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Date : 20160215


Dossier : IMM-7710-14

Référence : 2016 CF 200

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

KRISHNAKUMAR SANMUGALINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a constaté qu’il n’est pas ni un réfugié ni une personne à protéger.

[2]               Pour les motifs plus détaillés qui suivent, j’estime que la SAR a rempli son rôle en tant que tribunal d’appel et n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve ou en refusant de tenir une audience et que sa confirmation de la décision de la SPR était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un Tamoul du nord du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 16 août 2013 et a demandé l’asile peu après. Il raconte le harcèlement, les arrestations, les agressions et la détention par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [LTTE] dans les années 2000 et à son retour au Sri Lanka en 2005 et 2008.

[4]               Il a travaillé à Dubaï de décembre 2005 à octobre 2008. Il raconte qu’à son retour, il a été détenu par la police à trois reprises, mais a été libéré après avoir payé un pot-de-vin.

[5]               Il a également travaillé en Arabie saoudite de 2009 à 2011 et raconte qu’à son retour, il a été détenu et interrogé à l’aéroport comme prétexte pour lui extorquer de l’argent parce qu’il est Tamoul.

[6]               En 2012, le demandeur a été embauché dans une entreprise de vidéo à Jaffna, au Sri Lanka. Au cours de l’enregistrement sur film d’un mariage, il a observé et filmé une manifestation qui a surgi en réponse à l’attaque de l’armée contre des étudiants qui célébraient la Journée des héros. Sur le formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], il affirme que la police a pris sa caméra et l’a fracassée. Il a ensuite été arrêté, interrogé sur sa participation au rassemblement et remis à l’armée au motif qu’on le soupçonnait d’être un membre des LTTE. Il a été libéré 28 jours plus tard contre le paiement d’un pot de vin. Il a ensuite quitté le Sri Lanka.

II.                Décision de la SPR

[7]               La SPR a entendu la demande du demandeur, le 30 janvier 2014 et a rendu sa décision, le 20 mars 2014, en concluant qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[8]               Elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible parce qu’il exagérait les dangers auxquels il était confronté.

[9]               Elle n’a pas contesté le fait que les dangers touchent les personnes soupçonnées d’être membres des LTTE au Sri Lanka, citant un rapport du HCR qui dresse la liste de certains groupes particuliers comme étant à risque en raison de liens « plus profonds » avec les LTTE. Elle a relevé que le demandeur avait déclaré qu’il ne faisait pas partie d’un de ces groupes.

[10]           Elle a constaté que le demandeur ne s’était pas acquitté de son obligation de prouver qu’il serait confronté à une possibilité sérieuse de persécution, en faisant remarquer que son témoignage ne concordait pas avec la preuve documentaire. Elle a également constaté que le demandeur n’avait présenté aucun document qui étayerait sa demande, comme la confirmation de ses voyages, son passeport, la confirmation de son inscription dans un refuge de Buffalo ou un rapport médical à l’appui de ses blessures au Sri Lanka.

III.             Décision de la SAR

Nouveaux éléments de preuve

[11]           Le demandeur a cherché à présenter un affidavit de sa conjointe datée du 24 avril 2014 ainsi que le cartable national de documentation de 2014 [CND], qui comprenait le rapport de 2013 du département d’État des États­Unis et plusieurs articles.

[12]           La SAR a fait remarquer que, conformément au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], le demandeur n’est autorisé à présenter que des éléments de preuve qui ont surgi après le rejet de la demande et qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les présente au moment du rejet.

[13]            La SAR a constaté que l’affidavit ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans le paragraphe 110(4), car il était raisonnablement accessible au demandeur avant la décision de la SPR.

[14]           La SAR a fait remarquer que dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 289 DLR (4th) 675 [Raza], la Cour d’appel fédérale a énoncé des facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation de nouveaux éléments de preuve, en plus des exigences juridiques. La SAR a fait remarquer que, même si elle devait admettre l’affidavit parce qu’il a surgi après le rejet de la demande du demandeur, un examen plus approfondi serait justifié, y compris sa crédibilité, sa pertinence, sa nouveauté et son caractère substantiel.

[15]           La SAR a examiné le contenu de l’affidavit ainsi que d’autres circonstances et a constaté qu’il n’était pas crédible.

[16]           En ce qui concerne le CND de 2014, la SAR a constaté que le rapport de 2013 du département d’État des États­Unis était identique au rapport de 2012 et ne pouvait pas être considéré comme une nouvelle preuve. En outre, il n’était pas important.

[17]           La SAR a constaté que les communiqués de presse inclus dans le CND étaient accessibles sur Internet en 2012, avant que la SPR rende sa décision.

[18]           La SAR a reconnu qu’il n’était pas certain que le rapport de « Landinfo » de 2012, qui décrit la situation au Sri Lanka entre 2010 et 2012, ait été traduit au moment de la décision de la SPR. La SAR a admis qu’il pourrait ne pas avoir été accessible avant la décision de la SPR, mais a constaté que le rapport n’était pas important pour la demande parce que les renseignements qui figurent dans le document se trouvaient également dans le CND de 2013, qui avait été versé au dossier.

Audience

[19]           En ce qui concerne la demande d’une audience, la SAR a noté que, conformément aux paragraphes 110(3) et (6) de la Loi, une nouvelle audience peut être tenue s’il y a de nouveaux éléments de preuve que soulèvent une question grave par rapport à la crédibilité du demandeur qui est au cœur de la décision de la SPR et que, si elle était admise, justifierait l’accueil ou le rejet de la demande. Étant donné que la nouvelle preuve a été jugée non recevable, la SAR a rejeté la demande d’une audience. La SAR a ajouté que si la nouvelle preuve avait été admise, elle ne justifierait pas l’accueil ou le rejet de la demande.

Le bien­fondé de l’appel

[20]           La SAR a fait remarquer que, conformément à l’arrêt Huruglica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 RCF 811 [Huruglica], elle examinerait tous les éléments de preuve et en viendrait à sa propre évaluation indépendante du fait que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger et a reconnu qu’il pourrait s’en remettre à la SPR lorsque celle­ci « bénéficie d’un avantage particulier » sur des questions comme celle de la crédibilité.

[21]           La SAR a constaté que la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions de crédibilité sur la foi de l’absence de passeport, de documents d’inscription à un refuge et de documents médicaux du demandeur, mais a constaté que l’erreur de la SPR n’était pas un facteur déterminant de sa décision.

[22]           La SAR a constaté qu’il était loisible à la SPR de constater que certains aspects du témoignage du demandeur manquaient de crédibilité, comme son exagération des dangers auxquels sont confrontés les Tamouls, et de constater quand même qu’il pourrait faire l’objet de harcèlement.

[23]           En ce qui concerne ses risques, la SAR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la SPR avait omis de prendre en compte l’ensemble de la preuve du demandeur, y compris les arrestations et les détentions qui ne faisaient pas l’objet de constatations de crédibilité.

[24]           En ce qui concerne sa peur, la SAR a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle le demandeur avait eu du mal à quitter le Sri Lanka en 2005 et 2009, aucune preuve indiquant qu’il était perçu comme un membre ou un sympathisant des LTTE et aucune preuve établissant qu’il est poursuivi par les autorités sri­lankaises.

[25]           Cependant, la SAR a constaté que l’analyse de la SPR quant à savoir si le demandeur serait en danger en tant que jeune homme tamoul n’était pas exhaustive et a effectué sa propre analyse supplémentaire selon la preuve au dossier. La SAR a pris note des lignes directrices du HCR datées de juillet 2010 qui indiquaient qu’il n’y avait plus de besoin de protection ou de présomption d’admissibilité axé sur les groupes pour les Tamouls sri­lankais du Nord. Les lignes directrices de 2012 indiquaient également que chaque demande devait être déterminée sur le fond, mais que les Tamouls sont le plus souvent soumis à l’arbitraire.

[26]           La SAR a reconnu que le bilan est mitigé en ce qui concerne le règlement d’après­guerre et le ressort du gouvernement à l’autoritarisme au Sri Lanka, mais a noté que les lignes directrices de 2012 n’avaient pas retiré les déclarations des lignes directrices de 2010 concernant le changement des circonstances depuis la fin de la guerre.

[27]           La SAR a constaté que le profil du demandeur ne correspondait pas à celui d’une personne soupçonnée d’avoir des liens avec les LTTE. Il n’a pas déclaré qu’il n’ait jamais été un membre ou un sympathisant des LTTE. Aucune preuve n’a été communiquée, autre que son témoignage, indiquant qu’il est perçu comme étant lié aux LTTE. La plupart de ses détentions étaient brèves et découlaient de rafles générales qui ne le ciblaient pas. Le demandeur a été libéré après deux à trois semaines lors de ses autres détentions. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il n’aurait pas été libéré en 2001 si les autorités pensaient qu’il était lié aux LTTE. La SAR a également constaté que, bien que la SPR ait commis une erreur en n’analysant pas toutes les détentions du demandeur, dans chacun des incidents qui n’avaient pas été abordés, le demandeur avait été libéré et les incidents ne laissaient pas entendre qu’il était soupçonné d’être lié aux LTTE.

[28]           Quant à savoir si le profil du demandeur en tant que demandeur d’asile débouté justifie une crainte fondée de la persécution, la SAR a noté la preuve que les Tamouls sont soumis au même processus de contrôle que les autres ressortissants qui retournent au Sri Lanka, indépendamment du fait qu’ils reviennent volontairement ou à cause d’une demande d’asile rejetée. La SAR a reconnu la preuve mixte, mais a constaté que la preuve établissait que le demandeur n’attirerait pas d’attention relevant de la persécution de la part des autorités sri­lankaises.

[29]           Elle a conclu que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger et a confirmé la décision de la SPR.

IV.             Questions en litige

[30]           Le demandeur a avancé plusieurs arguments concernant les erreurs commises par la SAR dans la gestion de l’appel, dont certains se chevauchent ou sont reliés. Les arguments mettent l’accent sur trois questions :

(1)               la SAR a­t­elle commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi, notamment en appliquant les facteurs de l’arrêt Raza?

(2)               La SAR a­t­elle commis une erreur en ne convoquant pas une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la Loi et manqué à l’équité procédurale en tirant des conclusions sur la crédibilité sans donner au demandeur la possibilité de répondre?

(3)               La SAR a­t­elle commis une erreur en tenant plus un rôle touchant le contrôle judiciaire, notamment en se fondant sur les préoccupations de la SPR quant à la crédibilité et en concluant qu’elles étaient raisonnables, sans procéder à une analyse indépendante?

V.                Norme de contrôle applicable

[31]           Le demandeur fait valoir que la SAR n’a pas rempli son rôle en tant que tribunal d’appel et, pour cette seule raison, la décision ne peut pas être maintenue.

[32]           La norme de contrôle à appliquer par la Cour aux décisions de la SAR sur la question de la norme de contrôle que la SAR devrait appliquer a fait l’objet d’une grande partie de la jurisprudence et sera bientôt réglée par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de son examen de l’arrêt Huruglica.

[33]           La jurisprudence a constamment établi que la SAR commet une erreur en remplissant une fonction de contrôle judiciaire et en appliquant la norme du caractère raisonnable à la décision de la SPR. La SAR doit remplir sa fonction en matière d’appel : Huruglica, paragraphe 54; Iyamuremye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494, paragraphe 38, [2014] ACF no 523 (QL); Alyafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952, paragraphe 10, [2014] ACF no 989 (QL); Diarra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1009, paragraphes 27 à 29, [2014] ACF no 1111 (QL); Djossou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080, paragraphe 37, [2014] ACF no 1130 (QL); Aloulou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1236, paragraphes 52 à 59, [2014] ACF no 1307 (QL); Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 FC 1145, paragraphe 22, [2014] ACF no 1271 (QL); et d’autres arrêts plus récents.

[34]           En ce qui a trait aux questions de crédibilité, bien qu’il y ait quelques nuances, la jurisprudence a établi que la SAR pouvait s’en remettre à la SPR dans le cas où la SPR avait entendu directement les témoins, avait eu la possibilité dus interroger sur leur témoignage ou avait bénéficié d’un avantage dont était privée la SAR (voir, par exemple, Huruglica, paragraphe 55; Akuffo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063, paragraphe 39, [2014] ACF no 1116 (QL); Nahal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1208, paragraphe 25, [2014] ACF no 1254 (QL)). Toutefois, la Cour a également fait remarquer que cette déférence devait découler d’une évaluation indépendante de la preuve, étant donné que la SAR remplit son rôle en tant que tribunal d’appel (voir, par exemple, Khachatourian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 182, paragraphe 31, [2015] ACF no 156 (QL) [Khachatourian]; Balde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 624, paragraphe 23, [2015] ACF no 641 (QL)).

[35]           Quant à la décision de la SAR relativement à la recevabilité de nouveaux éléments de preuve, la norme du caractère raisonnable s’applique (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1022, paragraphes 36 à 42, 246 ACWS (3d) 433 [Singh]; Khachatourian, paragraphe 37).

[36]           De même, la décision de la SAR de tenir ou non une audience conformément au paragraphe 110(6) est fondée sur la question de savoir si les critères ont été établis et, le cas échéant, si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir une audience de même qu’elle a revue selon la norme du caractère raisonnable.

[37]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 43, [2009] 1 SCR 339; Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 313 paragraphe 12, [2013] ACF no 350 (QL)).

VI.             La SAR a­t­elle commis une erreur en admettant de nouveaux éléments de preuve?

Les arguments du demandeur

[38]           Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en se fondant sur les facteurs de l’arrêt Raza pour éclairer sa réflexion sur le fait de savoir si elle doit admettre la nouvelle preuve conformément au paragraphe 110(4) et a commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve. Il fait valoir que l’affidavit de sa conjointe abordait les préoccupations de la SPR quant à la crédibilité, qui étaient au cœur de la décision, et son acceptation aurait conduit à un résultat différent.

[39]           Il fait valoir qu’il était injuste pour la SAR de conclure que l’affidavit de sa conjointe aurait pu être fourni plus tôt, étant donné que la police avait rendu visite à sa conjointe après l’audience de la SPR (toutefois, avant que la décision ait été rendue). Il ajoute qu’il n’avait aucun moyen de savoir quand la SPR rendrait sa décision.

[40]           Le demandeur fait valoir également que la SAR a commis une erreur en appliquant les facteurs de l’arrêt Raza qui avaient été établis en se référant à l’alinéa 113a) de la Loi dans le cadre d’une décision d’ERAR, pas d’un appel. Le demandeur souligne la décision du juge Gagné dans l’arrêt Singh, qui a noté que le contexte est un facteur distinctif important et qu’il ne faut pas présumer que les facteurs de l’arrêt Raza régissent les décisions à rendre en vertu du paragraphe 110(4) relativement à la recevabilité de nouveaux éléments de preuve.

Les arguments du défendeur

[41]           Le défendeur soutient que l’examen par la SAR des facteurs énoncés dans l’arrêt Raza dans le cadre de sa détermination du fait de savoir si les documents doivent être admis comme « nouvelle preuve » était raisonnable.

[42]           Le défendeur fait remarquer que la décision de la SAR de ne pas admettre la nouvelle preuve est étayée par le libellé du paragraphe 110(4).

[43]           Le défendeur ajoute que la règle 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012­256 [les Règles] prévoit que le demandeur aurait pu fournir l’affidavit à la SPR à tout moment avant que sa décision soit rendue. Le demandeur a eu l’occasion de faire produire l’affidavit et de l’envoyer à la SPR, mais ne l’a pas fait jusqu’à ce qu’il ait fait appel à la SAR. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que le document aurait pu être soumis avant la décision.

[44]           En outre, la SAR a procédé à une évaluation indépendante de l’affidavit et a raisonnablement constaté qu’il n’était pas crédible. Le défendeur soutient que la SAR ne serait pas tenue d’admettre des éléments de preuve qui ne sont pas crédibles.

La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve.

[45]           Dans le cas présent, la question est, premièrement, de savoir si la SAR s’est fondée sur les facteurs de l’arrêt Raza pour déterminer l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve et, deuxièmement, de savoir si la SAR a commis une erreur, ce faisant, sans tenir compte du contexte différent d’un appel.

[46]           Je reconnais qu’il y a actuellement une certaine incertitude quant à l’application de facteurs de l’arrêt Raza – où la Cour d’appel fédérale a déterminé des facteurs ou des questions qui se posent implicitement à partir des critères relatifs aux nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande d’ERAR conformément à l’alinéa 113a) – à un appel auprès de la SAR. D’une part, les principes d’interprétation législative appuient l’idée que les mêmes mots doivent être interprétés de la même manière et il n’y a aucun doute que le libellé du paragraphe 110(4) et de l’alinéa 113a) est presque identique. En outre, les deux dispositions visent à limiter les éléments de preuve qui peuvent être fournis. D’autre part, dans l’arrêt Raza, le juge Sharlow a noté que quatre des questions ou des facteurs (la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel) sont nécessairement implicites d’après l’objet de l’alinéa 113a) dans la Loi (paragraphe 14) et qu’un ERAR n’est pas un appel de la décision de la SPR, même s’il peut nécessiter un examen de certaines ou de toutes les questions identiques (paragraphe 12).

[47]           Dans l’arrêt Singh, le juge Gagné a souligné la nécessité de tenir compte du contexte différent d’une décision d’ERAR et d’une décision de la SAR. À mon avis, le juge Gagné n’a pas exclu l’examen des facteurs de l’arrêt Raza, tant que le décideur comprend que, dans le cadre d’un appel, une plus grande latitude peut être nécessaire pour accepter de « nouveaux » éléments de preuve.

[48]           Le juge Gagné a noté, au paragraphe 58, que «  la principale question est de savoir si les éléments de preuve « n’étaient […] pas normalement [ou raisonnablement selon la version anglaise] accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés ». En d’autres termes, le libellé de la loi doit être le facteur clé.

[49]           En attendant la résolution de la question par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Singh, la jurisprudence appuie l’opinion que la référence aux facteurs de l’arrêt Raza à des fins d’orientation n’est pas une erreur lorsque la SAR reconnaît qu’elle gère un appel et qu’elle étudie la possibilité d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans ce contexte. Ce n’est également pas une erreur si la SAR se réfère aux facteurs de l’arrêt Raza, mais la décision quant à savoir si le fait d’admettre la nouvelle preuve est clairement soutenue par l’application du libellé du paragraphe 110(6).

[50]            Dans l’arrêt Oluwole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 953, paragraphes 36 et 37, [2015] ACF no 962 (QL), le juge Southcott a reconnu l’analyse du juge Gagné dans le jugement Singh ainsi que l’analyse et la conclusion différentes du juge Mosley dans l’arrêt Denbel c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 629, [2015] ACF no 646 (QL) [Denbel], et a constaté que les facteurs de l’arrêt Raza pourraient être envisagés dans le cadre du droit du demandeur à un « appel fondé sur les faits ».

[51]           Dans l’arrêt Denbel, le juge Mosley a noté, au paragraphe 43 :

[43]      Lorsqu’elle interprète l’intention du législateur, la Cour doit accorder la priorité au texte écrit en l’absence de toute ambiguïté lexicale. Ni les opinions de la Cour sur les meilleures politiques ni des passages tirés du hansard ne peuvent l’emporter sur le texte de la loi. À mon avis, le législateur voulait que, dans ces deux dispositions législatives, le même critère juridique soit consacré. Si le législateur avait eu l’intention d’établir des règles d’admissibilité plus souples dans le cadre des appels interjetés devant la SAR, il n’aurait pas reproduit le libellé restrictif régissant les ERAR.

[…]

[52]           Dans l’arrêt HAK c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1172, paragraphes 14 et 15, [2015] ACF no 1231 (QL), le juge Fothergill a fait remarquer que l’application du jugement Raza n’avait pas été réglée, mais a constaté que peu importe qu’il y ait une application stricte ou souple du jugement Raza, le rejet par la SAR des nouveaux éléments de preuve, qui aurait pu être fournis plus tôt et qui n’étaient pas probants, était justifié.

[53]           Dans l’arrêt Majebi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 14, [2016] ACF no 12, le juge Fothergill a conclu que le rejet par la SAR de nouveaux éléments de preuve était raisonnable, car il a constaté que les éléments de preuve auraient pu être fournis plus tôt, qu’aucune explication n’avait été donnée pour ne pas l’avoir fait et que le rejet était en conformité avec les exigences juridiques expresses, faisant au paragraphe 19 :

[…] L’approche souple dont il est question dans la décision Singh ne s’applique à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve que lorsque les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR ont été respectées (Fida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 784, aux paragraphes 6 à 8; Deri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1042, aux paragraphes 55 et 56). Dans la décision Singh, la juge Gagné a affirmé que la question principale en matière d’admissibilité de nouveaux éléments de preuve est celle de savoir s’ils « n’étaient […] pas normalement [ou raisonnablement selon la version anglaise] accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés » (Singh, au paragraphe 58). […]

[54]           Le demandeur semble accepter le fait que les documents du CND ne constituaient pas une nouvelle preuve parce qu’ils réitéraient les mêmes renseignements figurant dans la version de l’année précédente qui faisait partie du dossier dont la SPR avait été saisie. Bien que je note l’opposition du demandeur aux références de la SAR quant à l’absence du caractère substantiel de la preuve, que le demandeur considère comme une référence inadéquate aux facteurs de l’arrêt Raza, il s’est avéré que le CND et le document de « Landinfo » n’étaient « nouveaux » au sens du paragraphe 110(4).

[55]           Le demandeur met l’accent sur l’affidavit de sa conjointe. Cependant, l’argument du demandeur selon lequel la SAR a commis une erreur en se référant aux facteurs de l’arrêt Raza ignore le fait que la SAR avait clairement constaté d’emblée que l’affidavit ne satisfaisait pas au critère du paragraphe 110(4), car il était raisonnablement accessible au demandeur avant la décision de la SPR. La SAR a fait remarquer que l’affidavit indiquait que la police était venue au domicile du demandeur au Sri Lanka, le 6 mars 2014, et que l’épouse du demandeur avait informé celui­ci, par téléphone, immédiatement après. La SAR a constaté que cet affidavit aurait raisonnablement pu être produit et soumis avant la décision de la SPR, qui avait été rendue le 20 mars 2014 et qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle la conjointe du demandeur ait attendu jusqu’au 24 avril 2014 pour produire et envoyer l’affidavit. Il est vrai que le demandeur n’aurait pas su quand la décision serait rendue, mais cela n’explique pas le retard. La nouveauté d’un document ne se fonde pas sur la date de sa création; l’accent est plutôt mis sur la date de l’incident ou des circonstances que le document cherche à prouver (Raza, paragraphe 16).

[56]           La conclusion de la SAR selon laquelle l’affidavit ne satisfaisait pas au critère du paragraphe 110(4), car il était raisonnablement accessible au demandeur avant la décision de la SPR n’a rien à voir avec l’examen par la SAR des facteurs de l’arrêt Raza, qui constituaient des constatations supplémentaires ou subsidiaires.

[57]           En outre, le demandeur aurait pu présenter les documents après l’audience, mais avant la décision, conformément à la règle 43 des Règles régissant la SPR.

[58]           La SAR a énoncé les motifs de ses conclusions sur la crédibilité de l’affidavit en faisant remarquer qu’il réitérait ce que le demandeur avait raconté sur son FDA en ajoutant l’incident de mars. Elle a fait remarquer que la police n’aurait probablement pas attendu jusqu’en mars 2014 pour faire le suivi d’une vidéo enregistrée en novembre 2012 et que cette histoire était incompatible avec l’allégation du demandeur sur son FDA selon laquelle la police avait pris sa caméra vidéo et l’avait fracassée (donc il n’y aurait eu aucune vidéo). Ces conclusions sur la crédibilité, même si elles ne sont pas déterminantes quant à la recevabilité de l’affidavit, sont raisonnables. Je suis également d’accord avec le défendeur qu’un décideur serait négligent s’il ne se penchait pas sur la crédibilité de la nouvelle preuve proposée.

[59]           En résumé, la décision de la SAR quant à l’acceptation de la nouvelle preuve repose principalement sur les exigences juridiques du paragraphe 110(4) parce que la preuve s’est avérée être raisonnablement accessible avant que la SPR ait rejeté la demande. La prise en compte des facteurs de l’arrêt Raza s’était faite en complément ou en alternative à la décision principale qui était fondée sur le libellé de la loi.

[60]           En outre, comme susmentionné, ce n’est pas une erreur de tenir compte des facteurs de l’arrêt Raza lorsque la SAR le fait dans le contexte et le but de l’appel.

VII.          La SAR a­t­elle commis une erreur en refusant de convoquer une audience?

Les arguments du demandeur

[61]           Le demandeur fait valoir que l’affidavit de sa conjointe a répondu aux préoccupations de la SPR sur la crédibilité, qui étaient au cœur de sa demande et auraient abouti à un résultat différent. Par conséquent, les critères du paragraphe 110(3) ont été remplis et la SAR auraient dû tenir une audience pour lui permettre de répondre à ses préoccupations.

[62]           Le demandeur fait valoir également que, quel que soit le paragraphe 110(3), l’obligation en matière d’équité procédurale exige qu’une audience aurait dû avoir lieu pour lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations de la SAR sur la crédibilité de l’affidavit de sa conjointe et les conclusions relatives à la crédibilité que la SAR a reprises de la SPR et qui, selon le demandeur, ont été tirées sans aucune évaluation indépendante.

[63]           Pour étayer son argument selon lequel la SAR n’a pas évalué les résultats de manière indépendante, le demandeur souligne le paragraphe de conclusion de la décision, dans lequel la SAR note qu’elle s’en était remise aux conclusions de la SPR sur la crédibilité.

[64]           Le demandeur ajoute que, conformément à l’arrêt Husian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 684, paragraphes 9 et 10, [2015] ACF no 687 (QL) [Husian], la SAR aurait dû lui offrir une occasion de répondre à ses préoccupations en matière de crédibilité parce que, comme dans l’affaire Husian, la SAR s’est « plongée » dans la preuve de la SPR.

Les arguments du défendeur

[65]           Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement rejeté l’affidavit comme nouvelle preuve conformément au paragraphe 110(4); par conséquent, les critères prévus par la loi, au paragraphe 110(6), n’ont pas été satisfaits.

[66]           Il fait remarquer que la SAR a effectué une évaluation des éléments de preuve dont disposait la SPR, s’en est remise à certaines des conclusions de la SPR sur la crédibilité, comme elle était en droit de le faire, et a rejeté les autres.

La SAR n’a commis aucune erreur en refusant de convoquer une audience.

[67]           La règle générale énoncée au paragraphe 110(3) est que la SAR doit procéder sans audience. Toutefois, le paragraphe 110(6) prévoit une exception où une audience peut être tenue lorsque certains critères sont respectés. Même si ces critères sont respectés, la SAR a toujours un pouvoir discrétionnaire et peut refuser de tenir une audience. Dans le cas présent, la SAR a constaté que les critères n’avaient pas été remplis parce que le nouvel élément de preuve n’était pas recevable. Cette constatation, comme il est indiqué ci­dessus, est raisonnable.

[68]           En ce qui concerne l’obligation de la SAR en matière d’équité procédurale prévue par la common law, l’invocation par le demandeur de l’arrêt Husian est déplacée et quelque peu incompatible avec ses allégations selon lesquelles la SAR n’a pas procédé à une évaluation indépendante. Dans l’arrêt Husian, le juge Hughes a conclu que lorsque la SAR en arrive à de nouvelles conclusions sur la crédibilité, les parties doivent avoir la possibilité de présenter des observations. Le juge Hughes a mis en évidence les pièges qui se posent à la SAR lorsqu’elle tire des conclusions sur la crédibilité, qui sont ensuite soumises à un examen, en faisant remarquer ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 :

[9]        Nous en arrivons au motif du renvoi de l’affaire à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision. Si la SAR s’était contentée d’examiner les conclusions de la SPR quant au caractère adéquat des éléments de preuve fournis par le demandeur et souscrit à celles­ci, l’affaire aurait été réglée. Ce n’est pas ce qu’elle a fait. Pour une raison quelconque, la SAR a fourni des motifs supplémentaires, fondés sur sa propre appréciation du dossier, quant aux raisons pour lesquelles les éléments de preuve produits par le demandeur n’étaient pas crédibles. Elle a affirmé, au paragraphe 43, qu’elle n’avait pas trouvé le moindre élément de preuve à l’appui de l’affirmation du demandeur selon laquelle il appartenait au clan Dhawarawayne. Il s’agissait d’une erreur; il existe de tels éléments de preuve dans les réponses aux Demandes d’information. Les commentaires de la SAR à propos des différences observées dans les procédures aux États­Unis et dans les procédures au Canada en ce qui concerne l’orthographie du nom du demandeur sont absurdes; il y a forcément des différences lorsqu’il s’agit d’une langue et d’un alphabet différents, comme le somali et l’anglais. J’ai aussi relevé d’autres erreurs.

[10]      Le fait est que si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations.

[69]           Les circonstances du présent dossier sont nettement différentes de celles de l’affaire Husian. En l’espèce, la SAR a rejeté certaines des conclusions de la SPR sur la crédibilité et s’en est remise à la SPR relativement à d’autres conclusions sur la crédibilité après sa propre évaluation de la preuve au dossier. La SAR ne s’est pas « plongé dans le dossier » afin de tirer de nouvelles conclusions sur la crédibilité ou d’autres conclusions fondées sur le dossier de la SPR. La nouvelle conclusion de la SAR sur la crédibilité touchait l’affidavit présenté comme une nouvelle preuve. Cet affidavit ne figurait pas dans le dossier de la SPR, car il n’a été soumis qu’à la SAR.

[70]           En outre, après avoir constaté que l’évaluation de la SPR n’était pas exhaustive, la SAR a effectué sa propre évaluation de la preuve relative à l’état du pays en ce qui concerne le risque auquel le demandeur était confronté. La SAR avait le droit et, en fait, était tenue de procéder à une évaluation indépendante de la preuve au dossier (Huruglica, paragraphe 47).

[71]           Elle n’a pas manqué à l’obligation de common law en matière d’équité procédurale. Le demandeur a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de la SPR sur la crédibilité dans les observations qu’il a présentées à la SAR, notamment en demandant l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve. La SAR n’était pas tenue, sur les faits de l’espèce, d’offrir au demandeur une occasion de répondre à ses préoccupations au sujet de l’affidavit qu’elle avait refusé d’admettre en premier lieu sur la foi de critères juridiques.

VIII.       La SAR a­t­elle commis une erreur en tenant un rôle touchant le contrôle judiciaire?

Les arguments du demandeur

[72]           Le demandeur fait valoir que, malgré que la SAR ait affirmé avoir qu’elle avait appliqué le jugement Huruglica et qu’elle procéderait à une évaluation indépendante de la preuve, l’examen de la SAR était plus proche d’un contrôle judiciaire, car elle s’en était facilement remise à la SPR, y compris sur le plan de la crédibilité, et a employé un langage de contrôle judiciaire.

[73]           Le demandeur souligne l’observation de la SAR relativement au CND de 2014 qui, selon elle, ne constituait pas une « nouvelle » preuve. La SAR a fait remarquer que [traduction]»  si cette preuve avait été à sa disposition, elle n’aurait pas donné lieu à une décision favorable à l’égard de cette demande ». De même, la SAR a constaté que si le document de « Landinfo » avait été mis à sa disposition, il n’aurait pas donné lieu à une décision favorable.

[74]           Le demandeur fait valoir que la SAR aurait dû mener sa propre analyse de ces éléments de preuve plutôt que de spéculer sur le point de vue de la SPR et que l’approche de la SAR démontre le type de déférence plus typique d’un contrôle judiciaire.

[75]           Il soutient également que la SAR a constaté que certaines conclusions de la SPR étaient « raisonnables » et que le paragraphe de conclusion de la décision de la SAR indique qu’elle s’est appuyée sur les conclusions de la SPR concernant la crédibilité, ce qui laisse entendre également une approche de contrôle judiciaire.

[76]           Il fait également valoir que la SAR a soit omis d’évaluer la preuve ou commis une erreur lors de son évaluation, en particulier la réponse à la demande d’information [RDI] de mai 2013, en concluant que tous les Tamouls sont soumis au même processus de contrôle lors de leur retour au Sri Lanka. La preuve documentaire appuie l’idée que les demandeurs d’asile déboutés qui sont tamouls sont soumis à un contrôle différent et sont souvent soumis à de longs interrogatoires et mauvais traitements, lorsqu’ils sont soupçonnés ou perçus comme ayant des affiliations avec les LTTE, en particulier ceux qui reviennent de pays où vivent de grandes collectivités tamoules et après de longues absences.

Les arguments du défendeur

[77]           Le défendeur soutient que le point de vue du demandeur selon lequel la SAR s’en est remise entièrement aux motifs de la SPR est sans fondement : la SAR a convenu que la SPR avait commis des erreurs, mais a constaté que ces erreurs n’étaient pas fatales à la demande. Il ajoute que la décision de la SAR traduit son évaluation indépendante de la preuve.

[78]           Il souligne également que le demandeur ne conteste pas le fait que la SAR soit d’accord avec les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur a exagéré le danger auquel il pourrait être confronté en tant que jeune Tamoul et qu’il a admis qu’il ne fait pas partie de l’un des groupes qui sont susceptibles d’avoir des problèmes au Sri Lanka.

La SAR n’a pas procédé à un contrôle judiciaire; elle a effectué une évaluation indépendante.

[79]           Comme il est indiqué ci­dessus, la jurisprudence a établi que la SAR doit tenir son rôle de tribunal d’appel et procéder à une évaluation indépendante de la preuve. C’est ce qu’elle a fait.

[80]           La jurisprudence appuie également le point de vue selon lequel la SAR peut s’en remettre aux conclusions de la SPR sur la crédibilité, mais doit effectuer sa propre évaluation indépendante de ces conclusions avant de le faire.

[81]           La SAR n’a pas suivi une approche de contrôle judiciaire et a tout simplement constaté que les conclusions de la SPR sur la crédibilité étaient raisonnables parce que celle­ci avait entendu le témoignage du demandeur. Au contraire, la SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve au dossier et ne s’en remise qu’à certaines conclusions de la SPR sur la crédibilité. La SAR a constaté que d’autres conclusions sur la crédibilité étaient erronées, mais ces conclusions n’étaient pas déterminantes. Par exemple, la SAR a explicitement rejeté la conclusion de la SPR selon laquelle le défaut du demandeur de présenter des documents avait nui à sa crédibilité. Au lieu de cela, la SAR a constaté qu’il était loisible à la SPR de conclure que certains aspects du témoignage du demandeur manquaient de crédibilité et exagéraient les dangers auxquels sont confrontés les Tamouls.

[82]           Les quelques phrases de la décision de la SAR mises en évidence par le demandeur ne laissent tout simplement pas entendre qu’il y a eu une déférence inappropriée à l’égard de la SPR ou que la SAR a exercé une fonction de contrôle judiciaire. Les deux commentaires ont été faits dans le contexte de savoir si une nouvelle preuve devrait être admise conformément au paragraphe 110(4) et de l’examen par la SAR de la façon dont les facteurs de l’arrêt Raza s’appliqueraient. L’argument du demandeur selon lequel la SAR aurait dû évaluer ces éléments de preuve et n’a pas examiné si cela aurait fait une différence pour la SPR ignore le fait que la SAR a effectivement évalué la preuve et a constaté qu’elle n’était pas recevable, principalement sur la foi des critères prévus par la loi, que l’on a mentionnés ci­dessus. De plus, ces commentaires ne démontrent aucune déférence, mais traduisent le facteur du caractère substantiel qui figure dans l’arrêt Raza.

[83]           Il n’y a qu’une seule référence dans la décision de la SAR (au paragraphe 40) où celle­ci a constaté que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait exagéré le danger de tous les jours et tiré une inférence négative quant à la crédibilité était « raisonnable ». Comme il a été indiqué à plusieurs reprises, la SAR est en droit de s’en remettre aux conclusions sur la crédibilité, car elle a effectué sa propre évaluation.

[84]           Le paragraphe de conclusion de la SAR indique clairement que sa décision est d’abord fondée sur sa propre évaluation :[traduction] «  Sur la foi de son examen de tous les éléments de preuve en l’espèce et aussi sur la foi des conclusions de la SPR sur la crédibilité concernant la perception présumée par les autorités sri­lankaises que l’appelant était lié aux LTTE, et aussi sur la foi de l’analyse supplémentaire fournie par la SAR... ». [Non souligné dans l’original.]

[85]           Ce résumé ne laisse entendre en aucune façon que la SAR n’a pas procédé à l’évaluation indépendante prévue dans le cadre d’un appel ou qu’elle s’en est remise aux conclusions de la SPR.

[86]           En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel la SAR a mal interprété la RDI qui figure dans le CND de mai 2013 sur lequel elle s’est fondée pour conclure que les éléments de preuve, bien qu’ils soient hétéroclites, appuyaient le fait que le demandeur ne serait pas ciblé en cas de retour au Sri Lanka. J’ai examiné cette RDI et le document auquel il renvoie (LKA103815.E daté d’août 2011). La SAR n’a pas mal interprété ou déformé les renseignements qui figurent dans ce document. Sur la foi de l’examen par la SAR des documents relatifs à l’état du pays, y compris la RDI et, comme indiqué par la SAR, les lignes directrices du HCR et le rapport du Home Office britannique, la SAR a conclu que le demandeur ne serait pas ciblé et ne serait pas confronté à une possibilité sérieuse de persécution. Cette conclusion est corroborée par la preuve de même qu’elle est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’a été posée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7710-14

 

INTITULÉ :

KRISHNAKUMAR SANMUGALINGAM c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

Pour le demandeur

 

Norah Dorcine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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