) jours du jugement à intervenir, [...] la liste complète des documents, choses ou informations concernant les demandeurs qu’ils détiennent suite à la vérification fiscale et enquête criminelle menés (sic) à leur sujet », connaissent déjà cette liste puisque les originaux de ces documents leur ont été remis.

III.             Questions en litige

[16]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

A.                Est-ce que cette Cour a compétence pour se prononcer sur la légalité de la détention d’une copie des documents saisis par l’ARC ? Si oui, l’ARC détient-elle légalement ces copies ?

B.                 L’ARC peut-elle transmettre une copie des documents saisis à l’ARQ ?

C.                 Est-ce que cette Cour a compétence pour se prononcer sur l’admissibilité en preuve des documents saisis ? Si oui, ces documents sont-ils admissibles devant la Cour du Québec ?

D.                Est-ce que cette Cour peut rendre une ordonnance de la nature d’une injonction ou d’un bref de prohibition ?

IV.             Analyse

A.                Est-ce que cette Cour a compétence pour se prononcer sur la légalité de la détention d’une copie des documents saisis par l’ARC ? Si oui, l’ARC détient-elle légalement ces copies ?

[17]           L’intervenante plaide que cette demande n’est ni plus ni moins qu’une contestation du mandat de perquisition émis par la Cour du Québec et que cette Cour n’aurait, par conséquent, pas compétence pour se prononcer sur la légalité de la détention des documents par l’ARC.

[18]           Je ne partage pas l’avis de l’intervenante. La demande des demandeurs vise la conservation d’une copie des documents saisis par l’ARC, une fois l’enquête criminelle terminée, l’utilisation de ces informations dans l’établissement d’une cotisation et le partage de cette information avec les autorités fiscales provinciales à des fins de taxation. Cela n’a rien à voir avec la validité du mandat émis par la Cour du Québec ni avec la légalité de la perquisition exécutée dans les bureaux de SPE, ou encore avec le respect des droits fondamentaux des demandeurs.

[19]           Évidemment l’autre versant de cette médaille, c’est que les demandeurs ne peuvent aujourd’hui questionner la légalité de la perquisition ou la protection de leurs droits fondamentaux dans le cadre de l’enquête criminelle contre SPE et M. Plante.

[20]           Les demandeurs recherchent des ordonnances enjoignant à l’ARC de : i) leur transmettre la liste des documents qu’elle détient; ii) leur transmettre la liste des documents qu’elle a l’intention de transmettre à l’ARQ; iii) détruire tous les documents; et iv) d’interdire aux défendeurs de transmettre ces documents à l’ARQ. Les trois premiers remèdes recherchés tombent sous le coup de l’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, alors que le dernier est visé par son alinéa 18.1(3)b).

[21]           Je passe donc à la question à savoir si l’ARC détient légalement une copie des documents saisis, maintenant que l’enquête criminelle est terminée.

[22]           Les demandeurs admettent avoir récupéré les originaux des documents saisis, mais ils soutiennent qu’en application des paragraphes 490(1) à (9.1) du Code criminel, l’ARC ne pouvait en conserver une copie une fois l’enquête criminelle terminée, encore moins en remettre une copie à un tiers. Les demandeurs citent les arrêts suivants pour soutenir leur position : R v Cartier (1997), 197 AR 70 aux paras 16 et 18 (ABQB) [Cartier]; Alberta (AG) v Black, 2001 ABQB 216 aux paras 9, 17 et 19 [Black]; Bleet v Canada (AG), [1997] BCJ No 3195 au para 8 (Sup Ct) (QL) [Bleet].

[23]           Les demandeurs ajoutent que depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R c Jarvis, 2002 CSC 73 aux paras 84 et 88 [Jarvis], une distinction nette s’impose entre les fonctions civile et pénale des autorités fiscales. Pour les demandeurs, le principe dégagé par cet arrêt, à l’effet que les pouvoirs de vérification ne peuvent servir à des fins d’enquête criminelle, s’applique également en sens inverse : les pouvoirs d’enquête criminelle de l’ARC ne peuvent servir à des fins de vérification.

[24]           D’abord, je ne crois pas que la jurisprudence citée par les demandeurs soutienne réellement leur position. Dans Cartier, la Couronne n’avait porté aucune accusation contre le demandeur, mais la police poursuivait toujours son enquête. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta s’est dite d’opinion que l’objectif du paragraphe 490(13) du Code criminel était de permettre au débiteur fiscal de récupérer ses documents, à l’intérieur d’un délai raisonnable, sans toutefois nuire à l’enquête en cours. Le paragraphe 490(14) du Code criminel prévoit ainsi qu’une copie de ces documents, certifiée conforme par la PGC, sera admissible en preuve et aura la même force probante que les originaux. Je ne crois pas qu’il faille comprendre des principes dégagés par cette décision que la copie des documents saisis doive être détruite une fois l’enquête criminelle terminée. Le même commentaire peut être fait à l’égard des décisions de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Black et de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Bleet où l’on traite simplement de l’objectif de l’article 490 du Code criminel.

[25]           La question soulevée par cette demande trouve plutôt réponse dans les décisions de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Brown c Canada, 2013 CAF 111 au para 19 [Brown]; Klundert c Canada, 2014 CAF 156 aux paras 9-16 [Klundert]; Piersanti c Canada, 2014 CAF 243 [Piersanti]; et Romanuk c Canada, 2013 CAF 133 aux paras 6-8 [Romanuk].

[26]           D’abord, les dispositions du Code criminel sont claires : la saisie étant exécutée en vertu d’un mandat valide, l’ARC dispose d’un droit inconditionnel de tirer des copies des documents saisis (Pèse Pêche Inc c R, 2013 NBCA 37 aux paras 12-13; Re Moyer (1994), 95 CCC (3d) 174 aux paras 15, 26 (Div gén Ont); Cartier, précité aux paras 20, 25; Bleet, précité au para 8; Black, précité au para 27; Bromley v Canada, 2002 BCSC 149 au para 26).

[27]           Par ailleurs, dans Klundert, précité au para 10, la Cour d’appel fédérale constate que le demandeur tente, comme les demandeurs en l’espèce, d’utiliser le principe de l’arrêt Jarvis hors contexte, et qu’il n’y a « aucune raison pour laquelle des renseignements obtenus dans le cadre d’une enquête criminelle, comme ceux recueillis en vertu d’un mandat de perquisition conforme à la loi, ne pourraient être disponibles à des fins connexes en matière civile ». Puisque l’ARC a obtenu un mandat de perquisition contre SPE, il y a tout lieu de croire que son enquête était légitime et qu’elle avait des motifs de croire qu’une infraction pénale à la LIR avait été commise. Dans ces circonstances, on ne peut « dire que l’Agence du revenu du Canada a exercé ses pouvoirs de nature pénale pour obtenir l’exécution d’une dette civile » (Klundert, précité au para 13).

[28]           Je crois que la décision dans l’affaire Piersanti est également applicable. On peut y lire, au para 9, que :

La juge n'a commis aucune erreur de droit lorsqu'elle a conclu que l'ARC n'a pas porté atteinte aux droits de l'appelante garantis par les articles 7 et 8 de la Charte lorsqu'elle a utilisé les renseignements recueillis pendant l'enquête criminelle pour établir de nouvelles cotisations à l'égard des obligations fiscales de l'appelante pour les années en question. La conclusion juridique de la juge est compatible avec l'arrêt Jarvis et avec le régime fiscal d'autocotisation et d'autodéclaration.

[29]           Contrairement à ce qu’en pensent les demandeurs, le principe ainsi dégagé par la Cour d’appel fédérale dans Piersanti n’est pas fonction du fait que dans cette affaire, le demandeur avait plaidé coupable à 35 chefs d’accusation. Le principe voulant que des informations recueillies dans le cadre d’une enquête criminelle puissent servir à établir de nouvelles cotisations, sans pour autant contrevenir à la règle établie dans Jarvis, s’applique, à mon humble avis, peu importe l’issue de l’enquête criminelle.

[30]           D’ailleurs, dans l’affaire Romanuk, précité aux paras 6-8, il ne semble pas que des accusations criminelles aient été déposées contre l’appelante. La Cour d’appel fédérale confirme néanmoins que l’ARC peut continuer d’utiliser les pouvoirs de vérification même après le commencement d’une enquête, et que les résultats de cette vérification peuvent servir à des fins administratives, telle l’émission d’un avis de nouvelle cotisation. La Cour conclut également que l’usage de tels renseignements pour l’établissement de nouvelles cotisations ne porte pas atteinte aux droits de l’appelante garantis par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[31]           Il s’en suit que l’ARC pouvait conserver une copie des documents saisis lors de la perquisition dans les bureaux de SPE et qu’elle les détient donc légalement.

B.                 L’ARC peut-elle transmettre les copies des documents saisis à l’ARQ ?

[32]           Les demandeurs plaident que tant que les documents saisis ne sont pas déposés au soutien d’une poursuite pénale ou criminelle, ils conservent leur caractère confidentiel et l’ARC ne peut en transmettre copie aux autorités fiscales provinciales. Une telle communication par l’ARC contreviendrait à leur attente raisonnable de respect de leur vie privée.

[33]           Les demandeurs n’invoquent aucune autorité au soutien de cette attente raisonnable de respect de leur vie privée alors que les défendeurs nous réfèrent à Jarvis au para 95 où la Cour suprême du Canada qualifie plutôt cette attente, dans un contexte règlementaire, de très faible :

...[L]e droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents et registres qu’il doit tenir ... et produire au cours d’une vérification ... Ainsi, aucun principe d’immunité contre l’utilisation n’empêche les enquêteurs, dans l’exercice de leur fonction d’enquête, d’utiliser des éléments de preuve obtenus dans l’exercice régulier de la fonction de vérification de l’ADRC.

[34]           Il est vrai que l’on parle ici de documents obtenus dans le cadre d’une vérification. Toutefois, une lecture combinée de cet arrêt et des décisions précitées de la Cour d’appel fédérale nous mène à conclure que l’attente des demandeurs dans les circonstances de la présente affaire est plutôt faible. En particulier, dans Brown, précité aux paras 19-20, la Cour constate, comme en l’espèce, que le demandeur n’invoque aucune autorité au soutien d’une quelconque attente en matière de vie privée à l’égard des documents saisis par la police et remis à l’ARC.

[35]           Cela dit, une fois que les documents saisis sont utilisés pour compléter la vérification des déclarations de revenus des demandeurs, ils demeurent des renseignements confidentiels et ne peuvent être communiqués que dans les circonstances restreintes prévues à l’article 241 de la LIR. Le sous-alinéa 241(4)d)(iii) permet expressément à l’ARC de fournir un renseignement confidentiel « à un fonctionnaire, mais uniquement en vue de l’application ou de l’exécution d’une loi provinciale qui prévoit l’imposition ou la perception d’un impôt, d’une taxe ou d’un droit ».

[36]           Or, comme l’exprime bien l’intervenante, elle désire utiliser les documents saisis et utilisés par l’ARC pour établir les avis de nouvelles cotisations contre SPE et M. Plante dans l’application qu’elle fait de la LIR; de la Loi sur la taxe de vente du Québec, LRQ, c T-0.1; de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E-15; et de la Loi sur l’administration fiscale, LRQ, c A-6.002. Une telle utilisation par l’ARQ ne causera aucun préjudice aux demandeurs, puisque la confidentialité des renseignements est assurée par ces diverses lois provinciales.

[37]           Je suis donc d’avis que l’ARC peut transmettre à l’ARQ, en application de l’article 241 de la LIR, copie des documents saisis dans le cadre de la perquisition exécutée dans les bureaux de SPE et qui ont servi de fondement aux avis de nouvelles cotisations émis contre SPE et M. Plante.

C.                 Est-ce que cette Cour a compétence pour se prononcer sur l’admissibilité en preuve des documents saisis ? Si oui, ces documents sont-ils admissibles devant la Cour du Québec ?

[38]           Il me semble que poser cette question c’est également y répondre.

[39]           D’abord, cette Cour n’a pas compétence pour déterminer la validité d’une cotisation fiscale. La Cour canadienne de l’impôt, et la Cour du Québec pour l’application des lois fiscales du Québec, possèdent une compétence exclusive à cet égard (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 au para 82).

[40]           Ensuite, l’admissibilité des éléments de preuve et la valeur probante à leur accorder relèvent du tribunal qui a compétence sur la matière et qui est appelé à administrer cette preuve. Les demandeurs pourront donc faire valoir tous leurs arguments quant à l’admissibilité des documents saisis devant les tribunaux compétents (Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), [2008] 2 RCS 643 au para 28).

D.                Est-ce que cette Cour peut rendre une ordonnance de la nature d’une injonction ou d’un bref de prohibition ?

[41]           Puisque je conclus que l’ARC détient légalement une copie des documents saisis, et qu’elle peut en transmettre une copie à l’ARQ conformément à l’alinéa 241(4)d)(iii) de la LIR, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

[42]           Quant au premier remède recherché par les demandeurs, soit que les défendeurs soient contraints de leur transmettre une liste complète des documents qu’ils détiennent, je réitère que cette liste leur est connue puisque les originaux leur ont été remis par l’ARC.

V.                Conclusion

[43]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs sera rejetée avec dépens en faveur des défendeurs et de l’intervenante.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.        La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.        Les dépens sont accordés en faveur des défendeurs et de l’intervenante.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2080-14

INTITULÉ :

SPE VALEUR ASSURABLE INC ET AL c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 octobre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JANVIER 2016

COMPARUTIONS :

Francis Fortin

André Bois

Pour LES DEMANDEURS

Stéphanie Côté

Pour LES DÉFENDEURS

Danny Galarneau

Pour l'intervenante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tremblay Bois Minault Lemay s.e.n.c.r.l.

Avocats

Québec (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour les défendeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Québec (Québec)

Pour l'intervenante

 

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