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Date : 20160204


Dossier : IMM-564-15

Référence : 2016 CF 132

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

IMAD ZMARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Le demandeur est un Palestinien de 42 ans qui a demandé une révision judiciaire d’une décision datée du 5 décembre 2014, rejetant sa demande relative à un examen des risques avant renvoi restreint.

I.                   Contexte

[2]               Le demandeur s’est joint à l’Organisation de libération palestinienne en 1989 quand il avait 16 ans. En 1993 et 1994, il a été arrêté et battu par les autorités israéliennes qui le soupçonnaient d’être un membre d’une organisation illégale et de lancer des pierres. En mars 1995, il s’est joint à l’Autorité palestinienne en tant qu’agent de la Direction générale du renseignement [GID], un organisme de police secrète connue dans les pays arabes sous le nom de Mukhabarat. En dépit d’être un agent de la GID, le demandeur a été arrêté et emprisonné par celle­ci à plusieurs reprises et pour divers motifs, dont la dernière fois a eu lieu à la suite de sa troisième demande de démission de la GID quand il a été emprisonné pendant environ une semaine. Après qu’il ait été autorisé à visiter des amis et des membres de la famille en Jordanie en mars 2000, le demandeur s’est enfui de là vers les États­Unis, en utilisant un visa temporaire qui lui avait été délivré en 1998 quand il avait été envoyé aux États­Unis pour suivre une formation de la Central Intelligence Agency sur la protection des personnalités importantes. Au début de 2001, le demandeur a appris que la GID avait envoyé des officiers de police chez lui, en Palestine, en octobre et en novembre 2000 pour l’arrêter et que son père avait été détenu au poste de police et interrogé sur le lieu où il se trouvait pendant deux heures.

[3]               Selon le demandeur, vivre sans statut aux États­Unis l’a rendu anxieux et nerveux, donc il est venu au Canada, le 23 mars 2003, et a fait une demande d’asile le même jour. Deux jours plus tard, sa demande a été renvoyée à la Division de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] et, le 29 avril 2003, la SPR a reçu son formulaire de renseignements personnels. En novembre 2005, après que l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] ait produit deux rapports quant à l’interdiction de territoire du demandeur, l’ASFC a demandé à la SPR de suspendre sa demande jusqu’à ce que la Section de l’immigration [SI] de la Commission puisse déterminer s’il était interdit de territoire. En octobre 2008, la SI a déterminé que le demandeur était interdit de territoire pour deux motifs : l’une, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], parce qu’il avait été membre de l’Autorité palestinienne, une organisation qui a récemment participé à des actes terroristes (même si elle ne l’avait pas fait lorsque le demandeur était un agent de la GID); l’autre, en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la Loi, en raison de crimes contre l’humanité que la Mukhabarat commettait régulièrement lorsqu’il était un agent de celle­ci. Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SI a été rejetée par la Cour en octobre 2009.

[4]               En février 2009, le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi [ERAR] restreint, ainsi que la résidence permanente au moyen d’un parrainage conjugal de sa conjointe qui est citoyenne canadienne et mère des deux jeunes enfants nés au Canada du demandeur. En mars 2009, un agent d’ERAR a conclu qu’en cas d’expulsion vers la Palestine, le demandeur serait à risque en vertu de l’article 97 de la Loi. En janvier 2011, la demande de résidence permanente du demandeur a été refusée en raison de son interdiction de territoire. Près de cinq ans après l’évaluation des risques favorable de l’agent d’ERAR, l’ASFC a terminé son évaluation du danger, le 10 mars 2014, concluant que le demandeur ne représentait pas un danger pour le Canada. L’évaluation des risques de l’agent d’ERAR, l’évaluation du danger de l’ASFC, des documents supplémentaires et les observations du demandeur ont tous été ensuite envoyés à un directeur, Détermination des cas [le directeur] de Citoyenneté et Immigration Canada. Dans une lettre datée du 5 décembre 2014, le directeur a refusé la demande d’ERAR restreint du demandeur malgré que l’ASFC ait jugé qu’il ne représentait aucun danger pour la société canadienne et que l’agent d’ERAR l’ait trouvé à risque en cas de retour en Palestine.

II.                La décision du directeur

[5]               Le directeur a constaté que le demandeur ne courait pas de risque de torture, de risque pour la vie ou de risque de peines ou de traitements et inusités s’il était renvoyé en Palestine. Il a examiné les faits relatifs au demandeur et a analysé la situation en Cisjordanie, y compris la situation politique et les violations constatées des droits de la personne par l’Autorité palestinienne et ses forces de police.

[6]               Il a constaté que [traduction] « les actions de M. Zmari ne sont pas compatibles avec une personne qui est confrontée à un risque pour la vie, un risque de torture ou un risque de peines ou de traitements cruels et inusités ». Il a fait remarquer que le demandeur s’était volontairement joint à l’Autorité palestinienne, a obtenu des promotions et a été sélectionné pour une formation spécialisée aux États­Unis. Il a également constaté que, bien que le demandeur ait voyagé à l’extérieur de la Cisjordanie, il n’a pas essayé de rester en Jordanie. En outre, le directeur a déclaré que le demandeur n’avait pas fait une demande d’asile à la première occasion possible, en restant aux États­Unis pendant trois ans avant de demander l’asile au Canada.

[7]               Il a reconnu les craintes exprimées par le demandeur à l’égard de l’Autorité palestinienne, du Hamas et d’Israël. Toutefois, en ce qui concerne le Hamas et Israël, il a trouvé des preuves insuffisantes pour étayer les craintes du demandeur à cet égard. Quant à l’Autorité palestinienne, il a reconnu que l’agent d’ERAR avait accepté l’allégation du demandeur, appuyée par la lettre de son frère, selon laquelle la GID avait ordonné son retour et avait menacé de l’arrêter. Il a, cependant, déclaré que cette lettre était « intéressée » et, par conséquent, lui a donné « peu d’importance ». Il a également constaté que la préoccupation du demandeur au sujet de son passeport, qui avait été envoyé à son frère pour le renouvellement et peut­être retenu par l’Autorité palestinienne, était « spéculative » et, par conséquent, a accordé à la disparition du passeport « très peu d’importance ». Bien que la preuve documentaire dont il disposait démontrait clairement que les Palestiniens soupçonnés de collaboration avec Israël sont confrontés à de graves représailles, y compris la torture et l’exécution, l’absence du demandeur de la Cisjordanie depuis mars 2000 signifiait qu’il avait eu peu d’occasions de fournir des renseignements tangibles aux Israéliens depuis ce moment­là, ce qui rend spéculatif et peu probable le fait qu’il puisse être considéré comme un collaborateur israélien.

[8]               Il a fait la conclusion suivante sur le risque du demandeur : [traduction]

Mon examen de l’information au dossier ne me permet pas de conclure que M. Zmari ait une crainte subjective d’un retour en Cisjordanie, ni n’a démontré un risque objectif. ... Il affirme qu’il a été emprisonné à plusieurs reprises, mais sa carrière auprès de la Direction générale du renseignement de l’Autorité palestinienne laisse entendre que c’était un employé en qui on faisait suffisamment confiance pour l’envoyer suivre une formation spécialisée aux États­Unis, suffisamment confiance pour lui confier la garde de Bill Clinton quand il s’est rendu à Jéricho et qui a été promu au grade de sergent­major dans les cinq années de son service. M. Zmari a été autorisé à se rendre en Jordanie à, au moins, trois occasions dont il a fait le récit et bien qu’il raconte la fois où il a été refoulé à la frontière, cela semble être dû à l’absence de documents adéquats et non à des actes de persécution. Enfin, même si M. Zmari fournit des preuves objectives de son emprisonnement en 1994, il fournit des preuves insuffisantes de son emprisonnement par l’Autorité palestinienne entre 1995 et 2000.

Par conséquent, pour tous les motifs susmentionnés, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Zmari ne court pas de risques personnellement comme indiqué dans l’article 97 de la LIPR – à savoir qu’il est peu probable qu’il soit torturé, confronté à des peines ou des traitements cruels et inusités, ou tué en cas de retour en Cisjordanie.

III.             Questions en litige

[9]               Les trois questions soulevées par le demandeur peuvent être reformulées comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.                  Le directeur a­t­il commis une erreur et nié l’équité procédurale en omettant de tenir une audience avant d’en arriver à des conclusions défavorables et déterminantes sur la crédibilité?

3.                  Le directeur a­t­il commis une erreur en faisant fi, de façon déraisonnable, la preuve du frère du demandeur?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[10]           La norme de contrôle applicable quant à savoir si une audience est requise dans le cadre d’une détermination ERAR reste exposée à une remise en question. Les décisions récentes de la Cour à cet égard divergent et suivent l’une de deux voies.

[11]           Une voie repose sur le fait que le champ de contrôle applicable suit la norme de la décision correcte sans déférence accordée au décideur, parce que la question de savoir si une audience est requise est une question d’équité procédurale. Voir, par exemple : Suntharalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1025, paragraphe 48, 257 ACWS (3d) 924; Antoine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 795, paragraphe 12, 258 ACWS (3d) 153; Matinguo­Testie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 651, paragraphe 6, 254 ACWS (3d) 149; Vargas Hernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 578, paragraphe 17, 254 ACWS (3d) 912; Negm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 272, paragraphe 33, 250 ACWS (3d) 317; Micolta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 183, paragraphe 13, 249 ACWS (3d) 826; Fawaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1394, paragraphe 56, 422 FTR 95; Ahmad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 89, paragraphe 18, 211 ACWS (3d) 409.

[12]           L’autre voie applique une norme déférente du caractère raisonnable parce que l’application de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227 [le Règlement] est une question de droit et de fait. Voir, par exemple : Thiruchelvam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 913, paragraphe 3, 256 ACWS (3d) 394; Kulanayagam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, paragraphe 20, 248 ACWS (3d) 921; Abusaninah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234, paragraphe 21 249 ACWS (3d) 843; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, paragraphe 6, 244 ACWS (3d) 177; Kanto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 628, paragraphes 11, 12 et 242, ACWS (3d) 912; Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, paragraphes 16, 17 et 239 ACWS (3d) 723; Chekroun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737, paragraphe 40, 436 FTR 1; Ponniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, paragraphe 24, 229 ACWS (3d) 1140; Adetunji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, paragraphe 27, 218 ACWS (3d) 616.

[13]           À mon avis, le fait de savoir si une audience est requise dans le cadre d’une détermination relative à l’ERAR soulève une question d’équité procédurale. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Mission Institution c. Khela, 2014 CSC 24, paragraphe 79, [2014] 1 SCR 502, « la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la “décision correcte” ». Par conséquent, la décision du directeur en l’espèce de ne pas convoquer une audience devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Cela exige que la Cour détermine si le processus suivi par le directeur atteint le niveau d’équité requis par les circonstances de l’affaire (voir : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3).

[14]           Quant à la décision du directeur dans son ensemble, il est établi en droit qu’une décision relative à l’ERAR doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable (voir, par exemple : Sing c. Canada (MCI), 2007 CF 361, paragraphe 55, 307 FTR 1; Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 RFC 387). Cette norme s’applique pour répondre à la troisième question ci­dessous.

B.                 Le directeur a­t­il commis une erreur et nié l’équité procédurale en omettant de tenir une audience avant d’en arriver à des conclusions défavorables et déterminantes sur la crédibilité?

[15]           Il faut noter qu’une audience n’est pas automatiquement prescrite par l’alinéa 113b) de la Loi, qui prévoit ce qui suit : « Une audience peut être tenue si le ministre l’estime nécessaire compte tenu des facteurs réglementaires » [non souligné dans l’original]. Le pouvoir discrétionnaire du ministre, à cet égard, est quelque peu restreint par les facteurs prescrits qui sont énoncés dans l’article 167 du Règlement, qui stipule ce qui suit :

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing – prescribed factors

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[16]           Que chacun de ces trois facteurs prescrits doive être présent avant que l’audience soit « requise » est une autre question sur laquelle la jurisprudence de la Cour diverge. Par exemple, dans l’arrêt Mosavat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 647, paragraphe 11, 203 ACWS (3d) 359, la Cour a déclaré ce qui suit : « Une audience est seulement nécessaire si tous les facteurs prévus à l’article 167 du Règlement sont réunis (Bhallu c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1324 (CanLII)) ». Toutefois, dans l’affaire Hurtado Prieto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253, 186 ACWS (3d) 205, la Cour a constaté ce qui suit :

[30]      ... l’article 167 décrit deux types de situations où des questions de crédibilité nécessiteront la tenue d’une audience. L’alinéa a) vise la situation où des éléments de preuve dont l’agent est saisi contredisent directement le récit du demandeur. Les alinéas b) et c), par ailleurs, énoncent un critère consistant essentiellement à se demander si une décision favorable aurait été rendue n’eut été la question de la crédibilité du demandeur. En d’autres mots, il faut se demander si l’acceptation pleine et entière de la version des faits du demandeur donnerait nécessairement lieu à une décision favorable. S’il est satisfait à l’un ou l’autre critère, la tenue d’une audience sera requise.

[17]           Dans le cas présent, il est inutile de décider si l’ensemble ou seulement quelques­uns des facteurs prescrits doivent être présents avant qu’une audience soit « requise ». C’est inutile, car, compte tenu de l’arrêt Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, paragraphe 16, 50 Imm. L.R. (3d) 306, l’article 167 devient applicable lorsque la crédibilité est une question qui pourrait donner lieu à une décision d’ERAR défavorable; l’intention de la disposition est de permettre au demandeur de confronter tout problème de crédibilité qui peut être en cause.

[18]           Contrairement à la plupart des demandeurs d’asile, le demandeur n’a jamais eu d’audience devant la SPR parce que sa demande a été suspendue dans l’attente d’une décision quant à son interdiction de territoire. Ainsi, dans ce cas, le demandeur n’a jamais eu l’occasion de répondre aux problèmes de crédibilité au sujet de sa peur de l’Autorité palestinienne.

[19]           La crédibilité du demandeur était clairement en cause dans le passage suivant des motifs du directeur :

[traduction]

Les actions de M. Zmari ne correspondent pas à celles d’une personne qui est confrontée à un risque pour la vie, un risque de torture ou un risque de peines ou de traitements cruels et inusités. M. Zmari s’est volontairement joint à l’Autorité palestinienne et a continué à exercer [sic] ses fonctions au sein de la Direction générale du renseignement, qui comprenait l’arrestation de personnes soupçonnées de collaboration avec le gouvernement israélien ou les forces d’occupation, ou de personnes réputées agir contre l’Autorité palestinienne (en général, les partisans du Hamas). Il a été sélectionné dans un groupe d’employés qui se sont rendus aux États­Unis pour suivre une formation spécialisée dans la protection des personnalités importantes et a exécuté cette tâche lorsque l’ancien président américain Bill Clinton s’est rendu à Jéricho. Il est peu probable que cette tâche ait pu être confiée à des personnes soupçonnées d’être des ennemies de l’Autorité palestinienne. Au contraire, il est plus probable que les personnes sélectionnées pour cette formation spécialisée et les tâches connexes seraient des personnes qui ont démontré leur loyauté envers l’Autorité palestinienne et qui étaient considérées comme étant dignes de confiance. Le récit de M. Zmari concernant les peines auxquelles il affirme avoir été soumis à cause de son insubordination ne concorde pas avec sa sélection pour cette formation spécialisée à l’étranger, son affectation à ce poste ou ses promotions auprès de l’Autorité palestinienne, de sorte qu’il avait obtenu le grade de sergent­major en cinq ans.

[20]           La décision du directeur, selon laquelle le récit du demandeur « ne concorde pas » avec ses actions, ses missions et ses promotions auprès de la GID, est un rejet implicite de l’histoire du demandeur et une constatation de crédibilité voilée. Les peines subies par le demandeur aux mains de la GID sont au cœur de sa demande; il craint l’Autorité palestinienne parce qu’en cas d’arrestation, il serait soumis à la torture pour avoir déserté. Bien que l’évaluation des risques de l’agent d’ERAR ne lie pas le directeur (voir : Muhammad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 448, 454 FTR 161), il est néanmoins clair que le directeur, en arrivant à cette conclusion voilée relativement à la crédibilité du demandeur, désapprouvait l’acceptation par l’agent d’ERAR du récit du demandeur environ cinq ans et demi plus tôt. La preuve du demandeur, si elle était acceptée (comme elle l’a été par l’agent d’ERAR), aurait justifié une demande de protection, et dans ces circonstances, une audience était requise avant que la décision défavorable du directeur ait été rendue à la suite de l’ERAR (et d’autant plus, peut­être, parce que, comme il est indiqué ci­dessus, la demande du demandeur et sa crédibilité n’ont pas été évalués au moyen d’une audience devant la SPR).

C.                 Le directeur a­t­il commis une erreur en faisant fi, de façon déraisonnable, la preuve du frère du demandeur?

[21]           La décision du directeur fait état de ce qui suit : [traduction] « En l’absence de tout élément de preuve supplémentaire, j’estime que la lettre du frère de M. Zmari est de nature intéressée et je lui accorde peu d’importance. » Cette détermination est problématique, en particulier dans le contexte de cette affaire où l’équité dictait qu’une audience aurait dû avoir lieu avant que le directeur ait rejeté la demande d’ERAR restreint du demandeur. Le directeur a, bien sûr, le droit d’accorder peu ou pas d’importance à la preuve documentaire sur la foi de sa fiabilité. Cependant, en écartant ou en discréditant cette lettre comme étant de nature « intéressée », le directeur constate, en effet, que la véracité de son contenu est douteuse (voir : Hamza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, paragraphe 38, 429 FTR 93). La Cour a déterminé qu’un document censé être de nature intéressée dénote la présence de « soupçons au moment où la décision a été prise » et tout défaut d’offrir au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées par un tel document peut constituer un manquement au droit d’équité (voir : Wen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1159, paragraphe 4, 235 ACWS (3d) 785).

[22]           À mon avis, le traitement par le directeur de cette lettre est déraisonnable et ne peut pas être justifié. Cela revient à faire encore une autre constatation de crédibilité voilée qui n’est ni transparente ni justifiable. La description de cette lettre comme étant de nature intéressée jette un doute sur la crédibilité et l’indépendance du frère du demandeur, et le directeur aurait dû expliquer pourquoi elle méritait peu d’importance. En outre, elle sert à renforcer la conclusion ci­dessus qu’une audience aurait dû être tenue dans ces circonstances, non seulement pour faire part de ce problème de crédibilité au demandeur et obtenir une réponse, mais également pour évaluer la propre crédibilité du demandeur à l’égard de sa peur de l’Autorité palestinienne et les raisons de cette peur.

V.                Conclusion

[23]           Compte tenu des motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie, la décision du directeur est annulée et l’affaire renvoyée pour une nouvelle détermination par un autre représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est accueillie; l’affaire est renvoyée au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration pour réexamen par un autre directeur, Détermination des cas; aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-564-15

 

INTITULÉ :

IMAD ZMARI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Kelsey Lange

 

Pour le demandeur

 

James Todd

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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