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Date : 20160216


Dossier : T-1268-15

Référence : 2016 CF 207

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 février 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JINSHENG ZHAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La citoyenneté canadienne est un privilège. Il incombe au demandeur d’établir qu’il respecte les exigences de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C­29 (la Loi) pour obtenir la citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Pereira, 2014 CF 574, au paragraphe 21 [arrêt Pereira]). Dans la présente espèce, le demandeur ne respectait pas les exigences.

[2]               Comme le juge Donald J. Rennie l’a formulé dans l’arrêt Baig c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 858 :

[14]      Il est évident que c’est au demandeur qu’il appartient d’établir que, selon toute vraisemblance, il remplit les conditions de résidence imposées pour l’attribution de la citoyenneté. L’essentiel de l’argument du demandeur est que, puisque le juge lui avait donné une autre occasion de produire des documents, il était tenu de lui faire part de ses doutes sur la preuve de résidence qu’il avait produite. Je ne suis pas de cet avis. Essentiellement, le demandeur voudrait transférer au juge le fardeau de la preuve, alors que c’est sur lui que repose nettement ce fardeau.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur, Jinsheng Zhao (44 ans), est un résident permanent du Canada et un citoyen de la Chine.

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada en août 2004 muni d’un visa d’étudiant et a obtenu le statut de résident permanent le 10 février 2011. Le 20 août 2014, le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté, qui a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) le 25 août 2014. Le demandeur allègue qu’il était physiquement au Canada du 10 février 2011 au 20 août 2014 (période de référence), date à laquelle il a présenté sa demande de citoyenneté.

[5]               Le 26 février 2015, le demandeur a été interrogé par un agent de la citoyenneté. À la suite de l’entrevue, l’agent lui a demandé de présenter des documents supplémentaires pour corroborer sa présence au Canada pendant la période de référence. Plus précisément, l’agent lui a demandé de produire les documents suivants en précisant que sa demande serait considérée comme abandonnée s’il ne les produisait pas dans un délai de 30 jours sans fournir d’explications valables :

         Tout passeport et document de voyage, valides ou expirés, qui étaient valides pendant la période de référence;

         Des contrats de location, des baux ou des documents hypothécaires;

         Des relevés d’emploi pour tous les emplois occupés durant la période de référence;

         Les relevés de notes originaux produits par tous les établissements d’enseignement fréquentés durant la période de référence;

         Les avis de cotisation émis par l’Agence du revenu du Canada pour les années d’imposition visées (illisibles);

         Le sommaire des réclamations personnelles de soins de santé présentées dans la province ou le territoire;

         Des relevés de carte de crédit;

         Des renseignements bancaires.

(Voir les paragraphes 39 et 40 des dossiers de CIC.)

[6]               Le 27 février 2015, le demandeur a présenté une demande de renseignements personnels à l’Agence des services frontaliers du Canada en vue d’obtenir le rapport sur ses antécédents de voyage du Système intégré d’exécution des douanes (le rapport du SIED), lequel rapport lui a été envoyé le 29 mars 2015.

[7]               Le 6 avril 2015, le demandeur a présenté à CIC le rapport du SIED, qui indique qu’il n’est pas revenu au Canada pendant la période de référence, ainsi que ses passeports, qui ne semblent comporter aucun timbre d’entrée ou de sortie pour la période de référence. Le demandeur a refusé de produire d’autres documents, soutenant que [traduction] « le fait de lui demander de remplir le Questionnaire sur la résidence et de produire tous les documents supplémentaires était excessif, oppressif, vexatoire et, par conséquent, manifestement illégal (voire discriminatoire) » (dossiers de CIC, page 7).

[8]               Le 15 mai 2015, CIC a envoyé un dernier rappel au demandeur pour lui demander de produire tous les documents requis et l’informer que sa demande de citoyenneté serait considérée comme abandonnée, que son dossier serait classé et qu’aucune autre mesure ne serait prise à l’égard de son dossier s’il ne produisait pas lesdits documents dans les 30 jours suivant la réception de la lettre sans fournir d’explication valable.

[9]               Le 19 mai 2015, le demandeur a envoyé une lettre à CIC, dans laquelle il indique que sa demande de citoyenneté est complète et qu’il estime qu’il a fourni suffisamment de documents pour établir qu’il était effectivement présent au Canada pendant la période de référence, et qu’il refuse par conséquent de produire les documents supplémentaires demandés par l’agent de la citoyenneté.

[10]           Le 29 juin 2015, le demandeur a déposé une demande de mandamus à l’encontre du défendeur (T­1076­15). Sa demande d’autorisation a été rejetée par la juge Anne L. Mactavish le 7 octobre 2015.

[11]           Le 10 juillet 2015, le défendeur a envoyé une lettre au demandeur pour l’informer que sa demande de citoyenneté canadienne était désormais considérée comme abandonnée.

III.             Avis de question constitutionnelle

[12]           Le demandeur soutient que les articles 13.2 et 23.1 de la Loi ne sont pas constitutionnels.

[13]           En vertu de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F­7 (la LCF), lorsqu’une partie conteste la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale, elle doit signifier un avis au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue :

Questions constitutionnelles

Constitutional questions

57 (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

57 (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

Formule et délai de l’avis

Time of notice

(2) L’avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour fédérale ou de l’office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue.

(2) The notice must be served at least 10 days before the day on which the constitutional question is to be argued, unless the Federal Court of Appeal or the Federal Court or the federal board, commission or other tribunal, as the case may be, orders otherwise.

Règles des Cours fédérales, DORS/98­106 (les RCF) :

Avis d’une question constitutionnelle

Notice of constitutional question

L’avis d’une question constitutionnelle visé à l’article 57 de la Loi est rédigé selon la formule 69.

A notice of a constitutional question referred to in section 57 of the Act shall be in Form 69.

[14]           L’objet de l’article 57 de la LCF est de faire en sorte que le tribunal « se prononce sur la validité de la disposition à partir d’un dossier de preuve complet et que l’État [ait] vraiment l’occasion de soutenir la validité de la disposition (voir Eaton, par. 48) » (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, au paragraphe 19). À moins qu’il y ait consentement des procureurs généraux, ou un avis de facto, l’avis que prescrit l’article 57 est obligatoire et la Cour ne peut accorder de dispense lorsqu’une partie conteste la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale (Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 600, au paragraphe 5; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, au paragraphe 12; Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 RCS 241).

[15]           Dans la présente espèce, le demandeur n’a pas signifié l’avis prescrit par l’article 57 de la LCF et l’article 69 des RCF, et les procureurs généraux n’ont pas accepté ni reçu l’avis de facto signifié par le demandeur contestant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, de l’article 13.2 ou 23.1 de la Loi. Il est vrai que, dans sa lettre à CIC datée du 6 avril 2015, le demandeur a indiqué que le fait que l’agent de la citoyenneté exige qu’il produise des documents supplémentaires était [traduction] « excessif, oppressif, vexatoire et, par conséquent, manifestement illégal (voire discriminatoire) » (dossiers de CIC, page 7), la Cour ne considère pas que cette déclaration constitue un avis de facto. La Cour considère plutôt qu’il s’agit d’une assertion du demandeur selon laquelle la décision de l’agent de la citoyenneté d’exiger des documents supplémentaires était déraisonnable et, par conséquent, illégale parce que l’agent a transgressé les pouvoirs qui lui étaient conférés. Une telle assertion ne peut être interprétée comme signifiant que le demandeur a de facto signifié un avis au procureur général pour l’informer qu’il contestait la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, de l’article 13.2 ou 23.1 de la Loi.

IV.             Questions en litige

[16]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les seules questions en litige sur lesquelles repose la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

1.      La décision de CIC de considérer la demande de citoyenneté du demandeur comme abandonnée était­elle déraisonnable?

2.      CIC a­t­il omis de fournir des motifs suffisants lorsqu’il a rendu sa décision?

V.                Dispositions législatives

Abandon de la demande

Abandonment of application

13.2 (1) Le ministre peut considérer une demande comme abandonnée dans les cas suivants :

13.2 (1) The Minister may treat an application as abandoned

a) le demandeur omet, sans excuse légitime, alors que le ministre l’exige au titre de l’article 23.1 :

(a) if the applicant fails, without reasonable excuse, when required by the Minister under section 23.1,

      (i) de fournir, au plus tard à la date précisée, les renseignements ou les éléments de preuve supplémentaires, lorsqu’il n’est pas tenu de comparaître pour les présenter,

     (i) in the case where the Minister requires additional information or evidence without requiring an appearance, to provide the additional information or evidence by the date specified, or

      (ii) de comparaître aux moment et lieu — ou au moment et par le moyen — fixés, ou de fournir les renseignements ou les éléments de preuve supplémentaires lors de sa comparution, lorsqu’il est tenu de comparaître pour les présenter;

     (ii) in the case where the Minister requires an appearance for the purpose of providing additional information or evidence, to appear at the time and at the place — or at the time and by the means — specified or to provide the additional information or evidence at his or her appearance; or

b) le demandeur omet, sans excuse légitime, de se présenter aux moment et lieu — ou au moment et par le moyen — fixés et de prêter le serment alors qu’il a été invité à le faire par le ministre et qu’il est tenu de le faire pour avoir la qualité de citoyen.

(b) in the case of an applicant who must take the oath of citizenship to become a citizen, if the applicant fails, without reasonable excuse, to appear and take the oath at the time and at the place — or at the time and by the means — specified in an invitation from the Minister.

Effet de l’abandon

Effect of abandonment

(2) Il n’est donné suite à aucune demande considérée comme abandonnée par le ministre.

(2) If the Minister treats an application as abandoned, no further action is to be taken with respect to it.

[…]

Autres renseignements, éléments de preuve et comparution

Additional information, evidence or appearance

23.1 Le ministre peut exiger que le demandeur fournisse des renseignements ou des éléments de preuve supplémentaires se rapportant à la demande et préciser la date limite pour le faire. Il peut exiger à cette fin que le demandeur comparaisse — devant lui ou devant le juge de la citoyenneté pour être interrogé — soit en personne et aux moment et lieu qu’il fixe, soit par le moyen de télécommunication et au moment qu’il fixe.

23.1 The Minister may require an applicant to provide any additional information or evidence relevant to his or her application, specifying the date by which it is required. For that purpose, the Minister may require the applicant to appear in person or by any means of telecommunication to be examined before the Minister or before a citizenship judge, specifying the time and the place — or the time and the means — for the appearance.

VI.             Observation des parties

[17]           Le demandeur affirme que le ministre a commis une erreur lorsqu’il lui a demandé de fournir des renseignements ou des éléments de preuve supplémentaires à la suite de son entrevue avec l’agent de la citoyenneté, car il prétend avoir présenté suffisamment d’éléments – à savoir son passeport et le rapport du SIED – pour prouver qu’il était effectivement présent au Canada pendant la période de référence. En outre, le demandeur affirme que la décision du ministre ne satisfait pas aux critères des motifs cohérents et intelligibles et que le ministre a donc transgressé les règles de l’équité procédurale.

[18]           À l’inverse, le défendeur soutient que le ministre a le droit de demander des renseignements supplémentaires et des documents corroborants pour aider un décideur à décider si un demandeur remplit les conditions de résidence. Le demandeur a reçu plusieurs avis l’informant que sa demande de citoyenneté serait considérée comme abandonnée s’il ne produisait pas les documents exigés, mais il a refusé de le faire. Par conséquent, la décision du ministre de considérer la demande de citoyenneté du demandeur comme abandonnée était raisonnable. Le demandeur n’a pas démontré que la conduite du ministre était répréhensible; par conséquent, le ministre n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a décidé de considérer la demande de citoyenneté du demandeur comme abandonnée.

VII.          Norme de révision

[19]           La norme de la décision raisonnable s’applique à la décision du ministre de considérer que la demande de citoyenneté a été abandonnée et à la question de savoir si le ministre a fourni des motifs suffisants (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre­Neuve­et­Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [arrêt Newfoundland and Labrador Nurses]).

VIII.       Analyse

A.                Documents supplémentaires

[20]           La citoyenneté canadienne est un privilège. Il incombe au demandeur d’établir qu’il respecte les exigences de la Loi pour obtenir la citoyenneté (arrêt Pereira précité, au paragraphe 21). À l’inverse, si un demandeur respecte les exigences de la Loi, il doit obtenir la citoyenneté (Saad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 570, au paragraphe 21 [arrêt Saad]; Martinez­Caro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640). Il incombe au décideur initial en matière de citoyenneté de définir l’étendue et la nature des éléments de preuve que doit présenter un demandeur afin de démontrer qu’il remplit les conditions de résidence prescrites par la Loi. Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu d’étayer son témoignage sur des éléments de preuve, « il serait extrêmement inhabituel, et probablement téméraire, de se fier au témoignage d’un individu pour établir sa résidence, sans aucun document à l’appui » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19 [arrêt El Bousserghini]). Dans la présente espèce, étant donné le contexte, l’agent de la citoyenneté a demandé au demandeur de produire des documents supplémentaires pour étayer sa demande de résidence. Le demandeur a refusé de produire les documents exigés; il a plutôt préféré soumettre ses passeports et le rapport du SIED, qui, selon lui, sont suffisants pour démontrer qu’il respecte les exigences de la Loi.

[21]           Il est vrai que les passeports peuvent servir d’élément de preuve pour prouver qu’un demandeur était effectivement présent au Canada (arrêt Saad précité, au paragraphe 26), mais on ne peut affirmer qu’ils constituent une preuve irréfutable de la présence d’une personne au Canada (Ballout c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 978, au paragraphe 25). Le rapport du SIED peut aussi constituer une preuve à l’appui (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2013 CF 270, au paragraphe 50 [arrêt Lee]), mais ce rapport n’est pas à lui seul suffisant pour établir la résidence (arrêt Lee précité, au paragraphe 38).

[22]           Étant donné que la Cour a statué que les passeports et le rapport du SIED ne constituent pas des preuves irréfutables de la présence du demandeur au Canada, et compte tenu du fait qu’aucun déplacement n’avait été consigné pendant une certaine période dans les passeports du demandeur, il était raisonnable de la part de l’agent de demander que des documents supplémentaires soient produits. Qui plus est, le refus manifeste du demandeur de produire des documents supplémentaires peut raisonnablement avoir soulevé des préoccupations chez l’agent de la citoyenneté :

[23]      En outre, la juge pouvait tirer une conclusion défavorable du défaut du demandeur de produire son passeport périmé, lequel aurait été un élément de preuve fondamental au regard de sa demande de résidence car il concernait toute la période pertinente. Je souscris aux commentaires suivants faits par ma collègue la juge Eleanor Dawson dans la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 284, [2000] A.C.F. no 1264 (1re inst.) (QL), au paragraphe 38 :

Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, il est possible d’inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable.

(Mizani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 698, au paragraphe 23)

[23]           La citoyenneté canadienne étant un privilège qu’il ne faut pas accorder à la légère, il était raisonnable de la part du ministre de demander des documents supplémentaires qui étaient raisonnablement nécessaires, compte tenu du contexte de la présente demande.

B.                 Suffisance des motifs

[24]           L’alinéa 13.1a) de la Loi permet explicitement au ministre de considérer une demande comme abandonnée si le demandeur omet, sans excuse légitime, de fournir, au plus tard à la date précisée – en l’espèce le 1er août 2014 –, les renseignements ou les éléments de preuve supplémentaires. Le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté le 20 août 2014; il est donc visé par cette disposition.

[25]           Pour interpréter l’article 13.2 de la Loi, la Cour doit appliquer le [traduction] « principe moderne » d’interprétation législative de Driedger :

[21]      Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci­après « Construction of Statutes »); Pierre­André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1991)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21)

[26]           En se fondant sur le sens ordinaire et grammatical des termes, ainsi que sur le contexte, l’objet de la Loi et l’intention du législateur, la Cour interprète l’article 13.2 de la Loi comme signifiant qu’un demandeur a l’obligation de produire les documents raisonnablement exigés, conformément à l’article 23.1 de la Loi, à moins qu’il ne fournisse une excuse valable pour expliquer pourquoi il n’est pas en mesure de les produire. La Cour n’interprète pas l’article 13.2 de la Loi comme signifiant qu’un demandeur peut refuser de produire des documents raisonnablement exigés pour la simple raison qu’il juge que ces documents ne sont pas requis.

[27]           Dans la présente espèce, le demandeur n’a pas fourni d’excuse pour expliquer pourquoi il n’a pas pu fournir les documents exigés; il a plutôt fourni une excuse pour expliquer pourquoi il croit qu’il ne devrait pas être obligé de produire des documents supplémentaires et a demandé au ministre de lui accorder la citoyenneté canadienne. Le demandeur croyait à tort que ses passeports et le rapport du SIED constituaient des preuves suffisantes pour démontrer qu’il respectait les exigences de la Loi.

[28]           Dans sa décision, le ministre soutient que le demandeur n’a pas fourni d’excuse pour expliquer pourquoi il n’a pas pu produire les documents exigés. Cette déclaration est exacte. Comme il est évident que les motifs du ministre permettent à la Cour de comprendre comment et pourquoi le ministre est parvenu à sa décision et de décider si les conclusions du ministre appartiennent aux issues possibles acceptables (voir l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses précité, au paragraphe 16), la Cour conclut que la décision du ministre est raisonnable.

IX.             Conclusion

[29]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1268-15

 

INTITULÉ :

JINSHENG ZHAO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Gregory James

 

Pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gregory James

Avocat­procureur

Mississauga (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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