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Date : 20160301


Dossier : IMM-4101-15

Référence : 2016 CF 262

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er mars 2016

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

HUSSEIN MOHAMED AL­ABDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande concerne la décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 26 mai 2015 en application de l’article 68 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) rejetant l’appel interjeté par le demandeur contre une mesure ordonnance d’expulsion émise le 7 novembre 2001. Le 10 septembre 2004, la SAI a accordé un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure d’expulsion. De cette date à la date de la décision faisant l’objet du présent examen, le sursis a été prolongé sous réserve de l’imposition de conditions que doit respecter le demandeur.

[2]               Un aspect important de l’affaire présentée à la SAI était la recommandation commune à la fin de l’audience de l’avocat du demandeur et de l’avocat du défendeur pour un prolongement d’un an du sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion. Selon l’avocat du demandeur, le traitement par la SAI de la recommandation commune a entraîné un manquement à l’obligation d’équité envers le demandeur. Je souscris à sa recommandation pour les motifs suivants.

[3]               Deux éléments de la prise de décisions en cours d’examen doivent être étudiés. Le premier élément est la norme d’équité à laquelle la SAI devait se conformer et le deuxième élément est le respect ou le non­respect de la norme selon les éléments de preuve sur le processus de prise de décision du dossier.

I.                   Norme d’équité

[4]               Selon la décision du juge Lemieux Malfeo c. Canada (M.C.I.), 2010 CF 193 (Malfeo), aux paragraphes 12 à 16, la Cour a défini des attentes précises à l’égard de la SAI quant à l’examen équitable d’une recommandation commune, comme le souligne le passage ci­dessous :

L’emploi de recommandations communes est bien connu en droit pénal, où la Couronne et la défense présentent de telles recommandations, par exemple, pour la détermination de la peine. Des recommandations communes ont déjà été employées dans des affaires en droit administratif dans le contexte du droit de l’immigration, voir Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 196 F.T.R. 236; il s’agit d’une affaire semblable à l’espèce, car elle portait sur une demande présentée par M. Nguyen à l’ancienne section d’appel, à qui M. Nguyen avait demandé d’exercer sa compétence en matière de motifs d’ordre humanitaire en vertu d’une disposition de la Loi sur l’immigration, aujourd’hui abrogée, semblable à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. L’affaire Nguyen portait sur l’omission de la section d’appel d’expliquer pourquoi la recommandation commune, dans laquelle les avocats recommandaient l’octroi d’un sursis de cinq ans, n’avait pas été acceptée. L’objet du sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, dans l’affaire Nguyen comme en l’espèce, est de donner l’occasion au demandeur de montrer, sur le terrain pour ainsi dire, qu’il peut devenir un résidant respectable et respectueux des lois du Canada.

Tirant profit de la jurisprudence en droit pénal tout en faisant une distinction claire entre une expulsion résultant d’un acte criminel et celle qui ne résulte pas d’un acte criminel, la Cour a écrit ce qui suit au paragraphe 11 :

Néanmoins, je suis attiré vers le raisonnement sous­jacent aux recommandations conjointes dans une affaire visée à l’alinéa 70(1)b) dans laquelle la compétence du tribunal est très étendue, les motifs de l’expulsion en l’espèce se fondent sur des infractions criminelles et les facteurs énoncés dans l’arrêt Chieu, supra, (la gravité de l’infraction, la possibilité d’une réhabilitation, les conséquences pour la victime, les remords de la demanderesse) sont analogues aux affaires prises en considération dans la détermination de la peine lors de la déclaration de culpabilité.

J’ai cité certains extraits de l’arrêt R. c. Dubuc, 1998 CanLII 12524 (QC C.A.), (1998), 131 C.C.C. (3d) 250, rendu par la Cour d’appel du Québec et rédigé par le juge Fish, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, qui a infirmé la peine et lui a substitué la peine ayant fait l’objet d’une recommandation commune. Le juge Fish a écrit ce qui suit :

[traduction]

[…] Je le répète, le juge de première instance n’était pas tenu par la recommandation commune des avocats. Pour des motifs appropriés, expliqués même sommairement, il était fondé à s’écarter de la peine proposée de façon commune. Le juge pouvait de bon droit accepter ou rejeter la recommandation. Mais il ne pouvait pas ne pas en tenir compte. Encore moins, simplement la négliger.

Le juge Fish dans l’arrêt Dubuc a également affirmé que les recommandations de l’avocat de la Couronne devaient faire l’objet d’un [traduction] « examen sérieux » par les tribunaux et [traduction] qu’« elles ne devraient pas être écartées à la légère ».

 Dans la décision Nguyen, la Cour a également renvoyé à l’arrêt R. c. Chartrand, (1998), 131 C.C.C. (3d) 122, rendu par la Cour d’appel du Manitoba, dans lequel le juge Kroft a mentionné ce qui suit :

Le juge de la détermination de la peine n’est pas tenu d’accepter la recommandation, mais celle­ci ne devrait pas être rejetée à moins d’une raison valable. La présente affaire n’entre pas dans cette catégorie.

[Non souligné dans l’original.]

II.                Éléments de preuve sur le processus

[5]               Pour déterminer si le commissaire de la SAI qui a rendu la décision a respecté les attentes quant à l’examen équitable d’une recommandation commune, quatre critères d’évaluation nécessaires doivent être examinés en contexte : le contenu de la recommandation, la présentation de cette dernière, la réception de la recommandation et son utilité pour arriver à une conclusion. La transcription officielle de l’audience devant le commissaire fournit une preuve de l’ensemble des quatre critères. Dans les extraits de la transcription suivants, certains passages sont soulignés, car ils sont particulièrement pertinents à la décision sur la présente recommandation.

A.                Recommandation commune : Contenu, présentation et réception

[6]               Après la présentation du demandeur des éléments de preuve à l’appui de sa demande de prolongation et après l’interrogatoire du commissionnaire, de l’avocat du demandeur et de l’avocat du ministre, le passage suivant fournit la preuve des trois premiers critères d’évaluation :

 [traduction]

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord. Merci monsieur. Je n’ai plus de questions.

APPELANT : Merci.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Voulez­vous effectuer un réinterrogatoire?

AVOCAT : Non, merci.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Parfait. Passons immédiatement aux recommandations.

AVOCAT : Peut­on suspendre l’audience pour que je puisse m’entretenir avec mon confrère ­­­

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : (réponse inaudible).

AVOCAT : ­­­ s’il vous plaît.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord. Je serai de retour dans dix minutes.

AVOCAT : Merci.

SUSPENSION DE L’AUDIENCE ­­­­

REPRISE DE L’AUDIENCE ­­­

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Bien. Nous reprenons le dossier et passons aux recommandations.

AVOCAT : Oui. Je vous remercie du délai que vous m’avez accordé pour l’entretenir avec mon confrère. Au cours de nos discussions, je crois qu’il est juste de dire que nous avons convenu que la décision pertinente, c’est­à­dire de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi pour une autre période d’un an.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : En effet.

AVOCAT : Je sais que mon confrère souhaite que ses recommandations soient versées au dossier et que vous allez lui donner l’occasion de le faire.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : En effet.

AVOCAT : Je ne veux pas être insistant, mais je crois que nous avons convenu qu’une prolongation du sursis est une option pertinente dans la présente espèce. M. Al­Abdi habite au Canada depuis maintenant 27 ans, je crois. Il est arrivé en 1988.

Des condamnations au criminel se sont traduites par la prise d’une mesure de renvoi il y a quelques années.

Il n’a eu aucune condamnation depuis quelques années. Comme nous le savons, des accusations ont été portées à son endroit en 2013 et en 2014, mais elles ont été retirées ou rejetées. Il n’y a eu aucune condamnation.

Selon les dires du commissaire Chung au paragraphe 13 décrivant les motifs de la prolongation du sursis la plus récente, l’établissement de M. Al­Abdi au Canada au cours des 23 dernières années est minime. Nous avons maintenant dépassé la période de 23 ans, mais je crois que ce commentaire est encore pertinent.

Son établissement est minime. Il reçoit un montant d’aide sociale minime dont il se sert pour payer son loyer, à la suite de quoi il lui reste 250 $. Il travaille périodiquement. Il n’a pas occupé de poste à temps plein depuis longtemps. Il a déclaré que sa recherche d’emploi se poursuit, mais qu’elle n’a pas porté ses fruits jusqu’à présent.

À mon avis, il ne fait aucun doute que sa situation ne lui permet pas de payer ses amendes. De plus, il lui serait probablement difficile d’assumer une partie du paiement de ces amendes, mais il a affirmé être prêt à au moins faire un effort.

Ses efforts pour obtenir un passeport étaient franchement voués à l’échec. Il me semble déplacé d’envoyer une lettre au haut­commissariat de l’Ouganda pour lui demander d’envoyer un passeport.

Le problème auquel je me bute dans le cadre de ma représentation de ce client au fil des ans se pose au niveau de l’aide juridique. Après l’audience, le certificat prend fin et je ne peux plus aider mon client comme je le veux avant l’obtention d’un autre certificat. Dans la présente affaire, il n’a pas reçu de certificat avant la date limite pour répondre à la demande de réexamen et à la déclaration de l’appelant. La prochaine étape est l’audience.

Nous avons désormais une demande de passeport et pouvons compter, dans une certaine mesure, sur l’assistance de mon confrère pour accéder à des renseignements au sujet de la demande. De plus, M. Al­Abdi a affirmé être disposé à m’aider à rédiger cette demande, à en fournir un exemplaire au ministre et à tenter d’obtenir le montant nécessaire pour couvrir les frais connexes. J’ai pris des mesures pour l’aider dans le cadre de cette demande.

Il habite au pays depuis longtemps. J’hésite à affirmer qu’il est incapable de respecter les conditions; il a plutôt besoin d’encouragement, car il a de la difficulté à accomplir certaines choses. Il a tendance à oublier les choses et il est confus. Il a besoin d’aide et de l’orientation pour respecter les conditions. Il n’agit pas de mauvaise foi. Il est désireux de respecter les conditions. Il s’est présenté aujourd’hui.

J’estime qu’il mérite qu’on lui donne l’occasion de respecter les conditions étant donné que ses condamnations criminelles ne se sont pas aggravées au cours des années. Aucune condamnation n’a été prononcée à son endroit depuis longtemps et j’estime qu’il serait dorénavant mal avisé de le renvoyer du Canada. Si vous avez quelque question que ce soit au sujet de ces recommandations, n’hésitez pas à me les poser.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Merci.

AVOCAT DU MINISTRE : Le ministre est inquiet au sujet du témoignage livré par l’appelant aujourd’hui. Je dénote l’absence générale de compréhension de la gravité des événements en raison desquels nous nous sommes réunis aujourd’hui et d’une bonne explication du non­respect des conditions.

Après un processus s’étendant sur près de 11 ans, l’appelant n’a toujours pas de passeport, il n’a toujours pas fait d’effort pour payer ses amendes, il a encore une fois contrevenu aux conditions, il a omis de se présenter aux autorités conformément aux directives et il a omis de faire état des accusations à son endroit. À la lumière de ces manquements, il y a lieu de s’interroger sur l’importance du processus aux yeux de l’appelant. Le ministre s’inquiète assurément du non­respect persistant de l’appelant.

En revanche, il faut reconnaître que la condamnation à l’origine de la présente affaire remonte à 1998. La vente de drogues est une infraction très grave; cependant, la valeur de la vente de crack s’élevait à 20 $ et selon mes dossiers, aucune condamnation n’a été prononcée à l’endroit de l’appelant depuis 2003.

Les problèmes qui se posaient il y a 11 ans se posent toujours. À ce moment, le ministre n’est pas convaincu que l’appelant a l’intention de respecter les conditions. Je crois qu’il attend de voir si la procédure va être abandonnée et le ministre refuse que cela se produise.

De plus, j’ai discuté avec mon confrère. Il a en effet affirmé être disposé à offrir son aide pour régler les documents de voyage et à s’efforcer de soumettre ces derniers, ou à tout le moins la demande et un mandat­poste connexe, à l’agence.

L’appelant a révélé qu’aussi récemment qu’en janvier 2014, il acceptait des emplois rémunérés en liquide pour acheter du crack. La rémunération découlant du type d’emploi qu’il occupe pourrait absolument servir à payer un montant symbolique des amendes.

Cette affirmation établit que son revenu est très fixe. Cependant, aucun handicap physique ne l’empêche de travailler. Il est responsable de payer les amendes en raison des attentes qui s’appliquent aux amendes encourues. Le ministre s’attend à ce qu’il commence à verser un montant proportionnel à son niveau de revenu pour payer ses amendes.

Toutefois, d’après l’appréciation de différents facteurs, le risque relativement faible que pose l’appelant envers la sécurité publique, le non­respect des conditions précédentes et le non­respect persistant, le ministre est d’avis qu’un sursis d’un an est raisonnable si des efforts sont déployés.

Par ailleurs, l’appelant a maintes et maintes fois réitéré qu’il avait fait une erreur. Il se présente aux audiences et jure qu’il respectera toutes les conditions, puis il quitte les audiences et fait fi de ses promesses.

Enfin, je me suis entretenu avec mon confrère et nous avons convenu qu’il faut prendre des mesures. Selon les attentes du ministre, il s’agira de la dernière chance de l’appelant de prouver qu’il prend au sérieux le respect des conditions. Voilà mes recommandations. Merci.

B.                 Recommandation commune : Examen

[7]               Immédiatement après les recommandations de l’avocat du ministre, la présidente a rendu la décision qui fait l’objet de l’examen en cours :

[traduction]

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Bien. Je suis prête à rendre ma décision de vive voix. Une copie où les erreurs de syntaxe et de grammaire ont été corrigées vous sera envoyée. Avant de commencer, pouvez­vous confirmer que l’adresse de votre domicile est toujours le 1037, rue Gerard Est ­­­

APPELANT : Oui.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : ­­­ au 2e étage ­­­

APPELANT : Oui.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : ­­­ Toronto, Ontario, M4M IZ6. La présente audience a pour objectif de réexaminer l’appel de la mesure de renvoi présentée par Hussein Mohamed Al­Abdi, l’appelant, contre l’ordonnance d’expulsion rendue le 7 novembre 2001 aux termes de l’alinéa 27(1)d) de l’ancienne Loi sur l’immigration.

Le 10 septembre 2004, la mesure d’expulsion a fait l’objet d’un sursis de trois ans sous réserve de conditions établies par le commissaire Wist (ph).

Un réexamen a été réalisé. Le commissaire Bohr (ph) a accordé une prolongation du sursis le 20 décembre 2005.

Le 30 juin 2009, le commissaire Dolan (ph) a accordé une autre prolongation du sursis d’un an, suivie le 18 octobre 2012 par une prolongation de six mois accordée par le commissaire Lee (ph).

Ensuite, le commissaire Chung (ph) a accordé à l’appelant un délai d’une année pour respecter la condition no 2 de la décision du commissaire Lee, selon laquelle il devait fournir une copie de son passeport ou d’un document de voyage, fournir une demande de passeport ou de document de voyage dûment remplie ou encore fournir une preuve d’inadmissibilité à ces documents. L’appelant était également tenu de fournir une preuve de paiement de ses amendes en souffrance.

Aujourd’hui, l’avocat du ministre a présenté une déclaration écrite en tant que pièce R­1 faisant état du non­respect des conditions par l’appelant. L’avocat n’a pas contesté le contenu de la déclaration écrite.

L’appelant n’a pas présenté de passeport ou de document de voyage. Il n’a pas fourni de preuve de son inadmissibilité à obtenir ces documents.

L’appelant a omis de se présenter aux autorités. Il a omis d’informer l’ASFC des autres accusations relatives aux drogues portées à son endroit en 2013 et en 2014, qui ont été retirées depuis. De plus, il a omis de fournir des preuves du remboursement des amendes. Selon les renseignements mis à jour dans la pièce R­2 présentée par le ministre, le montant des amendes en souffrance s’élève à 1 327 $.

Aujourd’hui, l’appelant est représenté par un avocat et il a soumis un dossier en tant que pièce A­1 d’une lettre envoyée à l’ambassade de l’Ouganda et une copie partielle de l’un de ses talons de chèque du programme Ontario au travail.

La validité juridique de l’ordonnance n’est aucunement remise en question. À la fin de l’audience, l’avocat de l’appelant et l’avocat du ministre ont convenu qu’un sursis d’un an permettrait à l’appelant de se conformer aux conditions.

Dans le cadre du présent réexamen, il incombe à l’appelant de démontrer que les considérations d’ordre humanitaire sont justifiées. Aujourd’hui, ma décision est fondée sur les considérations énoncées dans Ribic, qui ont été confirmées dans les arrêts de la Cour suprême Chieu et Al Sagban, et plus récemment dans Kolsa (ph).

Parmi les considérations énoncées dans Ribic, on retrouve la gravité de l’infraction à l’origine de la mesure de renvoi, la possibilité de réadaptation, le temps passé au Canada, le degré d’établissement, la famille de l’appelant au Canada, les bouleversements que le renvoi de l’appelant occasionnerait pour cette famille, l’importance des difficultés que causerait le renvoi à l’appelant et l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la décision. Ces considérations ne sont pas exhaustives et le poids varie en fonction des affaires.

Aujourd’hui, le Tribunal souscrit aux objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui sont très importants aux yeux de ce dernier. L’un de ces objectifs consiste à protéger la santé des Canadiens et à promouvoir l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels.

L’appelant est né en Ouganda et il est devenu résident permanent en 1965. Il est arrivé pendant le processus d’élimination de l’arriéré des revendications du statut de réfugié.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

(Dossier certifié du tribunal [DCT], pp. 407 à 410)

[8]               À cette étape du processus visant à rendre la décision, la présidente a passé en revue les preuves par rapport aux considérations énoncées. L’opinion suivante a été exprimée au sujet du problème de toxicomanie et de l’inquiétude de la présidente au sujet de la sécurité publique :

[traduction]

Au cours de l’audience précédente, l’appelant affirmé au commissaire Chung ne pas avoir consommé de crack depuis plus d’un an et demi et ne pas être toxicomane.

Je note que de nouvelles accusations de possession de crack ont été présentées au Tribunal en 2013 et en 2014. Je conviens que ces dernières ont été retirées; cependant, le Tribunal a certaines réserves étant donné les antécédents de l’appelant.

Aujourd’hui, l’appelant a admis avec franchise sa consommation continue, soit une ou deux fois par jour, de crack en janvier 2014 pour une période ­ je vous demande pardon ­ de quelques mois. Dans son témoignage, lorsque l’avocat du ministre lui a demandé comment il a vaincu sa toxicomanie, l’appelant a répondu avoir trouvé son courage par le biais de la prière.

Le Tribunal note qu’au cours de certaines audiences précédentes, l’appelant a admis avoir consommé du crack et a également affirmé avoir cessé. Il n’a présenté aucune preuve de traitement ou de service de consultation quelconque [sic]. En fait, dans le cadre de son examen, le commissaire Chung s’inquiétait du fait que l’appelant n’a pas terminé les cures de désintoxication qu’il avait entamées en 2012 et en 2013 aux fins de réadaptation.

En ce qui concerne la question des infractions criminelles liées au crack, le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas semblé enclin à faire une réelle tentative de réadaptation. Ce comportement de consommation de drogues illicites se reproduit en boucle et aucune preuve n’atteste que l’appelant a conscience de l’engagement et travail sans relâche que représente le traitement permettant de vaincre une dépendance de ce genre.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, p. 411)

[9]               À la suite de l’examen exhaustif des antécédents du demandeur, y compris les preuves présentées dans le cadre de l’audience faisant l’objet de l’examen, la présidente a tiré les conclusions principales suivantes à l’égard de la sécurité publique et de la recommandation commune :

[traduction]

Lorsqu’il a été interrogé à cet égard, l’appelant a réaffirmé qu’il avait fait une erreur et qu’il allait dorénavant respecter ses conditions. Nous avons déjà entendu ces énoncés au cours des cinq réexamens de la SAI précédents.

Je pense que même si l’appelant a l’intention de donner suite à ces énoncés comme l’a souligné l’avocat, il faut tout de même qu’il accepte la responsabilité du non­respect dont il a fait preuve. Le Tribunal doit tenir compte des problèmes liés à la sécurité publique et des fonds publics. L’appelant a eu six chances de se conformer aux exigences très minimes établies et je crois que ça suffit.

Je ne crois pas que toutes les chances précédentes de l’appelant reposaient sur ses intentions. Les sursis dont il a bénéficié reposaient également sur son intention de suivre une cure de désintoxication. Je crois que la consommation continue de crack et la tendance continue de l’appelant de ne travailler que suffisamment pour acheter du crack illustrent que la foi en ses intentions par les commissaires précédents n’était pas justifiée.

Comme il a été indiqué à la fin de l’audience, l’avocat du ministre et l’avocat de l’appelant ont recommandé une prolongation de sursis d’un an et je ne prends pas ces recommandations à la légère. Cependant, je crois que cinq chances suffisent.

Après avoir examiné toutes les preuves qui m’ont été présentées, j’estime que l’appelant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, la considération de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché par la décision et que les considérations d’ordre humanitaire sont suffisantes pour la prise de mesures spéciales compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

Le Tribunal n’est pas convaincu que l’appelant respectera un jour les conditions du sursis. De plus, les considérations d’intérêt public et les préoccupations envers la santé publique ont désormais préséance sur les considérations d’ordre humanitaire en faveur de l’appelant.

Par conséquent, le présent appel est rejeté. Merci, monsieur et ­­­

AVOCAT : Merci, madame la présidente.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : ­­­ monsieur.

AVOCAT DU MINISTRE : Merci, madame.

­­­­ CONCLUSION DES MOTIFS­­­­­

[Non souligné dans l’original.]

(DCT, p. 413)

III.             Conclusion

[10]           Il y a une différence entre un argument avancé par l’une des parties au litige et une recommandation commune présentée par les avocats des deux parties. Un argument peut être rejeté par un motif étayé par la preuve. Une recommandation commune ne constitue pas un argument, il s’agit plutôt d’une entente entre les parties qui élimine directement la nécessité d’une décision pour les questions en litige. C’est pour cette raison que la jurisprudence nous enseigne qu’une recommandation commune ne peut pas être écartée. Une conclusion quant à la considération d’une recommandation commune peut varier selon l’affaire. Cela signifie que dans le cas d’un contrôle judiciaire, il faut réaliser une évaluation de la nature de l’incidence de la recommandation commune sur les personnes directement touchées. Cela permettra de définir les attentes liées au niveau de réflexion envers le décideur à qui la recommandation commune sera acheminée. Pour chaque affaire individuelle, l’enjeu consiste à déterminer si la recommandation commune a été considérée à juste titre.

[11]           Dans la présente affaire, l’avocat du demandeur soutient que la recommandation commune n’a pas été considérée à juste titre, car elle a été rejetée sans examen utile. L’argument est présenté puisque l’avocat n’avait aucune idée des opinions de la présidente au sujet de la recommandation avant que la décision définitive soit rendue, car la présidente et l’avocat n’ont pas eu de discussion au cours de l’audience. L’avocat du défendeur fait valoir que la présidente n’avait pas l’obligation de discuter avec l’avocat et il émet une mise en garde sur la création d’un précédent en imposant une obligation à ce sujet. Je conclus que je n’ai pas à émettre d’opinion sur cette question distincte, car le problème concernant l’ensemble du processus de prise de décision dans la présente affaire est bien plus grave.

[12]           Après examen de la preuve, il ne fait aucun doute que la présidente s’est présentée à l’audience bien préparée. La décision de vive voix de 2 000 mots a été rendue immédiatement après la présentation de la preuve et des arguments. Voilà qui prouve que des recherches exhaustives ont été menées avant l’audience au sujet des demandes précédentes présentées à la SAI par le demandeur et que la présidente a réfléchi longuement à l’issue de l’audience.

[13]           Il n’y a rien de mal pour le décideur à faire des recherches et à se renseigner sur le contenu des dossiers disponibles sur lesquels repose la demande. Il n’y a rien de mal non plus pour le décideur à se servir des connaissances acquises pour réfléchir longuement aux possibilités de décisions en ce qui a trait aux questions soulevées dans le litige. Cependant, la question à savoir si et comment la préparation peut servir à prendre une décision après la présentation de la preuve et des arguments repose sur l’audience même et le niveau de réflexion associé aux faits. Il faut retenir qu’un décideur doit se présenter à l’audience avec un esprit ouvert, mais interrogateur, et être néanmoins disposé à apprendre.

[14]           Dans la présente affaire, je conclus que la présidente a compris l’énoncé du juge Fish dans le cadre de l’arrêt Dubuc, selon lequel une recommandation commune doit faire l’objet d’un [traduction] « examen sérieux » et [traduction] qu’« elle ne devrait pas être écartée à la légère ». Cet énoncé est souligné deux fois par la présidente, lorsqu’elle a affirmé qu’elle [traduction] « ne prend pas ces recommandations à la légère ». Néanmoins, je conclus également que, selon la preuve, la présidente n’a pas simplement pris la recommandation commune à la légère, elle l’a également écartée.

[15]           Cette conclusion s’explique par deux motifs.

[16]           Tout d’abord, selon la transcription, dès que les arguments sur la recommandation commune ont pris fin, la présidente a commencé à rendre sa décision. Elle n’a pas pris de pause pour réfléchir. La recommandation commune a été attestée et sans en faire fi totalement; cependant, selon la preuve, elle a fait l’objet de considérations étrangères pour rendre des opinions et des conclusions préparées très tôt. À mon avis, l’énoncé [traduction] « je ne prends pas ces recommandations à la légère » n’excuse point l’esprit fermé dont a fait preuve la présidente au cours de l’audience.

[17]           Deuxièmement, l’opinion de l’avocat du ministre dans le cadre de la recommandation commune au sujet du risque [traduction] « relativement faible que pose l’appelant envers la sécurité publique » est contredite par les préoccupations en matière de sécurité publique exprimées par la présidente. Voilà une preuve que la recommandation commune a été écartée.

[18]           La teneur de l’écart est importante. Étant donné que le ministre est responsable d’appliquer et de maintenir la mesure d’expulsion portée en l’appel par le demandeur et qu’il doit tenir compte de l’intérêt public au moment de donner suite à la mesure, contredire l’opinion du ministre sur la sécurité publique dans le cadre d’une recommandation commune est une conclusion grave à émettre sans un examen complet de la recommandation commune, qui n’a absolument pas été réalisé.

[19]           L’omission de la présidente de bien tenir compte de la dernière chance octroyée par le ministre constitue une preuve supplémentaire de l’écart de la recommandation commune par la présidente. L’opinion de la présidente à savoir que [traduction] « cinq chances suffisent » repose sur l’incapacité du demandeur à respecter les conditions imposées. L’opinion du ministre selon laquelle le demandeur mérite quand même une dernière chance a été entièrement écartée. Je conclus que la décision prise à la hâte par la présidente ne lui a pas permis de prendre une pause pour réfléchir à ce point très important.

[20]           Par conséquent, je conclus que la décision rendue allait à l’encontre du devoir d’agir équitablement envers le demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la décision à l’examen est infirmée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un autre commissaire de la SAI.

Aucune question n’est certifiée.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4101-15

INTITULÉ :

HUSSEIN MOHAMED AL­ABDI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE :

Le 1er mars 2016

COMPARUTIONS :

Samuel Loeb

Pour le demandeur

Modupe Oluyomi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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