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Date : 20160229


Dossier : IMM-1603-15

Référence : 2016 CF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 février 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

MARIJE VUSHAJ ET SAMANTHA VUSHAJ, REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, MARIJE VUSHAJ

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés, laquelle a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés de refuser la demande d’asile de Marije et Samantha Vushaj en fonction d’une conclusion défavorable relative à la crédibilité.

[2]               La présente affaire est régie par un principe établi depuis longtemps, soit celui voulant que plus le document est important, plus le décideur doit décrire son examen du document Cepeda­Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF nº 1425, 157 FTR 35, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst).

II.                Contexte

[3]               Les demanderesses sont Albanaises et leur demande est axée sur le fait qu’elles ont été victimes d’une vendetta. L’existence d’une vendetta est un élément central de cette demande.

[4]               S’il est véridique, l’exposé des faits des demanderesses serait intéressant, mais non pertinent dans le cadre de la présente question juridique; celui­ci décrit la façon dont la vendetta s’est déroulée, ce qui leur est supposément arrivé ainsi que leurs divers déplacements en Albanie ainsi qu’à l’extérieur du pays. Par conséquent, il est inutile d’obtenir un récit détaillé.

Il convient d’indiquer que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés n’ont pas cru cette partie de l’exposé des faits.

[5]               En plus de l’exposé, les demanderesses ont présenté une preuve documentaire indépendante liée aux tentatives d’enlèvement de Samantha, qui était mineure, et à l’existence d’une vendetta.

Ces documents étaient des lettres de professeurs, Mark Tinaj et Peshko Toma, ainsi que des déclarations des aînés du village et de la commune (autorité gouvernementale locale).

[6]               La Section d’appel des réfugiés est d’accord avec la Section de la protection des réfugiés qu’on devrait accorder aux lettres des professeurs une valeur probante limitée pour certaines raisons, notamment la prévalence de documents frauduleux provenant d’Albanie, le fait que Marije ait utilisé des documents frauduleux par le passé et les incohérences observées dans les lettres.

[7]               En ce qui concerne les documents rédigés par Mark Tinaj et Peshko Toma, la Section d’appel des réfugiés a déjà noté l’accès facile à des documents frauduleux et semble ne pas avoir tenu compte des documents puisque Peshko Toma, en particulier, était connu pour formuler de fausses assermentations.

[8]               En ce qui concerne les documents rédigés par les aînés du village et la commune, qui confirment la vendetta et la tentative d’enlèvement de Samantha, la Section de la protection des réfugiés a accordé à ces documents une faible valeur probante en raison d’un manque de documents crédibles provenant de sources crédibles (prévalence générale de fraude), combiné à des préoccupations relatives à la crédibilité des allégations des demanderesses.

La Section d’appel des réfugiés s’est dit tout simplement d’accord avec la Section de la protection des réfugiés sur le fait qu’on devrait accorder aux documents une faible valeur probante.

[9]               La question en litige soulevée dans le cadre de ce contrôle judiciaire est à savoir si la Section d’appel des réfugiés a tiré une conclusion raisonnable sur la preuve documentaire.

III.             Analyse

[10]           L’évaluation de la preuve et les conclusions en matière de crédibilité sont examinées selon la norme du caractère raisonnable (Garcia Arias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1029, 195 ACWS (3d) 1106).

[11]           En raison du témoignage [traduction] « très peu précis » des demanderesses (témoignage incohérent et contradictoire, comme ce fût souvent le cas), il revenait à la Section de la protection des réfugiés et à la Section d’appel des réfugiés de juger l’exposé de faits personnel des demanderesses non crédible. Il était raisonnable de conclure que les demanderesses ne se trouvaient pas à l’endroit qu’ils ont affirmé se trouver et que les événements décrits ne s’étaient pas produits.

[12]           Il revenait également à la Section d’appel des réfugiés et à la Section de la protection des réfugiés de rejeter la preuve documentaire. De plus, il revenait à la Section d’appel des réfugiés d’accepter les conclusions de la Section de la protection des réfugiés. Toutefois, elle devait expliquer pourquoi elle l’acceptait.

[13]           Ce qui est en cause est la « preuve corroborante ». Le terme « preuve corroborante » ne désigne pas la même chose que le terme « preuve crédible ». La corroboration d’un mensonge n’en fait pas un élément véridique.

[14]           En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés a décrit la raison pour laquelle elle a précisément rejeté certaines preuves documentaires, comme les lettres des professeurs. En outre, il revenait à la Section d’appel des réfugiés d’accepter les motifs de la Section de la protection des réfugiés, ce qu’elle fit.

[15]           Toutefois, en ce qui concerne les documents provenant des sources officielles, soit les aînés du village et la commune, la Section de la protection des réfugiés leur a accordé une valeur probable faible en raison de la prévalence de documents frauduleux. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés n’ont pas expliqué la raison pour laquelle ces documents pouvaient vraisemblablement être frauduleux. Aucune préoccupation n’a été soulevée à l’égard du contenu, de la forme ou de la source des documents.

[16]           La Section d’appel des réfugiés a été obligée d’expliquer la raison pour laquelle ces documents ont été rejetés en fonction d’un élément plus important qu’une préoccupation générale en matière de documents frauduleux. Le manque de crédibilité des demanderesses pourrait être un facteur s’il existait un lien entre la conduite des demanderesses et l’obtention des documents; toutefois, aucun lien de la sorte n’a été décrit par la Section d’appel des réfugiés.

[17]           Puisque le rejet des documents qui semblent, à première vue, officiels n’a pas fait l’objet d’une justification analysée et expliquée, la Section d’appel des réfugiés ne peut rejeter cette partie du témoignage des demanderesses axé sur l’existence d’une vendetta sur le principe qu’elle n’est pas crédible.

[18]           Ce ne serait que spéculation que de supposer que si la Section d’appel des réfugiés avait accepté les documents à titre probant, elle aurait néanmoins rejeté la demande d’asile puisque d’autres aspects de la demande des demanderesses n’étaient pas crédibles.

[19]           La décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable.

IV.             Conclusion

[20]           Pour ces motifs, ce contrôle judiciaire sera accordé, la décision sera annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête de contrôle judiciaire est accordée, la décision est annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1603-15

 

INTITULÉ :

MARIJE VUSHAJ ET SAMANTHA VUSHAJ, REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, MARIJE VUSHAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge PHELAN

 

DATE :

Le 29 février 2016

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

 

Pour les demanderesses

 

Monmi Goswami

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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