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Date : 20160229


Dossiers : IMM-6828-12

IMM-1-13

Référence : 2016 CF 257

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 février 2016

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : IMM-6828-12

ENTRE :

HAIYAN GONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-1-13

ET ENTRE :

YOUNG MI BACK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de demandes de bref de mandamus présentées en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [Loi], visant à enjoindre au défendeur de traiter les demandes de résidence permanente des demandeurs qui ont été présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF] et auxquelles il a été mis fin en vertu du paragraphe 87.4(1) de la Loi.

II.                CONTEXTE

A.                Modifications législatives

[2]               Par suite de modifications législatives apportées à la Loi, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) n’a plus l’obligation légale de traiter toutes les demandes qu’il reçoit au titre de la catégorie des TQF. Ces modifications, qui ont été apportées en vertu du projet de loi C-50, ont également habilité le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] à mettre en œuvre des instructions ministérielles qui définissent les priorités de traitement des demandes pour satisfaire aux objectifs du gouvernement du Canada en matière d’immigration, notamment quant à la réduction des délais de traitement et à l’amélioration de l’efficacité globale.

[3]               La première de ces instructions ministérielles a été publiée dans la Gazette du Canada le 29 novembre 2008 en tant qu’article 87.3 de la Loi [IM-1] Cet article s’appliquait aux demandes reçues le 27 février 2008, ou après cette date, et visait à limiter le traitement des nouvelles demandes reçues au titre de la catégorie des TQF à celles qui répondaient à des critères d’admissibilité précis, notamment à une liste des professions prioritaires.

[4]               Plus récemment, en avril 2012, d’autres modifications se sont traduites par l’inclusion de l’article 87.4 dans la Loi. L’ajout de cet article a eu pour effet d’éliminer une partie de l’arriéré des demandes présentées au titre de la catégorie des TQF, en annulant celles faites avant le 27 février 2008 et à l’égard desquelles aucune décision n’avait été rendue au 29 mars 2012.

B.                 Contexte du litige

[5]               En 2011, l’avocat qui représentait alors les demandeurs a introduit une série de demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire, en vue d’obtenir un bref de mandamus à l’égard d’un nombre important de demandes en instance au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Les demandeurs étaient divisés en deux groupes distincts : ceux qui avaient présenté une demande au titre de la catégorie des TQF avant l’entrée en vigueur de l’article 87.3 [groupe précédant l’introduction du projet de loi C-50] et ceux qui les avaient présentées après l’entrée en vigueur de l’article 87.3 et qui étaient ainsi assujettis aux conditions de l’IM-1 [groupe visé par l’IM-1].

[6]               Les demandes des plaideurs ont fait l’objet d’une gestion d’instance, l’affaire Emam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1477 [Emam] étant choisie comme cas type. Sous la direction du juge Barnes, les parties ont élaboré un protocole visant à promouvoir l’opportunisme et à mieux structurer le litige [le Protocole]. Le Protocole, qui énonce les « les principales questions communes à régler », prévoyait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

13. Si la Cour tranche la cause type en se basant sur les instructions ministérielles, les demandeurs conviennent que cela se traduira par le rejet de demandes. Les autres demandeurs mettront donc fin à leur demande s’ils ne peuvent en appeler de la décision de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale.

14. Si les arguments du défendeur sont rejetés, le défendeur se laissera guider par les décisions rendues dans les causes types, sous réserve de l’épuisement des droits d’appel, pour le règlement possible des autres affaires laissées en suspens.

Le Protocole a été ratifié par les parties en février 2012 et deux causes types ont été choisies aux fins du litige : IMM-9634-11 [Liang] représentant les demandes antérieures au projet de loi C-50 et IMM-137-12 [Gurung] représentant les demandes assujetties aux IM-1 : Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758.

[7]               Dans l’affaire Liang, précitée, la Cour a conclu que le délai de traitement de la demande présentée par M. Liang en vue d’obtenir un visa de travailleur qualifié dépassait, sans explication ni justification, le temps de traitement prévu par le ministre. Estimant qu’il y avait eu refus implicite de s’acquitter d’une obligation légale, le juge Rennie a accordé un bref de mandamus. Dans l’affaire Gurung, précitée, la Cour a conclu que le ministre avait fourni des motifs suffisants pour justifier le délai de traitement, en invoquant des préoccupations découlant de fausses déclarations. En soi, le recours a été refusé.

[8]               Par suite de l’arrêt Liang, les plaideurs dont les demandes au titre de la catégorie des TQF avaient été annulées en vertu de l’article 87.4 ont demandé à la Cour des directives quant à la manière dont la décision dans Liang devrait être appliquée pour permettre le traitement de leurs propres demandes. Le juge Barnes a toutefois conclu que le recours accordé dans l’arrêt Liang ne s’appliquait pas à leur cas et qu’il était toujours mis fin à leurs demandes en vertu de l’article 87.4 : voir Emam, ci-dessus.

[9]               La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont été saisies de diverses requêtes contestant la validité de l’article 87.4, mais toutes deux ont confirmé que cette disposition mettait bien fin aux demandes présentées au titre de la catégorie des TQF et qu’elle ne contrevenait pas à la Déclaration canadienne des droits, à la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [Charte], au principe de la primauté du droit ou à l’indépendance judiciaire : Tabingo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377 [Tabingo]; Austria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, aux paragraphes 75 à 77 [Austria].

[10]           En février 2014, la Cour a reçu une lettre au sujet des demandes qui avaient été présentées avant l’adoption du projet de loi C-50 et auxquelles le défendeur estimait qu’il avait été mis fin, mais qui étaient pendantes dans l’attente de la décision dans l’affaire Austria, précitée. Les parties à ce litige ont décidé que cet ensemble de demandes devrait être réparti entre les deux causes types suivantes : Back c. Canada (Citoyenneté et Immigration) [Back] et Gong c. Canada (Citoyenneté et Immigration) [Gong].

C.                 Back et Gong

[11]           Pour déterminer si une demande relève à juste titre de l’affaire Back, il faut déterminer si cette demande a été déposée auprès de la Cour fédérale avant que soit rendue la décision dans l’affaire Liang précitée. Pour déterminer si une demande relève à juste titre de l’affaire Gong, il faut déterminer si cette demande a été déposée auprès de la Cour fédérale après que la décision a été rendue dans l’affaire Liang précitée.

[12]           Mme Young Mi Back est une citoyenne coréenne, dont la demande représente le cas type pour les demandes contestant la validité de l’article 87.4 et dont l’inclusion en vertu du Protocole n’est pas contestée. Mme Back a présenté sa demande au titre de la catégorie des TQF le 15 janvier 2008. Son cas représente les demandes présentées avant le 27 février 2008.

[13]           Mme Haiyan Gong est le cas type pour toutes les demandes contestant la validité de l’article 87.4 et dont l’inclusion en vertu du Protocole est contestée, ainsi que les demandes contestant les effets d’une décision quant à la sélection rendue après le 29 mars 2012. Mme Gong a présenté sa demande au titre de la catégorie des TQF le 1er septembre 2006. Son cas représente les demandes présentées après le 27 février 2008 mais avant le 25 juin 2010.

III.             QUESTIONS FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14]           Des décisions comparables ont été rendues dans les deux causes types représentant ces demandes. Comme les deux demandes ont été présentées avant le 27 février 2008, et qu’aucune décision quant à la sélection n’avait été rendue avant le 29 mars 2012, aucune n’a été traitée par Citoyenneté et Immigration Canada. Il a été mis fin à ces demandes le 29 juin 2012, en application du paragraphe 87.4(1) de la Loi.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Ainsi qu’il a été plaidé devant moi durant l’audition de la demande, les principales questions en litige devant être examinées par la Cour portent sur les points suivants :

1.      La force exécutoire du Protocole ratifié par les parties;

2.      L’applicabilité et la constitutionnalité de l’article 87.4 de la Loi;

3.      Les demandeurs se sont-ils fiés, à leur détriment, à l’attente légitime que leurs demandes seraient traitées entièrement;

4.      Peut-on obliger le ministre, en vertu de l’article 25.2 de la Loi, à traiter les demandes présentées au titre de la catégorie des TQF;

5.      L’article 87.4 de la Loi contrevient-il à l’indépendance judiciaire et prive-t-il les demandeurs de leur droit d’accès à la justice;

6.      L’application de l’article 87.4 de la Loi constitue-t-elle un abus de procédure.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[16]           Il s’agit essentiellement d’une demande de bref de mandamus. Les demandeurs sollicitent la Cour d’ordonner le traitement de leurs demandes présentées au titre de la catégorie des TQF. En conséquence, la Cour appliquera les principes bien établis énoncés par le juge de Montigny dans l’arrêt Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 757, au paragraphe 48 :

Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, au paragraphe 45; conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, la Cour d’appel fédérale a énoncé les conditions à remplir pour qu’un bref de mandamus soit délivré; ces conditions ont été bien résumées par ma collègue, la juge Danièle Tremblay-Lamer :

1) il existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur;

2) l’obligation doit exister envers le demandeur;

3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment,

a) le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable; et

4) il n’existe aucun autre recours.

Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33, (1re inst.), au paragraphe 8.

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à l’initiative du ministre

Humanitarian and compassionate considerations – Minister’s own initiative

25.1 (1) Le ministre peut, de sa propre initiative, étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — ou qui ne se conforme pas à la présente loi; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25.1 (1) The Minister may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Séjour dans l’intérêt public

Public policy considerations

25.2 (1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui-ci estime que l’intérêt public le justifie.

25.2 (1) The Minister may, in examining the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, grant that person permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the foreign national complies with any conditions imposed by the Minister and the Minister is of the opinion that it is justified by public policy considerations.

Instructions sur le traitement des demandes

Instructions on Processing Applications and Requests

87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) — sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) —, aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

87.3 (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsections 11(1) and (1.01), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), to sponsorship applications made under subsection 13(1), to applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada, to applications for work or study permits and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions:

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions:

(a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

(a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci;

(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;

(b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

(c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

(d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

(3.1) Les instructions peuvent, lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet.

(3.1) An instruction may, if it so provides, apply in respect of pending applications or requests that are made before the day on which the instruction takes effect.

(3.2) Il est entendu que les instructions données en vertu de l’alinéa (3)c) peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro.

(3.2) For greater certainty, an instruction given under paragraph (3)(c) may provide that the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year be set at zero

(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.

(4) Officers and persons authorized to exercise the powers of the Minister under section 25 shall comply with any instructions before processing an application or request or when processing one. If an application or request is not processed, it may be retained, returned or otherwise disposed of in accordance with the instructions of the Minister.

(5) Le fait de retenir ou de retourner une demande ou d’en disposer ne constitue pas un refus de délivrer les visa ou autres documents, d’octroyer le statut ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables.

(5) The fact that an application or request is retained, returned or otherwise disposed of does not constitute a decision not to issue the visa or other document, or grant the status or exemption, in relation to which the application or request is made.

(6) Les instructions sont publiées dans la Gazette du Canada.

(6) Instructions shall be published in the Canada Gazette.

(7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi.

(7) Nothing in this section in any way limits the power of the Minister to otherwise determine the most efficient manner in which to administer this Act.

Travailleurs qualifiés (fédéral)

Federal Skilled Workers

87.4 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

87.4 (1) An application by a foreign national for a permanent resident visa as a member of the prescribed class of federal skilled workers that was made before February 27, 2008 is terminated if, before March 29, 2012, it has not been established by an officer, in accordance with the regulations, whether the applicant meets the selection criteria and other requirements applicable to that class.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieur a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

(2) Subsection (1) does not apply to an application in respect of which a superior court has made a final determination unless the determination is made on or after March 29, 2012.

(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent en application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

(3) The fact that an application is terminated under subsection (1) does not constitute a decision not to issue a permanent resident visa.

(4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor.

(4) Any fees paid to the Minister in respect of the application referred to in subsection (1) — including for the acquisition of permanent resident status — must be returned, without interest, to the person who paid them. The amounts payable may be paid out of the Consolidated Revenue Fund.

(5) Nul n’a de recours contre sa Majesté ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin en vertu du paragraphe (1).

(5) No person has a right of recourse or indemnity against Her Majesty in connection with an application that is terminated under subsection (1).

VII.          ARGUMENT

A.                Demandeurs

(1)               Article 87.4 de la Loi

[18]           Faisant référence à la décision rendue dans Liang, les demandeurs soutiennent que le défendeur a refusé d’appliquer le Protocole signé en alléguant que l’article 87.4 de la Loi le lui interdisait. Les demandeurs contestent la constitutionnalité, l’effet et l’applicabilité de l’article 87.4 si celui-ci empêche l’application du Protocole.

[19]           Ils allèguent que l’application du Protocole ne contreviendrait pas à l’article 87.4 et que son application en vertu de l’article 25 de la Loi n’enfreindrait pas les règles de droit. Les demandeurs soutiennent en outre que les paragraphes 87.4(2) et (5) sont inconstitutionnels et inopérants si l’application du Protocole constitue une violation de la loi, car, en réalité, ces paragraphes indiquent à la Cour quelles décisions doivent être rendues dans les causes dont elle est saisie et comment rendre ces décisions. De l’avis des demandeurs, ces dispositions sont totalement et manifestement inconstitutionnelles, faisant entrave au droit de chacun à l’application régulière de la loi reconnu par la Charte (y compris l’accès au contrôle judiciaire et le droit d’intenter une action en responsabilité délictuelle), ainsi qu’à l’indépendance judiciaire de la Cour : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 27 à 31 [Dunsmuir].

[20]           Les demandeurs allèguent que les demandes en l’espèce (avant et après Liang) ont été faites avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4. L’application de cet article constitue donc une instruction inadéquate et rétroactive de la législature à l’intention d’une cour supérieure.

[21]           Ils soutiennent par ailleurs que, si la Cour devait déclarer le paragraphe 87.4(2) inconstitutionnel, on ne pourrait statuer que le paragraphe 87.4(1) s’applique aux cas en l’espèce, car leurs demandes ont été faites avant l’entrée en vigueur du paragraphe 87.4(1) le 29 juin 2012. Mettre fin à des demandes qui sont devant la Cour et qui ont été déposées avant l’entrée en vigueur de l’article même qui est censé y mettre fin porterait atteinte au principe de l’indépendance judiciaire, ainsi qu’au droit constitutionnel au contrôle judiciaire.

[22]           Soulignant l’abondante jurisprudence confirmant la maxime voulant qu’il n’existe pas de droit sans recours, les demandeurs allèguent que leur refuser le droit de demander un recours approprié équivaut à leur refuser leur droit constitutionnel au contrôle judiciaire pour lequel une autorisation a été accordée : R c. Mills, [1986] 1 RCS 863; Nelles c. Ontario, [1989] 2 RCS 170.

(2)               Recours abusif à la procédure

[23]           Les demandeurs font valoir que la position du défendeur constitue un recours abusif à la procédure, auquel la Cour devrait remédier pour un certain nombre de motifs. Premièrement, les fonctionnaires du défendeur savaient, avant de ratifier le Protocole, que la décision de mettre fin aux demandes au titre de la catégorie des TQF avait déjà été rendue. Deuxièmement, les demandes en question ont été déposées avant la promulgation de l’article 87.4. Troisièmement, l’article 25 de la Loi peut continuer de s’appliquer au Protocole, nonobstant les questions liées à l’article 87.4. Quatrièmement, le défendeur fait valoir, à tort, que la question du Protocole relève de l’autorité de la chose jugée à la suite de la décision rendue dans Tabingo, précité.

(3)               Recours subsidiaire en vertu de l’article 25

[24]           Les demandeurs font valoir que, pour assurer une bonne administration de la justice et remédier à un abus de procédure, le Protocole devrait, en substance, être appliqué en vertu de l’article 25 pour des motifs d’ordre humanitaire et d’intérêt public même si les paragraphes 87.4(2) et (5) sont jugés constitutionnels, ceci afin de préserver l’intégrité de l’administration de la justice et la primauté sous-jacente du droit.

(4)               Dépens

[25]           Les demandeurs allèguent que les circonstances en l’espèce justifient l’allocation de dépens procureur-client.

B.                 Défendeur

(1)               Article 87.4 de la Loi

[26]           Le défendeur soutient que bon nombre des arguments soulevés par les demandeurs ont déjà fait l’objet d’un examen approfondi et été rejetés par la Cour et la Cour d’appel fédérale, et que l’article 87.4 a déjà été déclaré valide en droit.

[27]           De l’avis du défendeur, le Protocole prévoit que l’issue des deux cas types doit guider le défendeur dans son approche utilisée pour le traitement des autres demandes au titre de la catégorie des TQF. Le Protocole ne reconnaît toutefois pas de droit acquis en matière de traitement, ni l’attente d’un résultat global. Contrairement à ce que laissent entendre les demandeurs, la décision dans Liang n’était pas entièrement favorable. Son applicabilité aux demandes en l’espèce doit être examinée avec soin, en particulier compte tenu du fait que cette décision ne traite nullement des demandes au titre de la catégorie des TQF auxquelles il a été mis fin en vertu de la loi.

[28]           Le Protocole indique que le défendeur devrait se laisser « guider » par les résultats dans l’affaire Liang, mais ne va pas jusqu’à lier le défendeur à un recours particulier. Le Protocole ne reconnaît pas un droit acquis à la poursuite du traitement des demandes, ni ne crée d’attente légitime qui empêcherait qu’on mette fin à ces demandes. Il se limite expressément aux cas types dans l’affaire Liang. De plus, le défendeur ne peut pas simplement faire abstraction de lois dûment promulguées, ou de quelque manière lier le Parlement, du seul fait qu’il a signé le Protocole. Le défendeur soutient que le libellé général du paragraphe 87.4(1) englobe toutes les demandes visées au titre de la catégorie des TQF, y compris celles assujetties à un accord de gestion d’instance – le libellé clair et général utilisé par la législature en faisant une clause déterminante.

[29]           Le défendeur dit qu’il ne peut être légalement tenu d’appliquer l’article 25.2 de la Loi, car cet article est fondé sur le principe de l’intérêt public – une forme de recours qui n’est pas envisagée dans la jurisprudence.

[30]           L’argument des demandeurs selon lequel l’article 87.4 porte atteinte à l’indépendance judiciaire ne devrait pas être retenu, car il a été rejeté par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale (affaire Tabingo précitée, paragraphes 50 à 59). Cet argument échoue également sur le principe, car le droit au contrôle judiciaire n’est pas absolu et qu’il peut être supplanté par la loi, et que les « droits acquis » ne sont pas exemptés des effets de la loi : Gustavson Drilling (1964) Ltd c. Ministre du Revenu national  [1977] 1 RCS 271; Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, articles 18 et 18.1; Loi, paragraphe 72(1); Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd, 2006 CAF 195. Le défendeur allègue également qu’un bref de mandamus ne peut être délivré qu’en cas de manquement à une obligation imposée par le droit public.

(2)               Recours abusif à la procédure

[31]           Le défendeur estime que les demandeurs ne peuvent obtenir réparation pour abus de procédure, car ni l’arrêt de demandes présentées au titre de la catégorie des TQF, ni l’absence de motif d’ordre humanitaire, ne constitue un abus de procédure.

[32]           Qu’un des fonctionnaires du défendeur ait pu être informé, lors de la signature du Protocole, d’un possible plan futur visant à mettre fin aux demandes TQF ne constitue pas, à proprement parler, un abus de procédure. Les demandeurs ont fait cette affirmation sans démontrer que le fonctionnaire qui avait autorisé le Protocole était la personne à qui ils faisaient référence, et sans reconnaître le fait qu’aucune loi comportant des dispositions visant à mettre fin à des demandes n’avait été présentée au moment de la signature du Protocole.

[33]           Le défendeur conteste également la validité de l’affirmation selon laquelle il y a eu abus de procédure du fait que le défendeur a invoqué l’autorité de la chose jugée. C’est à tort que les demandeurs se fondent sur la décision rendue dans États-Unis d’Amérique c. Cobb, 2001 CSC 587 [Cobb], car les faits et questions en cause totalement différents. Aucune loi n’interdisait la réparation demandée dans Cobb.

[34]           Le défendeur soutient par ailleurs que, même s’il avait été correctement démontré qu’il y avait eu abus de procédure, les demandeurs n’ont pu démontrer que l’intérêt public justifiait réparation en l’espèce. Quoi qu’il en soit, la réparation demandée ne s’inscrit pas dans les limites du droit, car la Cour ne peut faire abstraction d’une disposition législative pertinente, ni ordonner un bref de mandamus à l’égard de demandes TQF auxquelles il a été mis fin. Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, paragraphe 120.

(3)               Recours subsidiaire en vertu de l’article 25

[35]           La requête de recours subsidiaire des demandeurs ne devrait pas être accueillie, car elle attribue au Protocole des dispositions qui n’y figurent pas. L’article 87.4 annule toute attente de cette nature de la part des demandeurs, car une demande TQF à laquelle il a été mis fin supprime tout droit présumé à un recours subsidiaire.

[36]           Le défendeur fait également valoir que la demande de un million de dollars des demandeurs constitue une requête en dommages-intérêts déguisée, requête qui ne peut être présentée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, au paragraphe 3. De plus, le paragraphe 87.4(5) de la Loi interdit l’attribution de dommages-intérêts relativement à une demande à laquelle il a été mis fin.

(4)               Dépens

[37]           Soulignant les critères élevés établis par la Cour fédérale pour l’octroi de dépens, le défendeur fait référence à une série de « commentaires désobligeants » formulés par les demandeurs, et fait valoir que toute requête de la part des demandeurs visant à obtenir des dépens à l’encontre du défendeur serait inappropriée : Ndungu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208, paragraphe 7; Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, Règle 22.

VIII.       ANALYSE

A.                Le Protocole

[38]           Les demandeurs allèguent que la Cour devrait appliquer le Protocole en leur faveur et ordonner au ministre de traiter leurs demandes au titre de la catégorie des TQF conformément au Protocole. Subsidiairement, ils soutiennent que, si l’article 87.4 les prive de droits qui leur sont dévolus en vertu du Protocole, cet article est alors inconstitutionnel pour diverses raisons.

[39]           Les « droits acquis » revendiqués par les demandeurs sont indiqués au paragraphe 14 du Protocole qui se lit comme suit :

Si les arguments du défendeur sont rejetés, le défendeur se laissera guider par les décisions rendues dans les causes types, sous réserve de l’épuisement des droits d’appel, pour le règlement possible des autres affaires laissées en suspens.

[40]           Il apparaît immédiatement, à la lecture du libellé sans équivoque de ce paragraphe, que les demandeurs n’ont aucun « droit acquis » à revendiquer. Non seulement ce paragraphe mentionne-t-il que « le défendeur se laissera guider par les décisions rendues dans les causes types », mais il mentionne également le « règlement possible des autres affaires laissées en suspens » (italique ajouté). Il n’y est pas indiqué « le règlement des autres affaires laissées en suspens ». Le mot « possible » a une importance ici, sans quoi il n’aurait pas été utilisé. La référence au caractère « possible » du règlement signifie, inévitablement, qu’il peut y avoir règlement, mais qu’il peut également ne pas en avoir, et ce, pour diverses raisons.

[41]           La position actuelle des demandeurs est que le ministre est tenu de traiter leurs demandes au titre de la catégorie des TQF, sans égard à l’article 87.4. Je suis toutefois d’avis que le Protocole envisage clairement la possibilité que leurs demandes ne puissent être traitées. Le Protocole ne prévoit aucune disposition précise quant au traitement qui doit être fait des demandes présentées au titre de la catégorie des TQF, lorsque la loi qui régit ces demandes est modifiée avant que les demandes ne puissent être traitées; en revanche, on comprend facilement pourquoi le Protocole ne précise pas que les demandes devront être traitées, quelles que soient les modifications apportées à la loi. Le ministre ne pourrait jamais prendre pareil engagement, car, ce faisant, il s’engagerait à faire abstraction de la volonté du Parlement exprimée dans les lois en vigueur. Or rien ne me laisse croire que telle était l’intention du ministre et, même si c’était le cas, aucun engagement ne pourrait éclipser les effets de quelque législation parlementaire valablement édictée ayant une incidence sur les demandes en litige. L’engagement de se laisser « guider » par les décisions rendues dans les causes types n’inclut pas la promesse de traiter les demandes auxquelles il a été valablement mis fin par le Parlement. Si telle avait été l’intention de l’avocat au moment de la signature du Protocole, il aurait dû en faire la demande. Mais même s’il l’avait fait, la réponse aurait été sans équivoque : cela est impossible.

[42]           Le juge Barnes a déjà fait référence à cette situation dans l’ordonnance rendue le 14 décembre 2012 dans l’affaire Emam précitée :

[TRADUCTION]

[7] Il va de soi que les décisions rendues par le juge Rennie dans les arrêts Liang et Gurung, précités, n’offrent aucune orientation sur la manière de régler les questions relevant de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. Comme l’a souligné le juge Rennie, « chaque affaire doit être évaluée au cas par cas » pour déterminer s’il existe une explication satisfaisante pouvant justifier un retard de traitement démesuré. Si le défendeur a raison et que la loi est valide et dépourvue d’ambiguïté, il n’y a aucun élément à prendre en compte et la décision du juge Rennie n’offre aucune directive quant au traitement des demandes auxquelles il a été mis fin. Si cette loi est maintenue, la Cour ne peut y passer outre ou en faire abstraction sur la base d’une allégation non fondée d’injustice ni pour quelque autre motif d’ailleurs. Reste à savoir si le litige en cours aura gain de cause; cependant, en attendant qu’une décision soit rendue, la Cour doit présumer de la validité de la loi.

[43]           Il n’existe donc à mon avis aucun fondement en vertu duquel la Cour pourrait ordonner un bref de mandamus en se fondant uniquement sur le Protocole. Les demandeurs doivent convaincre la Cour que l’article 87.4 ne s’applique pas à leurs demandes au titre de la catégorie des TQF ou, s’il s’applique, que cette disposition législative est inconstitutionnelle.

B.                 Applicabilité de l’article 87.4

[44]           L’article 87.4 de la Loi est libellé comme suit :

Travailleurs qualifiés (fédéral)

Federal Skilled Workers

87.4 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

87.4 (1) An application by a foreign national for a permanent resident visa as a member of the prescribed class of federal skilled workers that was made before February 27, 2008 is terminated if, before March 29, 2012, it has not been established by an officer, in accordance with the regulations, whether the applicant meets the selection criteria and other requirements applicable to that class.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes à l’égard desquelles une cour supérieur a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 29 mars 2012 ou après cette date.

(2) Subsection (1) does not apply to an application in respect of which a superior court has made a final determination unless the determination is made on or after March 29, 2012.

(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent en application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

(3) The fact that an application is terminated under subsection (1) does not constitute a decision not to issue a permanent resident visa.

(4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor.

(4) Any fees paid to the Minister in respect of the application referred to in subsection (1) — including for the acquisition of permanent resident status — must be returned, without interest, to the person who paid them. The amounts payable may be paid out of the Consolidated Revenue Fund.

(5) Nul n’a de recours contre sa Majesté ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin en vertu du paragraphe (1).

(5) No person has a right of recourse or indemnity against Her Majesty in connection with an application that is terminated under subsection (1).

[45]           Dans l’affaire Tabingo, précitée, le juge Rennie a conclu que l’article 87.4 était une disposition législative valide :

[139]    Un mandamus peut être délivré pour contraindre une autorité publique à exécuter une obligation à laquelle elle est tenue en vertu de sa loi habilitante. Puisque j’ai conclu que l’article 87.4 de la LIPR est une disposition législative dépourvue d’ambiguïté et constitutionnellement valide, il est mis fin aux demandes et le défendeur n’a aucune obligation légale de continuer à les traiter. Un mandamus ne peut pas être ordonné.

[...]

[147]    Comme je l’ai noté précédemment, les demandeurs ont attendu en file pendant de nombreuses années pour finalement découvrir que la porte d’entrée était fermée. Ils considèrent que la fin de leur espoir d’une nouvelle vie au Canada résulte d’une mesure injuste, arbitraire et inutile. Cependant, l’article 87.4 est une disposition légale valide, conforme au principe de la primauté du droit, à la Déclaration des droits et à la Charte. Il a été mis fin aux demandes par effet de la loi, et la Cour ne peut pas ordonner un mandamus.

[46]           La Cour d’appel fédérale a rejeté tous les appels de la décision rendue par le juge Rennie dans Tabingo. Voir Austria, précité.

[47]           Les demandeurs font valoir que, dans Tabingo, le juge Rennie n’a pas statué sur la portée et la constitutionnalité du paragraphe 87.4(2). Ils allèguent que ce paragraphe empêche qu’il soit mis fin à leurs demandes, car, même si celles-ci sont visées par le paragraphe 87.4(1), le paragraphe 87.4(2) prévoit qu’on ne peut mettre fin aux demandes dont la Cour a déjà été saisie, y compris les leurs.

[48]           Il ressort clairement du dossier qu’aucune décision quant à la sélection n’avait été rendue avant le 29 mars 2012 à l’égard des deux demandes en cause en l’espèce. Les demandeurs invoquent donc l’exception prévue au paragraphe 87.4(2).

[49]           Si je comprends bien l’argumentation des demandeurs, ceux-ci font valoir que le Protocole est une décision finale de la Cour et donc que toutes les causes qui y sont assujetties sont exemptées de l’application du paragraphe 87.4(1) en vertu du paragraphe 87.4(2). Les demandeurs invoquent à l’appui le paragraphe 17 du Protocole. Ce paragraphe se lit comme suit :

[traduction]

En attendant l’issue des causes types, toutes les autres causes connexes sont laissées en suspens, de même que toutes nouvelles demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire qui seront déposées ultérieurement et portées à l’attention du juge responsable de la gestion d’instance. Le défendeur demeure dégagé de l’obligation de déposer un avis de comparution pour toute nouvelle demande d’autorisation présentée.

[50]           On voit mal comment le Protocole pourrait être qualifié de « décision finale » rendue à l’égard d’une « demande » présentée « le 29 mars 2012 ou après cette date ». Le Protocole n’est rien de plus qu’un outil de gestion d’instance, qui a été créé pour traiter un grand nombre d’affaires portant sur des questions de droit similaires. Quelque décision finale rendue en vertu du Protocole ne peut porter que sur le processus à suivre pour parvenir à une décision finale. Il ne peut s’agir d’une décision finale à l’égard d’une « demande »; de plus, comme je l’ai mentionné précédemment, le paragraphe 14 du Protocole parle d’un « règlement possible » des affaires en suspens. En bref, je ne peux conclure que le paragraphe 87.4(2) soustrait les demandeurs à l’application du paragraphe 87.4(1).

C.                 Constitutionnalité de l’article 87.4

[51]           Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge Rennie a déjà conclu, dans l’affaire Tabingo précitée, que l’article 87.4 est une disposition législative valide, conforme au principe de la primauté du droit, à la Déclaration des droits et à la Charte. Et la Cour d’appel fédérale a maintenu cette décision.

[52]           Les demandeurs souhaitent maintenant soulever un certain nombre d’arguments constitutionnels qui, à leur avis, n’ont pas été examinés par le juge Rennie dans Tabingo. Ils soutiennent notamment que le paragraphe 87.4(2) est inopérant s’il est invoqué pour mettre fin à des demandes au titre de la catégorie des TQF qui faisaient l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour, car il porte atteinte à l’indépendance judiciaire ainsi qu’à l’équité et à l’impartialité du pouvoir judiciaire.

[53]           Comme le paragraphe 87.4(2) prévoit une exception au paragraphe 87.4(1) qui, selon ma conclusion, ne s’applique pas aux demandeurs, il me semble que les arguments constitutionnels invoqués par les demandeurs concernent plutôt le paragraphe 87.4(1), car c’est en vertu de ce paragraphe qu’il a été mis fin à leurs demandes.

[54]           Pour éviter d’être assujettis à la décision rendue dans Tabingo, les demandeurs soulèvent de nouveaux arguments constitutionnels et arguments en vertu de la Charte à l’encontre de l’article 87.4, s’appuyant sur les décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 au paragraphe 42 [Bedford] et Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 au paragraphe 44 [Carter].

[55]           Le paragraphe 42 dans Bedford se lit comme suit :

À mon avis, le juge du procès peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne.

[56]           Le paragraphe 44 dans Carter se lit comme suit :

La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 42).

[57]           Bien que les demandeurs insistent sur le fait qu’ils soulèvent de nouvelles questions constitutionnelles pour contester la validité de l’article 87.4, il me semble que bon nombre de leurs arguments ont déjà été examinés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale; je suis donc tenu de suivre et d’appliquer cette jurisprudence.

[58]           Premièrement, toute la jurisprudence – Tabingo, Austria et Shukla c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1461 [Shukla] – établit clairement qu’au moment de son entrée en vigueur l’article 87.4 a immédiatement mis fin à toutes les demandes au titre de la catégorie des TQF qui répondaient aux critères définis au paragraphe 87.4(1). Cette description inclut les demandes au titre de la catégorie des TQF en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a fourni la directive suivante dans Austria :

[76]      Les appelants avaient le droit de demander des visas de résident permanent et, au moment où ils ont présenté leurs demandes, ils avaient le droit de les voir examiner conformément à la LIPR. Cependant, ils n’ont pas acquis le droit au maintien en vigueur de toute disposition de la LIPR ayant une incidence sur le sort de leurs demandes, ni celui que cellesci soient examinées sous le régime des dispositions de la LIPR en vigueur au moment où elles ont été présentées. Cette conclusion se fonde sur les motifs qui suivent.

[77]      Le Parlement a le pouvoir de promulguer des lois régissant l’immigration et de les modifier. Il a aussi le pouvoir de promulguer des lois ayant un effet rétroactif, sous réserve d’une présomption de nonrétroactivité, qui ne pourra être écartée qu’en présence d’un libellé n’autorisant aucune autre possibilité; voir Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1975) [1977] 1 R.C.S. 271, pages 279 à 283; et Imperial Tobacco Canada Ltd., précité, paragraphes 69 à 72.

[78]      J’ai déjà conclu, pour les motifs exposés précédemment, que le paragraphe 87.4(1) de la LIPR est libellé de manière suffisamment claire pour mettre fin rétroactivement aux demandes des appelants. Cela permet de distinguer la présente espèce de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dikranian, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que les modifications en cause de la législation provinciale n’étaient pas assez clairement formulées pour supprimer les droits contractuels des étudiants qui avaient emprunté de l’argent à des institutions financières avant l’entrée en vigueur de ces modifications.

[59]           Nonobstant cette directive claire de la Cour d’appel fédérale, les demandeurs demandent maintenant à la Cour de déclarer l’article 87.4 inconstitutionnel. Ils invoquent une série d’arguments, dont certains ont déjà été traités dans des décisions antérieures.

D.                Loi omnibus

[60]           Les demandeurs soutiennent qu’une loi omnibus comme celle ayant mené à l’entrée en vigueur de l’article 87.4 ne peut priver une personne de droits acquis. Ils allèguent également que le processus législatif qui a mené à la création de l’article 87.4 était erroné sur le plan juridique.

[61]           Cependant, comme le souligne le défendeur, les demandeurs n’ont présenté aucune preuve ni invoqué aucun pouvoir à l’appui, et n’ont spécifié aucun protocole législatif que le Parlement aurait enfreint par la promulgation de l’article 87.4. Quoi qu’il en soit, le Parlement est le seul juge de ses propres procédures. Voir New Brunswick Broadcasting Co c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 RCS 319, au paragraphe 385.

[62]           Je ne dispose d’aucun élément de preuve permettant d’établir que le projet de loi C-38, ou Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19, n’a pas été promulgué conformément aux procédures et aux garanties législatives normales.

E.                 Attentes légitimes

[63]           Les demandeurs soutiennent qu’il était légitime, pour eux, de s’attendre à ce que leurs demandes fassent l’objet d’un traitement complet. Cependant, on voit mal ce qui aurait pu créer de telles attentes en l’espèce et, même si ces attentes avaient été créées, le libellé précis de l’article 87.4 clairement les dissipe.

[64]           Comme l’a clairement statué la Cour d’appel fédérale dans Austria, précité, les demandeurs présentant une demande au titre de la catégorie des TQF avaient le droit de s’attendre à ce que leurs demandes soient examinées conformément à la Loi, mais, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 76 de cette décision :

[I]ls n’ont pas acquis le droit au maintien en vigueur de toute disposition de la LIPR ayant une incidence sur le sort de leurs demandes, ni celui que cellesci soient examinées sous le régime des dispositions de la LIPR en vigueur au moment où elles ont été présentées.

[65]           Comme l’a clairement indiqué le juge Rennie dans Liang, précité, chaque demande doit être examinée sur la base de ses propres mérites. Par conséquent, la décision rendue dans Liang n’aurait pas pu créer d’attentes chez les demandeurs.

[66]           De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, le libellé même du Protocole fait mention d’un « règlement possible » et laisse entrevoir la possibilité qu’une demande ne  puisse être traitée entièrement pour divers motifs, même si les causes types fournissent des orientations.

[67]           Je suis donc d’avis que le principe des attentes légitimes ne s’applique pas en l’espèce. Ainsi qu’il a été souligné à maintes reprises, il s’agit d’une doctrine procédurale qui ne confère pas de droits fondamentaux. Voir, par exemple, Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 RCS 281 aux paragraphes 35 à 39.

F.                  Article 25.2 de la Loi

[68]           Les demandeurs demandent à la Cour d’obliger le ministre à invoquer l’article 25.2 de la Loi pour traiter leurs demandes au titre de la catégorie des TQF.

[69]           Le juge Rennie a traité dans une certaine mesure de l’article 25.2 dans Tabingo :

[141]    Les demandeurs avancent un argument subsidiaire. Ils disent que même s’il a été mis fin à leurs dossiers, l’article 25 de la LIPR leur confère le droit de demander la prise d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) eu égard à l’application de l’article 87.4. Les demandeurs notent que le ministre a eu recours à une disposition similaire pour aider des demandeurs à qui des visas avaient été délivrés par erreur même si leurs demandes étaient visées par l’article 87.4. Étant donné le comportement du ministre lui-même, les demandeurs auraient droit à ce que leur cas soit examiné à la lumière de motifs d’ordre humanitaire.

[142]    L’article 25.2 permet au ministre d’octroyer le statut de résident permanent à un étranger qui est par ailleurs interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la LIPR si le ministre est convaincu que l’intérêt public le justifie. Il est bien établi que, sauf lorsque l’exception liée à l’intérêt public s’applique, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas un mécanisme d’entrée autonome; il s’agit plutôt d’un pouvoir conféré au ministre de prendre une mesure spéciale passant outre aux exigences ou aux dispositions de la LIPR dans le contexte d’une demande par ailleurs lacunaire. En l’espèce, il n’y a aucune demande, ni aucune exigence à laquelle il pourrait être renoncé pour des motifs d’ordre humanitaire.

[143]    Une lettre a été envoyée aux demandeurs à qui un visa avait été délivré par erreur pour les informer que leur visa était invalide. Une deuxième lettre leur a ensuite été envoyée pour leur expliquer que le ministre estimait que l’intérêt public justifiait l’octroi du visa et des exemptions nécessaires. La lettre demandait aux demandeurs de signer et dater cette lettre pour indiquer qu’ils souhaitaient se prévaloir de la disposition, puis de la renvoyer avec certains documents.

[144]    Les demandeurs soutiennent que s’il avait été mis fin à la demande sous-jacente, le ministre ne pourrait pas invoquer l’article 25.2. Des visas de résident permanent avaient déjà été délivrés à ces individus; certains avaient peut-être déjà obtenu le droit d’établissement au Canada. Je ne vois aucune incompatibilité entre la décision du ministre en vertu de l’article 25.2 et sa position dans les présentes demandes. Le pouvoir discrétionnaire que confère l’article 25.2 est très vaste, et, dans tous les cas, aucune demande n’a été soumise au ministre et il n’y a non plus aucun refus. L’argument est donc prématuré.

[70]           Il est important de souligner que les demandeurs ont présenté une requête sur cette question devant le juge Barnes dans Emam, précité, et que le juge Barnes a formulé ce qui suit :

[8]        [traduction] Il s’ensuit que l’argument de M. Leahy n’a aucun bien-fondé juridique. La Cour ne dispose d’aucune autorité lui permettant de faire abstraction de la volonté du Parlement. L’autre suggestion, selon laquelle la Cour peut ordonner au ministre d’accorder un recours pour motif d’ordre humanitaire aux clients de M. Leahy, équivaudrait à une usurpation illégale de l’autorité ministérielle. Si les clients de M. Leahy pensent avoir droit à cette forme de recours, ils sont tenus par la loi d’en faire la demande au ministre, et non à la Cour.

[71]           Les raisons pour lesquelles le ministre ne pourrait invoquer d’exemption fondée sur l’intérêt public en faveur des demandeurs semblent évidentes. En agissant ainsi, le ministre irait directement à l’encontre de la volonté du Parlement exprimée au paragraphe 87.4(1) qui énonce l’intention manifeste de mettre fin à toutes les demandes au titre de la catégorie des TQF visées, y compris celles des demandeurs. La Cour ne peut maintenant ordonner au ministre de prendre des mesures qui, en réalité, iraient à l’encontre de la volonté clairement exprimée du Parlement.

[72]           L’observation des demandeurs selon laquelle le ministre a déjà invoqué l’article 25.2 dans certaines instances a été traitée par le juge Rennie dans Tabingo, précité, (par. 144), qui a déclaré ne voir « aucune incompatibilité entre la décision du ministre en vertu de l’article 25.2 et sa position dans les présentes demandes ». Comme le souligne le défendeur, le Bulletin opérationnel 479-13 prévoit un recours limité à l’article 25.2 qui ne s’applique qu’à un petit nombre de personnes qui ont présenté des demandes au titre de la catégorie des TQF auxquelles il a été mis fin et à qui un visa de résidence permanente a été délivré par erreur. Tel n’est pas le cas des demandeurs.

[73]           Les demandeurs demandent à la Cour d’ordonner ou d’enjoindre au ministre d’invoquer l’article 25.2, car cet article prévoit que le ministre peut le faire s’il estime que « l’intérêt public le justifie ». Le séjour dans l’intérêt public diffère du séjour pour motif d’ordre humanitaire, et la Cour ne peut faire de conjonctures ni ordonner au ministre de prendre des mesures dans l’intérêt public. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 34.

G.                Accès la justice et indépendance judiciaire

[74]           Les demandeurs insistent tout particulièrement sur la violation des droits constitutionnels et l’ingérence dans l’indépendance du pouvoir judiciaire en vertu des paragraphes 87.4(2) et (5) de la Loi. Leur argumentation repose essentiellement sur ce qui suit : si l’application du Protocole constitue une infraction à l’article 87.4, et si l’article 25.2 ne peut être invoqué pour éliminer les injustices créées par l’article 87.4, alors les paragraphes 87.4(2) ou (5) de la Loi sont inconstitutionnels et inopérants.

[75]           Ils invoquent notamment le fait que leurs demandes de contrôle judiciaire ont été déposées à la Cour avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4 et que le Parlement ne dispose d’aucune autorité constitutionnelle pour indiquer à une cour de juridiction supérieure comment statuer dans des affaires dont la Cour a dûment été saisie, en particulier sur une base générale et arbitraire. Ils soutiennent que les demandes qui ont été présentées avant, et après, le rendu de la décision dans l’affaire Liang, et qui sont actuellement devant les tribunaux, ont été dûment soumises à un processus judiciaire avant la promulgation de l’article 87.4; le Parlement porte donc atteinte rétroactivement à l’indépendance de l’appareil judiciaire pour traiter ces affaires conformément aux lois en vigueur au moment où elles ont été introduites à la Cour.

[76]           Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 87.4(5) se veut un autre moyen de priver des personnes de leur droit au contrôle judiciaire, ce qui constitue une violation d’un droit constitutionnel. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 31.

[77]           Les demandeurs vont plus loin et font valoir que, même si le paragraphe 87.4(2) est inconstitutionnel, le paragraphe 87.4(1) ne peut s’appliquer aux affaires dont les tribunaux ont été saisis avant son entrée en vigueur; si le paragraphe 87.4(1) est jugé constitutionnel, il ne peut s’appliquer aux affaires comme celles des demandeurs qui étaient devant les tribunaux avant l’entrée en vigueur de cet article, le 29 juin 2012.

[78]           En résumé, les demandeurs soutiennent qu’il y aurait entrave à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et violation de leur droit constitutionnel au contrôle judiciaire, si l’on invoquait le paragraphe 87.4(1) pour mettre fin à des demandes de contrôle judiciaire qui ont été déposées à la Cour avant l’entrée en vigueur de cet article, car cela serait contraire aux normes constitutionnelles en vigueur et au droit à un contrôle judiciaire indépendant reconnu par l’article 7 de la Charte.

[79]           Le premier problème que je vois, c’est que ces arguments ont déjà été examinés dans Tabingo, et les conclusions du juge Rennie ont été confirmées par la Cour d’appel fédérale dans Austria, précité.

[80]           Dans Tabingo, le juge Rennie a formulé ce qui suit à ce sujet :

[50]      Sauf en ce qui a trait aux infractions et aux sanctions pénales, rien n’exige qu’une loi soit prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut renverser des expectatives bien établies et être perçue comme étant injuste : Imperial Tobacco, aux paragraphes 69 à 72. Peu importe les occasions personnelles et économiques que peut représenter une demande TQF pendante pour un demandeur, cela n’équivaut pas à un intérêt dont la primauté du droit empêcherait qu’il y soit mis fin. Ici, le législateur a exprimé une intention claire que l’article 87.4 s’applique rétrospectivement. Cela peut être perçu comme injuste, mais cela ne contrevient pas au principe de la primauté du droit.

[51]      L’article 87.4 ne contrevient pas non plus au principe de la primauté du droit parce qu’il serait vague. J’ai conclu que son sens ressortait facilement du sens ordinaire et évident de son libellé. Deuxièmement, le caractère vague a seulement servi à invalider une loi dans des cas excessivement rares, et encore là, uniquement dans le contexte du droit pénal : R c. Spindloe, 2001 SKCA 58, au paragraphe 78.

[52]      Comme ce fut le cas dans Imperial Tobacco, les demandeurs ont plaidé en faveur d’une conception des principes constitutionnels non écrits qui étendrait les droits prévus expressément dans la Constitution écrite. En particulier, les demandeurs ont soutenu que la primauté du droit embrassait un droit à l’égalité plus large que celui prévu à l’article 15 de la Charte. Admettre cette prétention rendrait les droits constitutionnels écrits redondants. La reconnaissance de principes constitutionnels non écrits n’est pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, au paragraphe 53, et, bien que les paramètres des principes non écrits de la Constitution restent à définir, ils doivent être pondérés avec le concept de la souveraineté parlementaire, qui est également une composante de la primauté du droit : Warren J Newman, « The Principles of the Rule of Law and Parliamentary Sovereignty in Constitutional Theory and Litigation », (2005) 16 NJCL 175.

[53]      L’argument fondé sur la primauté du droit et les principes non écrits de la Constitution est donc rejeté.

Indépendance judiciaire

[54]      Bien que non écrit, le principe de l’indépendance judiciaire est un principe fondateur de la Constitution. L’indépendance judiciaire protège la liberté du pouvoir judiciaire de rendre des décisions fondées uniquement sur les exigences de la loi, sans ingérence du pouvoir exécutif du gouvernement. Il y a trois conditions essentielles à l’indépendance judiciaire : l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative. Les demandeurs n’ont pas précisé en quoi l’article 87.4 compromettrait l’une quelconque des conditions essentielles de l’indépendance judiciaire.

[55]      Dans l’arrêt Imperial Tobacco, la Cour suprême du Canada a insisté pour dire que l’indépendance judiciaire ne comprend pas la liberté d’appliquer seulement les lois que le pouvoir judiciaire approuve. Cela exigerait « une garantie constitutionnelle, non pas à l’indépendance judiciaire, mais à la gouvernance judiciaire ».

[56]      La primauté du droit fait que le gouvernement est lié par la loi. Cependant, il est seulement lié par le droit positif. Toujours sous réserve de la Constitution, aussi bien écrite que non écrite, le Parlement peut modifier la loi, et il peut le faire notamment de manière à empêcher certains recours au moyen de dispositions législatives prévoyant des délais de prescriptions et des immunités de la Couronne : Bacon c Saskatchewan Crop Insurance Corp, [1999] 11 WWR 51 (C.A. Sask.), autorisation de pourvoi refusée (2000) [1999] CSCR no 437.

[57]      Les demandeurs soutiennent que l’article 87.4 constitue une ingérence indue dans l’exercice du pouvoir judiciaire. Au soutien de cette prétention, ils citent le paragraphe 87.4(3), qu’ils disent exclure toute forme de supervision judiciaire, et le paragraphe 87.4(5), qui fait échec à tout recours en dommages-intérêts contre la Couronne.

[58]      Cet argument repose sur une mauvaise compréhension des origines et de la finalité de l’indépendance judiciaire. Le législateur est libre de créer des lois, et, dans la mesure où cellesci sont conformes aux exigences de la Constitution, les tribunaux doivent les interpréter et les appliquer telles qu’elles sont rédigées. Le fait pour le législateur d’édicter une loi qui mène à un certain résultat lorsqu’elle est appliquée correctement ne constitue pas une ingérence dans l’exercice du pouvoir judiciaire. Il s’agit-là de la fonction bien comprise du processus législatif, et l’on peut en donner de nombreuses illustrations. Dans les affaires Authorson, Imperial Tobacco et Babcock, il était question de modifications ou d’adaptations législatives de ce qui aurait été décidé autrement au terme d’une procédure judiciaire. Dans l’affaire Authorson, la loi faisait échec à des causes d’action ayant pour objet le recouvrement d’intérêts; dans l’affaire Imperial Tobacco, une obligation de diligence et un lien de causalité ont été décrétés par voie législative; dans l’affaire Babcock, des éléments de preuve pertinents pouvaient être rendus inadmissibles par une attestation du greffier du Conseil privé.

[59]      Comme je l’ai déjà expliqué, si un demandeur estime qu’il a été considéré à tort qu’il avait été mis fin à sa demande et s’il peut repérer une décision favorable quant à la sélection rendue avant le 29 mars 2012, il peut demander à la Cour d’émettre une ordonnance de mandamus Le principe de la primauté du droit exige que tout acte administratif tire son origine du droit. Si CIC considère à tort qu’il a été mis fin à une demande et si elle refuse de traiter cette demande, cet acte ne tire pas son origine du droit et peut donc être contesté devant la Cour. En outre, rien n’empêche la Cour d’examiner la loi pour s’assurer qu’elle est conforme à la Constitution et à la Déclaration des droits. L’article 87.4 n’empêche pas l’accès aux tribunaux.

[81]           Le juge Rennie a aussi examiné la question de l’article 7 de la Charte et a conclu en ces termes au paragraphe 102 :

La perte d’une attente ou d’un espoir peut fort bien être perturbante. J’admets également que, compte tenu du passage du temps, de l’effet sur les points accordés au titre de l’âge et du changement dans les priorités énoncées dans des instructions ministérielles successives quant aux compétences recherchées, la possibilité de présenter une nouvelle demande s’est envolée. Néanmoins, je conclus que les droits protégés par l’article 7 ne sont pas mis en cause dans ces circonstances. À mon avis, les demandeurs ont éprouvé les stress et les anxiétés ordinaires qui accompagnent la présentation d’une demande d’immigration. L’article 87.4 a simplement éliminé la possibilité. Par conséquent, l’argument fondé sur l’article 7 échoue au stade de la question préliminaire.

[82]           Lorsque la Cour d’appel fédérale a examiné ces questions dans Austria, précité, elle a formulé les conclusions suivantes :

[100]    Je répondrais comme suit aux questions certifiées :

a)     Le paragraphe 87.4(1) de la LIPR metil fin, au moment de son entrée en vigueur et par effet de la loi, aux demandes décrites à ce paragraphe, et, dans la négative, les demandeurs ontils droit à un mandamus?

Réponse :    Le paragraphe 87.4(1) a mis fin de plein droit aux demandes le 29 juin 2012. Après cette date, le ministre n’avait pas l’obligation légale de continuer à les traiter. Les appelants n’ont pas droit à un mandamus.

b)     La Déclaration canadienne des droits exigetelle que soient donnés un avis et la possibilité de présenter des observations avant qu’il soit mis fin à une demande en application du paragraphe 87.4(1) de la LIPR?

Réponse :    Non.

c)     L’article 87.4 de la LIPR estil inconstitutionnel au motif qu’il contrevient au principe de la primauté du droit ou aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse :    Non.

[83]           Les demandeurs font valoir que l’arrêt Austria ne porte que sur le paragraphe 87.4(1), et non sur le par. 87.4(2); or l’alinéa 100c) de cet arrêt fait clairement référence à l’article 87.4 dans son intégralité.

[84]           Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que l’importance que les demandeurs accordent au paragraphe 87.4(2) est trompeuse, car les demandeurs ne peuvent se prévaloir de l’exception prévue au paragraphe 87.4(2) puisque leurs demandes ont déjà été rejetées; par conséquent, comme l’indique clairement l’arrêt Austria, il est mis fin à leurs demandes en vertu du paragraphe 87.4(1).

[85]           Peu importe la manière dont il est formulé, l’argument des demandeurs peut, me semble-t-il se résumer comme suit : le Parlement ne peut modifier une loi d’une manière qui aurait pour effet de rendre théorique une demande déjà introduite devant les tribunaux. Autrement dit, les demandeurs soutiennent que leurs demandes de mandamus doivent être prises en considération sur la base des lois qui existaient avant l’entrée en vigueur de l’article 87.4 Les demandeurs ont indiqué à la Cour qu’ils n’avaient pu trouver de causes similaires pour appuyer leur position; leur argumentation s’appuie donc sur des principes.

[86]           Le point de départ de la réponse à cette question se trouve, à mon avis, dans les orientations fournies par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Austria, précité, aux paragraphes 75 à 78 que je reproduis ci-après pour plus de commodité :

[75]      Les appelants, se fondant principalement sur l’arrêt Dikranian c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 73, [2005] 3 R.C.S. 530, soutiennent qu’ils avaient, lorsqu’ils ont présenté leurs demandes de visa de résident permanent, acquis le droit de les voir traiter entièrement, ainsi que de les voir examiner sous le régime des dispositions législatives et réglementaires alors en vigueur. Ce moyen est mal fondé.

[76]      Les appelants avaient le droit de demander des visas de résident permanent et, au moment où ils ont présenté leurs demandes, ils avaient le droit de les voir examiner conformément à la LIPR. Cependant, ils n’ont pas acquis le droit au maintien en vigueur de toute disposition de la LIPR ayant une incidence sur le sort de leurs demandes, ni celui que cellesci soient examinées sous le régime des dispositions de la LIPR en vigueur au moment où elles ont été présentées. Cette conclusion se fonde sur les motifs qui suivent.

[77]      Le Parlement a le pouvoir de promulguer des lois régissant l’immigration et de les modifier. Il a aussi le pouvoir de promulguer des lois ayant un effet rétroactif, sous réserve d’une présomption de nonrétroactivité, qui ne pourra être écartée qu’en présence d’un libellé n’autorisant aucune autre possibilité; voir Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1975), [1977] 1 R.C.S. 271, pages 279 à 283; et Imperial Tobacco Canada Ltd., précité, paragraphes 69 à 72.

[78]      J’ai déjà conclu, pour les motifs exposés précédemment, que le paragraphe 87.4(1) de la LIPR est libellé de manière suffisamment claire pour mettre fin rétroactivement aux demandes des appelants. Cela permet de distinguer la présente espèce de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dikranian, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que les modifications en cause de la législation provinciale n’étaient pas assez clairement formulées pour supprimer les droits contractuels des étudiants qui avaient emprunté de l’argent à des institutions financières avant l’entrée en vigueur de ces modifications.

[87]           Par conséquent, nous savons que l’effet rétroactif sur les demandes était intentionnel et que l’article 87.4 a eu pour effet de mettre fin à ces demandes au moment de son entrée en vigueur. En ce qui a trait à l’intention du Parlement de mettre fin à toutes les demandes à l’égard desquelles aucune décision n’avait été rendue avant le 29 mars 2012, je ne vois aucune différence entre les demandes de mandamus déjà introduites devant la Cour et celles qui ne l’étaient pas encore. Dans aucun de ces cas n’a-t-il été établi que les demandes répondaient aux critères de sélection et autres exigences.

[88]           Je suis d’avis qu’il faut également garder à l’esprit qu’une des principales conclusions de la Cour d’appel fédérale dans Austria [à l’alinéa 3b)] était que « [a]près le 29 juin 2012, le ministre n’avait aucune obligation légale d’examiner les demandes visées au paragraphe 87.4(1) ». Cette conclusion n’a pas mis fin aux demandes de mandamus devant la Cour fédérale. Elle signifie simplement que les demandes sont théoriques car, comme a conclu la Cour d’appel fédérale dans Austria, le ministre n’a plus l’obligation légale d’examiner les demandes visées au paragraphe 87.4(1), comme en l’espèce.

[89]           Dans Austria, la Cour d’appel fédérale a statué que l’édiction du paragraphe 87.4(1) reposait sur des considérations valables sous le régime de l’article 3 de la Loi :

[66]      Comme on l’a vu plus haut, l’édiction du paragraphe 87.4(1) avait pour but d’éliminer un arriéré de demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) que le ministre estimait trop important pour qu’il fût possible d’y remédier dans un délai acceptable, et qui entravait la capacité du gouvernement à réagir à l’évolution des conditions du marché du travail susceptibles d’influer sur les perspectives d’établissement des nouveaux immigrants. C’étaient là des considérations valables sous le régime de l’article 3 de la LIPR, en particulier de ses alinéas 3(1)a), c) et e), déjà cités et reproduits cidessous par souci de commodité :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

a) de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques;

[...]

c) de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et de faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration;

[...]

e) de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada, compte tenu du fait que cette intégration suppose des obligations pour les nouveaux arrivants et pour la société canadienne

[...]

[90]           En formulant ces conclusions et observations, la Cour d’appel fédérale ne fait aucune distinction entre les demandes de mandamus qui avaient été introduites à la Cour et les autres. Toutes faisaient partie du même arriéré de demandes que l’article 87.4 visait à éliminer. Rien n’indique qu’en promulguant l’article 87.4 le Parlement avait l’intention de s’ingérer dans l’exercice du pouvoir judiciaire pour traiter les demandes de mandamus qui avaient été introduites et qui, comme il ressort clairement des présentes demandes, sont actuellement à l’étude par la Cour pour décision finale. La Cour ne peut accueillir ces demandes car, comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans Austria, le ministre n’a plus l’obligation légale de traiter ces demandes en vertu du paragraphe 87.4(1).

[91]           J’ai déjà conclu que les demandes en l’espèce n’étaient pas visées par le paragraphe 87.4(2), car aucune décision finale n’avait été rendue par un tribunal d’instance supérieure le 29 mars 2012 ou après cette date. En refusant les demandes de mandamus, je ne fais que suivre les conclusions et les décisions du juge Rennie dans Tabingo, et celles de la Cour d’appel fédérale dans Austria. Je dois m’en tenir aux principes de la courtoisie entre juges et du stare decisis.

[92]           Les demandeurs soutiennent qu’en promulguant l’article 87.4, le Parlement dictait à la Cour fédérale le traitement qui devait être fait des décisions déjà introduites devant la Cour mais pour lesquelles aucune décision n’avait encore été rendue. Comme a conclu la Cour d’appel fédérale dans Austria, l’article 87.4 a été promulgué légitimement pour éliminer l’énorme arriéré de demandes au titre de la catégorie des TQF. Je suis d’avis que l’article 87.4 n’a d’aucune façon fait entrave à mon pouvoir discrétionnaire de trancher les demandes de mandamus en l’espèce. Néanmoins, au moment de rendre ma décision, je dois refuser les demandes, car le juge Rennie et la Cour d’appel fédérale ont tous deux statué que l’article 87.4 mettait fin légitimement à toutes les demandes au titre de la catégorie des TQF pour lesquelles aucune décision n’avait été rendue le 29 mars 2012. Par conséquent, dans l’état actuel des choses, les demandeurs ne peuvent plus soutenir que la Cour pourrait ordonner le traitement de leurs demandes TQF.

[93]           Il me semble que les arguments fondés sur la constitutionnalité et l’indépendance judiciaire, qui sont invoqués par les demandeurs, masquent en fait leurs véritables arguments qui sont les suivants : au moment de rendre sa décision dans les présentes demandes de mandamus, la Cour doit faire abstraction de l’incidence de l’article 87.4, comme l’ont confirmé le juge Rennie et la Cour d’appel fédérale, et évaluer la possibilité de délivrer un mandamus en se basant sur les lois en vigueur avant la promulgation de l’article 87.4. En d’autres mots, ils demandent à la Cour de faire abstraction de la volonté et de l’intention manifestes du Parlement. Les demandeurs ne m’ont toutefois présenté aucune jurisprudence à l’appui indiquant que je doive appliquer une loi antérieure et faire abstraction de la volonté et de l’intention manifestes du Parlement. Les demandeurs n’ont tout simplement pas pu établir que la Cour pouvait, sur le plan juridique, accéder à leurs demandes. Bien que l’issue puisse paraître inéquitable pour certains, c’est celle que le Parlement a formulée en texte clair, et il n’appartient pas à la Cour de déroger à cette volonté. Voir Tabingo, précité, paragraphe 23; Kun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 90; Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 42.

H.                Recours abusif à la procédure

[94]           Ce qui, de l’avis des demandeurs, constitue un abus de procédure n’est rien de plus que des assertions selon laquelle le Protocole devrait l’emporter sur l’article 87.4, des motifs d’ordre humanitaire auraient dû être invoqués pour éviter l’incidence de l’article 87.4 sur leurs demandes TQF et le résultat global est tout simplement injuste à leur égard.

[95]           Les demandeurs pourraient invoquer une injustice, mais une injustice de cette nature ne constitue pas un abus de procédure. On ne peut prétendre qu’il y a abus de procédure lorsqu’il est mis fin à des demandes TQF en vertu de dispositions législatives qui ont été légalement promulguées par le Parlement pour, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale, « des considérations valables sous le régime de l’article 3 de la LIPR » […]. Voir l’arrêt Austria, précité, au paragraphe 66. Voir aussi l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 120.

[96]           Les demandeurs allèguent qu’il y a eu abus de procédure, car ils soutiennent que M. James McNamee savait qu’il était prévu de mettre fin ultérieurement aux demandes présentées au titre de la catégorie des TQF. Cependant, le Protocole a été signé le 3 mai 2012, à une période où le projet de loi C-38 n’était encore que conjecture. Comme l’a déclaré le juge Barnes dans sa décision rendue le 23 mai 2012 dans l’affaire Datta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 626 :

[7]        Je conviens avec le conseil du défendeur que la présente requête est dénuée de fondement parce qu’elle est prématurée et conjecturale. Le projet de loi C-38 est à l’étude au Parlement et n’est pas encore passé en deuxième lecture. Il n’est pas certain que le Parlement promulguera le projet de loi C-38 dans sa forme actuelle ou dans une autre forme susceptible d’être inadmissible au plan juridique : voir Federation of Saskatchewan Indian Nations c. Canada, 2003 CFPI 306, au paragraphe 22; [2003] 2 CNLR 131. Par conséquent, il n’est rien arrivé encore qui puisse faire obstacle à l’aboutissement de la demande de visa de M. Datta et il n’y a rien à interdire. Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 ACS 753, au paragraphe 785, [1981] ACS no 58 (QL), « [l]es tribunaux interviennent quand une loi est adoptée et non avant ». La décision rendue par le juge Andrew Mackay dans la décision Federation of Saskatchewan Indian Nations, précitée, au paragraphe 22, va dans le même sens.

[97]           Au moment de la signature du Protocole, le projet de loi C-38 n’avait même pas encore été présenté au Parlement; or le pouvoir exécutif ne peut agir qu’en conformité avec les lois en vigueur. Il m’apparaît également, comme je l’ai mentionné précédemment, que le Protocole à proprement parler soulève d’autres éventualités, puisqu’il mentionne, au paragraphe 14, le règlement « possible » des affaires pendantes. Le Protocole était un outil de gestion d’instance, conçu pour gérer la situation conformément aux lois qui étaient alors en vigueur. Aucune disposition de ce Protocole ne prévoit que celui-ci l’emportera advenant des changements dans la loi. Si cela était une préoccupation des demandeurs, ils auraient pu soulever cette question.

[98]           En ce qui a trait aux véhémentes accusations d’inconduite formulées par le précédent avocat des demandeurs à l’égard du ministre et de la Cour, et qui reviennent tout au long du dossier, il convient de rappeler que c’était ce même avocat qui a collaboré à l’élaboration du Protocole et qui en a accepté le libellé, y compris les mentions « se laissera guider par » et « règlement possible ». Cette terminologie imprécise laisse manifestement la porte ouverte à de futures éventualités. Je ne cherche pas, par ces propos, à critiquer le précédent avocat, mais simplement à souligner que les deux parties savaient manifestement que le Protocole ne pouvait être lié qu’aux lois en vigueur au moment de son adoption et qu’il était possible que la situation évolue par la suite.

[99]           Je ne vois aucun lien entre la situation en l’espèce et les faits présentés dans Cobb, précité, que les demandeurs cherchent à invoquer.

[100]       Même si les demandeurs pouvaient établir qu’il y a eu une forme quelconque d’abus de procédure, la Cour ne pourrait accorder le recours demandé dans l’intérêt public et faire abstraction d’une disposition législative qui, selon la Cour d’appel fédérale, a mis fin « aux demandes le 29 juin 2012 » et qu’« [a]près cette date, le ministre n’avait pas l’obligation légale de continuer à les traiter ». Voir l’arrêt Austria, précité, au paragraphe 100. La Cour ne peut pas simplement faire abstraction d’une disposition législative qui s’applique directement.

[101]       Les arguments des demandeurs fondés sur la préclusion promissoire doivent être rejetés pour des motifs similaires. Voir Immeubles Jacques Robitaille Inc. c. Québec (Ville), 2014 CSC 34 au paragraphe 20; Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 au paragraphe 47.

IX.             Questions à certifier

[102]       Les demandeurs ont soumis à la Cour les questions à certifier suivantes :

1.    Le paragraphe 87.4(2) de la LIPR peut-il être invoqué pour mettre fin à des demandes de résidence permanente qui font l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, si la demande auprès de la Cour fédérale a été déposée :

a)       avant le 29 mars 2012; et/ou

b)       avant le 29 juin 2012?

2.    Si la réponse à la question 1a) ou b) est « oui », le paragraphe 87.4(2) est-il inconstitutionnel et inopérant du fait qu’il viole le droit (des demandeurs) au contrôle judiciaire et à l’exercice d’un pouvoir judiciaire juste et impartial?

3.    L’article 87.4 est-il assujetti aux dispositions générales des articles 25 et 25.2 de la LIPR?

4.    Les causes, qui ont été présentées à la Cour fédérale avant la promulgation ou l’entrée en vigueur de l’article 87.4, peuvent-elles être assujetties à des ordonnances nunc pro tunc comme ce fut le cas dans l’arrêt Yadvinder Singh c. MCI 2010 CF 757, plaidé en invoquant les délais de traitement?

[103]       Je ne vois aucun litige entre les parties au sujet de la certification. Pour être certifiée, la question doit être grave et de portée générale et être déterminante quant à l’issue de l’appel, ce qui signifie que la question doit se prêter à une approche générale et découler des faits en l’espèce. Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12 [Zazai] et Kunkel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 347, au paragraphe 9.

[104]       Il me semble que les questions 1 et 2 ne découlent pas des faits en l’espèce, car j’ai formulé des observations précises selon lesquelles le paragraphe 87.4(2) de la Loi n’entre pas en jeu en l’espèce. Voir les paragraphes 84 et 91 de mes motifs.

[105]       Voici ce que les demandeurs font valoir au sujet de la question 3 :

En ce qui a trait à la question no 3, il est allégué que l’analyse de la Cour, aux paragraphes 68 à 73, esquive la question en invoquant une conclusion quantitative  minimale selon laquelle le ministre a invoqué l’article 25.2 dans un petit nombre de cas. Le recours juridique est, ou  n’est pas, disponible. En l’absence de preuves présentées à la Cour, les chiffres comme ceux qui ont été présentés ne sont pas pertinents.

[italique et gras dans l’original]

[106]       Le paragraphe 25(1) ne découle pas des faits en l’espèce. Le « petit nombre de personnes » auquel il est fait référence au paragraphe 71 des motifs rappelle une observation du défendeur, mais les motifs invoqués par la Cour pour rejeter la position des demandeurs au sujet du paragraphe 25(2) sont énoncés aux paragraphes 70, 71 et 73. Aucun argument n’a été invoqué pour indiquer que le paragraphe 25(2) ne s’appliquait pas aux demandeurs. Comme les données l’indiquent, le ministère de la Justice a répondu à la requête de recours présentée par M. Leahy et a clairement statué, à mon avis, qu’un tel recours n’était pas justifié. En l’espèce, la Cour ne fait qu’indiquer qu’elle n’obligera pas le ministre à invoquer des motifs d’intérêt public en faveur des demandeurs. Aucune question de certification ne se pose dans ce cas.

[107]       La question 4 soulève la question de la portée des compétences nunc pro tunc de la Cour. Pour moi, il n’est pas clairement établi que les demandeurs ont soulevé cette question dans leurs demandes de contrôle judiciaire. Ainsi qu’il est clairement indiqué dans Zazai, précité, une question certifiée doit découler des éléments faisant l’objet du contrôle judiciaire, Quoi qu’il en soit, la jurisprudence est claire : il ne peut y avoir ordonnance nunc pro tunc s’il n’y a pas eu retard de la part de la Cour et/ou si la délivrance d’un bref de mandamus sur la base d’une autorisation nunc pro tunc ferait entrave à la volonté du Parlement. Voir Shukla, ci-dessus, aux paragraphes 37 et 41 à 43. De plus, comme le souligne le défendeur, la Cour semble avoir déjà rejeté cette question aux fins de la certification dans Shukla, précité, et Liang, précité, aux paragraphes 59 et 62 pour les motifs énoncés dans ces causes. Les mêmes motifs s’appliquent en l’espèce.

[108]       En conclusion, je ne pense pas pouvoir certifier quelque question mise de l’avant par les demandeurs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Les deux demandes sont rejetées.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6828-12

 

INTITULÉ :

HAIYAN GONG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-1-13

 

INTITULÉ :

YOUNG MI BACK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

Pour les demandeurs

 

Martin Anderson

Charles Julian Jubenville

Jocelyn Espejo Clarke

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Avocat-procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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