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Date : 20160215


Dossier : IMM-3699-15

Référence : 2016 CF 183

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 février 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SARMILAN SELVARATNAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 19 juin 2015 ayant déterminé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]               Âgé de 22 ans, le demandeur est originaire du nord du Sri Lanka. Il est d’origine tamoule. Il prétend que s’il retournait au Sri Lanka, il serait torturé par les forces du gouvernement, y compris la police, l’armée et des groupes paramilitaires, tels que le Parti démocratique populaire de l’Eelam.

[4]               En 2008 ou en 2009, les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (TLET) ont tenté de recruter le demandeur et son frère. Pour éviter le recrutement forcé, leur père a donné de l’argent aux TLET et la famille a déménagé. En janvier 2009, le demandeur et sa famille ont été victimes d’un attentat à la bombe et son frère a subi de graves blessures. En avril 2009, la famille s’est installée au camp de Ramanathan. À la fin de la guerre, en mai 2009, son frère a été arrêté, emprisonné, battu et menacé par le service de renseignement (CID). Il a été libéré après que son père a payé un pot‑de‑vin. Les membres de la famille ont été en mesure de quitter le camp de Ramanathan en novembre 2009, après quoi on les a informés que le CID s’était rendu au camp à la recherche du frère du demandeur. Le frère du demandeur a ensuite quitté le Sri Lanka pour s’installer au Canada, où il s’est vu accorder l’asile.

[5]               Selon le demandeur, à la fin 2013, l’armée sri lankaise s’est adressée à lui à plusieurs reprises dans le cadre de l’initiative de recrutement de personnes tamoules. En février 2014, l’armée s’est rendue au foyer familial du demandeur pour l’ordonner de s’enrôler. On l’a emmené de force à un camp local, où il a été détenu pendant trois jours. On l’a interrogé sur son refus de s’enrôler et faussement accusé de soutenir les TLET ou l’Alliance nationale tamoule (TNA). Il a également été victime de violence physique. Il prétend qu’on l’a forcé à signer un document écrit en cinghalais afin d’être libéré. Après sa libération, le demandeur s’est enfui du Sri Lanka avec l’intention de rejoindre son frère au Canada.

II.                Décision de la SPR

[6]               La demande d’asile du demandeur a été entendue le 24 avril 2015. Les questions à trancher pour la décision résultante étaient le risque au retour de même que la crédibilité et le comportement du demandeur, que la SPR a jugés incompatibles avec le risque allégué.

A.                Comportement incohérent

[7]               D’après la SPR, bien que le demandeur ait allégué dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’il a quitté le Sri Lanka avec l’intention de rejoindre son frère au Canada et de demander l’asile, il a déclaré que son intention était de partir à l’étranger pour trouver asile. Avant son arrivée au Canada, le demandeur a traversé trois pays signataires de la Convention, soit le Brésil, le Guatemala et les États‑Unis. Selon ses documents, il a demandé l’asile aux États‑Unis. Il a révélé que, même si les autorités américaines avaient convenu d’accueillir sa demande, il a décidé de s’installer au Canada puisqu’aucun membre de sa famille ne se trouvait aux États‑Unis.

[8]               Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il s’était désisté de sa demande aux États‑Unis, compte tenu du fait que son intention était de se rendre dans un pays où il pouvait demander l’asile, le demandeur a répondu que le Canada offre un traitement équitable dont certains membres de sa collectivité ont profité. La SPR a conclu que l’explication du demandeur n’était pas satisfaisante, compte tenu des risques allégués par ce dernier. Par conséquent, sa crédibilité a été minée.

B.                 Incident du 3 février 2014

[9]               Le demandeur a déclaré que l’incident ayant mené à son arrestation a eu lieu le 3 mars 2014, tandis qu’il est indiqué dans le formulaire FDA que l’incident s’est déroulé un mois plus tôt. En plus de cette incohérence, la SPR a soulevé des préoccupations à l’égard des réponses du demandeur lorsqu’on l’a interrogé sur sa détention et sa libération. Le demandeur a indiqué qu’il a signé un document dans lequel il avoue être membre des TLET et de la TNA et confirme que le défaut de se présenter lorsqu’il est convoqué mènera à son arrestation. La SPR n’a pas jugé cette allégation crédible, car le demandeur avait précédemment déclaré qu’il n’était pas conscient du contenu du document rédigé en cinghalais. D’après la SPR, le témoignage du demandeur, considéré comme étant vague et évasif, et le fait qu’il a modifié son témoignage viennent miner sa crédibilité.

[10]           La SPR a également conclu que le demandeur n’a pas démontré que le refus de s’enrôler dans l’armée avait mené à des arrestations arbitraires au Sri Lanka, bien qu’elle ait convenu que l’armée recrute effectivement des personnes tamoules. Par suite d’un examen des plus récentes preuves documentaires concernant le traitement du peuple tamoul, la SPR a estimé que les personnes faisant l’objet d’arrestations étaient généralement des militants politiques, des gens d’affaires et des personnes soupçonnées d’avoir commis un crime.

C.                 Risque au retour

[11]           La SPR a ensuite procédé à l’analyse des risques qui pourraient se présenter au demandeur, un jeune homme tamoul du nord de Sri Lanka, s’il retournait dans son pays d’origine.

[12]           La SPR a renvoyé à l’examen des preuves documentaires concernant le traitement du peuple tamoul au Sri Lanka, puis a tenu compte du fait qu’elle ne croyait pas les propos du demandeur relativement à l’incident qu’il aurait vécu en février 2014 ou bien le fait que l’on considérait qu’il avait des liens avec les TLET et la TNA. Par ailleurs, elle a tenu compte de l’énoncé fait par le demandeur lors de l’audience, selon lequel il a obtenu un passeport légalement après l’incident de février 2014, ainsi que de son témoignage attestant qu’il a quitté le Sri Lanka sans problème sous sa propre identité juridique. La SPR a conclu que le demandeur n’a pas établi que son profil correspond à un profil décrit dans les preuves documentaires qui justifierait l’intérêt des autorités sri lankaises à son égard s’il retournait dans son pays.

[13]           La SPR a aussi tenu compte des éléments prouvant qu’un filtrage est effectué lorsque les réfugiés tamouls dont la demande a été refusée sont renvoyés au Sri Lanka. Elle a cependant fait remarquer que la plupart des sources affirment que ce ne sont pas tous les réfugiés tamouls qui sont visés pour le filtrage, mais plutôt ceux pour qui on avait déjà établi des liens avec les TLET. Étant donné qu’elle ne croyait pas que les autorités sri lankaises auraient établi des liens avec les TLET et la TNA au demandeur, la SPR a conclu que ce dernier n’a pas établi un risque raisonnable d’exposition à des persécutions à son retour.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[14]           Le demandeur présente les questions suivantes aux fins d’examen par la Cour :

A.                Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des preuves des conditions du pays et de la demande d’asile sur place du demandeur?

[15]           Je suis d’accord avec la formulation des questions du demandeur. Dans le contexte des questions soulevées, j’estime que, dans ce cas‑ci, la norme de contrôle devant être appliquée à la décision de la SPR est celle du caractère raisonnable (consulter l’affaire Nouveau‑Brunswick [Conseil de gestion] c. Dunsmuir, 2008 CSC 9).

IV.             Observations des parties

A.                Position du demandeur

(1)               Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

[16]           Le demandeur déclare qu’il a fourni une explication raisonnable pour le désistement de sa demande aux États‑Unis et fait valoir que la SPR a ignoré ses circonstances personnelles, notamment le fait que son frère habitait au Canada, ou n’en a pas tenu dûment compte.

[17]           Il soutient également que les conclusions de la SPR relativement à son témoignage concernant l’incident de 2014 n’étaient pas raisonnables. Bien que la SPR ait déclaré dans sa décision que le demandeur a « esquivé » la question de savoir comment il savait que le document cinghalais était une confession, elle ne lui a pas fait part de cette préoccupation ou n’a pas tenté d’obtenir des précisions en lui posant d’autres questions. Cet argument est particulièrement important, car le demandeur s’est exprimé à l’aide des services d’un interprète. Selon le demandeur, son témoignage était entièrement cohérent et il n’était pas personnellement conscient du contenu du document parce qu’il ne pouvait pas lire le cinghalais. Toutefois, il croyait que le document était une confession puisque c’est ce que lui avait dit un membre du personnel de l’armée qui parlait le tamoul.

[18]           En outre, le demandeur fait valoir que l’incohérence des dates était une légère divergence, et non une question déterminante pour la SPR.

(2)               La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des preuves des conditions du pays et de la demande d’asile sur place du demandeur?

[19]           Le demandeur révèle que la SPR a effectué une analyse sélective des preuves des conditions du pays et a commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place. Bien que des personnes appartenant à certaines catégories (p. ex. défenseurs des droits de la personne et militants politiques) soient effectivement ciblées, la SPR a déraisonnablement ignoré les éléments prouvant que de nombreux civils tamouls sont aussi victimes d’intimidation et de harcèlement.

[20]           Le demandeur fait valoir que la SPR n’a pas justement évalué les risques auxquels il est exposé en fonction de son profil cumulatif, d’après lequel le demandeur est un jeune homme tamoul qui résidait au Canada, a présenté une demande d’asile, a été arrêté et emprisonné arbitrairement par des forces de sécurité en raison d’allégations de liens avec les TLET et a un frère qui était considéré comme étant partisan des TLET et a été accepté comme réfugié au sens de la Convention au Canada.

[21]           Le demandeur mentionne d’ailleurs que le fait qu’il a été en mesure de voyager avec son propre passeport pour quitter le Sri Lanka ne signifie pas l’absence de risques à son retour (Navaratnam c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2015 CF 244, aux paragraphes 15 et 16).

B.                 Position du défendeur

(1)               Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

[22]           Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas réévaluer les preuves.

[23]           En ce qui a trait au désistement de la demande aux États‑Unis, le défendeur estime que la SPR a tenu compte de l’explication du demandeur, à savoir sa décision de venir au Canada en raison de la présence de membres de sa famille, et qu’elle a fourni les raisons pour lesquelles ces explications n’étaient pas satisfaisantes, c’est‑à‑dire le risque de torture et la menace à sa vie qu’allègue le demandeur. Le défendeur fait valoir qu’il s’agit d’une conclusion raisonnable, car le demandeur avait présenté une demande valide aux États‑Unis, qui le protégeait du renvoi, mais a quand même décidé de s’installer dans un pays où il ne jouissait d’aucun statut juridique et risquait donc d’être renvoyé. Bien que l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs permette aux personnes dont des membres de la famille se trouvent au Canada de demander l’asile dans le pays, cela ne signifie pas que le désistement d’une demande ne peut pas miner la crédibilité du risque allégué (Nadesan c. MCI, 2015 CF 104 [Nadesan]).

[24]           Le défendeur révèle également que la constatation de la Commission, selon laquelle le témoignage lié à l’incident de 2014 était vague et évasif, était raisonnable étant donné que le demandeur a d’abord déclaré qu’on l’avait forcé à signer un document dont il ne connaissait pas le contenu et a ensuite décrit ce document en détail en expliquant qu’une personne parlant le tamoul l’avait informé du contenu.

(2)               La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des preuves des conditions du pays et de la demande d’asile sur place du demandeur?

[25]           Le défendeur fait valoir que la SPR a évalué de manière raisonnable les preuves des conditions du pays pour conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’il serait ciblé ou que son profil serait ciblé.

[26]           Pour ce qui est de la demande d’asile sur place, le défendeur déclare que la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas un profil qui susciterait l’intérêt des autorités à son retour. L’évaluation de la SPR était fondée non seulement sur le manque de crédibilité, mais aussi sur le fait que le demandeur a quitté le Sri Lanka avec son passeport de manière légale et sans problème. Du point de vue du défendeur, il était loisible à la SPR de conclure, selon les preuves documentaires, que ce ne sont pas toutes les personnes tamoules, mais plutôt celles ayant des profils particuliers, qui sont ciblées à leur retour au Sri Lanka et que le profil du demandeur ne correspondait pas à ceux‑ci.

V.                Analyse

[27]           Ma décision d’accorder la présente demande repose sur la conclusion de la SPR que le comportement du demandeur, notamment le désistement de sa demande d’asile aux États‑Unis, est incompatible avec les risques qu’il allègue et mine donc sa crédibilité.

[28]           Le raisonnement de la SPR à l’appui de cette conclusion n’est pas suffisamment transparent pour être raisonnable. Par suite de l’examen des preuves du demandeur, y compris les énoncés dans son formulaire FDA et son témoignage, la SPR a conclu que son explication relative au désistement de sa demande d’asile aux États‑Unis, soit le fait que le Canada offre un traitement juste dont certains membres de sa collectivité ont profité, n’est pas satisfaisante. Autre que la mention des risques allégués par le demandeur, la SPR ne fournit toutefois aucune raison pour laquelle cette explication n’est pas satisfaisante.

[29]           J’ai examiné si l’analyse des preuves pertinentes réalisée par la SPR avant de parvenir à sa conclusion à cet égard en démontre les fondements, comme l’incohérence des preuves. Cependant, aucun fondement ne me semble évident. Tel qu’il a été mentionné par la SPR, il est indiqué sur le formulaire FDA du demandeur qu’il a quitté le Sri Lanka pour rejoindre son frère et vivre en sécurité au Canada. Dans le témoignage du demandeur, que mentionne également la SPR, il révèle son intention d’aller à l’étranger pour demander l’asile. Bien que le Canada ne soit pas mentionné comme le pays dans lequel il demanderait l’asile dans le témoignage, je ne crois pas que ces preuves occasionnent une incohérence. Les raisons de la SPR ne suggèrent d’ailleurs pas qu’elle soit parvenue à cette conclusion.

[30]           Les raisons de la SPR concernent ensuite la demande d’asile du demandeur après qu’il est arrivé aux États‑Unis. Selon la SPR, le demandeur a témoigné que les autorités américaines avaient convenu d’accueillir sa demande, mais il a décidé d’aller au Canada puisqu’aucun membre de sa famille ne se trouvait aux États‑Unis. Encore une fois, la SPR n’a relevé aucune incohérence dans les preuves du demandeur, ni moi d’ailleurs.

[31]           La SPR renvoie à l’explication du demandeur relativement au désistement de sa demande aux États‑Unis, à savoir le fait que le Canada offre un traitement juste dont certains membres de sa collectivité ont profité. Elle considère cette explication comme étant insatisfaisante. Encore une fois, je ne relève aucune incohérence dans les preuves fournies par le demandeur à cet égard, pour établir qu’il souhaite demander l’asile, mais qu’il préfère le faire au Canada, où se trouve l’un de ses frères dont la demande d’asile a été approuvée.

[32]           Quoiqu’implicite, la justification de la SPR, pour tirer une conclusion défavorable du désistement de la demande d’asile aux États‑Unis, peut concerner le fait que le demandeur a renoncé à une occasion de trouver asile aux États‑Unis afin de saisir une occasion moins favorable de trouver asile au Canada. Cette interprétation du raisonnement de la SPR correspondrait à son allusion au risque allégué par le demandeur comme fondement pour rejeter son explication du désistement de la demande aux États‑Unis. Toutefois, la SPR ne fournit aucune preuve, ou analyse, pour appuyer la conclusion selon laquelle les chances du demandeur de trouver asile étaient meilleures aux États‑Unis.

[33]           La SPR a fait remarquer que, d’après le demandeur, les autorités américaines avaient convenu d’accueillir sa demande. Elle a également renvoyé aux documents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui fournissent des renseignements sur les événements qui ont eu lieu aux États‑Unis. Les documents de l’ASFC révèlent que le demandeur a rencontré des agents de la patrouille frontalière au Texas le 10 décembre 2012. Il a ensuite été emprisonné et on a traité son renvoi en attendant une entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte. On a déterminé que la crainte était crédible en janvier ou en février 2012 (la date indiquée sur les documents de l’ASFC n’est pas précise) et le demandeur a été libéré sous caution le 12 février 2015.

[34]           Lors de l’audition de la présente demande, les parties ont exprimé des opinions assez divergentes quant au statut conféré à un demandeur par la confirmation de la crédibilité de la crainte. Cependant, le demandeur a mentionné la décision dans l’affaire Rajaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1071 [Rajaratnam], à la Cour. En effet, le juge O’Keefe a stipulé ce qui suit aux paragraphes 55 et 56 :

[55]      De plus, la Commission pourrait avoir exagéré l’importance d’une entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte réalisée aux États‑Unis. Rien au dossier ne permet de savoir quelle est l’importance d’une telle conclusion dans le régime de l’asile aux États‑Unis. Par ailleurs, l’agent préposé aux demandes d’asile qui a mené l’entrevue n’a rédigé que ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le demandeur a établi qu’il existe une forte possibilité qu’il puisse être jugé crédible dans le cadre d’une audition complète devant un [juge de l’immigration]. Le demandeur a également établi qu’il existe une forte possibilité qu’il puisse être jugé admissible à l’asile dans le cadre d’une audition complète devant un [juge de l’immigration].

[Non souligné dans l’original.]

[56]      Les mots employés permettent de penser que l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte constitue principalement un examen préalable qui ne lie pas le juge de l’immigration. Rien ne permet donc d’affirmer que les chances du demandeur auraient été meilleures aux États‑Unis qu’ici.

[35]           Dans la récente décision prise dans l’affaire Gnanasundaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 804 [Gnanasundaram], aux paragraphes 17 à 22, le juge Boswell a étudié la décision Rajaratnam, de même que la décision contraire du juge Hughes dans l’affaire Nadesan sur laquelle s’appuie le demandeur :

[17]      La SPR a jugé qu’il était déraisonnable de la part du demandeur de se désister de sa demande d’asile aux États‑Unis étant donné qu’il y obtiendrait « probablement » la protection. Or, une des raisons pour lesquelles le demandeur conteste cette conclusion est que rien ne permet de penser que sa demande d’asile aurait probablement été accueillie. Le dossier renferme peu d’éléments de preuve quant à l’importance que revêt l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte dans le processus d’octroi du droit d’asile aux États‑Unis, mais la case que l’agent préposé aux demandes d’asile a cochée sur sa feuille de travail indique qu’[TRADUCTION] « il existe une forte possibilité que les affirmations à la base de la demande d’asile puissent être jugées crédibles dans le cadre d’une audience en bonne et due forme sur le droit d’asile ou la suspension de l’expulsion » (non souligné dans l’original).

[18]      Le juge John O’Keefe s’est penché sur un libellé semblable dans l’affaire Rajaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1071 [Rajaratnam]. Voici ce qu’il écrivait :

[55]      [TRADUCTION] [...] la Commission pourrait avoir exagéré l’importance d’une entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte réalisée aux États‑Unis. Rien au dossier ne permet de savoir quelle est l’importance d’une telle conclusion dans le régime de l’asile aux États‑Unis. Par ailleurs, l’agent préposé aux demandes d’asile qui a mené l’entrevue n’a rédigé que ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le demandeur a établi qu’il existe une forte possibilité qu’il puisse être jugé crédible dans le cadre d’une audition complète devant un [juge de l’immigration]. Le demandeur a également établi qu’il existe une forte possibilité qu’il puisse être jugé admissible à l’asile dans le cadre d’une audition complète devant un [juge de l’immigration].

[Non souligné dans l’original.]

[56]      Les mots employés permettent de penser que l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte constitue principalement un examen préalable qui ne lie pas le juge de l’immigration. Rien ne permet donc d’affirmer que les chances du demandeur auraient été meilleures aux États‑Unis qu’ici.

[19]      Ce n’était cependant pas la seule raison invoquée pour justifier l’annulation de la décision dans le jugement Rajaratnam; le raisonnement suivi par la SPR était légalement déficient à certains égards et sa conclusion que le demandeur manquait de crédibilité était également problématique.

[20]      On trouve dans la décision Nadesan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 104 [Nadesan], une appréciation assez différente de l’importance d’une entrevue favorable sur la crédibilité de la crainte du demandeur d’asile. Le juge Roger Hughes déclare ce qui suit :

[11]      Le motif ultime qui a motivé la conclusion de non‑crédibilité est « le fait que le demandeur d’asile a renoncé à ses chances, apparemment élevées, de se voir accorder l’asile aux États‑Unis », comme l’a indiqué le commissaire. Les éléments de preuve montrent que le récit du demandeur a été reçu comme étant crédible aux États‑Unis, et que le demandeur devait se présenter à une audience ultérieure à un moment qui restait à déterminer. Ceci ne garantit en aucune façon que le demandeur avait des « chances, apparemment élevées », d’obtenir l’asile aux États‑Unis, mais il s’agit d’une voie qu’aurait dû emprunter toute personne qui a des motifs raisonnables de craindre d’être persécutée si elle retourne dans son pays, ce que le demandeur n’a pas fait. Il a été raisonnable pour le commissaire de prendre ce point en considération.

[21]      Je conviens qu’il peut être raisonnable de la part de la SPR de considérer que quelqu’un qui ne donne pas suite à sa demande après avoir franchi avec succès l’étape de l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de sa crainte s’est désisté de sa demande. Ce n’était cependant pas le seul motif sur lequel la SPR s’était fondée dans la décision Nadesan pour conclure au manque de crédibilité du demandeur; sa conclusion reposait sur le comportement du demandeur ainsi que sur plusieurs incohérences ou invraisemblances apparentes concernant ses détentions.

[22]      À la différence de l’affaire Nadesan, la seule raison pour laquelle la SPR a contesté la crédibilité du demandeur en l’espèce était qu’il s’était désisté de sa demande d’asile aux États‑Unis alors que cette demande aurait probablement été accueillie. La conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur obtiendrait « probablement » la protection aux États‑Unis constituait donc une conclusion de fait critique dans la mesure où elle permettait de comprendre le risque que le demandeur courait en se désistant de sa demande d’asile. Il s’agissait également d’une conclusion tirée par la SPR « sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] » [Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d)], étant donné que le seul élément de preuve au dossier dont elle disposait laissait entendre que l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte n’est qu’un mécanisme d’examen préalable qui est sans conséquence sur l’examen au fond de la demande d’asile. Qui plus est, la SPR n’a jamais mentionné qu’elle possédait des connaissances spécialisées en ce qui a trait au processus d’octroi du droit d’asile aux États‑Unis (Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, article 22), et il n’était pas raisonnable d’attribuer une telle importance à cette conclusion tirée lors de l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte.

[36]           Dans les affaires Rajaratnam et Gnanasundaram, même si la SPR détenait des éléments de preuve quant à l’importance d’une entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte, la conclusion de la Cour était qu’elle n’appuyait pas la conclusion que le demandeur avait de meilleures chances de se voir accorder l’asile aux États‑Unis. Dans le cas en l’espèce, la Cour n’a reçu aucune preuve relative à l’importance de trouver une crainte crédible et donc aucune preuve pouvant appuyer une conclusion que les chances du demandeur de trouver asile étaient meilleures aux États‑Unis qu’au Canada.

[37]           Je suis conscient de la décision prise dans l’affaire Nadesan et je suis d’accord avec le commentaire du juge Boswell, qui a indiqué qu’il peut être raisonnable de la part de la SPR de tenir compte du fait qu’un demandeur n’a pas donné suite à sa demande aux États‑Unis après avoir franchi avec succès l’étape de l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte. Toutefois, comme il ressort des nombreuses autorités sur lesquelles s’est appuyée chacune des parties, le caractère raisonnable d’une conclusion défavorable relative à la crédibilité en fonction d’un tel facteur repose largement sur les faits de l’affaire individuelle.

[38]           Dans le cas en l’espèce, j’ai conclu que la conclusion de la SPR n’est pas raisonnable, car elle n’a fourni aucune raison transparente pour une telle conclusion. Le demandeur a le droit de donner suite à sa demande au Canada en raison de l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs. Il a fourni comme élément de preuve qu’il souhaitait présenter sa demande au Canada, où son frère s’est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a d’ailleurs déclaré qu’il a présenté la demande le 26 février 2015, soit deux semaines après qu’il a été libéré sous caution par les autorités américaines. En outre, aucune preuve n’indique qu’un demandeur a de meilleures chances de se voir accorder l’asile aux États‑Unis qu’au Canada après avoir franchi avec succès l’étape de l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte. Dans ce contexte, et compte tenu des raisons évoquées par la SPR à cet égard, je ne constate aucun fondement raisonnable pour sa conclusion que le désistement de sa demande aux États‑Unis a miné la crédibilité du demandeur.

[39]           La jurisprudence décrite ci‑dessus souligne qu’une erreur de ce genre ne mènera pas invariablement à l’annulation de la décision de la SPR, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’une des nombreuses conclusions défavorables concernant la crédibilité. Néanmoins, dans le présent cas, la conclusion de la SPR, selon laquelle le désistement de la demande d’asile aux États‑Unis a miné la crédibilité du demandeur, faisait partie d’un petit nombre de conclusions défavorables concernant la crédibilité. Les autres conclusions sont liées au témoignage du demandeur sur l’incident de février 2014 et à la conclusion que cet incident ne correspondait pas aux raisons courantes d’arrestation figurant dans les documents décrivant la situation dans le pays en cause. Dans ce contexte, la Cour ne peut pas savoir si la SPR serait parvenue à la même conclusion de rejeter la crédibilité de la demande du demandeur si elle n’avait pas commis d’erreur dans son évaluation de la décision du demandeur de se désister de sa demande aux États‑Unis.

[40]           Par conséquent, la décision de la SPR doit être annulée parce qu’elle est déraisonnable et se trouve à l’extérieur de la portée des résultats acceptables. Après avoir abouti à cette conclusion, je n’ai pas à me prononcer sur les autres motifs de la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

[41]           Les parties confirment qu’aucune d’entre elles ne propose de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen par un commissaire différent. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3699-15

INTITULÉ :

SARMILAN SELVARATNAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2016

COMPARUTIONS :

Meghan Wilson

pour le demandeur

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Meghan Wilson

Avocate-procureure

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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