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Date : 20160114


Dossier : T‑673‑15

Référence : 2016 CF 42

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2016

En présence de monsieur le juge O'Keefe

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

JAFFER ALI MAHER

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, demande à la Cour, aux termes de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, C‑29, telle que modifiée (la Loi), d’annuler la décision d’un juge de la citoyenneté, datée du 1er avril 2015, approuvant la demande de citoyenneté du défendeur, Jaffer Ali Maher, conformément au paragraphe 5(1) de la Loi.

I.                   Les faits

[2]               Le défendeur a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 9 décembre 2004. Dans la décision, il est mentionné qu’il est ingénieur mécanique. Il est originaire de l’Inde et est arrivé au Canada en 2004 en partance de Dubaï (Émirats arabes unis) avec sa famille. Il a continué à travailler à Dubaï jusqu’en 2007, lorsque l’entreprise pour laquelle il travaillait, Eagle Burgmann, lui a offert un emploi au Canada. Il a travaillé au bureau canadien de l’entreprise de février 2007 à juillet 2009. Il a commencé à toucher des prestations d’assurance‑emploi en juillet 2009. Il est reparti pour Dubaï en avril 2010, après avoir demandé la citoyenneté, parce qu’il ne pouvait pas trouver de travail au Canada.

[3]               Il a travaillé à Dubaï de 2010 à 2012, puis il est rentré au Canada pour rejoindre sa famille. En 2013, il a trouvé un emploi dans le domaine du génie à Fort McMurray, en Alberta.

[4]               Le défendeur a produit sa demande de citoyenneté canadienne le 3 avril 2010. Selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi, la période pertinente aux fins de l’obligation de résidence est donc du 3 avril 2006 au 3 avril 2010 (les quatre années précédant la demande de citoyenneté).

[5]               Dans sa demande, le défendeur a déclaré qu’il avait été physiquement présent au Canada pendant 1 074 jours, et à l’extérieur du Canada pendant 386 jours au cours de la période pertinente.

[6]               Dans son questionnaire sur la résidence, daté du 29 décembre 2011, le défendeur a confirmé qu’il avait été physiquement présent au Canada pendant 1 074 jours, et à l’extérieur du Canada pendant 386 jours au cours de la période pertinente.

[7]               Un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent d’examen) a examiné la demande du défendeur, rempli le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers et recommandé la tenue d’une audience. L’agent d’examen a relevé plusieurs sources de préoccupation concernant la demande, dont le fait que le demandeur est revenu au Canada deux jours avant l’examen pour la citoyenneté et est reparti immédiatement après, que la page LinkedIn du demandeur indiquait que celui‑ci avait commencé à travailler pour l’entreprise Fluidyne SEALS INC à Dubaï en décembre 2009, tandis qu’il déclarait avoir été sans emploi d’août 2009 à mars 2010 dans son questionnaire sur la résidence et que des écarts pouvant aller jusqu’à trois jours avaient été relevés quant aux dates des six voyages que le demandeur avait déclaré avoir faits, d’où une différence de sept jours entre ses absences déclarées et ses absences selon le rapport du SIED. L’agent d’examen a aussi souligné que les dépenses effectuées par le demandeur à l’étranger correspondent à ses absences déclarées.

[8]               Le défendeur a participé à une audience devant le juge de la citoyenneté le 12 mars 2015.

II.                Décision

[9]               Dans une décision datée du 1er avril 2015, le juge de la citoyenneté a conclu que le défendeur satisfaisait à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi et a approuvé sa demande de citoyenneté.

[10]           Le juge de la citoyenneté a pris note des antécédents de travail du défendeur, du fait qu’il avait acheté une demeure au Canada en 2007, et que son épouse et ses enfants sont des citoyens canadiens. Il a aussi souligné que le défendeur avait fourni copie de ses avis de cotisation et de ses dossiers médicaux à l’audience.

[11]           De plus, le juge de la citoyenneté a souligné qu’il avait pu déchiffrer les timbres apposés au passeport pour la période pertinente, timbres que l’agent d’examen avait déclarés illisibles.

[12]           Le juge de la citoyenneté a expliqué qu’il incombe au défendeur de prouver qu’il satisfait à l’obligation de résidence. Il a souligné que le défendeur avait établi sa résidence au Canada et que le nombre insuffisant de jours quant à sa demande découlait d’une erreur de bonne foi et du fait qu’il avait présenté sa demande un peu trop tôt. Il a indiqué que le défendeur vit au Canada, n’a pas d’activités à l’extérieur du Canada et que sa famille vit au Canada.

[13]           Le juge de la citoyenneté a appliqué le critère relatif à la résidence énoncé dans Koo (Re) (1992), 59 FTR 27 (CFPI) [Koo], précisant que le critère n’exige pas une présence physique pour toute la période de 1 095 jours, et qu’il sert à établir le lieu où le demandeur de citoyenneté vit « régulièrement, normalement ou habituellement » ou si le Canada est le pays dans lequel le demandeur « [a] centralisé son mode d'existence ». Il a ensuite énoncé les six questions énoncées dans la décision Koo permettant de vérifier si le critère relatif à la résidence a été satisfait et a répondu par l’affirmative à chacune des questions.

[14]           Les réponses suivantes du juge de la citoyenneté soulèvent des questions particulières dans le présent contrôle judiciaire :

[traduction]

1.         La personne était‑elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

OUI

[…]

4.         Quelle est l’étendue des absences physiques – lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables?

OUI, le Canada est là où il habite, et il travaille au Canada dans son domaine de l’ingénierie en Alberta. Une lettre de son employeur figure à son dossier

5.         L’absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

Oui, il n’a que 1 074 jours de présence physique au Canada durant la période pertinente, donc il lui manque 21 jours. Il satisfait à l’exigence fondamentale concernant la résidence, mais il a présenté sa demande un peu trop tôt pour être en mesure de satisfaire à l’obligation de la présence physique de 1 095 jours.

III.             Questions en litige

[15]           Le demandeur soulève les questions en litige suivantes :

1.                  La décision contient des erreurs importantes.

2.                  Le juge de la citoyenneté a omis d’aborder la question des contradictions figurant dans les éléments de preuve.

[16]           Le demandeur affirme que, à la suite de ces erreurs, les motifs sont insuffisants.

[17]           Le défendeur n’a pas présenté d’observations écrites.

IV.             Observations écrites du demandeur

[18]           Le demandeur soutient que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité et est par conséquent déraisonnable. Il affirme que les motifs ne permettent pas à une instance de révision de comprendre la décision ou à la Cour d’apprécier le caractère raisonnable de la décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, au paragraphe 27 [Jeizan]). Le demandeur fonde cet argument sur le fait que la décision contient des erreurs importantes et que le juge de la citoyenneté a omis de répondre à la question des contradictions figurant dans le dossier.

A.                Erreurs importantes dans la décision

[19]           Le demandeur soutient que, parce que le juge de la citoyenneté n’a écrit que « Oui » en réponse à la première question énoncée dans Koo, les motifs ne constituent pas réellement des motifs et ne permettent pas à un tribunal de révision de comprendre les raisons sous-tendant la décision.

[20]           De plus, le demandeur soutient que les éléments de preuve contredisent la conclusion du juge de la citoyenneté à l’égard de ce facteur parce que le défendeur a été absent du Canada pendant une longue période (306 jours), laquelle a précédé une période de deux ans d’absences courtes et constantes du Canada.

[21]           De plus, le demandeur soutient que l’analyse du quatrième facteur, c’est‑à‑dire « l’étendue des absences physiques », ne répond pas à la question posée.

[22]           De plus, le demandeur affirme que la réponse du juge de la citoyenneté à cette question repose sur l’emploi que le défendeur a occupé après la période pertinente, ce qui constitue un facteur non pertinent. Le fait de l’avoir pris en compte constitue une erreur susceptible de contrôle.

[23]           Qui plus est, le demandeur prétend que l’analyse du cinquième facteur, s’agissant de la question de savoir si les absences du défendeur constituaient « une situation manifestement temporaire », était contradictoire et déraisonnable. Le demandeur reconnaît que le juge de la citoyenneté pensait peut-être procéder à l’analyse du quatrième facteur, mais soutient que le défendeur ne peut satisfaire à l’exigence fondamentale sans cumuler 1 095 jours de présence physique.

[24]           De plus, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable que le juge de la citoyenneté accepte l’explication selon laquelle il manquait 21 jours au défendeur pour satisfaire à l’obligation de résidence parce qu’il avait présenté un peu trop tôt sa demande de citoyenneté, tandis qu’il ressort clairement des éléments de preuve que le défendeur a quitté le Canada pour aller travailler à Dubaï immédiatement après avoir signé le formulaire de demande et a été absent pendant 254 jours. Le défendeur n’aurait satisfait à l’obligation d’être présent pendant 1 095 jours qu’en janvier 2011.

B.                 Défaut d’aborder la question des contradictions

[25]           Le demandeur affirme que le juge de la citoyenneté commet une erreur susceptible de contrôle s’il omet de se demander si les contradictions que contient la preuve minent la crédibilité du demandeur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vijayan, 2015 CF 289, au paragraphe 65 (Vijayan) et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Baron, 2011 CF 480, au paragraphe 17 (Baron). Le demandeur affirme que le juge de la citoyenneté a commis cette erreur en ne tenant pas compte des notes de l’agent d’examen selon lesquelles le profil LinkedIn du défendeur contredisait ses antécédents de travail déclarés.

[26]           Le défendeur a formulé des observations de vive voix à l’audience en ce qui concerne ses absences du Canada et il a déclaré qu’elles étaient liées au travail. Il a aussi formulé des observations concernant son profil LinkedIn.

V.                Analyse et décision

(1)        Norme de contrôle

[27]           La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Jeizan, au paragraphe 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Safi, 2014 CF 947, aux paragraphes 15 et 16 (Safi).

[28]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

(2)        Caractère suffisant des motifs

[29]           Un bon nombre des arguments formulés par le demandeur ont trait au caractère suffisant des motifs du juge de la citoyenneté. Madame la juge Catherine Kane dans Safi a résumé en ces termes le caractère suffisant des motifs dans le contexte d’une décision d’un juge de la citoyenneté :

[48]      Le ministre doit être en mesure de déterminer s’il y a lieu d’interjeter appel de la décision, tout comme le demandeur en cas de refus de sa demande, et la Cour doit être en mesure de déterminer s’il y a lieu de faire droit à l’appel.

[49]      Ainsi que le juge de Montigny le fait observer dans le jugement Jeizan, au paragraphe 17 :

[17]      Une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision‑là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision‑là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide : voir Lake c. Canada (Ministre de la Justice), [2008] 1 R.C.S. 761, paragraphe 46; Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n° 545 (C.A.F.); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), paragraphe 22; décision Arastu, précitée, paragraphes 35 et 36.

[50]      Dans le cas qui nous occupe, les observations du juge de la citoyenneté s’apparentent davantage à des « notes personnelles » au sujet du suivi à faire et elles ne révèlent aucun raisonnement.

[51]      J’ai examiné les consignes données dans l’arrêt Newfoundland Nurses et j’ai consulté le dossier pour compléter et confirmer le résultat. Les annotations ne permettent pas de savoir si le juge de la citoyenneté a examiné d’un œil critique les divergences relevées dans les documents et les timbres apposés dans le passeport ou s’il était effectivement en mesure de préciser la date des timbres en question, le pays qui les avait délivrés ou la langue dans laquelle ils avaient été délivrés. Le fait de s’en remettre ainsi au dossier pour compléter la décision déborde largement ce qu’envisage l’arrêt Newfoundland Nurses et oblige la Cour à spéculer sur ce que le juge de la citoyenneté savait et sur les problèmes qu’il percevait dans la preuve. La Cour ne peut réécrire la décision pour exposer des motifs qui n’existent tout simplement pas (Pathmanathan).

(3)        Analyse des facteurs énoncés dans Koo

[30]           Nul ne conteste le fait que le juge de la citoyenneté a énoncé correctement le critère énoncé dans Koo. Il est mentionné ce qui suit dans Koo :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant "vit régulièrement, normalement ou habituellement". Le critère peut être tourné autrement: le Canada est‑il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision:

1) la personne était‑elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[31]           En ce qui concerne l’analyse de la première question énoncée dans Koo, le demandeur affirme que celle-ci présente des lacunes parce que la longue absence du défendeur du Canada n’était pas récente et a eu lieu au début de la période pertinente, et que le défendeur a cumulé un certain nombre de courtes absences pendant toute la période pertinente.

[32]           Je conviens que les motifs et le dossier ne permettent pas d’établir les motifs pour lesquelles le juge de la citoyenneté a répondu « Oui » à cette question et ceux-ci sont, par conséquent, inadéquats. Contrairement à la conclusion du juge de la citoyenneté, la longue absence n’était pas récente, et les courtes absences ont eu lieu pendant toute la période pertinente et n’étaient pas récentes; la plupart ont eu lieu au début de la période pertinente, en 2007.

[33]           Concernant la quatrième et la cinquième questions, j’estime qu’il ressort clairement des motifs que le juge de la citoyenneté a, par inadvertance, inscrit la réponse à la quatrième question sous la cinquième question et vice‑versa. La réponse à la quatrième question répond directement à la cinquième question, et la réponse à la cinquième question répond directement à la quatrième. De façon générale, une erreur typographique qui ne dénote pas une mauvaise interprétation des éléments de preuve ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (Caicedo Molina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 289) :

[18]      Dans la décision Petrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 251 F.T.R. 43, 2004 CF 506, le juge Russell a traité des conséquences d’une erreur typographique contenue dans les motifs de la décision que la Cour était appelée à examiner. Au paragraphe 51 de la décision Petrova, le juge Russell a écrit ce qui suit : « Lorsqu’une erreur est de nature typographique, la Cour ne doit pas modifier la décision, surtout si l’erreur ne semble pas être le résultat d’une incompréhension de la preuve ». Le juge Noël a récemment souscrit à cette conclusion dans la décision Lu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 159.

[34]           Par conséquent, je vais apprécier le caractère raisonnable des réponses en supposant qu’il s’agissait d’une erreur typographique.

[35]           En ce qui concerne la quatrième question, je ne souscris pas à la position du demandeur selon qui il est difficile d’établir ce que voulait dire le juge de la citoyenneté quand il a écrit que le défendeur « satisfait à l’exigence fondamentale concernant la résidence ». Il ressort clairement de la jurisprudence que l’analyse faite dans Koo comporte deux volets (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ojo, 2015 CF 757 (Ojo), le premier pouvant être facilement qualifié « d’exigence fondamentale concernant la résidence ».

[25]      La jurisprudence a établi un critère à deux volets pour examiner la résidence. Premièrement, le juge de la citoyenneté doit décider si la personne a établi une résidence au Canada avant ou au début de la période pertinente. C’est seulement si cette condition est remplie que l’on peut passer au deuxième volet : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Chang, 2013 CF 432 (Chang), au paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Udwadia, 2012 CF 394 (Udwadia), au paragraphe 21.

[26]      Si la première condition est remplie, le juge de la citoyenneté doit décider si la résidence de la personne intéressée lui donne le droit d’obtenir la citoyenneté canadienne. La jurisprudence admet trois critères différents pour régler la question. Le critère Koo est un de ces critères. Encore une fois, le demandeur ne conteste pas le fait que la juge de la citoyenneté pouvait utiliser ce critère.

[27]      En l’espèce, la juge de la citoyenneté n’a jamais expressément abordé la question préliminaire. Elle est immédiatement passée aux six questions de la décision Koo sans se demander si M. Ojo avait déjà établi sa résidence au Canada. Comme mon collègue le juge O’Reilly l'a déclaré dans Udwadia, précitée, au paragraphe 22, il incombe au juge de la citoyenneté de déterminer si la personne concernée a établi sa résidence au Canada ainsi que le moment où elle l’a fait. Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, cette question n’a pas été examinée.

[Non souligné dans l’original.]

[36]           Toutefois, je conviens avec le demandeur que les éléments de preuve figurant au dossier n’étayent pas la prétention voulant que le défendeur a présenté sa demande trop tôt. Les éléments de preuve étayent plutôt le fait que le défendeur a demandé la citoyenneté le jour où il a quitté le Canada (3 avril 2010) pour une longue période (254 jours) afin d’aller occuper un nouvel emploi à Dubaï. De plus, le juge de la citoyenneté semble s’être largement fondé sur cette conclusion pour rendre sa décision. Il affirme, avant d’appliquer le critère énoncé dans Koo, que le défendeur n’a pas cumulé le nombre requis de jours de présence à cause d’une erreur de bonne foi et du fait qu’il a présenté sa demandé un peu trop tôt et répète dans son analyse du quatrième facteur que le défendeur n'a pas cumulé le nombre de jours requis parce qu’il a demandé la citoyenneté un peu trop tôt.

[37]           Par ailleurs, je souligne que le nombre de jours d’absence physique n’est pas très important. Il s’agit seulement de 21 jours. Si l’on fait abstraction de l’erreur mentionnée plus haut dans les motifs, le dossier démontre bel et bien qu’il était raisonnable de répondre par l’affirmative à cette question.

[38]           Au sujet de la cinquième question, je conviens avec le demandeur que le juge de la citoyenneté s’est fondé sur des éléments qui se situent en dehors de la période pertinente pour tirer sa conclusion (c.‑à‑d. la preuve selon laquelle le défendeur travaille dans le domaine de l’ingénierie en Alberta, emploi qu’il n’occupe que depuis 2013). L’emploi actuel du défendeur montre que celui qu’il occupait à Dubaï, pendant la période pertinente, était temporaire dans un sens large, parce qu’il est rentré au Canada. Toutefois, la question posée dans Koo consiste à savoir si l’absence physique était attribuable à une situation manifestement temporaire. Rien ne prouve que l’emploi à Dubaï faisait l’objet d’un contrat temporaire. Par conséquent, j’estime que les motifs et le dossier ne montrent pas clairement comment le juge de la citoyenneté a tiré sa conclusion au sujet du cinquième facteur.

(4)        Défaut de prendre en compte des éléments de preuve

[39]           Quant à la question du défaut de prendre en compte des éléments de preuve se rapportant à la page LinkedIn du défendeur, le juge de la citoyenneté est censé avoir pris en compte tous les éléments de preuve (Simpson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 82). Il était raisonnable que le juge de la citoyenneté privilégie les éléments de preuve se rapportant aux antécédents de voyage du défendeur, comme son passeport, le rapport du SIED et les dépenses effectuées à l’étranger plutôt que sa page LinkedIn, qui n’offre pas de moyen de vérifier les renseignements affichés.

[40]           Le demandeur a cité les décisions Vijayan et Baron pour affirmer qu’« [u]n juge de la citoyenneté commet une erreur susceptible de contrôle s’il omet de se demander si les omissions et les contradictions que contient la preuve minent la crédibilité d’une personne » (Vijayan, au paragraphe 65). Toutefois, dans Vijayan, l’omission consistait dans le défaut de déclarer douze absences du Canada, et, dans Baron, « des contradictions et omissions importantes » avaient été relevées. J’estime que le défaut de faire mention de la page LinkedIn n’équivaut pas aux omissions et contradictions importantes relevées dans Vijayan et Baron.

[41]           Je souligne qu’il n’est pas nécessaire qu’un juge de la citoyenneté tire des conclusions favorables quant à chacun des facteurs pour estimer que le défendeur satisfait à l’obligation de résidence; par exemple, voir Ojo, au paragraphe 32 :

J’estime également que la juge de la citoyenneté a appliqué le critère de résidence de façon déraisonnable au cours de la deuxième étape, lorsqu’elle a apprécié l’importance des attaches de M. Ojo avec le Canada. Selon le critère Koo, le juge de la citoyenneté doit tirer des conclusions concernant six facteurs et, ensuite, apprécier et soupeser les conclusions favorables par rapport aux conclusions défavorables. Ce n’est pas ce qu’a fait la juge de la citoyenneté en l’espèce. Dans l’ensemble, elle a simplement repris les justifications des absences de M. Ojo, sans concilier les deux types de conclusions.

[42]           Comme je l’ai mentionné plus haut, le juge de la citoyenneté a tiré des conclusions dans plusieurs aspects de sa décision qui ne sont pas étayées par la preuve: dans son analyse du premier facteur énoncé dans Koo et dans la conclusion que le demandeur a en toute bonne foi présenté sa demande un peu trop tôt. Les motifs et le dossier ne montrent pas non plus comment le juge de la citoyenneté a pu conclure, au sujet du cinquième facteur, que les longues absences physiques du défendeur étaient imputables à une situation manifestement temporaire.

[43]           Même si certaines des conclusions du juge de la citoyenneté sont étayées par les motifs et le dossier et même s’il n’était pas nécessaire de tirer des conclusions favorables quant à chacun des facteurs énoncés dans Koo, on ne peut pas établir clairement si le juge de la citoyenneté aurait tiré la même conclusion sans ces conclusions déraisonnables. Par conséquent, j’estime que la décision, dans son entier, est déraisonnable.

[44]           Pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et la décision du juge de la citoyenneté doit être annulée, et l’affaire doit être renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision.

[45]           Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du juge de la citoyenneté est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision.

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑673‑15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c

JAFFER ALI MAHER

 

LIEU DE L’AUDIENCE 

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 OCTOBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O'KEEFE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 14 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Teresa Ramnarine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jaffer Ali Maher

 

LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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