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Date : 20160301


Dossier : IMM-3465-15

Référence : 2016 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

KEHINDE PAUL BALEPO

TEMITOPE JULIANA BALEPO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 1er juin 2015 par un agent de la Section des visas de Citoyenneté et Immigration Canada auprès du Haut­commissariat du Canada à Accra (Ghana) [l’agent], décision dans laquelle l’agent a rejeté la demande du demandeur principal, Kehinde Paul Balepo, visant l’émission d’un permis d’études en vertu de l’article 219 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur principal est un citoyen du Nigeria de 28 ans qui travaille comme directeur des services bancaires sur mesure pour la First Bank of Nigeria Ltd depuis 2008. Il a été admis à un programme d’études techniques postsecondaires en génie de l’environnement au Saskatchewan Polytechnic et il a présenté une demande de permis d’études. L’autre demandeur est son épouse, qui prévoit l’accompagner au Canada.

II.                Décision contestée

[4]               L’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal satisfaisait aux exigences de la LIPR et de ses règlements d’exécution. Plus précisément, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Les facteurs pris en compte étaient ses antécédents de voyage, ses liens familiaux au Canada et au Nigeria, la durée du séjour prévu au Canada, le but de sa visite, sa situation relative à l’emploi, ses biens personnels et sa situation financière. Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), préparées avant que la décision soit rendue, comprennent ce qui suit :

[traduction]

A.                Le demandeur principal est marié et n’a pas d’enfant; son épouse l’accompagnera et elle a demandé un permis de travail.

B.                 Le demandeur principal a déclaré que sa mère et sa sœur habitent au Canada. Il entretient de forts liens familiaux au Canada, mais peu de liens familiaux dans son pays d’origine.

C.                 Il s’est rendu au Royaume­Uni quelques fois, mais il n’a pas fait de voyage important depuis 2013.

D.                Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en géologie en 2005; ses notes étaient dans la moyenne.

E.                 Il entretient des liens financiers et professionnels limités dans son pays d’origine.

F.                  Aucun élément de preuve n’indiquait que l’employeur du demandeur principal savait que celui­ci avait l’intention d’aller étudier à l’étranger.

G.                Il était parrainé par ses frères et sœurs.

H.             Il n’était plus aux études depuis neuf ans et rien n’expliquait son désir de les reprendre après tout ce temps. Le demandeur principal avait déjà obtenu un diplôme d’études supérieures dans un domaine semblable et il semblait anormal de s’inscrire, à ce moment, à un programme d’études postsecondaires dans ce domaine.

[5]               Les notes du SMGC indiquent que, selon les éléments de preuve, l’agent n’était pas convaincu du motif pour lequel le demandeur principal voulait poursuivre ses études. L’agent n’était pas persuadé que les liens du demandeur avec son pays d’origine suffisaient à assurer son retour, qu’il voulait uniquement poursuivre ses études et repartirait à la fin de son séjour autorisé, ou que ses études au Canada ne constituaient pas essentiellement un motif pour pouvoir entrer au Canada.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[6]               Les faits sont constants et je souscris au fait que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est la norme de la décision raisonnable (voir l’affaire Obot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 208). La seule question en litige soulevée par les parties est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

IV.             Observations des parties

A.                Position des demandeurs

[7]               Les demandeurs font valoir que l’agent s’est fondé sur des considérations étrangères à l’affaire et qu’il a pris en compte des faits non pertinents pour rendre sa décision de rejeter la demande de permis d’études, notamment l’ignorance de l’employeur quant aux intentions du demandeur principal, les notes moyennes de celui­ci et le fait qu’il était parrainé par ses frères et sœurs.

[8]               Les demandeurs soutiennent également que l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve, notamment des bons antécédents de voyage du demandeur principal au Royaume­Uni sans prolongation indue, du fait que ses parents et plusieurs de ses frères et sœurs habitent au Nigeria et de ses actifs financiers, que l’agent aurait qualifiés à tort de « limités ». Le demandeur principal souligne que sa mère n’est pas une résidente permanente de l’Ontario; elle est en visite au Canada au titre d’un visa de résident temporaire. Dans la demande du demandeur principal, l’adresse indiquée est l’adresse actuelle de sa mère au Canada, mais il ne s’agit pas de son adresse permanente.

[9]               En outre, le demandeur principal fait référence à sa déclaration personnelle dans laquelle il expliquait qu’il souhaitait suivre ce programme d’études dans le but de se perfectionner dans un domaine dans lequel il n’avait pas travaillé depuis qu’il avait obtenu son diplôme. Il ajoute que son épouse et lui ont, à tort demandé un permis de travail pour son épouse plutôt qu’un visa de résident temporaire. Il soutient qu’il est injuste que l’agent ne leur ait pas donné la possibilité de fournir des précisions concernant ce point et concernant le statut de sa mère au Canada.

B.                 Position du défendeur

[10]           Le défendeur fait valoir qu’il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour qui leur aurait été accordée. Selon leurs arguments, les demandeurs contestent l’importance accordée aux divers facteurs et éléments de preuve pris en compte par l’agent, dans un contexte où un degré de retenue élevée devrait être accordée à la décision de l’agent.

[11]           La position du défendeur est qu’étant donné que les éléments de preuve indiquent que la mère et la sœur du demandeur principal habitent au Canada et que sa femme l’accompagnera, l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur principal entretenait des liens étroits avec le Canada et qu’il n’avait plus que des liens limités avec le Nigeria. En ce qui concerne les biens du demandeur principal, le défendeur souligne que la valeur des biens immobiliers n’était pas précisée et que, n’ayant pas expressément discuté de la valeur des biens du demandeur principal, l’agent n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve. Le défendeur soutient également que, dans la déclaration personnelle fournie avec sa demande, le demandeur principal n’a pas expliqué pourquoi il souhaitait suivre un programme d’études semblable, et surtout d’un niveau inférieur, à celui qu’il avait déjà suivi au Nigeria.

[12]           Quant aux autres arguments des demandeurs, le défendeur soutient qu’il est pertinent, dans le cadre de la demande de permis d’études du demandeur principal, de tenir compte de la connaissance de son employeur quant à son intention de poursuivre ses études, puisque le fait que son employeur ait été au courant de ses intentions aurait pu constituer un facteur positif. De plus, le défendeur fait valoir que les antécédents de voyage du demandeur principal n’ont pas joué un rôle important ou déterminant dans la décision.

V.                Analyse

[13]           La lettre envoyée le 1er juin 2015 par l’agent au demandeur principal pour l’informer du rejet de sa demande de permis d’études confirme que le rejet est fondé sur le fait que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal quitterait le Canada à la fin de son séjour. Bien qu’il soit indiqué, dans cette lettre, que l’agent a pris en compte de nombreux facteurs pour rendre sa décision, les notes du SMGC semblent démontrer que la décision a été fondée sur le fait que l’agent n’était pas convaincu que le motif réel du demandeur principal était les études ni que les liens entretenus par celui­ci avec le Nigeria suffisaient à assurer son retour au pays. Comme il est expliqué ci­dessous, ce sont les conclusions de l’agent concernant les liens entretenus par le demandeur principal avec le Nigeria que la Cour juge déraisonnables. C’est la raison pour laquelle la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’agent a tenu compte des liens familiaux du demandeur principal ainsi que de ses liens financiers et professionnels. Sur les deux plans, je conclus que l’agent n’a pas accordé suffisamment d’importance aux éléments de preuve pour pouvoir rendre une décision transparente et intelligible.

[14]           En ce qui concerne les liens familiaux, je ne reproche pas à l’agent d’avoir conclu que la mère du demandeur principal habite au Canada. Bien que cela ne soit pas exact, le défendeur n’ayant pas contesté l’affirmation des demandeurs selon laquelle la mère du demandeur principal était seulement en visite au Canada, l’agent a pris sa décision en se fondant sur les renseignements à sa disposition, notamment sur le formulaire Informations sur la famille dans lequel le demandeur principal avait indiqué l’adresse de sa sœur en Ontario comme étant l’adresse actuelle de sa mère. Toutefois, même compte tenu des renseignements indiquant que la mère du demandeur principal habitait en Ontario, je conclus que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal entretenait de forts liens familiaux au Canada et qu’il n’entretenait plus que des liens familiaux limités dans son pays d’origine ne peut être conciliée avec la preuve.

[15]           Les éléments de preuve présentés à l’agent relativement à cette question figurent sur le formulaire Informations sur la famille. Ce document indique que la mère et l’une des sœurs du demandeur principal ont des adresses en Ontario, et que son père et trois de ses frères et sœurs ont des adresses au Nigeria. En outre, bien que les relations ne soient pas expliquées en détail, le formulaire semble également indiquer que deux des frères et sœurs du demandeur principal habiteraient au Royaume­Uni et deux autres aux États­Unis. Bien que les renseignements indiquent que les membres de la famille sont plutôt dispersés, ils n’étayent pas la conclusion selon laquelle le demandeur principal entretiendrait de forts liens familiaux au Canada, mais peu de liens familiaux au Nigeria. Je comprends le point soulevé par le défendeur selon lequel la situation de l’épouse du demandeur principal devrait être prise en compte, les notes du SMGC indiquant l’intention de celle­ci d’accompagner le demandeur principal au Canada juste avant de mentionner que le demandeur principal n’entretient que des liens limités avec le Nigeria. Cependant, il n’en demeure pas moins qu’un des parents du demandeur principal et trois de ses frères et sœurs habitent toujours au Nigeria.

[16]           L’agent fait référence au fait que la mère et la sœur du demandeur principal habitent au Canada et énonce la conclusion selon laquelle celui­ci entretient de forts liens familiaux au Canada. Il est difficile de comprendre comment l’agent en est arrivé à la conclusion que la présence de la mère et de la sœur du demandeur principal au Canada signifie que celui­ci entretient de forts liens familiaux au Canada, mais que la présence de son père et de trois de ses frères et sœurs au Nigeria signifie qu’il entretient des liens familiaux limités dans son pays d’origine. Cela pourrait s’expliquer, comme le soutiennent les demandeurs, par le fait que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve. Peu importe, étant donné que l’agent n’a pas présenté d’analyse transparente et intelligible pour appuyer cette conclusion, je juge qu’elle n’est pas raisonnable.

[17]           En ce qui concerne la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal entretient des liens financiers limités au Nigeria, elle présente les mêmes faiblesses. Selon les notes du SMGC, les bordereaux de paie du demandeur principal indiquent qu’il touche un revenu limité et ses relevés bancaires indiquent que ses ressources financières sont limitées. Je n’ai rien à reprocher à ces conclusions en particulier. Toutefois, les demandeurs soulignent que la décision démontre que les actions ou les biens immobiliers détenus par le demandeur principal n’ont pas été pris en compte. Le défendeur soutient que l’agent n’est pas tenu de prendre en considération chaque élément de preuve. Cependant, lorsqu’un décideur passe sous silence le fait qu’un élément de preuve va à l’encontre de sa conclusion, il y a lieu de croire que le décideur a fait fi de l’élément de preuve contradictoire (voir l’affaire Cepeda­Gutierrez c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], [1998] A.C.F. no 1425).

[18]           Les éléments de preuve démontrent que le demandeur principal détient des actions d’une valeur de plus de 4,1 millions de naira. Bien qu’aucun élément de preuve n’ait été présenté à la Cour concernant le taux de change applicable, les observations écrites des demandeurs indiquent que cette somme équivaut à près de 30 000 dollars canadiens, et je suis à l’aise d’accepter d’office que le taux de change appliqué donne un aperçu exact de la valeur. Plus importante que la valeur absolue des actions est la comparaison avec les relevés bancaires du demandeur principal, lesquels font état de comptes dont les soldes se situent aux alentours de 28 000 et de 15 000 naira. La valeur des placements en actions dépasse ces sommes de quelques ordres de grandeur. L’agent ne fait toutefois aucune mention des placements en actions ni des biens immobiliers. Le défendeur fait valoir, avec raison, qu’aucun élément de preuve ne démontre la valeur des biens immobiliers. Toutefois, la seule valeur des placements en actions semblant considérablement plus élevée que les soldes des comptes bancaires, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal entretient des liens financiers limités au Nigeria, conclusion expressément fondée sur les soldes des comptes bancaires et ne tenant aucunement compte des placements en actions, ne peut être jugée raisonnable.

[19]           À mon avis, comme la décision de l’agent repose essentiellement sur ses conclusions concernant les liens familiaux et financiers du demandeur principal, il y a lieu de qualifier la décision de déraisonnable et d’exiger de la Cour qu’elle infirme cette décision et qu’elle renvoie la demande afin qu’elle soit examinée par un autre agent des visas. Je souligne que je ne tire aucune conclusion à savoir si les liens familiaux et financiers que le demandeur principal entretient au Nigeria devraient être considérés comme suffisants pour assurer le retour du demandeur dans son pays d’origine. Il reviendra à l’agent des visas responsable de réévaluer la demande de rendre une décision à cet égard.

[20]           Les demandeurs ont proposé, aux fins de certification, une question concernant la bonne façon de remplir les formulaires associés à une demande de permis d’études lorsqu’un membre de la famille du demandeur habite au Canada de façon temporaire. Le défendeur s’est opposé à la certification en soutenant que la question proposée par les demandeurs n’était pas de portée générale puisqu’elle s’appliquait aux circonstances particulières de l’affaire en l’espèce. Comme la demande des demandeurs a été accueillie et que cette question ne serait pas déterminante dans un appel, aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3465-15

INTITULÉ :

KEHINDE PAUL BALEPO, TEMITOPE JULIANA BALEPO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mars 2016

COMPARUTIONS :

Bernadette Duggan

Pour les demandeurs

Jelena Urosevic

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernadette Duggan

Avocate­procureure

Bernadette Duggan Law Office

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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