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Date : 20160225

Dossier : IMM-3524-15

Référence : 2016 CF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LILIBETH PABICO BERCASIO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR ou la Loi] à l’encontre d’une décision rendue le 14 juillet 2015 par un commissaire de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission ou le commissaire]. Le commissaire a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision d’un agent des visas de Citoyenneté et Immigration Canada de refuser d’accorder à l’époux de la demanderesse, M. Escorcia, le statut de résident permanent par l’intermédiaire du processus de demande de parrainage d’un époux. La demanderesse veut que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un agent des visas différent.

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne canadienne d’origine philippine qui est arrivée au Canada en tant qu’enfant à charge en 1977. Elle a été mariée à trois reprises et a deux enfants majeurs. Elle a été mariée une première fois de 1993 à 1996, puis une deuxième fois de 1997 à 2003. Elle est mariée avec M. Escorcia, l’époux visé par la demande de parrainage, depuis 2011.

[4]               M. Escorcia est un citoyen de la Colombie, où il réside à l’heure actuelle. Il n’a jamais été marié et n’a pas d’enfant.

[5]               La demanderesse a parlé pour la première fois à M. Escorcia en février 2008 quand elle a téléphoné à son petit ami, Eric. M. Escorcia enseignait à l’école d’Eric. La demanderesse a soutenu qu’elle parlait régulièrement à M. Escorcia quand elle téléphonait à Eric. C’est dans le cadre de ces conversations qu’elle a commencé à être attirée par M. Escorcia. Après avoir rompu avec Eric en 2009, elle lui a demandé de lui fournir le numéro de téléphone de M. Escorcia. Elle a pris contact par téléphone avec M. Escorcia pour la première fois en plus de trois ans en mai 2011.

[6]               Un mois plus tard, le 15 juin 2011, la demanderesse ou M. Escorcia a demandé l’autre personne en mariage par téléphone. Selon la demanderesse, elle s’est rendue en Colombie le 14 octobre 2011 pour rencontrer M. Escorcia pour la première fois et pour décider si elle allait accepter ou refuser sa demande en mariage. Le couple s’est marié deux semaines plus tard, le 28 octobre 2011. La demanderesse est revenue au Canada le jour de son mariage. Elle est retournée en Colombie en décembre 2011 pour sa lune de miel.

[7]               Le 21 février 2012, M. Escorcia, parrainé par la demanderesse, a présenté sa demande de résidence permanente au titre du regroupement familial.

[8]               La demanderesse est retournée en Colombie en février 2012, en avril 2012, puis en août 2012. M. Escorcia et elle se sont aussi rendus en Argentine en août 2012 et au Mexique en décembre 2012.

[9]               Le 1er mars 2013, la demanderesse a reçu un avis selon lequel la demande de parrainage était refusée parce qu’il avait été déterminé que le mariage avait été célébré dans le but d’acquérir un statut. Le 6 mars 2013, la demanderesse a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration de la décision de rejeter la demande de parrainage.

[10]           Le couple s’est rendu à Cuba en mai et en septembre 2013, en Jamaïque en mars 2014 et aux Bahamas en septembre 2014. La demanderesse est aussi retournée en Colombie en février 2015.

[11]           L’appel a été entendu au cours de deux audiences qui ont eu lieu le 24 mars 2015 et le 1er juin 2015. La Commission a rejeté l’appel le 14 juillet 2015. Il s’agit de la décision faisant actuellement l’objet du contrôle judiciaire.

II.                Décision contestée

[12]           La Commission a rejeté l’appel de la demanderesse après avoir conclu que tant ses explications que celles de M. Escorcia manquaient de crédibilité et étaient déraisonnables, et qu’elles contenaient des incohérences et des contradictions graves et fondamentales. Le fait qu’ils n’ont pas été en mesure d’expliquer ces écarts, ces contradictions et ces préoccupations a incité la Commission à conclure que le mariage n’était pas authentique et avait donc été conclu principalement pour acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

[13]           La Commission a noté des incohérences entre les témoignages des époux quant à la fréquence des contacts relatifs à leur première rencontre par téléphone et a conclu qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait attendu trois ans pour prendre contact avec M. Escorcia pour la première fois si elle était vraiment intéressée. Ainsi, le manque de preuve entourant leur première rencontre en 2008 en plus de l’invraisemblance de la genèse de leur relation en 2011 minent la crédibilité de l’histoire de la demanderesse.

[14]           La Commission a tiré d’autres conclusions qui ont miné la crédibilité et la fiabilité du témoignage dans son ensemble, y compris l’incapacité à se rappeler qui avait demandé l’autre personne en mariage, l’incapacité à expliquer la raison du mariage précipité et l’omission d’en informer les membres de la famille, le manque de rapports familiaux, même des années après le mariage, le manque de connaissances sur l’autre personne, dont la nature de la relation de la demanderesse avec ses enfants, le manque de connaissances sur les caractéristiques physiques et les amis de l’autre personne, l’incapacité à formuler des plans d’avenir de façon cohérente et les antécédents en matière d’immigration de M. Escorcia.

III.             Cadre législatif

[15]           La disposition suivante du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, (DORS/2002­227) [le Règlement] est applicable en l’espèce :

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

b) n’est pas authentique.

 

(b) is not genuine.

 

IV.             Questions en litige

[16]           Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      Le commissaire a­t­il commis une erreur quand il a évalué l’authenticité du mariage, qu’il a affirmé que l’élément temporel du critère en vertu du Règlement correspondait au jour du mariage et qu’il a accordé plus d’importance à la période initiale de la relation plutôt qu’à celle qui a suivi le mariage?

2.      Le commissaire a­t­il commis une erreur quand il a tiré une conclusion relative à l’invraisemblance de la relation?

3.      Le commissaire a­t­il commis une erreur quand il a tenu compte des antécédents en matière d’immigration de l’époux visé par la demande de parrainage?

V.                Norme de contrôle

[17]           La décision relative à l’authenticité d’un mariage est une question de moyens mélangés de fait et de droit à laquelle s’applique une norme de contrôle de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47 et Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, paragraphes 17 et 18 [affaire Gill].

VI.             Analyse

A.                Le commissaire a­t­il commis une erreur quand il a évalué l’authenticité du mariage, qu’il a affirmé que l’élément temporel du critère en vertu du Règlement correspondait au jour du mariage et qu’il a accordé plus d’importance à la période initiale de la relation plutôt qu’à celle qui a suivi le mariage?

[18]           La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de la part du commissaire de se concentrer sur les activités du couple au moment de son mariage plutôt que sur les événements qui se sont produits depuis. La demanderesse se fonde que la décision rendue dans l’affaire Yadav c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 140, paragraphe 59 [affaire Yadav] pour appuyer sa position selon laquelle la période pendant laquelle l’entrevue d’évaluation a lieu est la période pertinente pour évaluer l’authenticité du mariage plutôt que la période pendant laquelle le mariage a été conclu. Elle se lit comme suit :

[59] La Cour doute que l’agente d’immigration se soit bien demandé si le mariage était authentique à la date de l’entrevue du 23 mai 2008, plutôt qu’à la date où le mariage a été contracté, en 2005. Le couple a aujourd’hui un enfant, il fait vie commune depuis trois ans, il a des activités professionnelles communes, il est propriétaire d’un logement, il assume une hypothèque, il a en commun une carte de crédit ainsi que des comptes bancaires et des comptes de services publics. Le couple est sans doute mêlé depuis longtemps à un dossier d’immigration, et le mari a sans doute été infidèle, mais ces facteurs n’influent pas nécessairement sur l’authenticité du mariage à la date de l’entrevue.

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Selon ce que je comprends de l’affaire Yadav, elle appuie la proposition selon laquelle la date de l’entrevue correspond à la période pertinente pour évaluer l’authenticité d’un mariage. Mais cela signifie seulement que les éléments de preuve pertinents à ce moment devraient normalement être pris en considération. L’affaire n’appuie pas la proposition selon laquelle les éléments de preuve découlant de la période qui a suivi le mariage devraient avoir plus de poids que ceux découlant de la période qui l’a précédé ou que les premiers éléments de preuve de la relation ou du mariage ne peuvent pas l’emporter sur ceux de la période suivant le mariage.

[20]           La Commission a fondé sa décision sur les éléments de preuve relatifs à la première rencontre du couple, au début de la relation, à la demande en mariage, au mariage, à l’importance des rapports familiaux, à l’importance des connaissances que chaque personne a de l’autre, aux plans futurs des époux et aux antécédents en matière d’immigration de l’époux visé par la demande de parrainage, ainsi qu’au temps passé ensemble et à leurs communications après le mariage. Je suis d’accord avec le défendeur, qui affirme que les éléments de preuve qui minent l’authenticité du mariage sont principalement concentrés dans la période qui a précédé le mariage.

[21]           Cependant, cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision. La question est toujours de savoir à quels éléments de preuve donner du poids pour déterminer l’authenticité du mariage. Selon moi, la plupart du temps, il faut accorder plus d’importance à ce qui se produit avant le mariage et au moment de celui­ci plutôt qu’à ce qui se passe après le mariage, et ce, pour un certain nombre de raisons. D’abord, la législation exige que le commissaire se concentre sur cette période pour déterminer la bonne foi du mariage.

[22]           Dans la décision qu’il a récemment rendue dans l’affaire Gill, le juge en chef Crampton explique ce point quand il parle des résultats des modifications apportées au libellé du Règlement :

[32]      Je reconnais qu’il puisse être pertinent d’examiner les éléments de preuve relatifs aux faits survenus après un mariage pour déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR [...]. Cela dit, de tels éléments de preuve ne sont pas nécessairement déterminants, et la SAI n’a pas nécessairement agi de façon déraisonnable en ayant omis de les examiner et de les analyser explicitement.

[33]      Il en est ainsi parce que, alors que le présent est utilisé dans l’énoncé du critère de l’article 4 du Règlement selon lequel il faut évaluer si le mariage contesté « n’est pas authentique », le second critère commande une évaluation visant à déterminer si le mariage « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » [...]. Par conséquent, pour déterminer si ce dernier critère est rempli, il faut s’attarder aux intentions des époux au moment du mariage.

[Non souligné dans l’original.]

[23]           À l’appui des conclusions du juge en chef, je souligne que l’évaluation de l’authenticité d’un mariage est une tâche difficile, même dans les meilleures conditions. Les personnes qui ont l’intention d’avoir recours à une forme de tromperie pour obtenir le très précieux statut de résident permanent canadien se conduiront de façon que la relation semble extérieurement authentique, même si elle ne l’est pas. Par conséquent, le décideur qui évalue la fiabilité des éléments de preuve devrait chercher à faire la distinction entre les éléments de preuve qui peuvent être manipulés ou inventés de façon à démontrer extérieurement l’authenticité et ceux qui sont réellement spontanés. Je pense qu’il est assez juste d’affirmer que les éléments de preuve qui démontrent comment la relation a commencé, a évolué et a finalement abouti au mariage sont plus difficiles à manipuler à des fins illégitimes que les éléments de preuve postérieurs au mariage. On leur accorderait normalement une grande importance s’ils laissaient penser que le fondement du mariage n’était pas solide et que de solides éléments de preuve postérieurs au mariage étaient nécessaires pour les réfuter.

[24]           De façon générale, c’est ce qui s’est produit en l’espèce : il a été déterminé que le début de la relation et le mariage rapide n’avaient pas réellement de fondement raisonnable et qu’il y avait notamment des problèmes de crédibilité importants sur la façon dont la relation a abouti. Les éléments de preuve relatifs à l’absence de rapports familiaux, au manque de connaissances et à d’autres facteurs sont de moindre importance. Le commissaire a déterminé, lors de l’appréciation de l’ensemble de la preuve, que les éléments de preuve postérieurs au mariage – les communications par Skype et par courriel en plus des visites et des voyages et de certains montants d’argent envoyés à M. Escorcia – ne pouvaient pas démontrer que le mariage était authentique.

[25]           En raison de la norme de déférence qui s’applique à l’évaluation de cette décision, la Cour conclut qu’il n’y a pas d’erreur susceptible de révision dans la décision du commissaire de se concentrer sur la période initiale de la relation pour ce qui est du poids qui lui est accordé et que la décision du commissaire appartient aux issues possibles acceptables.

B.                 Le commissaire a­t­il commis une erreur quand il a tiré une conclusion relative à l’invraisemblance de la relation?

[26]           La demanderesse souligne que le commissaire a contesté son témoignage de façon inappropriée en fonction de conclusions relatives à la vraisemblance alors qu’aucune preuve manifeste ne permettait de le faire. À cet égard, elle a cité un certain nombre d’affaires qui étayent ses affirmations selon lesquelles les conclusions sur la vraisemblance sont dangereuses et ne devraient être tirées que s’il y a une preuve manifeste fiable et vérifiable : Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 275, paragraphe 74; Lozano Pulido c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 209, paragraphe 37; Gjelaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 37, paragraphe 3.

[27]           Je suis d’accord avec le défendeur, qui souligne que les déclarations du commissaire sur la vraisemblance sont bien étayées dans les motifs. Je conviens également que les conclusions relatives à la vraisemblance décrites par la demanderesse sont entrecoupées par de nombreuses conclusions défavorables sur la crédibilité qui atténuent toute préoccupation quant au caractère déraisonnable des conclusions relatives à la vraisemblance.

[28]           Ces conclusions comprendraient des incohérences sur les éléments suivants : la façon dont les époux se sont parlé pour la première fois en 2008; le délai de trois ans qui s’est écoulé avant que la demanderesse communique avec M. Escorcia; le fait que la demanderesse a eu besoin de chercher le numéro de téléphone de M. Escorcia alors qu’elle avait précédemment affirmé qu’elle l’avait déjà; la personne qui a demandé l’autre en mariage et, en tout état de cause, par téléphone et avant de se rencontrer en personne; le fait que la relation a progressé rapidement en six semaines et que le mariage a été célébré dans les deux semaines qui ont suivi la première rencontre entre la demanderesse et M. Escorcia; le fait qu’un seul membre de chaque famille a assisté au mariage; le retour de la demanderesse au Canada le jour même du mariage.

[29]           Bien que cela ne soit pas nécessaire pour rendre une décision en l’espèce, je répète le point de vue que j’ai exprimé dans l’affaire K.K. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 78 selon lequel les conclusions relatives à la vraisemblance, qu’elles soient associées à la crédibilité ou à un autre élément, constituent essentiellement le rejet par le décideur d’un fait inféré allégué par une partie et qui doit être fait selon une simple prépondérance des probabilités. Quand de telles conclusions font l’objet d’un contrôle par la Cour, elles sont assujetties à la même déférence qui s’applique à n’importe quelle conclusion de fait tirée par un tribunal administratif. En d’autres mots, avec tout le respect que je dois à la demanderesse, je suis en désaccord avec ses déclarations selon lesquelles les conclusions fondées sur la vraisemblance sont dangereuses et ne devraient être tirées que dans les affaires les plus claires, même si, de toute évidence, ces conclusions doivent être étayées par un fondement probatoire fiable et vérifiable et qu’il ne faut pas perdre de vue à qui incombe le fardeau du fait sous­jacent considéré comme invraisemblable.

[30]           Une inférence est une déduction de fait qui peut être logiquement et raisonnablement faite à partir d’un autre fait ou d’un groupe de faits ou qui peut être autrement établie dans le cadre des procédures. Le processus qui mène à la détermination d’inférences nécessite un raisonnement inductif qui donne lieu à de nouvelles conclusions ou à de nouveaux faits à partir des faits principaux en fonction de l’uniformité de l’expérience humaine antérieure. Si les prémisses ou les faits principaux sont acceptés, ils doivent, pour constituer une conclusion ou un fait inductif, être suivis d’un certain niveau de vraisemblance, rien de plus. La conclusion n’est pas inhérente à la prémisse ou à l’élément de preuve présenté; il s’agit plutôt d’un nouveau fait qui découle de l’interprétation de cet élément de preuve.

[31]           En l’espèce, la demanderesse et M. Escorcia ont dû démontrer qu’ils avaient une intention authentique quand ils se sont mariés. Les intentions ne peuvent être déterminées que par la conduite des parties puisque aucun appareil ne permet encore de lire dans l’esprit des gens. Ainsi, en l’espèce, l’intention authentique des époux a dû être déterminée par inférence à partir des principaux faits qui l’étayeraient en tant que probabilité raisonnable en fonction de l’expérience humaine antérieure. En l’espèce, certains des principaux faits qui pourraient étayer un fait inféré d’intention authentique pour le mariage sont les suivants :

         la demanderesse a commencé à être attirée par M. Escorcia lors des conversations qu’ils avaient quand elle téléphonait à son ancien petit ami;

         il n’y a eu aucun suivi pendant plus de trois années après 2008, supposément parce que la demanderesse ne voulait pas contrarier son ancien petit ami, avec lequel elle était en bons termes, et qu’elle avait semble­t­il besoin qu’il lui donne le numéro de téléphone de M. Escorcia, et ce, même si elle n’en avait pas eu besoin avant;

         en fonction d’une série d’appels téléphoniques, la demanderesse et M. Escorcia sont allés de l’avant rapidement, la demande en mariage ayant été faite par l’un d’eux dans moins d’un mois sans qu’ils ne se soient jamais rencontrés en personne, et ils se sont mariés peu après.

[32]           En raison de la conduite des époux, en plus des incohérences dans leur témoignage, le commissaire a conclu qu’un certain nombre de leurs déclarations n’étaient ni vraisemblables ni croyables. Par exemple, le commissaire a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Étant donné le peu de contacts qu’ils ont eus dans les trois années qui ont précédé, leur histoire, selon la prépondérance des probabilités, n’est pas vraisemblable ». À mon avis, il s’agit d’un énoncé approprié de la norme qui s’applique à la conclusion relative à la vraisemblance.

[33]           L’utilisation de termes comme « histoire » ou « conclusion » pour décrire le manque de vraisemblance est une façon courante d’exprimer le rejet d’un fait inféré allégué, en l’espèce, l’intention authentique du mariage. Le commissaire aurait pu affirmer que, selon la conduite des époux décrite ci­dessus et les incohérences dans leur témoignage, il avait considéré comme un fait établi qu’ils n’avaient pas affiché une intention authentique de se marier. En d’autres mots, les faits principaux relatifs à leur conduite et l’expérience humaine commune n’appuient pas le fait inféré allégué selon lequel leur intention était authentique. Si on s’exprime de cette manière, il est clair que la prémisse sous­jacente du rejet pour des motifs de crédibilité, y compris les conclusions défavorables sur la crédibilité qui pourraient en découler, est fondée sur le fait que les époux n’ont pas réussi à prouver le fait inféré de leur intention authentique de se marier. Le fardeau de démontrer l’authenticité de leur mariage incombe aux époux. Le commissaire peut conclure que les éléments de preuve n’ont pas démontré le fait selon la prépondérance habituelle des probabilités. Par ailleurs, le rejet du fait inféré pour des motifs d’invraisemblance (le fait inféré n’a pas été prouvé) doit faire l’objet de déférence, conformément aux principes de contrôle ordinaires des tribunaux administratifs et à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F­7.

C.                 Le commissaire a­t­il commis une erreur quand il a tenu compte des antécédents en matière d’immigration de l’époux visé par la demande de parrainage?

[34]           La demanderesse affirme que le commissaire a commis une erreur quand il a tenu compte des antécédents en matière d’immigration de M. Escorcia pour décider si le mariage avait été conclu de bonne foi. Elle cite le paragraphe 19 de l’affaire Tamber c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 951 [affaire Tamber], dans lequel la Cour a affirmé ce qui suit :

En outre, la Commission a fait l’observation selon laquelle M. Singh désirait vivement immigrer au Canada. Cela va de soi. La plupart des personnes qui cherchent à venir au Canada sont vivement désireuses de le faire. Cela ne dit pas grand­chose sur la question de savoir si une relation conjugale donnée est authentique.

[35]           Dans cette affaire, la Commission s’était fondée sur le fait que l’époux de la demanderesse avait précédemment vu sa demande de statut de réfugié rejetée comme principale raison pour conclure que son mariage n’était pas authentique. Par ailleurs, des éléments de preuve importants postérieurs au mariage démontraient, par exemple, que le couple avait habité ensemble et avait eu un enfant, ce qui appuyait la conclusion selon laquelle le mariage était authentique.

[36]           Chaque affaire doit être examinée en fonction des faits. Je ne crois pas que la Cour dans l’affaire Tamber avait l’intention de déclarer que les antécédents en matière d’immigration de l’époux étranger visé par la demande de parrainage n’étaient en aucun cas pertinents. Le rapport que je retiens de cette affaire, c’est que les antécédents en matière d’immigration ne devraient pas être déterminants, du moins pas quand une seule demande de statut de réfugié a été rejetée et qu’il y a peu d’éléments de preuve qui démontrent que le mariage n’était pas authentique.

[37]           En l’espèce, je suis d’accord avec le commissaire, qui affirme que les antécédents en matière d’immigration d’un étranger sont pertinents, mais qu’ils ne constituent pas un facteur déterminant dans l’évaluation visant à déterminer si le mariage a été conclu de bonne foi. Je peux l’affirmer parce que je pense que la motivation d’un étranger pour conclure un mariage a tendance à constituer un élément clé de préoccupation dans ces affaires au chapitre de l’objet de l’article 4 du Règlement. Habituellement, il n’y a pas de questions d’immigration en ce qui a trait au résident permanent qui assure le parrainage ou du conjoint d’un citoyen canadien qui a conclu un mariage de mauvaise foi. À l’inverse, que le mariage dure ou non, l’étranger conservera l’avantage de l’obtention du statut de résident permanent canadien si ce statut lui est accordé à titre de conjoint parrainé. C’est pourquoi je suis d’avis que tout élément de preuve qui démontre l’intention ou la motivation de l’étranger doit être évalué avec soin et pris en compte, et que cet élément de preuve peut comprendre le dossier d’immigration de l’étranger.

[38]           Le poids qu’il convient d’accorder à cet élément de preuve constitue, bien entendu, une autre question. De toute évidence, trop de poids a été accordé à ce facteur dans l’affaire Tamber. En l’espèce, toutefois, je ne constate aucune erreur dans le fait que le commissaire a tenu compte des antécédents en matière d’immigration de M. Escorcia et qu’il a considéré ces antécédents comme un autre facteur appuyant la conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique.

[39]           Le commissaire a conclu que le désir de M. Escorcia de venir au Canada était pertinent étant donné qu’il était déménagé au Canada à deux reprises et qu’il avait tenté de demeurer au Canada au moyen d’une demande de statut de réfugié lors de la seconde occasion. Selon le commissaire, il convenait aussi de noter qu’aucun élément de preuve ne démontrait que M. Escorcia avait quitté le Canada pour une raison autre que celle d’être avec sa mère, qui était en phase terminale, abandonnant sa demande de statut de réfugié parce que le risque perçu présumé n’existait plus.

VII.          Conclusion

[40]           Conformément aux raisons soulignées ci­dessous, je ne relève aucune erreur susceptible de révision, comme le prétend la demanderesse. Au contraire, la décision de la Commission appartient aux issues possibles acceptables et elle est étayée par des raisons intelligibles et transparentes qui se justifient au regard des faits et du droit.

[41]           La demande est rejetée. Aucune question n’a été posée aux fins de certification, et aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3524-15

 

INTITULÉ :

LILIBETH PABICO BERCASIO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

Pour la demanderesse

 

Ildiko Erdei

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz, avocat­procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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