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Date : 20160122


Dossier : T-813-15

Référence : 2016 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

TSAI CHUAN LIAO

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et visant la décision du 20 avril 2015 par laquelle une juge de la citoyenneté (la juge) a conclu que la défenderesse avait satisfait à l’obligation de résidence prévue à la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C­29 (la Loi).

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               La défenderesse et son mari sont des ressortissants de Taïwan. La défenderesse a déposé une demande de citoyenneté le 26 octobre 2010. Afin de répondre à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, elle était tenue de prouver qu’elle avait résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours durant la période s’étendant du 3 février 2007, date où elle a obtenu son statut de résidente permanente, au 26 octobre 2010, date où elle a déposé sa demande de citoyenneté (la période pertinente).

[4]               Le mari de la défenderesse, qui s’est qualifié pour pratiquer l’acuponcture au Canada, subvient aux besoins financiers de sa femme et de leurs enfants, bien que la défenderesse ait dû travailler au cours des dernières années dans un immeuble à usage locatif qu’ils ont acheté à Halifax. Pendant la période pertinente, la défenderesse s’est rendue à Taïwan à plusieurs reprises afin de prendre soin de membres de sa famille qui étaient gravement malades. Par conséquent, elle a déclaré qu’elle a passé plus de temps à l’étranger qu’au Canada, et il en a été fait mention à la juge pendant une audience. À l’origine, elle a déclaré 703 jours de présence et 658 jours d’absence sur sa demande. L’agent examinateur a révisé ces chiffres afin de refléter 692 jours d’absence et une insuffisance totale de 427 jours dans la période pertinente.

II.                Décision contestée

[5]               Au moment de déterminer si la défenderesse répondait à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, la juge a appliqué le critère prescrit dans la décision Re Koo, [1993] 1 CF 286 [la « décision Koo »]. La juge a noté que ce critère, qui n’exige pas la présence réelle pour la totalité des 1 095 jours, peut permettre de déterminer si le Canada est le lieu où le demandeur vit régulièrement, normalement ou habituellement ou si le Canada est le pays où le demandeur a centralisé son mode d’existence. La juge s’est servi des six questions qui suivent afin de l’aider à faire cette détermination.

(1)               La personne était­elle réellement présente au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes qui se sont produites immédiatement avant la présentation de la demande de citoyenneté?

[6]               Même si la défenderesse n’était pas présente au Canada pendant une longue période avant sa première absence, la juge a conclu que cette absence était attribuable à situation urgente. Plus précisément, les absences étaient attribuables à l’état de santé précaire du père et du beau­père de la défenderesse ainsi qu’à l’incapacité du mari de la défenderesse d’abandonner sa profession et d’interrompre la procédure de certification requise pour entamer une nouvelle carrière au Canada.

(2)               Où résident les personnes à charge et les membres de la famille immédiate du demandeur (et de la famille élargie)?

[7]               Le mari de la défenderesse et leurs enfants habitent à Halifax. Les enfants fréquentent l’université et habitent dans un immeuble d’habitation acheté par la famille en 2011. Sa mère habite à Nanto et son beau­père habite à Taipei. Une de ses sœurs vit à Toronto et a deux enfants qui sont eux aussi Canadiens.

(3)               Les présences réelles du demandeur au Canada semblent­elles indiquer qu’il rentre chez lui ou qu’il revient au pays simplement en visite?

[8]               La juge a conclu que la défenderesse considère le Canada comme son pays d’attache, car elle y est revenue après s’être occupée de ses proches à Taïwan.

(4)               Quelle est la durée des absences réelles – s’il ne manque que quelques jours au demandeur pour atteindre le total de 1 095, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que si ces absences étaient prolongées.

[9]               Même si elle a souligné qu’il manquait de nombreux jours de présence réelle à la défenderesse, la juge a conclu qu’elle a dû s’absenter pour prendre soin de sa famille, notamment en raison de son mari dont le travail l’empêchait de quitter le Canada. Même pendant ses absences prolongées pour prendre soin de sa famille, la défenderesse revenait au Canada. La juge a déduit que les déplacements de la défenderesse indiquaient que sa résidence présumée se trouvait à Halifax.

(5)               L’absence réelle est­elle attribuable à une situation de toute évidence temporaire, comme avoir un emploi de missionnaire à l’étranger, y suivre un cours dans un établissement d’enseignement, accepter un emploi temporaire à l’étranger, accompagner un conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger?

[10]           Le juge a jugé que les déplacements de la défenderesse indiquaient que l’absence de celle­ci était attribuable à une situation temporaire résultant de l’état de santé précaire de ses parents et de son beau­père.

(6)               De quelle qualité sont les rapports du demandeur avec le Canada : sont­ils plus solides que ceux qu’il entretient avec un autre pays?

[11]           La juge a conclu que les rapports de la défenderesse avec le Canada étaient plus solides que ceux entretenus avec Taïwan ou tout autre pays, et statué que le Canada constituait son pays d’attache.

[12]           La juge a conclu que le Canada est l’endroit où la défenderesse vit régulièrement, normalement ou habituellement et où elle a centralisé son mode d’existence.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[13]           La position du demandeur est que la juge a commis une erreur en appliquant le critère de résidence de la Loi et les facteurs de la décision Koo pour combler l’insuffisance considérable de jours requis de présence réelle au Canada.

[14]           Le demandeur fait valoir que la décision d’un juge de la citoyenneté quant à la question de savoir si une personne satisfait au critère de résidence de la Loi est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de révision en vertu de la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord qu’il s’agit là de la norme de contrôle applicable (voir la décision El­Khader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 328, aux paragraphes 8­10), et j’estime que la question en litige dans la présente demande est de savoir si la décision de la juge était raisonnable.

IV.             Observations des parties

A.                Position du demandeur

[15]           Le demandeur soutient que la juge a commis une erreur en appliquant les facteurs définis dans la décision Koo. Le demandeur allègue que la justification des absences n’est pas le critère à satisfaire en vertu de la décision Koo. Le demandeur s’appuie sur la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Olafimihan, 2013 CF 603 (la « décision Olafimihan »), où un juge de la citoyenneté a accueilli la demande malgré les absences des défendeurs et où la Cour a renversé la décision sur la foi qu’il était erroné de faire des voyages d’affaires le principal motif des absences.

[16]           Le demandeur soulève ensuite des préoccupations (abordées plus en détail ci­dessous) en lien avec les conclusions de la juge pour chacun des facteurs définis dans la décision Koo. Cependant, la remise en question de la décision de la juge repose principalement sur l’argument du demandeur selon lequel la juge n’a pas réussi à rendre des conclusions par rapport à chaque facteur puis à comparer les éléments positifs aux éléments négatifs. Le demandeur s’appuie sur la décision qu’a rendue le juge Mosley dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ojo, 2015 CF 757 [la « décision Ojo »], où il a annulé la décision d’un juge de la citoyenneté sur la foi qu’il n’avait pas réalisé cette analyse.

B.              Position de la défenderesse

[17]           La défenderesse soutient que, en appliquant les facteurs de la décision Koo, les juges de la citoyenneté doivent examiner le motif des absences et tenir compte de leur justification même dans les situations d’absences extrêmes et prolongées du Canada (voir la décision Benjamin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1301). En l’espèce, la défenderesse a présenté des preuves incontestables pour étayer ses absences, et sa crédibilité n’est pas mise en doute. Le demandeur ne fait que contester l’importance qu’a accordée la juge à la justification de la défenderesse. La défenderesse fait mention de cas présentant des faits similaires au cas en l’espèce, dans le cadre desquels les absences étaient justifiées par des membres de la famille dont l’état de santé était précaire.

[18]           La défenderesse ajoute que ses absences du Canada constituaient une obligation impossible à contourner, car des membres de sa famille élargie étaient malades et avaient besoin de soins. Elle a assumé cette obligation de façon à permettre à son mari et à ses enfants de poursuivre leur travail ou leurs études, et elle soutient que cette décision ne devrait pas être utilisée contre elle.

[19]           En réponse à la dépendance du demandeur à l’égard des décisions Olafimihan et Ojo, la défenderesse soutient que ces décisions sont différentes puisqu’elles impliquent des absences pour raisons d’affaires ou d’emploi qui ne peuvent être comparées aux absences pour prodiguer des soins, surtout compte tenu de la nature ultimement temporaire des soins aux membres de la famille vieillissants. La défenderesse soutient également que, au paragraphe 34 de la décision Ojo, le juge Mosley affirme que « le critère Koo a pour objectif final d’apprécier si les attaches que possède la personne intéressée avec le Canada sont suffisamment fortes pour justifier l’octroi de la citoyenneté ». Elle fait valoir qu’une telle analyse a été réalisée en l’espèce, que la juge a bel et bien examiné tous les facteurs de la décision Koo, y compris les facteurs négatifs, et que, même si la juge n’a pas expressément fait mention de comparaison entre ces facteurs, sa décision s’inscrit dans les issues acceptables requises par la norme de la décision raisonnable.

V.                Analyse

[20]           Je n’ai aucune difficulté à conclure que la décision de la défenderesse d’assumer l’obligation de prendre soin des membres de sa famille élargie, et par le fait même de permettre à son mari et à ses enfants de poursuivre leur travail ou leurs études et de s’intégrer à la société canadienne, est louable. Cependant, comme l’a fait valoir le demandeur, la justification des absences du Canada de la défenderesse ne constitue pas le critère applicable. La question à laquelle je dois répondre, afin d’établir le caractère raisonnable de la décision, consiste à déterminer si le critère applicable prescrit par la décision Koo a été appliqué comme il se doit par la juge et si la décision s’inscrit dans les issues acceptables.

[21]           J’ai d’abord examiné les préoccupations du demandeur en lien avec les décisions de la juge concernant les facteurs individuels de la décision Koo, et je n’ai pas jugé que ces préoccupations pouvaient justifier une remise en question de la décision.

Facteur 1 – La personne était­elle réellement présente au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes qui se sont produites immédiatement avant la présentation de la demande de citoyenneté?

[22]           Le demandeur soutient que les preuves présentées ne favorisent pas une conclusion positive par rapport à ce facteur. Bien que je sois du même avis, je ne perçois pas de conclusion positive dans la décision de la juge. Elle reconnaît plutôt que l’état de santé précaire des membres de la famille est devenu un problème peu après l’arrivée de la défenderesse au Canada en 2007, de telle sorte qu’elle est arrivée le 3 février et est retournée à Taïwan le 23 février. Je ne considère pas que la référence subséquente faite par la juge, selon laquelle l’absence était attribuable à des membres de la famille qui avaient besoin de soins, laisse entendre que ce facteur est positif.

Facteur 3 – Les présences réelles du demandeur au Canada semblent­elles indiquer qu’il rentre chez lui ou qu’il revient au pays simplement en visite?

[23]            Le demandeur soutient que la conclusion positive par rapport à ce facteur n’est pas étayée par les éléments de preuve invoqués par la juge, à savoir le rapport du Système intégré d’exécution des douanes (SIED), l’historique des passeports de la défenderesse et le témoignage de celle­ci selon lequel elle est revenue au Canada après s’être occupée de ses proches à Taïwan. La position du demandeur est que les éléments de preuve font qu’il est difficile pour la juge de déterminer l’objet des retours de la défenderesse au Canada. Cependant, je ne considère pas qu’il est déraisonnable que la juge ait conclu que les déplacements de la défenderesse, tel qu’il a été démontré par le rapport du SIED et l’historique des passeports, indiquaient qu’elle revenait au Canada après s’être occupée de ses proches, sans nécessiter d’autre preuve pour déterminer l’objet des déplacements que le témoignage de la défenderesse.

[24]           Le demandeur conteste également l’importance que la juge accorde au fait que la défenderesse possède des biens au Canada, sans prendre en considération qu’elle en possède aussi à Taïwan, ainsi que le fait que la défenderesse utilise à l’occasion des congés annuels pour se rendre à Taïwan n’a pas influé sur la conclusion de la juge. Je ne trouve rien de déraisonnable dans l’analyse qu’a faite la juge de ce facteur. La juge savait que la défenderesse possédait une copropriété à Taïwan, y faisant mention dans son analyse du facteur 6, et son analyse du facteur 3 fait mention des congés annuels utilisés pour aller à Taïwan. La juge n’était aucunement obligée de faire mention de chacun des éléments de preuve dans son analyse de chaque facteur (Hassan c. Canada [Ministre de l’Emploi et de l’Immigration], [1992] ACF nº 946 [CAF]). Je considère que la position du demandeur par rapport à ce facteur est qu’il faut soumettre les preuves avancées à un nouvel examen, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.

[25]           Le demandeur évoque l’explication qu’on fait dans la décision Olafimihan de la difficulté à renverser la présomption selon laquelle une personne ne fait que venir en visite au Canada lorsqu’elle passe moins de 50 p. 100 de son temps au pays. Cependant, je ne considère pas que ce cas devrait écarter une conclusion positive par rapport au facteur 3 dans des circonstances comme celles en l’espèce, surtout si la résidence familiale et les membres de la famille immédiates se trouvent au Canada.

Facteur 4 – Quelle est la durée des absences réelles – s’il ne manque que quelques jours au demandeur pour atteindre le total de 1 095, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que si ces absences étaient prolongées.

[26]           Le demandeur soutient que ce facteur n’a pas complètement été pris en compte et qu’il serait déraisonnable d’en tirer une conclusion en faveur de la défenderesse. Comme pour le facteur 1, je ne considère pas que la référence faite par la juge, selon laquelle les absences étaient attribuables à des membres de la famille de la défenderesse qui avaient besoin de soins, laisse entendre que ce facteur est positif. La juge reconnaît que la défenderesse présente un important déficit de 427 jours quant au nombre de jours de présence réelle requis.

Facteur 5 – L’absence réelle est­elle attribuable à une situation de toute évidence temporaire, comme avoir un emploi de missionnaire à l’étranger, y suivre un cours dans un établissement d’enseignement, accepter un emploi temporaire à l’étranger, accompagner un conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger?

[27]           Le demandeur fait valoir que la juge aurait dû exiger de la documentation médicale étayant l’affirmation selon laquelle le beau­père de la défenderesse était malade et avait besoin de soins entre 2007 et 2010, et souligne que, même après que l’état de santé de son beau­père se soit stabilisé, la défenderesse n’a pas modifié ses habitudes de déplacement, d’après les déplacements qu’elle a déclarés dans son Questionnaire sur la résidence.

[28]           Je ne considère pas qu’il est déraisonnable que la juge ait accepté l’explication qu’a donnée la défenderesse des motifs pour les absences antérieures à 2010, bien que la documentation médicale à l’appui aurait permis de corroborer les diagnostics de santé de son beau­père pour cette année. Je souscris également aux observations de la défenderesse selon lesquelles les soins continus qu’elle a prodigués aux membres de sa famille vieillissants, un fait reconnu par la juge, ne préviennent pas une conclusion de situation temporaire.

Facteur 6 – De quelle qualité sont les rapports du demandeur avec le Canada : sont­ils plus solides que ceux qu’il entretient avec un autre pays?

[29]           Le demandeur affirme que l’importance accordée par la juge à l’immeuble d’habitation constitue une erreur, car il a été acheté en avril 2011, donc en dehors de la période pertinente. De même, l’intention de la fille de la défenderesse de poursuivre ses études au Royaume­Uni ne peut pas contribuer à démontrer la qualité du rapport de la défenderesse avec le Canada. Le demandeur soutient également qu’il n’y a pas de corroboration indépendante du rôle de la défenderesse dans les sociétés taïwanaise et chinoise sur laquelle s’appuie la juge, et que le fait que la défenderesse possède des biens à la fois au Canada et à Taïwan écarte une conclusion selon laquelle elle entretient des rapports plus solides avec le Canada.

[30]           Dans l’ensemble, je considère ces observations comme étant une demande de réexamen des éléments de preuve présentés. En prenant en considération les divers éléments sur lesquels la juge s’est fondée pour rendre sa conclusion par rapport à ce facteur, je ne juge pas cette conclusion comme étant déraisonnable, même si les faits évoqués par la juge ne sont pas tous liés aux rapports qu’a entretenus la défenderesse avec le Canada pendant la période pertinente. En ce qui concerne la copropriété à Taïwan, je note que la juge établit une distinction entre la résidence familiale au Canada et la copropriété, qui est utilisée pour des séjours à court terme lors de visites à Taïwan.

B.                 Pondération des facteurs de la décision Koo

[31]           Ayant déterminé qu’aucune des préoccupations soulevées par le demandeur en rapport avec les conclusions de la juge quant aux facteurs individuels de la décision Koo ne justifie que la décision soit remise en question, j’ai par conséquent considéré l’argument du demandeur selon lequel la juge a omis de pondérer ces facteurs. Le demandeur s’appuie sur le raisonnement du juge Mosley dans la décision Ojo. La section pertinente de cette décision se trouve aux paragraphes 32 à 34, reproduits ci­dessous.

[32]      J’estime également que la juge de la citoyenneté a appliqué le critère de résidence de façon déraisonnable au cours de la deuxième étape, lorsqu’elle a apprécié l’importance des attaches de M. Ojo avec le Canada. Selon le critère Koo, le juge de la citoyenneté doit tirer des conclusions concernant six facteurs et, ensuite, apprécier et soupeser les conclusions favorables par rapport aux conclusions défavorables. Ce n’est pas ce qu’a fait la juge de la citoyenneté en l’espèce. Dans l’ensemble, elle a simplement repris les justifications des absences de M. Ojo, sans concilier les deux types de conclusions.

[33]      Mon collègue le juge Roy a critiqué un raisonnement semblable dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Olafimihan, 2013 CF 603, aux paragraphes 23 et 29, décision dans laquelle il a écrit :

Compte tenu de l’analyse effectuée relativement aux questions 1, 3 et 5, on est frappé par l’importance que le juge de la citoyenneté accorde dans ces motifs aux raisons invoquées pour justifier ces absences, comme si les raisons invoquées pouvaient constituer une justification suffisante ou remplacer l’exigence de résidence continuelle effective et l’obligation d’avoir résidé au Canada avant de pouvoir présenter une demande permettant d’obtenir la citoyenneté canadienne.

[...]

Le tableau qui se dégage de l’examen des six facteurs dans le cas qui nous occupe est le suivant : le juge de la citoyenneté a remplacé les exigences relatives aux attaches physiques exigées par l’alinéa 5(1)c) de la Loi par les raisons invoquées pour justifier les absences motivées par les besoins de l’entreprise. En n’appliquant pas correctement les critères élaborés dans la décision Koo, le juge de la citoyenneté a effectivement créé un nouveau critère. Il n’a accordé aucun poids au quatrième critère et à toutes fins utiles ignoré le premier, le troisième et le cinquième critères. On ne peut guère dire qu’il a satisfait aux critères applicables.

[34]      Comme le juge Roy, je conclus que cette approche n’est pas conforme au critère Koo. Ce critère a pour objectif final d’apprécier si les attaches que possède la personne intéressée avec le Canada sont suffisamment fortes pour justifier l’octroi de la citoyenneté, et non pas d’apprécier si cette personne a quitté le Canada pour des raisons valables.

[32]           Les facteurs qui sont incontestablement défavorables à la  défenderesse sont les facteurs 1 et 4, pour lesquels la juge a souligné que la défenderesse n’était pas au Canada pendant une longue période avant sa première absence et qu’il lui manquait un nombre considérable de jours de présence réelle, soit 427. Par rapport à ces deux facteurs, la juge précise que les absences de la défenderesse étaient justifiées par les soins qu’elle devait prodiguer aux membres de sa famille élargie et l’incapacité de son mari et des autres membres de la famille à assumer ce rôle. Cependant, la défenderesse a correctement soutenu que l’examen des motifs des absences fait partie intégrale de l’analyse des facteurs de la décision Koo et qu’il convient de l’effectuer (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Camorlinga­Posch, 2009 CF 613). Je ne déduis pas que la décision de la juge représente un abandon de l’analyse des facteurs de la décision Koo en faveur d’une évaluation de la justification des absences, comme c’était le cas dans la décision Ojo.

[33]           Au paragraphe 34 de la décision Ojo, le juge Mosley affirme que « le critère Koo a pour objectif final d’apprécier si les attaches que possède la personne intéressée avec le Canada sont suffisamment fortes pour justifier l’octroi de la citoyenneté ». À mon avis, il s’agit de l’évaluation effectuée par la juge. Cela est évident dans son analyse du facteur 4, où elle reconnaît que la défenderesse présente un important déficit de 427 jours, puis souligne le motif des absences et le fait que même pendant ses absences prolongées, la défenderesse revenait au Canada pour passer du temps avec son mari et ses enfants. À la suite de cette analyse, la juge a conclu que la situation des membres de la famille de la défenderesse et les habitudes de déplacement de celle­ci indique que la défenderesse considère le Canada comme son pays de résidence.

[34]           Bien que cette analyse et cette conclusion ne découlent pas d’un examen individuel et explicite réalisé une fois que les conclusions relativement à tous les facteurs ont été tirées, je suis d’avis qu’un tel processus est implicite dans cet aspect de la décision. Il suit les conclusions tirées par rapport aux facteurs 1 et 4, les seules étant défavorables pour la défenderesse, et tient compte de manque de jours de présence physique, des motifs associés aux besoins de la famille, du fait que le mari et les enfants de la défenderesse se trouvent au Canada, et aux habitudes de déplacement de la défenderesse indiquant des retours au Canada pour passer du temps avec son mari et ses enfants. Les facteurs 5 et 6 favorisent la défenderesse. Par conséquent, je ne considère pas que la juge a commis une erreur en omettant de réexaminer l’analyse après avoir examiné le facteur 6, avant de conclure que le Canada est l’endroit où la défenderesse vit régulièrement, normalement ou habituellement et où elle a centralisé son mode d’existence.

[35]           Dans l’ensemble, je conclus que l’approche adoptée par la juge concorde avec l’objectif final du critère Koo, qui consiste à évaluer si une personne entretient des rapports suffisamment solides avec le Canada pour justifier l’octroi de la citoyenneté, et que sa conclusion se situe à l’intérieur des issues possibles et est raisonnable.

VI.             Conclusion

[36]           La présente demande est par conséquent rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.

[37]           La défenderesse a fait une demande de recouvrement des dépens au montant nominal de 1 000 $. Elle évoque le paragraphe 48 de la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Suleiman, 2015 CF 891 (la « décision Suleiman ») et reconnaît que pour les questions de citoyenneté, l’adjudication de dépens ne peut être justifiée que par des raisons spéciales. Cependant, elle fait valoir que les dépens ont été adjugés puisque le demandeur avait à l’origine avancé, puis réfuté quelques jours avant l’audience, un argument selon lequel il faudrait annuler la décision de la juge puisque cette dernière n’a pas examiné la question de seuil à savoir si la résidence a été établie, avant de passer à l’analyse en vue de déterminer si elle avait été maintenue pendant la période pertinente. Le demandeur n’a pas déposé de demande de recouvrement des dépens en l’espèce et fait valoir que l’argument initial concernant la question de seuil de la résidence était fondé sur la jurisprudence applicable et que la décision de ne pas utiliser cet argument ne devrait pas donner lieu à une adjudication de dépens.

[38]           J’ai examiné ces arguments et je ne juge pas que ces circonstances s’inscrivent dans l’une ou l’autre des catégories prescrites au paragraphe 48 de la décision Suleiman comme justifiant une adjudication de dépens. Je refuse par conséquent de rendre une ordonnance relativement aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, sans dépens. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-813-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. TSAI CHUAN LIAO

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle­Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 22 janvier 2016

COMPARUTIONS :

Gregory B. King

Pour le demandeur

Elizabeth Wozniak

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle­Écosse)

Pour le demandeur

Elizabeth Wozniak

Elizabeth Wozniak Inc.

Avocats de l’immigration canadienne

Halifax (Nouvelle­Écosse)

Pour la défenderesse

 

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