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Date : 20160210


Dossier : IMM-2349-15

Référence : 2016 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 10 février 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

KWOK KIN KWONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un gestionnaire adjoint du programme d’immigration (agent) de refuser sa demande de permis de séjour temporaire pour visiter sa mère âgée au Canada. La décision s’appuyait sur une décision antérieure rendue en 1999 à l’égard d’une demande de résidence permanente faite par le demandeur. En 1999, un agent a jugé que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour criminalité et participation au crime organisé. Il avait été établi que le demandeur était le tenancier de plusieurs « maisons de débauche » à Hong Kong, un acte qui, s’il avait été commis au Canada, aurait constitué une infraction aux lois sur la prostitution en vigueur à ce moment­là.

[2]               Le demandeur a fait valoir que l’agent avait commis une erreur en se fondant sur la conclusion antérieure d’interdiction de territoire, étant donné que la Cour suprême du Canada a depuis établi que la disposition relative aux « maisons de débauche » du Code criminel (L.R.C., 1985, ch. C­46) est inconstitutionnelle.

[3]               Le ministre a répondu à la demande et a récemment déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance visant à ce que les documents assujettis à une ordonnance de confidentialité rendue le 14 février 2000 dans le dossier IMM­3804­99 (concernant la décision antérieure relative au visa sur laquelle l’agent dans la présente affaire s’est appuyé) [les documents confidentiels] soient retirés du dossier du demandeur déposé à la Cour, à ce que le sceau soit réapposé sur toutes les copies des documents confidentiels, y compris toute copie électronique en la possession du demandeur ou sous son contrôle, à ce que celles­ci soient retournées au défendeur par le demandeur et ses avocats, et à ce que ces derniers détruisent toute note se rapportant aux documents confidentiels.

[4]               Le ministre a déposé un affidavit attestant que les documents confidentiels avaient été inclus par mégarde dans la documentation à divulguer au demandeur en réponse à une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[5]               Le demandeur s’oppose à la requête.

[6]               L’ordonnance antérieure a été rendue par la juge Heneghan le 14 février 2000. Elle se lit comme suit :

[traduction]

VU LA REQUÊTE à huis clos et ex parte déposée par le sous­procureur général du Canada au nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en date du 18 octobre 1999 en vue d’obtenir une ordonnance, en application du paragraphe 82.1(10) de la Loi sur l’immigration, visant la non­divulgation au demandeur et à ses avocats de renseignements obtenus à titre confidentiel, qui faisaient partie des documents dont disposait l’agent des visas;

PAR CONSÉQUENT, LA PRÉSENTE ORDONNE que la requête de non­divulgation, en application du paragraphe 82.1(10) de la Loi sur l’immigration, soit accueillie, et que le sceau soit réapposé sur l’affidavit confidentiel de James Schultz souscrit le 8 octobre 1999 ainsi que sur l’affidavit confidentiel de Michel Gagne souscrit le 7 février 2000, sous réserve d’une autre ordonnance de la Cour.

[7]               Le paragraphe 82.1(10) de l’ancienne Loi sur l’immigration permettait la non­divulgation de renseignements et d’autres éléments de preuve fournis par le ministre si, de l’avis du juge, la divulgation risquait de porter atteinte à la sécurité nationale ou de compromettre la sécurité de toute personne. Il se lit comme suit :

82.1 (10) (10) Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’agent des visas de refuser un visa au motif que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées aux alinéas 19(1)c.1) à g), k) ou l) :

82.1 (10) With respect to any application for judicial review of a decision by a visa officer to refuse to issue a visa to a person on the grounds that the person is a person described in any of paragraphs 19(1)(c.1) to (g), (k), and (l),

a) le ministre peut présenter à la Section de première instance de la Cour fédérale, à huis clos et en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant, une demande en vue d’empêcher la communication de renseignements obtenus sous le sceau du secret auprès du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États étrangers ou l’un de leurs organismes;

(a) the Minister may make an application to the Federal Court - Trial Division, in camera , and in the absence of the person and any counsel representing the person, for the non-disclosure to the person of information obtained in confidence from the government or an institution of a foreign state or from an international organization of states or an institution thereof:

b) la Section de première instance de la Cour fédérale, à huis clos et en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant :

(b) the Court shall, in camera, and in the absence of the person and any counsel representing the person,

(i) étudie les renseignements,

(i) examine the information, and

(ii) accorde au représentant du ministre la possibilité de présenter ses arguments sur le fait que les renseignements ne devraient pas être communiqués à l’intéressé parce que cette communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

(ii) provide counsel representing the Minister with a reasonable opportunity to be heard as to whether the information should not be disclosed to the person on the grounds that the disclosure would be injurious to national security or to the safety of persons;

c) ces renseignements doivent être remis au représentant du ministre et ne peuvent servir de fondement au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire si la Section de première instance de la Cour fédérale détermine que leur communication à l’intéressé ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

(c) the information shall be returned to counsel representing the Minister and shall not be considered by the Court in making its determination on the judicial review if, in the opinion of the Court, the disclosure of the information to the person would not be injurious to national security or to the safety of persons; and

d) si la Section de première instance de la Cour fédérale décide que cette communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, les renseignements ne sont pas communiqués mais peuvent servir de fondement au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire.

(d) if the Court determines that the information should not be disclosed to the person on the grounds that the disclosure would be injurious to national security or to the safety of persons, the information shall not be disclosed but may be considered by the Court in making its determination.

[8]               En réponse à la requête du ministre, le demandeur déclare ce qui suit à l’alinéa 8a) de son mémoire : [traduction] « L’ordonnance de confidentialité rendue dans le dossier IMM­3804­99 se poursuit. »  Je suis d’accord.

[9]               Le demandeur soutient également que, lorsque le ministre divulgue des renseignements en réponse à une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, [traduction] « le destinataire est en droit de présumer que le ministre a adéquatement déterminé que les documents n’avaient plus d’incidence sur la sécurité nationale ». Il peut en être ainsi dans un cas ordinaire, mais en l’espèce, le ministre affirme que les renseignements confidentiels ont été divulgués par mégarde. En outre, et plus important encore, une ordonnance existante de la Cour interdit la divulgation de documents confidentiels au demandeur ou à ses avocats. La divulgation faite par le ministre va directement à l’encontre de cette ordonnance. Tant que l’ordonnance de la juge Heneghan ne sera pas modifiée ou remplacée, elle doit être respectée.

[10]           Pour ces motifs, la requête du ministre est accueillie.

[11]           Le ministre a déposé une deuxième requête en vue d’obtenir une ordonnance visant à rejeter cette demande. Il souligne que la demande vise à attaquer la décision de refuser une demande de permis de séjour temporaire faite le 2 mars 2015. Il fait observer qu’une [traduction] « autre demande de permis de séjour temporaire a été approuvée pour le demandeur » le 27 janvier 2016, et soutient qu’il n’existe plus de controverse relativement au fond de la demande et que la décision d’approuver celle­ci n’aurait aucune conséquence pratique.

[12]           Dans sa demande, le demandeur cherchait la conclusion suivante, comme il est indiqué dans son mémoire en réplique : [traduction] « Le demandeur demande que [...] la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit envoyée à un tribunal différemment constitué aux fins de réexamen. »  Essentiellement, le demandeur cherche une occasion de persuader un agent de lui délivrer un permis de séjour temporaire. Cela s’est produit.

[13]           Le demandeur fait valoir qu’il existe encore une controverse, en ce sens qu’il pourrait se voir refuser un permis de séjour temporaire dans l’avenir pour les mêmes motifs que dans la décision faisant l’objet du contrôle. J’estime qu’il s’agit de conjectures, en particulier à la lumière du fait que le demandeur a récemment obtenu un permis de séjour temporaire pour se rendre au Canada, même si ce n’est que pour les funérailles de sa mère.

[14]           Le demandeur affirme aussi qu’il existe encore une controverse parce que, selon la jurisprudence établie dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 RCS 1101 [Bedford], il ne devrait pas être interdit de territoire et n’aurait donc pas besoin d’un permis de séjour temporaire, tandis que le défendeur affirme qu’il est interdit de territoire et a donc besoin d’un permis de séjour temporaire. Le demandeur déclare que cette controverse existe toujours, même s’il a obtenu un permis de séjour temporaire.

[15]           Cependant, le demandeur a été jugé interdit de territoire pour deux motifs : criminalité et participation au crime organisé. L’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

En ce qui concerne la conclusion de criminalité, [le demandeur] n’a pas fait l’objet d’un pardon, n’a pas été réhabilité par le ministre et n’est pas présumé être réhabilité. La conclusion d’interdiction de territoire relative à sa demande initiale de résidence permanente est donc encore en vigueur, et l’objectif du présent contrôle n’est pas d’examiner cette conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité, mais plutôt d’établir si le besoin du demandeur d’entrer au Canada est suffisamment impérieux et convaincant pour l’emporter sur les risques pour la société canadienne. Pour ce qui est de la conclusion de participation au crime organisé, rien n’indique que le demandeur a été dispensé par le ministre de la Sécurité publique.

Je conclus que le demandeur demeure interdit de territoire au Canada et qu’il a besoin d’un permis de séjour temporaire pour s’y rendre.

[16]           Si le demandeur avait eu gain de cause dans cette demande sur le fond, le meilleur résultat qu’il aurait pu espérer aurait été que la décision de l’agent soit jugée déraisonnable parce qu’il n’avait pas tenu compte de l’incidence de la décision de la Cour suprême du Canada selon laquelle l’infraction que l’on soupçonne le demandeur d’avoir commise ne constitue plus une infraction au Canada. Cette conclusion aurait eu pour conséquence que la Cour aurait envoyé la demande à un agent différent aux fins de décision; toutefois, elle n’aurait pas eu pour conséquence que le demandeur n’aurait pas eu besoin d’un permis de séjour temporaire pour entrer au Canada. Il en est ainsi parce que, même en supposant que la présente demande donne lieu à une décision selon laquelle la conclusion de criminalité est déraisonnable, la participation du demandeur au crime organisé demeure une question sérieuse.

[17]           La conclusion de criminalité est fondée complètement sur le fait que le demandeur était le tenancier de plusieurs maisons de débauche, tandis que la conclusion de participation au crime organisé est, au mieux, seulement fondée en partie sur ce fait. Sur ce point, les motifs de l’agent en 1999 sont les suivants :

[traduction]

Après un examen approfondi de tous les renseignements disponibles, j’ai conclu que vous êtes également interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration parce que j’ai des motifs raisonnables de croire que vous êtes, pratiquement, membre d’un groupe criminel organisé.

En rendant une décision d’interdiction de territoire, j’ai remarqué que vous niiez toute forme d’association criminelle depuis votre départ du service de police. Toutefois, je n’ai pas trouvé vos dénégations d’association plus récentes avec des membres d’organisations criminelles crédibles, en particulier à la lumière de la nature de vos activités liées au vice et du contrôle établi ou de l’influence exercée par les organisations criminelles sur ce genre d’activités dans le contexte local. Bien qu’il ait été difficile d’examiner de façon approfondie la nature et l’ampleur de vos associations criminelles au cours de l’entrevue en raison de votre comportement évasif, j’ai constaté que la nature de vos activités dans le contexte local, ainsi que dans plusieurs des régions géographiques dans lesquelles vous menez ces activités, vous amènerait inévitablement à travailler en étroite collaboration avec des membres du crime organisé. De plus, vous avez été informé au cours de l’entrevue que j’avais accès à des renseignements obtenus à titre confidentiel auprès d’une source fiable, crédible et objective au sujet de votre association avec un membre d’une organisation criminelle; vous n’aviez pas divulgué ce fait, et vous avez nié cette association au cours de l’entrevue.

En évaluant votre interdiction de territoire en application de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration, j’ai aussi constaté que le réseau de « maisons de débauche communes » dont vous êtes le tenancier comporte en effet un degré élevé d’organisation et de planification, et un plan d’activités criminelles qui, de par sa nature, nécessite un certain nombre de personnes qui agissent de façon concertée. J’ai conclu que cela constitue un élément distinct, mais connexe, permettant d’établir que vous êtes, pratiquement, membre d’une organisation criminelle. [Non souligné dans l’original.]

[18]           À mon avis, le premier élément sur lequel repose la conclusion de participation au crime organisé s’applique toujours même si le fait de tenir une maison de débauche commune ne constitue plus une infraction au Canada, en raison de l’association du demandeur avec des organisations criminelles plus grandes dans le cadre de cette activité. Par conséquent, la jurisprudence établie dans l’affaire Bedford ne pourrait pas avoir d’incidence sur la conclusion de participation au crime organisé, et le demandeur pourrait être jugé interdit de territoire, en fonction de la décision de 1999, même si la décision de l’agent faisant l’objet du contrôle était annulée.

[19]           Compte tenu du fait qu’il n’existe plus de contexte conflictuel et du besoin d’économie judiciaire, je conclus que la Cour ne devrait pas entendre cette demande et que celle­ci est sans objet.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  les documents confidentiels, soit les pages 90 à 101 du dossier du demandeur, doivent être retirés et retournés au ministre;

2.                  toutes les copies des documents confidentiels en la possession du demandeur et de ses avocats ou sous leur contrôle, y compris toute copie électronique, doivent être retournées au ministre;

3.                  le demandeur et ses avocats doivent détruire toute note se rapportant aux documents confidentiels et informer le ministre par écrit que cette tâche a été effectuée;

4.                  la demande est sans objet et rejetée, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2349-15

INTITULÉ :

KWOK KIN KWONG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2016

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 10 FÉVRIER 2016

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LE DEMANDEUR

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Willian F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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