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Date : 20160215


Dossier : IMM-3419-15

Référence : 2016 CF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 février 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

KAMIL AYTAC

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) daté du 26 juin 2015 dans laquelle la SAR a confirmé la décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) par laquelle le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen de la Turquie. Il soutient qu’il est kurde, qu’il est Alévi et qu’il était actif au sein des partis prokurdes. Pour ces raisons, il soutient qu’il a été maltraité et détenu par la police turque.

[4]               Plus précisément, le demandeur a présenté des éléments de preuve à la SPR démontrant qu’il est un membre du Parti de la paix et de la démocratie (BDP) kurde et qu’il était un partisan actif des divers partis qui l’ont précédé. Il soutient qu’il a décidé de s’enfuir de la Turquie en mai 2012 après que des mesures de répression avaient été prises contre les membres du BDP, ce qui l’a exposé à un risque sérieux d’emprisonnement à long terme et de torture. Avec l’aide d’un passeur de clandestins, il est venu au Canada le 27 octobre 2013.

[5]               Le ministre est intervenu dans sa demande sur le fondement des préoccupations majeures quant à l’identité du demandeur.

[6]               Le 26 février 2015, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, ayant conclu qu’il n’avait pas établi son identité personnelle ou nationale. Le 15 juin 2015, la SAR a rejeté l’appel de la SPR.

II.                Décision de la SPR

[7]               La SPR a rejeté la demande du demandeur en vue de présenter des documents supplémentaires d’identité après l’audience et, par conséquent, elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve pour prendre sa décision. La SPR a indiqué que les documents présentés après l’audience étaient pertinents, mais qu’ils avaient peu de valeur probante, car ils n’avaient pas été assujettis à une analyse judiciaire et aucune explication raisonnable n’avait été fournie quant à la raison pour laquelle ils n’avaient pas été fournis plus tôt.

[8]               La SPR avait des préoccupations concernant les autres documents d’identité du demandeur. Ces préoccupations comprenaient, entre autres, une photocopie de son passeport turc, des incohérences dans le témoignage du demandeur quant à la période de validité du passeport et les circonstances de la destruction de celui‑ci, et l’endroit auquel il a demandé un visa britannique. La SPR a également noté que le demandeur est arrivé au Canada en utilisant de faux documents émis au nom de Taner Yilmaz. La photo utilisée dans les faux documents était la même que la photo utilisée dans la carte d’identité et le permis de conduire du demandeur.

[9]               La SPR a accordé peu d’importance à la carte d’identité du demandeur, car le rapport judiciaire mettait en doute sa fiabilité. Elle a également accordé peu d’importance à un document provenant d’une organisation politique en Turquie, car la photo était la même que celle utilisée dans les faux documents, et les renseignements personnels du demandeur étaient écrits à la main et provenaient d’un document d’une organisation culturelle, en raison du fait que le cachet sur le document ne recouvrait pas la photo.

III.             Décision de la SAR

A.                La preuve présentée après l’audience

[10]           La SAR a reconnu que la SPR n’avait pas expressément mentionné l’article 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, lequel prévoit les facteurs dont il faut tenir compte pour décider s’il faut admettre les éléments de preuve présentés après l’audience. Cependant, la SAR a conclu que la décision de la SPR avait tenu compte des facteurs énoncés à l’article 43. La SAR a conclu que la SPR avait examiné la demande, que les documents étaient pertinents, mais qu’ils étaient dépourvus de valeur probante, et que le demandeur n’avait pas fourni une explication raisonnable pour ses arguments tardifs.

[11]           La SAR a ensuite examiné la décision de la SPR d’accorder peu de valeur probante aux documents présentés après l’audience. Les documents présentés après l’audience comprenaient une carte de l’armée turque avec des renseignements personnels écrits à la main, un document d’enregistrement foncier, un certificat d’assurance, un certificat de naissance pour Gulay Aytac, un document d’enregistrement familial, une fiche d’assurance sociale, un « certificat international de mariage », un certificat de licenciement militaire, et divers reçus. Le demandeur a soutenu devant la SAR que la SPR a fait une erreur en rejetant ses documents en se fondant sur ses préoccupations en ce qui concerne l’acquisition légitime de ces autres documents d’identité.

[12]           La SAR a conclu que même si le demandeur n’avait pas eu des problèmes antérieurs de crédibilité, bon nombre de ces documents auraient été accordés très peu de valeur probante. Certains documents ne contenaient pas de photos ou de renseignements biométriques, et ceux qui avaient des photos avaient été écrits à la main et avaient peu de caractéristiques de sûreté. Compte tenu du contexte de ses problèmes de crédibilité, on a conclu que les documents avaient peu de valeur probante.

[13]           La SAR a noté que, étant donné que les documents méritaient peu d’importance, il n’était pas nécessaire de déterminer si le demandeur avait fourni une explication raisonnable pour ses arguments tardifs. Néanmoins, la SAR a jugé l’explication que le demandeur n’avait pas réalisé que des preuves supplémentaires d’identité seraient requises jusqu’à ce que l’audience ait eu lieu lacunaire. Le rapport judiciaire indiquait précisément que les documents ne constituent pas des preuves crédibles d’identité et que malgré cela, le demandeur n’a pas recherché d’autres documents jusqu’à la fin de l’audience. Par conséquent, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis une erreur en rejetant la demande de dépôt de documents après l’audience du demandeur.

(1)               Conclusion relativement à l’identité

[14]           La SAR a conclu que la SPR avait examiné le grand nombre de documents présentés et elle a fait référence aux motifs de préoccupation de la SPR et sa conclusion que les preuves fournies n’établissaient pas l’identité du demandeur. La SAR a affirmé qu’elle avait examiné les preuves et qu’elle était arrivée à la même conclusion. Toutefois, la SAR était d’accord avec la position du demandeur selon laquelle la SPR avait commis une erreur en tenant compte de l’utilisation de faux documents par le demandeur pour entrer au Canada dans le cadre de l’évaluation de son identité. Néanmoins, la SAR a conclu que la conclusion de la SPR relativement à l’identité a été maintenue malgré cette erreur.

(2)               Admissibilité des éléments de preuve qui ont été présentés en appel

[15]           La SAR faisait référence au paragraphe 110(4) de la LIPR, qui prévoit qu’un appelant en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. Après avoir examiné la jurisprudence applicable, la SAR a déclaré qu’elle entamerait une analyse de toutes les preuves nouvelles en question, non seulement pour son caractère opportun, lequel est un point central du paragraphe 110(4), mais aussi pour sa valeur probante.

[16]           En prenant acte de la jurisprudence touchant les facteurs identifiés dans l’affaire Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, dans le cadre de l’examen des nouvelles preuves par un agent pour l’examen de risques avant renvoi (ERAR), la SAR a affirmé qu’elle examinerait les facteurs dans l’affaire Raza, mais qu’elle ne serait pas rigoureusement tenue de les appliquer, et qu’en appliquant un facteur de l’affaire Raza, cela distinguerait son propre rôle de celui d’un agent d’ERAR. Elle a conclu qu’il convient que, même si la nouvelle preuve satisfait aux critères du paragraphe 110(4), la SAR examine si la nouvelle preuve est pertinente, crédible, digne de foi et essentielle. Quant au caractère essentiel, la SAR a adopté une approche qui s’interroge sur la question de savoir si la preuve est assez essentielle pour avoir une incidence sur l’issue de l’appel.

[17]           La nouvelle preuve en question du demandeur présentée à la SAR comprenait les documents présentés après l’audience ayant été soumis à la SPR et rejetés par celle‑ci, et un « Refusal of Entry Clearance » (refus de l’autorisation d’entrée), apparemment délivré par les autorités de l’immigration au Royaume‑Uni, ainsi qu’un reçu de soumission de demande de visa.

[18]           En ce qui concerne les documents présentés après l’audience, la SAR a souligné qu’ils ne sont pas survenus après le rejet de la demande et qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur fournisse ces documents à la SPR, conformément aux Règles de la SPR. Pour cette raison, ils ne répondent pas aux exigences du paragraphe 110(4). La SAR a également conclu que même s’ils avaient été acceptés, ces documents ne contribuaient pas de surmonter ses préoccupations importantes au sujet de l’identité du demandeur.

[19]           La SAR a aussi indiqué que les documents du Royaume‑Uni étaient datés de 2013 et, par conséquent, n’étaient pas survenus après le rejet de la demande d’asile du demandeur. Compte tenu du témoignage du demandeur devant la SPR, la SAR a conclu qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il présente ces documents à la SPR. Même si le refus de la demande de visa du Royaume‑Uni satisfaisait aux critères du paragraphe 110(4), la SAR n’accepte pas ce document, car il n’est pas pertinent ou essentiel. Il n’indiquait nullement si la validité du passeport du demandeur avait été évaluée par les autorités du Royaume‑Uni.

[20]           La SAR a statué que la nouvelle preuve en question du demandeur n’était pas admissible dans l’appel et a soutenu que, après avoir examiné la décision de la SPR et la preuve, elle est arrivée à la même conclusion que la SPR, soit que le demandeur n’avait pas établi son identité personnelle ou nationale.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[21]           Selon la plaidoirie du demandeur à l’audience, il présente les questions suivantes aux fins d’examen par la Cour :

A.                La décision de la SAR constitue un manquement à l’équité procédurale dans la confirmation de la décision de la SPR d’exclure la preuve présentée après l’audience portant sur l’identité;

B.                 La décision de la SAR est déraisonnable en refusant d’admettre la preuve présentée après l’audience en vertu de l’article 110 de la LIPR;

C.                 La décision de la SAR est déraisonnable, car elle n’a pas procédé à une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve du demandeur concernant la question essentielle de l’appel;

D.             La décision de la SAR est déraisonnable, car elle était fondée sur les conclusions de la SPR sans tenir compte du fait qu’une erreur reconnue dans l’approche de la SPR à l’égard de la preuve a eu une incidence sur ces conclusions.

[22]           Ni l’une ni l’autre des parties ne conteste la norme de contrôle appliquée par la SAR relativement à son examen de la décision de la SPR. La SAR énonce une exigence de mener une évaluation indépendante de la preuve à l’appui de la demande du demandeur.

[23]           Toutefois, les positions des parties divergent sur un aspect quant à la norme de contrôle à appliquer par la Cour pendant l’examen de la décision de la SAR. Le demandeur soutient que la norme de contrôle est l’un des aspects du caractère raisonnable, à l’exception de la question à savoir si la SAR aurait dû conclure que la SPR avait commis une erreur en excluant la preuve présentée après l’audience. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale qui devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions dans la présente demande.

[24]           J’adopte la position du demandeur en ce qui a trait à la norme de contrôle, en m’appuyant sur l’affaire Cox c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1220, pour la question de savoir si la preuve présentée après l’audience peut être examinée par la SPR selon la norme de la décision correcte. Cependant, comme il est expliqué ci‑après, en l’espèce, j’arriverais à la même conclusion quant à la question à laquelle cette norme s’applique, même si j’appliquais la norme de la décision raisonnable.

V.                Observations des parties

A.                Position du demandeur

[25]           L’argument du demandeur, selon lequel la SAR a commis une erreur en soutenant la décision de la SPR de ne pas soumettre le document présenté après l’audience, est axé sur l’évaluation de la valeur probante du document, comme l’exige l’article 43 des Règles. Il soutient que la SAR a examiné la preuve dans l’optique des conclusions défavorables concernant la crédibilité qui avaient été tirées en ce qui a trait aux principaux documents d’identité soumis à la SPR et examinés par celle‑ci. La position du demandeur est qu’il s’agit d’une erreur d’évaluer un document d’identité en fonction des préoccupations relativement à la crédibilité n’ayant aucun lien au document (consulter l’affaire Elhassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1247).

[26]           Quant à la décision de la SAR de ne pas admettre la preuve présentée après l’audience en vertu de l’article 110 de la LIPR, le demandeur soutient que la preuve peut seulement être présentée à la SAR de deux manières : soit comme élément du dossier de la procédure de la SPR en vertu du paragraphe 110(3), soit comme nouvelle preuve admissible en vertu du paragraphe 110(4). Il souligne que toute preuve présentée après l’audience ayant été soumise à la SPR ne sera jamais admissible comme de nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4), car ils sont « survenus depuis le rejet de sa demande » ou ils « n’étaient pas normalement accessibles » avant le rejet, comme l’exige le paragraphe 100(4). Au lieu, les éléments de preuve présentés après l’audience refusés par la SPR en vertu de l’article 43 des Règles de la SPR doivent faire partie du « dossier de la procédure de la SPR » en vertu du paragraphe 110(3) de la LIPR.

[27]           Le demandeur souligne également que l’alinéa 3(3)c) des Règles de la Section d’appel des réfugiés indique aux appelants que le dossier devant la SAR doit comporter « tout document que la Section de la protection des réfugiés a refusé d’admettre en preuve pendant ou après l’audience, si l’appelant veut l’invoquer dans l’appel ». Contrairement à ce qui est le cas des « nouveaux éléments de preuve » dans lequel l’alinéa 3(3)g) des Règles de la SAR demande à un appelant de présenter des observations sur la manière dont cette preuve satisfait aux critères en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, il n’y a pas de telles directives sur l’admissibilité devant la SAR des documents de refus d’entrée par la SPR. Le demandeur soutient que cela indique qu’une telle preuve est à juste titre saisie devant la SAR sans avoir besoin d’autres justifications.

[28]           De plus, le demandeur soutient qu’il n’y a aucune raison d’exclure la preuve de nouveau à l’étape de la SAR pour inobservation des Règles de la SPR, puisque la SAR ne subit aucun préjudice en soupesant cette preuve où tant la SAR et le ministre auraient l’occasion voulue de vérifier la preuve, si cela leur semble opportun. Enfin, le demandeur soutient que le refus de prendre en considération cette preuve est un obstacle à la capacité d’un demandeur d’asile de présenter ses arguments dans un contexte où l’article 7 de la Charte entre en jeu et où les objectifs de la LIPR sont de faciliter la protection des réfugiés.

[29]           En ce qui a trait aux documents d’identité mis en preuve devant la SPR et la SAR, le demandeur fait valoir que la SAR n’a pas effectué une évaluation indépendante. Elle ne doit faire preuve d’aucune retenue envers la SPR quant à l’authenticité ou le poids des documents. L’authenticité des documents doit être évaluée indépendamment et ils ne peuvent pas être rejetés en se fondant uniquement sur les préoccupations de crédibilité relativement à un témoignage ou aux autres documents d’un demandeur (Ren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1402 [affaire Ren]). Le conseil doit procéder à une certaine évaluation de chaque élément de preuve qui porte sur l’identité (Teweldebrhan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 418 [affaire Teweldebrhan]).

[30]           Le demandeur soutient que l’évaluation de la SAR n’en dit rien sur plusieurs des documents que le demandeur a soumis pour prouver son identité. Il n’y a aucune indication dans la décision de la SAR que ces éléments de preuve d’identité ont été évalués. De plus, il n’est pas indiqué la raison pour laquelle cette preuve d’identité n’a été accordée aucun poids ou la raison pour laquelle cette preuve, en combinaison avec d’autres preuves d’identité, n’était pas suffisante pour prouver l’identité selon la prépondérance des probabilités.

[31]           Enfin, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR que l’ensemble de la preuve n’établissait pas l’identité du demandeur, compte tenu de la reconnaissance de la SAR du fait que la SPR avait tenu compte d’un facteur erroné (fondement sur l’utilisation de faux papiers d’identité pour entrer au Canada) dans son évaluation de l’ensemble de la preuve. La SAR n’a pas tenu du compte de la manière dont la conclusion de la SPR a été touchée par cette erreur.

B.                 Position du défendeur

[32]           Sur la question de la preuve présentée après l’audience et l’application de l’article 43 des Règles de la SPR, le défendeur soutient que la SAR n’a commis aucune erreur en étant d’accord avec la SPR que la preuve avait peu de valeur probante.

[33]           En réponse à l’argument du demandeur au titre de l’article 110 de la LIPR, le défendeur souligne que la Cour a conclu récemment que la SAR n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne satisfont pas aux exigences en vertu du paragraphe 110 (4) (Deri c. MCI , 2015 CF 1042, aux paragraphes 51 et 55).

[34]           Le défendeur soutient également que les éléments de preuve déclarés inadmissibles et, par conséquent, pas pris en compte par la SPR sont, par définition, de nouveaux éléments de preuve soumis à la SAR. Un appelant doit inscrire ces éléments de preuve dans son dossier afin que la SAR puisse ensuite déterminer s’ils sont admissibles en tant que nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4). Le fait qu’il existe une restriction législative précise sur le type de nouveaux éléments de preuve permis en appel montre clairement qu’un appel à la SAR n’est pas entièrement un appel de novo qui permet à un appelant de fournir de meilleurs éléments de preuve lorsque les éléments de preuve fournis à la SPR sont insuffisants.

[35]           En réponse à l’argument de la Charte, le défendeur soutient que la restriction du paragraphe 110(4), laquelle porte sur l’admission de nouveaux éléments de preuve à la SAR, n’empêche pas un demandeur d’asile de fournir la preuve nécessaire et n’occasionne donc pas d’incompatibilité avec les principes de justice fondamentale.

[36]           Le défenseur souligne également que la SAR a été au‑delà de ce qui était requis dans le cadre de son analyse en vertu du paragraphe 110(4) et qu’elle a évalué les documents et conclu qu’ils n’avaient aucune valeur probante.

[37]           Sur la question des documents d’identité mis en preuve, le défendeur soutient que la SAR a clairement pris en considération les documents indépendamment et a tiré la même conclusion que la SPR. En particulier, elle a conclu qu’il y avait des contradictions entre le témoignage et la preuve, des incohérences de son témoignage au sujet des photos sur les documents d’identité, des problèmes avec la carte d’identité turque émise au Canada, et un problème avec le document provenant d’une organisation politique en Turquie.

[38]           En outre, le défendeur fait valoir qu’il est bien établi en droit que la SAR n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve et elle est présumée avoir pris en compte tous les éléments de preuve. En l’espèce, il y avait déjà des problèmes importants quant à des documents d’identité ayant une valeur plus probante. Lorsque les documents principaux ne sont pas crédibles, il n’est pas nécessaire d’accorder du poids aux autres documents qui ne peuvent pas en soi confirmer l’identité (Diarra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 123 [affaire Diarra]).

[39]           Le défendeur soutient également que le fait que la SAR était en désaccord avec une conclusion non déterminante, mais en accord avec le reste des conclusions et la décision dans son ensemble, démontre qu’une analyse indépendante a clairement été effectuée.

VI.             Analyse

[40]           Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur l’exigence de la SAR d’évaluer l’ensemble de la preuve à l’appui de l’identité du demandeur. Le demandeur cite un certain nombre de décisions à l’appui de ce principe (p. ex. l’affaire Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, aux paragraphes 9 à 14; et l’affaire Kabongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1086, aux paragraphes 19 à 22), mais évoque en particulier la décision récente, Teweldebrhan, où le juge en chef Crampton a statué comme suit aux paragraphes 13 à 21 :

[13]      Lorsqu’elle en est arrivée à sa conclusion selon laquelle M. Teweldebrhan n’avait pas réussi à établir son identité selon la prépondérance des probabilités, la SPR n’a pas mentionné les lettres des deux organisations politiques érythréennes ni la lettre de l’épouse de M. Teweldebrhan.

[14]      La présomption selon laquelle des pièces d’identité étrangères sont valides (Rasheed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 587, aux paragraphes 19 et 20; Bouyaya, précitée, au paragraphe 11) est réfutée lorsqu’il y a un motif valable de douter de leur authenticité (Elhassan, précitée, au paragraphe 21).

[15]      À mon avis, il y a un motif valable de douter de l’authenticité des pièces d’identité étrangères d’un demandeur d’asile lorsqu’il est établi que d’autres pièces d’identité produites par le demandeur d’asile sont frauduleuses ou par ailleurs non authentiques. Un autre motif valable serait lorsque la SPR a un motif raisonnable de conclure que les explications données par un demandeur d’asile au sujet d’une ou plusieurs de ses pièces d’identité ne sont pas crédibles.

[16]      Autrement dit, lorsque la SPR est convaincue qu’une ou plusieurs des pièces d’identité d’un demandeur d’asile ont été obtenues frauduleusement ou sont par ailleurs non authentiques, la présomption selon laquelle les autres pièces d’identité du demandeur d’asile sont valides ne s’applique plus, du fait que le fondement de cette présomption a été érodé.

[17]      En l’espèce, il y avait au moins deux facteurs qui, indépendamment, donnaient un tel motif valable de douter de l’authenticité des pièces d’identité de M. Teweldebrhan, à savoir : (i) le fait qu’il avait affirmé dans son témoignage qu’il avait voyagé au moyen de visas obtenus illégalement et d’un passeport qu’il avait obtenu par l’entremise d’un [traduction] « agent » au Soudan et (ii) l’incompatibilité des deux actes de baptême qu’il a fournis à la SPR, à l’égard de laquelle il n’a pu donner une explication raisonnable. Si la SPR avait interrogé M. Teweldebrhan au sujet des contradictions qu’elle avait relevées relativement aux numéros d’identification sur le transfert d’argent et le reçu de billet d’autobus, et si elle n’avait pas été satisfaite de ses réponses, cela aurait constitué un troisième motif indépendant d’écarter la présomption.

[18]      Les faits dans la décision Elhassan, précitée, peuvent être distingués sur ce point, puisque la SPR avait fondé sa décision d’accorder peu de poids à un acte de naissance sur des conclusions concernant la crédibilité qui ont été jugées déraisonnables (Elhassan, précitée, aux paragraphes 23 et 24).

[19]      La SPR pouvait écarter la présomption de validité des pièces d’identité de M. Teweldebrhan, mais elle était tout de même tenue d’examiner ou d’apprécier à tout le moins l’authenticité et la valeur probante de chacune de ces pièces, de même que celles des lettres et des affidavits qu’il avait produits au soutien de sa demande (Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1292, aux paragraphes 6 et 7; Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 157, au paragraphe 55). Le défaut de la SPR de ce faire a rendu déraisonnable sa conclusion selon laquelle M. Teweldebrhan n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités.

[20]      Si la SPR avait effectivement évalué les copies des pièces d’identité, les affidavits et les lettres que M. Teweldebrhan avait produites, il lui aurait été raisonnablement loisible de conclure que leur valeur probante collective n’établissait pas l’identité de M. Teweldebrhan selon la prépondérance des probabilités (Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 23).

[21]      Au lieu de cela, la SPR a semblé rejeter d’emblée les copies des pièces d’identité ainsi que les deux affidavits, et elle n’a pas du tout fait mention des lettres. Cela était déraisonnable.

[41]           En l’espèce, le demandeur mentionne sept documents ou catégories de documents, lesquels sont présentés par le demandeur à l’appui de son identité au cours de son audience qui ne sont pas mentionnés dans la décision de la SAR. Il soutient que l’omission de mener une évaluation indépendante de l’authenticité et de la valeur probante de chacun de ces documents constitue une erreur susceptible de contrôle, comme il est expliqué dans l’affaire Teweldebrhan. Le défendeur n’écarte pas l’affaire Teweldebrhan, mais il soutient que les documents auxquels il fait référence sont des documents tertiaires qui n’auraient pas pu changer la décision de la SAR. Le défendeur incite la Cour à adopter la décision dans l’affaire Diarra, où le juge Shore mentionne ce qui suit au paragraphe 30 :

[30]      La Cour convient que la SPR n’a pas fait expressément mention de l’acte de décès de la mère du demandeur dans ses motifs; cela dit, cette omission de mentionner un document tertiaire ne rend pas déraisonnable la décision de la SPR en soi. Il ressort clairement de la jurisprudence que la SPR n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve, particulièrement si elle a conclu que la demande sousjacente du demandeur est peu crédible (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 14 à 17). Il est manifeste en l’espèce que la SPR a tenu compte de la valeur probante du document avant de rendre sa décision (transcription de l’audience, DCT, aux pages 410 à 412).

[42]           Je conclus que ces autorités peuvent être conciliées, en ce sens que le juge Shore a conclu en se fondant sur son examen du dossier en l’espèce Diarra que la SPR avait réellement pris en considération la valeur probante du document d’identité tertiaire qui faisait l’objet de l’argument du demandeur. Compte tenu de la jurisprudence, j’estime qu’il serait une erreur susceptible de contrôle de la SAR d’avoir rendu sa décision sans tenir compte des documents d’identité auxquels le demandeur fait référence à moins que, comme l’a soutenu le défendeur, ces documents n’aient pas pu changer la décision de la SAR.

[43]           Avant d’aborder cette question, je traiterai du contrôle de la SAR de la décision de la SPR de rejeter la preuve présentée après l’audience, car ce contrôle soulève aussi des doutes quant à la prise en compte de l’ensemble de la preuve portant sur l’identité. Je suis d’accord avec le demandeur que les raisons de la SAR font valoir qu’elle a conclu que la preuve avait peu de valeur probante en partie sur le fondement des problèmes de crédibilité avec d’autres éléments de preuve, contrairement aux principes énoncés par le juge Boswell aux paragraphes 24 à 27 de l’affaire Ren. Je reconnais, comme le soutient le défendeur, que la SAR a également mentionné avoir des doutes au sujet de la valeur probante des documents présentés après l’audience, même si le demandeur n’avait pas d’autres problèmes de crédibilité. Toutefois, la SAR fait cette déclaration sur « un grand nombre » de ces documents, mais pas tous et son analyse ultérieure de la valeur probante des documents a omis la fiche d’assurance sociale, le certificat de licenciement militaire, et le document d’enregistrement familial, lesquels la SAR a désignés comme étant inclus dans les documents présentés après l’audience.

[44]           Par conséquent, il appert de la décision que, comme ce fut le cas pour les documents qui ont été soumis à l’audience devant la SPR, l’analyse de la SAR quant à la valeur probante des documents présentés après l’audience tient compte de certains de ces documents, mais pas de tous. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni une explication raisonnable pour la soumission tardive de ces documents à la SPR, et je ne relève aucune erreur dans sa conclusion. La SAR a correctement déterminé que les facteurs qui devaient être pris en compte par la SPR en vertu de l’article 43 des Règles, pour déterminer s’il faut admettre la preuve présentée après l’audience, comprenaient la disponibilité d’une explication raisonnable pour la soumission tardive et la valeur probante des documents. Toutefois, en l’absence d’une analyse par la SAR de la valeur probante de tous ces documents, autres que ceux qui se fondent sur les problèmes de crédibilité liés aux autres documents, ce facteur n’a pas été à juste titre considéré. Ainsi, j’arrive à la conclusion que la SAR a commis une erreur d’une manière à la fois incorrecte et déraisonnable, dans son contrôle de la décision de la SPR de ne pas permettre la soumission de la preuve après l’audience.

[45]           Pour cette raison, je reviens à la question de savoir si les documents d’identité n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation indépendante par la SAR auraient pu modifier la décision de la SAR. Les documents d’identité soumis à la SPR à l’audience, mais sur lesquels la SAR ne s’est pas prononcée, sont décrits comme suit par le demandeur :

A.                Une lettre du Toronto Kurdish Community & Information Centre (centre d’information et communautaire kurde de Toronto) attestant son identité personnelle d’après sa connaissance du kurmandji et des entrevues au Canada avec des amis et parents qui le connaissent;

B.                 Des circulaires du parti politique kurde indiquant l’affectation des membres du parti et une liste des tâches électorales des membres du parti, y compris le nom de M. Aytac;

C.                 Une lettre du parti politique kurde adressée à M. Aytac écrite sur du papier à en‑tête félicitant le demandeur de sa présidence des jeunes;

D.                La carte d’identification d’adhésion du groupe Kayseri Haci Veli avec photos et sceaux officiels;

E.                 Des reçus d’adhésion à la maison de cem alévie en son nom;

F.                  Un certificat scolaire pour le fil du demandeur, Ekin Ali Aytac;

G.                Des photos du demandeur au centre culturel alévi en Turquie.

[46]           Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel il classifie ces documents comme étant tertiaires, surtout en comparaison avec les documents d’identité ayant été explicitement examinés par la SAR pour en venir à sa décision. Toutefois, certains de ces documents (provenant des partis politiques) semblent avoir un caractère similaire à ceux qui ont fait l’objet de la décision dans l’affaire Teweldebrhan, et l’un de ces documents porte la photo du demandeur, de sorte qu’il n’est pas possible de conclure qu’ils n’ont pas de valeur probante potentielle. Comme il a été mentionné précédemment, les documents présentés après l’audience que la SAR n’a pas évalués pour la valeur probante comprennent la fiche d’assurance sociale, le certificat de licenciement militaire, et le document d’enregistrement familial. Je note également que la fiche d’assurance sociale porte une photo.

[47]           Conformément à l’analyse dans l’affaire Teweldebrhan, la SAR aurait bien pu conclure après avoir eu évalué tous ces documents, en combinaison avec ses autres conclusions, que leur valeur probante collective n’établissait pas l’identité du demandeur. Cependant, j’en conclus qu’il n’est pas possible de savoir si l’évaluation de la combinaison de ces documents aurait pu modifier la décision de la SAR. Par conséquent, ma conclusion est qu’une telle évaluation était nécessaire. La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire renvoyée à la SAR pour nouvelle décision.

[48]           Puisque je suis parvenu à cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments du demandeur au titre de l’article 110 de la LIPR. Le demandeur a soulevé une question éventuelle de portée générale pour la certification relativement à cette question. Cependant, puisque je n’ai rendu aucune décision concernant cette question, aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen par un commissaire différent. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3419-15

INTITULÉ :

KAMIL AYTAC c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2016

COMPARUTIONS :

Joshua Blum

Pour le demandeur

Alison Engel‑Yan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joshua Blum

Avocat‑procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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