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Date : 20160216


Dossier : T-471-15

Référence : 2016 CF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

LI GU LI

appelante

et

MINISTRE DE TRANSPORTS CANADA

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Mme Li souhaite infirmer la décision du ministre de Transports Canada d’annuler son habilitation de sécurité en matière de transport (HST). Pour les motifs suivants, j’estime qu’il n’y a aucun fondement qui permet de renverser cette décision.

[2]               Mme Li a travaillé à titre de préposée au nettoyage d’avions auprès de Sunwest Aviation à l’aéroport international de Calgary. Elle devait détenir une HST valide pour occuper ce poste. En mars 2015, elle a été congédiée en raison de l’annulation de son HST. Elle avait obtenu son HST en 2007 lors de son embauche et elle l’avait dûment renouvelée en 2012.

[3]               Le 15 octobre 2014, la GRC a fait parvenir à Transports Canada un rapport de vérification des antécédents criminels qui a soulevé des préoccupations au sujet Mme Li. Par conséquent, Transports Canada a écrit à Mme Li pour l’informer que sa cote de sécurité était en cours de révision. La lettre indiquait que « [TRADUCTION] Transports Canada vous prie de fournir des renseignements supplémentaires décrivant les circonstances entourant l’incident et les associations susmentionnés, ainsi que toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes, dans les 20 jours suivant la réception de cette lettre ». La lettre reprenait l’incident et les associations consignés dans le rapport de vérification des antécédents criminels de la GRC :

En novembre 2004, le service de police d’Abbottsford a fouillé une résidence sise à Abbottsford, en Colombie-Britannique, et a découvert une petite exploitation de culture de marijuana. Un sujet qui se trouvait à l’intérieur de la résidence à ce moment-là a été arrêté pour production de marijuana. Même si vous n’étiez pas présente à la résidence, votre véhicule se trouvait à la résidence au moment de la fouille.

Les sujets suivants ont des liens avec vous :

Sujet « A »

-     il s’agit d’un associé très proche de vous avec qui vous pourriez   interagir de manière régulière;

-   il serait lié au crime organisé vietnamien;

o      le crime organisé vietnamien (gangs asiatiques) est impliqué dans une longue liste d’activités criminelles, y compris la fraude par carte de crédit, le vol de voitures de luxe, la prostitution, les invasions de domicile, les meurtres contractuels, les agressions, la fraude de l’aide sociale et de l’assurance-emploi, le trafic de drogue, le piratage de logiciels, le prêt usuraire et les jeux organisés légalement;

-   il était connu de la police pour trafic de drogue;

-   il a été accusé en 1998 dans deux (2) incidents distincts. Dans un (1) incident, il a été accusé de trafic d’une substance contrôlée et de possession d’une substance contrôlée aux fins de trafic ([2] deux chefs d’accusation) et dans un autre incident, de possession d’une substance contrôlée et de défaut de se conformer à un engagement. Toutes les accusations ont été suspendues en 1999.

Sujet « B »

-   il a été impliqué dans l’incident décrit ci-dessus.

-   il a été accusé en 2004 de production d’une substance contrôlée, de possession d’une substance contrôlée aux fins de trafic ainsi que de consommation ou d’emploi d’électricité ou de gaz. Toutes les accusations ont été suspendues en 2005.

[4]               Bien que me Li ait répondu par une lettre datée du 30 octobre 2014, elle a seulement abordé l’incident de la culture de marijuana et de sa relation avec le sujet B. Elle a informé Transports Canada qu’en mars 2004, après une dispute avec son mari, elle a emménagé avec son fils dans une maison de la rue Sugarpine à Abbotsford, en Colombie-Britannique [la résidence de Sugarpine]. Elle avait entendu parler de cette maison à louer par un ami de la famille du nom de Kim Mai Le, qui connaissait quelqu’un qui vivait déjà dans le bâtiment. Mme Li vivait à la résidence de Sugarpine (et ce, jusqu’en novembre 2004) au moment où la police a fouillé le bâtiment et arrêté son propriétaire pour culture de marijuana dans le sous-sol. Mme Li a nié toute connaissance de ce qui se passait dans le sous-sol et a affirmé avoir eu peu de communication avec le propriétaire. Elle a déménagé après la descente et elle affirme n’avoir jamais été jointe par la police à ce sujet.

[5]               L’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport se compose d’un groupe de fonctionnaires qui sont chargés de l’examen des dossiers problématiques et qui formulent des recommandations au ministre. En décembre 2014, l’Organisme consultatif a examiné le rapport de vérification des antécédents criminels et la réponse de Mme Li. Il a exprimé des préoccupations au sujet de l’association de Mme Li avec les sujets A et B et il a estimé que sa lettre ne fournissait pas suffisamment de renseignements pour dissiper ses doutes. Il a également fait remarquer que la résidence de Sugarpine n’avait pas été mentionnée par Mme Li comme lieu de résidence au cours des cinq années précédant sa demande de HST de 2007 et « [TRADUCTION] il se demandait si cela était intentionnel afin d’induire en erreur le ministre [sic] ».

[6]               Le 9 mars 2015, le directeur général par intérim – Sécurité aérienne, agissant au nom du ministre et sur recommandation de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport, a annulé la HST de Mme Li :

Les renseignements concernant votre association très proche avec une personne impliquée dans des activités criminelles a soulevé des préoccupations au sujet de votre jugement, votre loyauté et votre fiabilité. Je note que votre très proche associé est connu de la police comme un trafiquant de drogue et qu’il serait lié au crime organisé vietnamien. Je note également un incident survenu en 2004, où vous résidiez dans une maison qui avait abrité une exploitation de culture de marijuana. Votre demande précédente ne fait pas mention de cette résidence, ce qui soulève des préoccupations quant à savoir si cela avait été fait intentionnellement. Après avoir examiné tous les renseignements au dossier, j’ai des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que vous pouvez être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. Je note que l’explication écrite que vous avez donnée n’a pas fourni suffisamment de renseignements pour répondre à mes préoccupations. Pour ces motifs, au nom du ministre des Transports, j’ai annulé votre cote de sécurité.

[7]               Mme Li, dans son mémoire des arguments, a soulevé une seule question : « [TRADUCTION] si... la décision du ministre de Transports Canada était raisonnable ou manifestement déraisonnable ». Dans son dossier figurait un affidavit qui, a-t-elle juré, comportait des faits et des documents qui n’ont jamais été présentés au décideur. Le ministre s’est opposé à ce que ces éléments soient versés au dossier présenté à la Cour ou pris en compte dans le cadre de l’évaluation du caractère raisonnable de la décision faisant l’objet du réexamen.

[8]               Mme Li a reconnu que ces éléments de preuve ne sont généralement pas recevables dans le cadre du contrôle judiciaire, mais a exhorté la Cour à appliquer l’exception relevée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au paragraphe 25 : « La troisième exception reconnue porte sur la preuve sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond ».

[9]               Je ne peux pas être d’accord avec Mme Li sur le fait qu’une question comme celle décrite ci-dessus ait été soulevée. Tout d’abord, tous les éléments de preuve, à l’exception possible de l’omission de la résidence de Sugarpine dans sa demande initiale, auraient pu être présentés au décideur. Deuxièmement, comme l’a noté le ministre, le mémoire de Mme Li ne laisse aucunement supposer que la justice naturelle ou l’équité procédurale a été une question soulevée dans la présente demande. Je n’accepte pas l’argument de Mme Li selon lequel le renvoi au paragraphe 24 établit cela comme un problème. Ce paragraphe se lit ainsi : « [TRADUCTION] Cependant, le principe de l’équité exige que le ministre de Transports Canada doive prendre une décision de manière raisonnablement factuelle; en d’autres termes, la décision du ministre ne peut pas être manifestement déraisonnable ».

[10]           De plus, il n’y a rien dans le dossier qui fasse allusion à un déni d’équité procédurale. La correspondance adressée à Mme Li a clairement exposé les préoccupations du ministre et l’a invitée à faire part de ses commentaires. Elle n’a pas abordé le sujet A et ne peut pas le faire maintenant dans son affidavit. Le seul fondement supplémentaire de la décision qui n’a pas été soulevé dans cette correspondance était le fait que Mme Li avait omis d’inclure la résidence de Sugarpine lorsqu’elle a d’abord fait une demande de HST. Jusqu’à ce que Mme Li ait donné l’adresse de la maison abritant l’exploitation de culture dans sa lettre et expliqué qu’elle y avait vécue, cette omission était inconnue de Transports Canada, mais pas de Mme Li. Elle a signé la demande qui comportait cette omission et accepté ses conditions : « Fournir des renseignements faux ou trompeurs sur cette demande peut entraîner le refus ou l’annulation de l’habilitation de sécurité ». Elle ne peut guère laisser entendre qu’elle est maintenant surprise que son omission ait été examinée par le ministre. Elle était toujours au courant de l’omission, tout comme de sa conséquence possible. Je suis d’avis que le fait de ne pas l’en avoir averti avant de rendre la décision ne constitue ni une injustice ni un manquement à une obligation procédurale.

[11]           Pour ces motifs, son affidavit et ses pièces jointes sont retirés du dossier.

[12]           Mme Li estime qu’il était déraisonnable d’annuler sa cote de sécurité tout simplement parce qu’elle était locataire d’un homme qui cultivait de la marijuana. Elle dit que la décision du ministre n’était pas fondée sur les faits parce que le dossier montre qu’elle n’avait aucune relation avec son locateur : ils utilisaient des entrées séparées et ne pouvaient pas communiquer, car il parlait vietnamien et elle ne parlait pas cette langue. Elle a également fait remarquer qu’elle n’était pas impliquée dans des activités criminelles, qu’elle n’avait aucun casier judiciaire et qu’elle était une bonne employée.

[13]           La décision du ministre est-elle justifiée, transparente, intelligible et tombe-t-elle dans la gamme des issues possibles et acceptables, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47?  Telle est la question sur laquelle la Cour doit se pencher.

[14]           Dans des décisions antérieures, résumées et examinées dans l’affaire Rossi Canada (Procureur général), 2015 CF 961, et l’affaire Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, il a été noté que le ministre a un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’annulation d’une HST. Le ministre doit seulement croire raisonnablement, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne peut être amenée ou incitée à commettre un acte qui peut illégalement interférer avec l’aviation civile ou aider ou encourager une personne à commettre un tel acte.

[15]           La Cour a déjà jugé que l’information de la GRC relativement à l’association passée d’une personne avec des criminels présumés est suffisante pour justifier une telle conviction : voir Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, [2007] ACF no 1513 aux paragraphes 73 et 75, et Kaczor c. Canada (ministre des Transports), 2015 CF 698, [2015] ACF no 681, aux paragraphes 32 et 33. Mme Li n’a présenté aucun argument selon lequel les circonstances au dossier font distinguer le cas présent de l’abondante jurisprudence touchant des situations semblables.

[16]           De plus, j’estime que la décision est appuyée par les faits qui figuraient au dossier dont le décideur avait été saisi. L’information de la GRC disponible à ce moment-là justifiait la conclusion que Mme Li entretenait des liens avec des personnes liées au trafic de drogue et au crime organisé. Sa lettre du 30 octobre 2014 n’a pas abordé toutes les préoccupations soulevées dans la lettre du 21 octobre 2014 de Transports Canada et, plus précisément, elle n’a donné aucune preuve concernant sa relation avec le sujet A. Même si elle a affirmé ne s’être jamais rendue au sous-sol de la résidence de Sugarpine, il était raisonnable de conclure, comme l’a fait le ministre, qu’elle aurait su qu’il y avait une exploitation de culture de marijuana dans la maison par l’odeur des plants de marijuana.

[17]           Pour ces motifs, la demande doit être rejetée. Compte tenu des observations des parties, les dépens seront attribués à l’intimé et fixés à 500 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens payables à l’intimé et fixés à 500 $.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-471-15

 

INTITULÉ :

LI GU LI c. MINISTRE DE TRANSPORTS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

11 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Wei Wu

 

POUR L’APPELANTE

 

Cameron Regehr

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group LLP

Avocats-procureurs

Calgary (Alberta)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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