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Date : 20160225


Dossier : T-582-15

Référence : 2016 CF 243

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 février 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

KENT DANIEL GLOWINSKI

requérant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE)

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le requérant demande le contrôle judiciaire d’une décision prise le 9 avril 2015 par le directeur de la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique (CFP), selon laquelle il fallait procéder à une enquête en vertu de l’article 66 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP) dans le cadre d’un processus de nomination externe mené par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), nom que le Ministère portait à l’époque.

[2]               Pour les motifs établis ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               En janvier 2014, le MAINC a enclenché le processus de dotation externe 14‑IAN‑EA‑BA‑HQ‑CS‑145488 (le « processus de nomination ») dans le but de combler trois (3) postes d’analyste à la Direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels du MAINC.

[4]               Au moment déterminé, le requérant était le directeur de cette direction et faisait office de gestionnaire responsable de l’embauche pour le processus de nomination.

[5]               En février 2014, les demandes d’emploi des candidats ont été examinées dans le cadre de la présélection initiale automatisée, assurée par le Système de ressourcement de la fonction publique. Certains candidats ont été rejetés parce qu’ils ne satisfaisaient pas à des exigences essentielles liées aux études, à l’expérience ou aux capacités linguistiques.

[6]               Huit (8) des candidats rejetés ont par la suite été réintégrés au processus de nomination après qu’un examen manuel de leurs demandes d’emploi eut permis de déterminer qu’ils répondaient aux exigences essentielles liées à l’expérience. Quatre (4) de ces huit (8) candidats ont par la suite été jugés qualifiés pour le processus de nomination et ajoutés à un bassin de candidats qualifiés. Ces candidats étaient M. D’Aoust‑Plouffe, M. Wanless, Mme Wallace et M. Young.

[7]               Valide du 27 mai 2014 au 27 mai 2015, le bassin de candidats qualifiés devait être utilisé pour nommer des candidats à des postes d’analyste au sein du MAINC. Le bassin de candidats a aussi été mis à la disposition d’autres ministères qui pouvaient nommer des candidats à des postes au sein de leurs organisations. Grâce à ce bassin, Mme Wallace a obtenu un poste dans un autre ministère. Les trois (3) autres candidats ont continué de faire partie du bassin en question.

[8]               Un cinquième candidat, M. Sharma, a été ajouté au bassin de candidats qualifiés et proposé pour une nomination à un poste d’analyste de groupe et niveau PM‑04 au MAINC une fois que son attestation de sécurité lui a été accordée. M. Sharma a travaillé pour le MAINC de novembre 2013 à avril 2014 dans le cadre du Programme fédéral d’expérience de travail étudiant. Il a par la suite été embauché comme employé occasionnel de mai à septembre 2014, dans l’attente de sa nomination.

[9]               Le 16 juillet 2014, un gestionnaire de la Direction générale des ressources humaines du MAINC a transmis à la CFP de l’information concernant l’ajout de M. Sharma au bassin de candidats qualifiés, malgré l’incapacité de M. Sharma à satisfaire aux exigences essentielles liées aux études au moment de sa qualification pour le bassin. Le 31 juillet 2014, en tenant compte de l’information qui lui avait été soumise, la CFP a conclu qu’il fallait mener une enquête. À titre de personne touchée, M. Sharma a été informé de la tenue de cette enquête au moyen d’une lettre datée du 5 août 2014. Le 22 août 2014, M. Sharma a été retiré du bassin de candidats, ce qui l’a rendu inadmissible à la nomination proposée.

[10]           Le 16 décembre 2014, à la suite d’un examen du processus de nomination, la CFP a déterminé que quatre (4) autres candidats étaient touchés : Mme Wallace, M. D’Aoust‑Plouffe, M. Young et M. Wanless. Les quatre (4) candidats ont été avisés de l’enquête au moyen d’une lettre datée du 22 décembre 2014.

[11]           Chaque fois qu’une lettre était envoyée à une partie touchée au cours de l’enquête, on envoyait une lettre au requérant et au sous‑ministre du MAINC afin de les informer du déroulement de l’enquête.

[12]           Par une lettre datée du 9 février 2015, le requérant a transmis à la CFP ses observations concernant les qualités présentées par M. Sharma et la pertinence de son ajout au bassin de candidats qualifiés.

[13]           Le 25 février 2015, le requérant a rédigé une autre lettre pour demander à la CFP de mettre fin à l’enquête sur M. Sharma. Il soutenait que le fait de retirer M. Sharma du bassin de candidats en août 2014 avait eu pour effet d’annuler la compétence de la CFP, puisqu’il n’y avait plus de nomination ou de proposition de nomination. Le jour suivant, soit le 26 février 2015, le requérant a envoyé à la CFP une troisième lettre comportant quatorze (14) pages d’observations sur les enquêtes visant les quatre (4) candidats autres que M. Sharma. Le requérant enjoignait à la CFP de mettre fin à ses enquêtes visant M. D’Aoust‑Plouffe, M. Wanless et M. Young. Essentiellement, il soutenait que la CFP ne pouvait ouvrir une enquête en vertu de l’article 66 de la LEFP que s’il y avait une nomination réelle ou une nomination proposée en cause. M. D’Aoust‑Plouffe et M. Young n’ont pas été nommés à un poste à partir du bassin, et M. Wanless s’est retiré du processus de nomination. Le requérant soutenait en outre que la présélection était raisonnable et qu’il n’y avait eu aucun favoritisme à l’égard de l’un ou l’autre des candidats.

[14]           Le 9 avril 2015, la directrice de la Direction des enquêtes de la CFP a répondu par lettre aux observations du requérant. La directrice précisait que l’article 66 de la LEFP octroyait à la CFP le pouvoir de réaliser des enquêtes visant des processus de nomination externes. Elle a également informé le requérant que les questions qu’il soulevait [TRADUCTION]  « sont prématurées puisque l’enquêteuse n’a pas encore terminé son enquête visant à déterminer s’il y a eu erreur, omission ou inconduite, et que si c’est le cas, elle n’a pas encore déterminé si cette erreur, omission ou inconduite a eu une incidence sur la sélection de la personne nommée ou proposée aux fins de nomination ».

[15]           Le 15 avril 2015, le requérant a déposé son avis de requête de contrôle judiciaire. Le requérant demande que soit rendue une ordonnance rejetant les enquêtes de la CFP en tenant pour acquis que la CFP ne détient pas la compétence requise pour les ouvrir ou, autrement, parce qu’elles sont maintenant sans objet. Il est également d’avis que la demande n’est pas prématurée. Enfin, il demande à obtenir une ordonnance de prolongation pour le dépôt de son avis de requête, si la Cour juge qu’il l’a déposé en retard.

[16]           L’intimé soutient que l’avis de requête de contrôle judiciaire a été déposé de façon prématurée, puisque la décision d’ouvrir une enquête visant un processus de nomination ne représente qu’une étape interlocutoire dans un processus d’enquête administratif; par conséquent, cette décision ne peut faire l’objet d’un examen en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Par ailleurs, l’intimé fait aussi valoir que si l’avis de requête n’est pas prématuré, il a été déposé en retard, soit plus de huit (8) mois après que le requérant eut été informé de la tenue de l’enquête. Enfin, l’intimé met en doute l’affirmation du requérant selon laquelle la CFP ne détient pas la compétence requise pour mener une enquête.

II.                Dispositions législatives pertinentes

[17]           L’article 66 de la LEFP prescrit :

66. La Commission peut mener une enquête sur tout processus de nomination externe; si elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, la Commission peut :

66. The Commission may investigate any external appointment process and, if it is satisfied that the appointment was not made or proposed to be made on the basis of merit, or that there was an error, an omission or improper conduct that affected the selection of the person appointed or proposed for appointment, the Commission may

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

III.             Discussion

[18]           Je suis d’accord avec l’affirmation de l’intimé selon laquelle la question à trancher en l’espèce est la prématurité de la demande de contrôle judiciaire.

[19]           Il est bien établi en droit que sauf dans des circonstances exceptionnelles, les parties insatisfaites de questions soulevées pendant un processus administratif en cours doivent exercer leurs droits et leurs recours dans le cadre de ce processus. Elles ne peuvent demander un contrôle judiciaire qu’une fois le processus administratif achevé ou lorsque celui‑ci ne permet pas de recours efficaces. (Canada [Agence des services frontaliers] c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, paragraphe 4, 28, 30‑32, [2011] 2 RCF 332 [C.B. Powell]) Le principe de non‑intervention des tribunaux dans les processus administratifs en cours a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, par. 35 à 38, [2012] JCS Nº 10 (QL) [Halifax].

[20]           S’appuyant sur d’autres cas de jurisprudence (Fairmont Hotels Inc c. Canada [Corporations], 2007 CF 95, 308 FTR 163; Howe c. Institut des comptables agréés de l’Ontario, [1994] 19 O.R. [3d] 483 [ON CA]; Pfeiffer c. Canada [Surintendant des faillites], [1996] 3 RCF 584, 116 FTR 173), le requérant fait valoir que les demandes de contrôle judiciaire qui atteignent la compétence de base à savoir si une enquête devrait ou non avoir été ouverte en premier lieu constituent des exceptions à la règle par rapport aux demandes de contrôle judiciaire prématurées. Il affirme que l’exercice fautif de la compétence est une [TRADUCTION« circonstance spéciale» qui nécessite une intervention hâtive de la part de la Cour.

[21]           La détermination à savoir si la présence d’une question d’ordre juridictionnel constitue une « circonstance exceptionnelle » justifiant une intervention hâtive de la part des tribunaux a été examinée en détail dans l’affaire C.B. Powell (par. 39‑46). La Cour d’appel fédérale a affirmé qu’un nombre très limité de circonstances peuvent être jugées « exceptionnelles » et qu’il est très difficile d’atteindre le seuil à respecter. Elle a fait remarquer que dans le passé, les tribunaux interféraient avec les décisions préliminaires ou interlocutoires des organes administratifs en qualifiant ces décisions de « questions préliminaires » se rapportant à la « compétence ». S’appuyant sur les décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.‑B., [1979] 2 RCS 227, p. 233, et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 43, [2008] 1 RCS 190, la Cour d’appel fédérale a réitéré que [TRADUCTION« le recours à l’appellation “compétence” pour justifier l’interférence juridictionnelle dans le cadre de processus décisionnels administratifs en cours n’est plus approprié ». Le rejet de la [TRADUCTION] « question préliminaire de compétence » par la Cour d’appel fédérale a aussi été retenu par la Cour suprême du Canada dans la décision Halifax, au par. 38.

[22]           En l’espèce, la décision de la CFP de mener une enquête visant le processus de nomination ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire puisqu’il ne s’agit pas d’une décision définitive. Elle n’a pas d’incidence sur les droits légaux du requérant, n’impose pas d’obligations juridiques et ne cause pas d’effets défavorables au requérant (Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et coll., 2011 CAF 347, au paragraphe 29, 42, [2013] 3 RCF 605). Une lettre de la directrice de la Direction des enquêtes datée du 9 avril 2015 indique explicitement que les questions soulevées par le requérant sont prématurées puisque l’enquêteuse n’a pas terminé son enquête. Lorsque l’enquête sera terminée, le requérant sera en meilleure position pour déterminer s’il souhaite contester la décision devant la Cour. Le fait que l’enquête peut encore révéler qu’aucune erreur, omission ou inconduite n’a été commise pendant le processus de nomination démontre la raison pour laquelle la Cour ne peut autoriser le contrôle demandé par le requérant. Si l’enquête ne révèle rien, il est probable que le requérant ne souhaitera pas poursuivre cette affaire, et le recours aux tribunaux serait inutile.

[23]           Le requérant soutient qu’il [TRADUCTION« ne serait pas logique ni rentable pour la Commission de poursuivre des enquêtes potentiellement ultra vires au cours des prochaines années alors que la compétence requise pour les lancer peut faire l’objet d’une décision immédiate  ». Il ajoute que les enquêtes de la CFP sont [TRADUCTION] « intrusives et coûteuses en temps » et qu’il est [TRADUCTION] « dans l’intérêt de la justice d’éviter les enquêtes inutiles, si possible ». Même si l’argument du requérant est convaincant du point de vue économique, je ne le juge pas déterminant puisqu’il peut être avancé dans la plupart des cas donnant lieu à des questions juridictionnelles préliminaires. De plus, le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve permettant d’étayer son affirmation selon laquelle l’enquête sera intrusive et coûteuse en temps.

[24]           À mon avis, les intérêts de la justice seraient mieux servis si la Cour attendait les conclusions de l’enquête avant d’intervenir. C’est seulement à ce moment‑là que la Cour pourra se fonder sur un dossier complet pour examiner les questions soulevées par le requérant, y compris l’interprétation faite par la CFP de l’article 66 de la LEFP.

[25]           Je conclus qu’il n’y a en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle qui pourrait justifier une intervention hâtive de la part de la Cour. La demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée.

[26]           À la lumière de la conclusion susmentionnée, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments avancés par le requérant, étant donné que la demande de contrôle judiciaire est sans objet ou hors délais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens imputés au requérant et fixés à 2 000 $.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-582-15

INTITULÉ :

KENT DANIEL GLOWINSKI

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE juge ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 février 2016

COMPARUTIONS :

Kent Daniel Glowinski

Pour le requérant

(EN SON PROPRE NOM)

Marie-Josée Montreuil

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimé

 

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