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Date : 20160216


Dossier : IMM-525-16

Référence : 2016 CF 201

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 16 février 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

EKENS AZUBUIKE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Le défendeur Ekens Azubuike est citoyen du Nigéria. Il est arrivé au Canada en 2007 avec un faux passeport allemand, après quoi il a demandé le statut de réfugié. Lorsqu’il était au Nigéria, M. Azubuike était membre et ardent défenseur du MASSOB, le mouvement pour l’actualisation de l’État du Biafra, qui milite pour la division du pays en vue de créer un état indépendant pour la population du Biafra, et il prête toujours allégeance au groupe depuis qu’il est au Canada. Parmi les preuves que contient la demande de statut de réfugié de M. Azubuike, on compte un jugement de la haute cour de l’État d’Imo de la circonscription judiciaire de Orlu, au Nigéria, rendu le 19 décembre 2005 qui l’a condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité in absentia. Le jugement a prétendument été signé par le juge Nwaiwu Ekeoma. Le 16 décembre 2010, à la suite d’une demande de vérification de la part du gouvernement du Canada, l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) a fait savoir au ministre que le jugement était falsifié et que la haute cour de l’État d’Imo ne comptait aucun juge du nom de Nwaiwu Ekeoma. Par conséquent, M. Azubuike a été cité à comparaître devant la Section de la protection des réfugiés, où s’est tenue une audience sur la révocation de son statut de réfugié. Dans son jugement rendu le 3 juin 2014, la Section de la protection des réfugiés ordonne l’annulation de son statut de personne protégée. M. Azubuike a demandé en vain une révision judiciaire de la révocation de son statut de réfugié.

[2]               Les douaniers de l’Agence des services frontaliers du Canada ont finalement renvoyé M. Azubuike au Nigéria le 6 octobre 2015. Il a quitté le pays avec un passeport nigérien. Lorsqu’on lui a demandé de rendre son passeport canadien, M. Azubuike a indiqué à un agent d’immigration qu’il l’avait perdu. Des douaniers de l’Agence des services frontaliers du Canada ont informé M. Azubuike que son passeport n’était plus valide et que, puisqu’il était déporté, il ne serait plus autorisé à entrer à nouveau au Canada sans autorisation. Le 29 novembre 2015, M. Azubuike est entré à nouveau au Canada, par le Maroc, à l’aide du même passeport qu’il avait déclaré perdu. À son arrivée au pays, il a signalé à un agent d’immigration que son passeport n’était plus valide, un geste tout à son honneur. Après avoir mené une vérification de routine, la Section de l’immigration a placé M. Azubuike en détention conformément à l’article 55 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) [la Loi]. Il y a lieu de mentionner qu’avant sa détention, M. Azubuike avait demandé l’assistance du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Une demande de mesures provisoires aurait apparemment été faite pour que le Canada impose un sursis à la mesure de renvoi visant M. Azubuike, qui est sujette à l’intervention du ministre. Je souligne au passage que la preuve documentaire de cette demande n’est pas devant moi, mais que les deux parties ont reconnu son existence et ses effets.

[3]               M. Azubuike est détenu depuis le 29 novembre 2015. Après chacun des contrôles des motifs justifiant le maintien en détention (dans les quarante­huit heures suivant le début de la détention [article 57(1) de la Loi], dans les sept jours suivant le premier contrôle et trente jours suivant le contrôle précédent [article 57(2) de la Loi), les commissaires ont conclu que M. Azubuike présentait un risque de fuite et ont ordonné son maintien en détention. Lors du deuxième contrôle des motifs de détention après trente jours, soit le 3 février 2016, la commissaire Tordoff a convenu avec ses prédécesseurs que, même s’il présentait un risque de fuite, M. Azubuike pouvait être libéré sous conditions, notamment que sa garante, la tante de sa fiancée, paie une caution de 3 000 $, qu’il demeure chez sa garante, qu’il se rapporte une fois par semaine à un bureau de l’Agence des services frontaliers du Canada et qu’il comparaisse à la demande de l’organisme.

II.                Mesures prises relativement à la requête en sursis en vigueur

[4]               Le 3 février 2016 vers 18 h, le ministre a demandé à la Cour d’ordonner, par l’entremise des bureaux du greffier, que M. Azubuike demeure détenu le temps qu’il prépare une requête d’urgence en vue d’obtenir le sursis de l’ordonnance de mise en liberté. J’ai cependant refusé sa demande. J’ai indiqué au greffier d’informer l’avocat du ministre que, puisqu’il s’agit d’un cas où la liberté d’un individu est en jeu, je ne donnerais pas d’» ordre » par rapport à des questions de fond et que je me sentirais investi du pouvoir d’intervenir lorsque les documents nécessaires allaient être déposés devant un tribunal. Vers 20 h, après que la présente requête de suspension provisoire de la libération de M. Azubuike eut été remplie, celle­ci a été entendue et accordée. La suspension resterait en vigueur jusqu’au vendredi 5 février 2016 à 10 h, ou jusqu’à ce qu’il y ait une nouvelle ordonnance de la Cour. Le 5 février à 10 h, l’avocat du ministre et celui de M. Azubuike ont comparu devant moi par téléconférence. Après que l’avocat de M. Azubuike eut plaidé que la procédure était injuste puisqu’il n’avait pas suffisamment de temps pour déposer les documents, j’ai ajourné l’affaire au 8 février 2016 à 14 h, où j’ai à nouveau entendu les parties. Le 9 février 2016, j’ai reçu une copie « non officielle » de la décision de la commissaire Tordoff en date du 3 février 2016. Le 12 février 2016, j’ai reçu la transcription officielle de l’audience sur le contrôle des motifs de détention.

III.             Critères applicables

[5]               En ce qui concerne cette requête en sursis en attendant l’audition de la demande d’autorisation et de révision judiciaire, je me dois d’appliquer le critère conjoint en trois étapes énoncé dans les affaires RJR ­­ Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 et Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 1988, 6 Imm LR (2d) 123. Afin d’obtenir le recours demandé, le ministre doit démontrer la gravité de l’affaire, qu’il subira un préjudice irréparable s’il n’obtient pas gain de cause et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis. Dans le cas où le ministre parvient à répondre aux trois étapes du critère, je pourrais alors exercer mon droit discrétionnaire et accorder le sursis. Si le ministère omet de répondre à une seule étape du critère, la requête doit être rejetée.

IV.              Analyse

[6]               Après avoir pris en compte le passé de M. Azubuike, la commissaire a conclu, comme certains autres de ses collègues, que celui­ci présente un risque de fuite. Toutefois, le ministre ne soutient pas que l’homme pose un danger pour le public. Par conséquent, il n’y a pas de question grave à trancher selon l’article 58(1) de la Loi, puisque le ministre et la commissaire sont du même avis sur ces points.

[7]               Le ministre affirme que la commissaire ne dispose pas de nouvelle information permettant de justifier une dérogation aux décisions précédentes relativement au contrôle des motifs de détention. En tout respect, je ne suis pas de cet avis. Premièrement, lors du dernier contrôle des motifs de détention, la garante de M. Azubuike a déposé une caution de 3 000 $ au lieu des 2 000 $ offerts précédemment par un autre garant. Bien que la différence semble négligeable, il s’agit d’une nouvelle information. Deuxièmement, la nouvelle caution de 3 000 $ offerte représente, au dire de la commissaire, toutes les économies de la garante. M. Azubuike est donc conscient que, dans le cas où il s’enfuit, les conséquences seraient graves pour sa garante. Il s’agit d’une autre différence par rapport aux circonstances lors des contrôles des motifs de détention précédents. Troisièmement, dans les circonstances particulières de cette affaire, j’estime que la preuve d’» inaction » de la part du ministre constitue une « nouvelle preuve » prise en compte par la commissaire. Permettez­moi de m’expliquer. Comme je l’ai mentionné précédemment, avant sa détention, M. Azubuike avait demandé l’assistance du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Le ministre aurait donc pu, à partir du 29 novembre 2015, décider s’il allait renvoyer M. Azubuike. La commissaire a écrit que : [traduction] « […] le ministre de la Sécurité publique [sic] travaillait sur certains dossiers afin qu’on puisse procéder à votre renvoi […] ». Un « dossier » semblable, sinon identique, était en train d’être préparé pour être transmis par la filière lors du contrôle précédent. La commissaire a alors conclu qu’il était « impossible » de déterminer le « temps de détention prévu ». L’absence de réaction pendant trente jours supplémentaires de la part du ministre par rapport à l’intervention des Nations Unies constitue une information non révélée lors des contrôles précédents.

[8]               Le ministre prétend également que la commissaire n’a pas pris en compte le contrôle qu’est en mesure d’exercer la garante sur M. Azubuike. Il s’appuie en partie sur l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Torres Vargas, 2009 CF 1005 [Vargas]. À mon avis, l’affaire Vargas ne s’apparente en rien à la présente affaire en raison des lourds antécédents criminels de M. Vargas et du danger qu’il pose pour le public. En fait, l’enquête visait principalement à établir si la garante de M. Vargas était en mesure de gérer la « dangerosité » de celui­ci (Vargas, paragraphe 55 de l’affaire citée précédemment). Dans le cas présent, contrairement à l’affaire Vargas, le ministre ne prétend pas que M. Azubuike pose un danger pour le public. En outre, les preuves relatives au contrôle, qui ont toutes été évoquées par la commissaire, comprennent l’identité du garant, sa relation avec M. Azubuike et sa fiancée, le montant de la caution et l’état de conscience de M. Azubuike par rapport au fait que cette caution représente toutes les économies de la garante.

[9]               À la lumière de ce qui est présenté aux paragraphes 7 et 8, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du ministre selon laquelle la commissaire ne disposait d’« aucune nouvelle information » depuis les contrôles des motifs de détention précédents, et je suis convaincu que celle­ci a examiné la question du contrôle de la garante sur M. Azubuike. La commissaire disposait des compétences nécessaires et a utilisé son pouvoir discrétionnaire conformément à l’article 248 du Règlement sur la protection sur l’immigration et des réfugiés (DORS/2002­227).

[10]           Compte tenu de la norme du contrôle judiciaire, à savoir le caractère raisonnable de la décision, je ne suis pas convaincu que le ministre a su établir la gravité de l’affaire. Par conséquent, le critère en trois étapes n’a pas été satisfait et la requête déposée en vue d’obtenir le sursis de l’ordonnance de mise en liberté de M. Azubuike est rejetée.

[11]           Il serait toutefois irresponsable de ma part de ne pas relever, de façon incidente, que je suis grandement préoccupé par les deux autres étapes du critère. En raison du comportement antérieur de M. Azubuike, qui a clairement enfreint les lois canadiennes en matière d’immigration, utilisé des documents falsifiés et trompé les autorités en toute connaissance de cause, ainsi que du caractère théorique de la question soulevée, je crois que le ministre est parvenu à satisfaire uniquement aux deux dernières étapes, ce qui est insuffisant.

[12]           M. Azubuike souhaite par ailleurs être remboursé de ses dépens. Une attribution des dépens constitue un recours équivalent qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Cette dernière peut ainsi tenir compte du comportement des parties pour décider d’accorder un tel recours (Banque Hongkong du Canada c. Wheeler Holdings Ltd., [1993] 1 RCS 167; p. 191). M. Azubuike ne se présente pas devant la Cour exempt de reproches. Alors qu’il était inadmissible, il est entré au Canada en utilisant un passeport qui n’était plus valide, et ce, en toute connaissance de cause. Il semble avoir trompé les autorités quant à l’endroit où se trouvait ce document. Dans les circonstances, l’attribution des dépens n’est pas accordée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête déposée en vue d’obtenir le sursis de l’ordonnance de mise en liberté de M. Azubuike rendue par la Section de l’immigration est rejetée, sans attribution des dépens. L’ordonnance provisoire que j’ai rendue initialement, le 3 février 2016, est annulée.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-525-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. EKENS AZUBUIKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE (TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE) :

 

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrea Shahin

Anne Renée Touchette

 

Pour le demandeur

 

Stewart Istvanffy

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le DEMANDEUR

 

Stewart Istvanffy

Avocat­procureur

Montréal (Québec)

 

Pour le DÉFENDEUR

 

 

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