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Date : 20160216


Dossier : IMM-3058-15

Référence : 2016 CF 204

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MORIYIKE EGBESOLA

TENIOLA EGBESOLA (MINEUR)

OLATEJU EGBESOLA (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de refuser leur demande d’asile.

[2]               Les demandeurs sont une mère, Moriyike Egbesola, son fils, Olateju Egbesola, et sa fille, Teniola Egbesola, qui sont tous deux mineurs. Les demandeurs sont des citoyens du Nigeria. Ils ont demandé l’asile au Canada au motif que, en cas de retour au Nigeria, la mère (la demanderesse principale) et sa fille seront soumises à une mutilation génitale féminine.

[3]               La demande doit être rejetée pour les motifs suivants.

Contexte

[4]               La demanderesse principale affirme que la famille élargie de son mari a essayé de la forcer, ainsi que sa fille, à subir une mutilation génitale féminine. En juillet 2013, la famille du mari de la demanderesse principale a suggéré que sa fille subisse une mutilation génitale féminine. Dans un premier temps, le mari, Olusola Kunle Egbesola, s’est joint à la demanderesse principale pour s’opposer à la mutilation génitale féminine. Cependant, après que sa famille élargie eut exercé des pressions sur lui, il a commencé à modifier sa position et, en juillet 2014, a finalement accepté que sa femme et sa fille subissent une mutilation génitale féminine le 30 novembre 2014. La demanderesse principale a fait semblant d’acquiescer aux désirs de son mari, tout en planifiant secrètement de se rendre au Canada et d’y demander une protection.

[5]               Le 23 août 2014, les demandeurs ont quitté le Nigeria pour passer des vacances aux États-Unis. Le 25 août 2014, ils ont été rejoints par le mari de la demanderesse principale. Le mari est rentré au Nigeria le 8 septembre 2014, et les demandeurs étaient censés revenir le 10 septembre 2014. Au lieu de cela, les demandeurs sont restés aux États-Unis et ont pris des dispositions, avec l’aide d’un agent, pour entrer au Canada afin de présenter des demandes d’asile.

[6]               Le 1er octobre 2014, les demandeurs sont entrés au Canada en compagnie de l’agent. Ils ont fait des demandes d’asile deux semaines plus tard, à Toronto.

[7]               Le 21 janvier 2015, la SPR a réfuté les prétentions des demandeurs. Elle a jugé que l’histoire de la demanderesse principale manquait de crédibilité et, en se fondant essentiellement sur cette preuve, a constaté que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes ayant besoin de protection. À titre subsidiaire, la SPR a également jugé qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) existait à Port Harcourt, au Nigeria.

[8]               Dans le cadre de leur appel à la SAR, les demandeurs ont soulevé quatre questions, y compris l’allégation selon laquelle la SPR avait omis de procéder à une analyse approfondie de la PRI. La SAR a fondé sa décision uniquement sur la conclusion de la SPR à l’égard de la PRI, qu’elle a jugée raisonnable.

Questions en litige

[9]               Les demandeurs soulèvent plusieurs questions sur le contrôle judiciaire, mais ils admettent que si la conclusion de la SPR à l’égard de la PRI est raisonnable, ce sera un facteur déterminant pour la demande. Comme j’estime que la conclusion relative à la PRI est raisonnable, les autres questions soulevées, qui peuvent être justifiées, n’ont pas à être prises en compte.

Analyse

[10]           Les demandeurs contestent l’affirmation de la SAR selon laquelle Port Harcourt est une PRI. Premièrement, ils font valoir que l’analyse de la SAR n’a pas tenu compte du rapport du Dr Gerald Devins, qui a constaté que la demanderesse principale souffrait du trouble de stress post-traumatique, que son traitement [TRADUCTION] « ne devait pas être interrompu » et que « si la permission de demeurer au Canada était refusée, son état se détériorerait ». Dr Devins a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « L’état de Mme Egbesola peut s’améliorer grâce à des soins appropriés et au fait de ne pas avoir à se soucier de la menace de renvoi », et qu’« il sera impossible pour Mme Egbesola de se sentir en sécurité n’importe où au Nigeria. » Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte d’une preuve documentaire pertinente lors de l’évaluation de l’admissibilité de Port Harcourt en tant que PRI. Troisièmement, ils soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle la demanderesse principale aurait de faibles perspectives d’emploi à Port Harcourt. Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR a omis d’évaluer raisonnablement leur affirmation selon laquelle la famille du mari de la demanderesse et la police nigériane sont à la recherche de la demanderesse principale et seront en mesure de la trouver n’importe où au Nigeria. Je vais répondre à ces quatre arguments en détail.

[11]           En ce qui concerne le premier argument, je reconnais que la SAR ne mentionne pas nommément le rapport du Dr Devins, mais ce seul fait ne démontre pas qu’elle a omis d’en tenir compte. Le rapport doit être pris en considération selon ce qu’il peut réellement établir d’un point de vue probant.

Tels que présentés par le défendeur, les « faits » sur lesquels se fonde le rapport sont ceux qui ont été rapportés au Dr Devins par la demanderesse principale, et ne sont donc pas des faits jusqu’à ce que le tribunal les juge comme tels. Ce qui peut raisonnablement ressortir du rapport, c’est que la demanderesse principale souffre d’un trouble de stress post-traumatique, et qu’elle doit suivre un traitement médical pour cela. La Cour a observé que des rapports comme celui-là, qui sont présentés à la SAR, peuvent franchir la ligne qui sépare l’opinion d’experts du plaidoyer : Molefe c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 317 [Molefe]. Dans l’affaire Molefe, le juge Mosley a conclu au paragraphe 34 que le rapport soumis dans cette affaire-là, également de la part du Dr Devins, avait franchi la ligne et n’était pas « [TRADUCTION] d’une telle importance pour une question centrale de l’affaire que le fait de ne pas le mentionner ni l’analyser nous oblige à conclure que la décision n’a pas été rendue en conformité avec les éléments de preuve ». Le juge Mosley a écrit au paragraphe 32 :[TRADUCTION]

À mon avis, le rapport du Dr Devins franchit la ligne qui sépare l’opinion d’experts du plaidoyer. En effet, la conclusion est la suivante :

L’état de Mme Molefe peut s’améliorer grâce à des soins appropriés et au fait de ne pas avoir à se soucier de la menace de renvoi. Par conséquent, c’est une bonne chose qu’elle reçoive actuellement des services de consultation soutenus. Cela ne devrait pas être interrompu. Si la permission de demeurer au Canada est refusée, son état va se détériorer. Comme il est indiqué, il sera impossible pour Mme Molefe de se sentir en sécurité n’importe où au Botswana.

[12]           Dans le cas présent, les termes utilisés par le Dr Devins dans son rapport sont pratiquement identiques. Voici ce qu’il écrit :

[TRADUCTION]

L’état de Mme Egbesola peut s’améliorer grâce à des soins appropriés et au fait de ne pas avoir à se soucier de la menace de renvoi. Si la permission de demeurer au Canada est refusée, son état va se détériorer. Comme il est indiqué, il sera impossible pour Mme Egbesola de se sentir en sécurité n’importe où au Nigeria.

[13]           Comme le juge Mosley, je suis d’avis que le médecin est devenu un défenseur, et que la déclaration selon laquelle la demanderesse principale ne se sentira en sécurité nulle part au Nigeria n’a pratiquement aucune valeur probante. Dans la mesure où le rapport offre effectivement un avis d’expert, la SAR a examiné si la demanderesse aurait accès à des soins de santé à Port Harcourt et a conclu que ce serait le cas. Cette conclusion n’est pas contestée par la demanderesse principale. Par conséquent, le fait de ne pas aborder directement le rapport médical ne rend pas déraisonnable la conclusion relative à la PRI.

[14]           Quant au deuxième argument, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment que la SAR n’a pas tenu compte d’une preuve documentaire pertinente lors de l’évaluation de l’admissibilité de Port Harcourt comme PRI. On a fait valoir que la SAR n’a pas effectué un examen adéquat pour déterminer si Port Harcourt était une PRI appropriée pour la demanderesse compte tenu de sa situation personnelle, même si, objectivement, elle pouvait obtenir une protection là-bas.

[15]           Dans mon évaluation, la plupart des renseignements mentionnés par les demandeurs sont conformes à la décision de la SAR. Elle laisse entendre qu’un déménagement au Nigeria est une option réaliste pour les femmes adultes, notamment dans les cas touchant la mutilation génitale féminine, mais prévient que certaines femmes peuvent être vulnérables aux abus, particulièrement en cas de déménagement dans une région où elles n’ont pas de famille. La demanderesse principale ne correspond pas à ce profil. Elle a au moins un lien de parenté à Port Harcourt : l’oncle qui a présenté un affidavit en son nom. Bien que le témoignage de cet oncle n’ait pas été jugé crédible, il ressort de son affidavit qu’il ne pense pas qu’elle soit une sorcière et qu’il appuie sa résistance à la mutilation génitale féminine. Par conséquent, la demanderesse principale aura un certain soutien personnel dans la région constituant un refuge intérieur.

[16]           Quant au troisième argument, les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve sur les perspectives d’emploi de la demanderesse principale. Dans le mémoire des arguments qu’ils ont présenté à la SAR, les demandeurs font valoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

L’appelante a témoigné qu’elle aurait besoin du soutien financier, matériel et affectif de son mari et de sa famille en cas de retour au Nigeria, qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir, d’autant plus que son mari est maintenant au chômage.

La demanderesse principale serait également sans emploi à son arrivée au Nigeria; par conséquent, sa famille n’aurait absolument aucune source de revenu. Bien que l’appelante principale soit instruite, la réalité de la situation de l’emploi est sombre. Même pour les personnes qui sont instruites et qui ont de l’expérience, trouver un emploi et le garder peut s’avérer difficile.

[17]           Je n’accepte pas le fait que la SAR ait fait abstraction de ces arguments; elle n’était tout simplement pas d’accord avec la suggestion selon laquelle les perspectives d’emploi de la demanderesse principale étaient sombres. La SAR avait conscience de l’importance des perspectives d’emploi à Port Harcourt; c’est pourquoi elle a fait remarquer que Port Harcourt est une [TRADUCTION] « grande ville industrielle et c’est le chef-lieu du raffinage de pétrole au Nigeria ». Compte tenu des antécédents de la demanderesse principale à titre de comptable, sa détermination sur ce point était raisonnable.

[18]           Enfin, la SAR a bel et bien examiné l’affirmation selon laquelle la famille du mari de la demanderesse principale et la police sont à la recherche de la demanderesse principale et qu’ils seront en mesure de la retrouver n’importe où dans le pays. La SAR a jugé que ces allégations ne sont pas crédibles à la lumière des difficultés de communication qu’éprouvent la police et le réseau scolaire public, et de la très grande superficie du pays (177 millions d’habitants et un territoire d’un peu moins d’un million de kilomètres carrés). La SAR a également exprimé des doutes quant au fait que la police aiderait la famille du mari à rechercher la demanderesse principale à Port Harcourt, étant donné que la mutilation génitale féminine est interdite dans l’État tout entier, dont Port Harcourt est la capitale. Nonobstant les observations fondées de l’avocat, je ne suis pas convaincu que l’interprétation par la SAR de la preuve documentaire sur les difficultés de communication de la police et des écoles publiques était déraisonnable.

[19]           Examinée dans son ensemble, j’estime que la décision de la SAR est raisonnable et ne devrait pas être annulée à l’examen.

[20]           Il n’y avait aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3058-15

 

INTITULÉ :

MORIYIKE EGBESOLA ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 FÉVRIER 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 16 FÉVRIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

Pour les demandeurs

 

David Joseph

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnson Babalola

Avocat-procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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