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Date : 20160303


Dossier : IMM-3447-15

Référence : 2016 CF 260

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

FADUMO SHARIF ABDULLAHI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR ou la Loi) pour contester une décision de la Section d’appel des réfugiés (la Commission ou la SAR) confirmant la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) que la demanderesse, Fadumo Sharif Abdullahi (alias Habiba Mohammed Ilmi), n’est ni une réfugiée ni une personne ayant besoin de protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. La demanderesse sollicite que la décision de la SAR soit annulée et que l’affaire soit renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre commissaire.

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               La demanderesse est prétendument une citoyenne de la Somalie et une femme célibataire du clan minoritaire Asharaf qui craint le clan majoritaire Habar Gidir et le groupe terroriste Al Shabaab.

[4]               Elle soutient qu’après une série d’épreuves en Somalie, y compris le fait d’avoir subi une mutilation génitale féminine (MGF) et d’avoir reçu des menaces de mort ainsi qu’une tentative de la vendre et de la forcer à se marier, elle a épousé un homme de son âge afin de se protéger contre le mariage forcé. À la suite de ce mariage, des menaces de mort ont été adressées à son mari alors il s’est enfui trois mois après leur mariage et on n’a jamais plus entendu parler de lui.

[5]               En octobre 2012, la demanderesse s’est rendue aux États­Unis avec l’aide d’un passeur. À son arrivée, les autorités ont déterminé, au moyen d’une vérification de ses empreintes digitales, que le nom de la demanderesse était Faduma Sharif Adbullahi et non Habiba Mohamed Ilmi, le nom qu’elle leur avait fourni. La demanderesse est restée en détention jusqu’à ce que sa demande ait été rejetée le 13 juin 2013 en dépit d’un fondement crédible.

[6]               Le 31 juillet 2013, la demanderesse est entrée au Canada et a demandé l’asile. Sa demande d’asile a été entendue à cinq audiences différentes s’étalant de décembre 2013 à novembre 2014. Le 30 mars 2015, la SPR a finalement rejeté la demande d’asile après avoir conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir son identité selon la prépondérance des probabilités et que son témoignage manquait de crédibilité sur d’autres points importants de sa demande.

[7]               Le 21 avril 2015, la demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR et, le 8 juillet 2015, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La décision de la SAR constitue le fondement du présent contrôle judiciaire.

II.                Décision contestée

[8]               La demanderesse a présenté deux éléments de preuve qu’elle souhaitait voir la SAR accepter comme nouveaux. Le premier était un affidavit de témoin visant à corroborer l’identité de la demanderesse [la preuve d’identité] tandis que le second était le rapport d’un psychothérapeute agréé visant à établir que la demanderesse souffrait d’un trouble de stress post­traumatique qui a nui à son témoignage devant la SPR. La SAR a constaté que cette preuve était accessible avant la décision de la SPR et ne satisfaisait donc pas au critère de nouvelle preuve du paragraphe 110(4) de la Loi.

[9]               Lors de l’examen du dossier présenté à la SPR, la SAR a examiné si la SPR avait commis une erreur dans son évaluation du rapport médical de la demanderesse, des questions d’interprétation, de l’utilisation d’un « faux nom », de l’appartenance clanique, de l’identité religieuse et du profil de risque. La SAR a constaté qu’en ce qui concerne tous les éléments, sauf le facteur de risque de la demanderesse, les conclusions de la SPR étaient raisonnables. En ce qui concerne les facteurs de risque de la demanderesse, la SAR a convenu avec la SPR qu’elle n’était aucunement obligée de tenir compte des facteurs de risque, car la demanderesse n’avait pas réussi à établir son identité en ce qui concerne son appartenance à un clan minoritaire ou le fait qu’elle soit une citoyenne de la Somalie.

III.             Questions en litige

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les points suivants :

1.      La SAR a­t­elle commis une erreur en refusant d’admettre la preuve nouvellement soumise de la demanderesse?

2.   La SAR a­t­elle commis une erreur sur le plan de ses conclusions en matière de crédibilité?

IV.             Norme de contrôle

[11]           Il est admis que la norme rigoureuse de l’examen du caractère raisonnable s’applique à la question de la décision de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve (Singh c. Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté) 2014 CF 1022, au paragraphe 42 [Singh]) et du caractère raisonnable de ses conclusions sur la crédibilité (Cabdi c. Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2016 CF 26, au paragraphe 16).

V.                Analyse

A.                La SAR a­t­elle commis une erreur en refusant d’admettre la preuve nouvellement soumise de la demanderesse?

[12]           La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter de nouvelles preuves importantes de la demanderesse visant à répondre à des irrégularités de son cas qui avaient été relevées par la SPR. La SAR doit prendre en considération le droit de la demanderesse de présenter des preuves pour répondre aux faiblesses de sa demande, afin de profiter pleinement de l’appel fondé sur des faits de la SAR (Singh, paragraphe 55; Awet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 759, paragraphe 10).

[13]           J’estime que la SAR a raisonnablement rejeté la nouvelle preuve de la demanderesse. La demanderesse, en prétendant le contraire, comprend mal les rôles respectifs de la SPR et de la SAR par rapport à la question de la présentation de nouvelles preuves. La SAR ne fonctionne pas comme un appel de novo qui permet à un appelant de fournir une preuve « améliorée » de la même nature sur une question qui a été débattue et tranchée par la SPR, lorsque cette preuve aurait pu raisonnablement être présentée à la SPR (Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 321, paragraphe 18).

[14]           Je suis d’accord avec la SAR que la demanderesse doit se montrer sous son meilleur jour devant la SPR et présenter toutes les preuves qui sont accessibles au moment opportun, qu’elle en soit consciente ou non, à moins qu’il y ait une injustice découlant de faits nouveaux inattendus ou de faits anciens qu’aucune diligence raisonnable n’aurait permis de relever. Il ne s’agit pas d’une procédure de mise au point pour la SAR que, lorsqu’elle relève des lacunes dans le cas de la demanderesse, des preuves supplémentaires qui auraient pu être présentées à la SPR peuvent lui être présentées comme nouvelles preuves.

[15]           En d’autres termes, la réponse à une lacune relevée par la SPR, dans le cas d’une partie, ne peut pas être un fondement légitime pour que cette partie prétende que si elle avait été au courant de la lacune, elle aurait pu présenter une meilleure preuve qui existait toujours et qui provenait de personnes qui auraient pu être appelées, à savoir, dans ce cas, son cousin. Cela ferait du processus de la SPR un gaspillage de temps monumental, ce qui n’est certainement pas dans l’intention du législateur en accordant des droits d’appel.

[16]           En outre, la décision Singh n’a rien à voir avec la présentation de nouveaux éléments de preuve dans cette affaire. Son rapport ne doit pas être étendu à des situations factuelles sans aucun lien qui portent atteinte à la finalité ordinaire de la décision de la SPR, sauf dans le cas d’un appel interjeté en bonne et due forme, aux termes de la Loi. Dans l’affaire Singh, le demandeur a découvert seulement après la décision de la SPR qu’un document clé, qui portait sur la question déterminante de l’identité, avait été retenu par son avocat quand il avait des motifs raisonnables de penser qu’il avait été remis à Citoyenneté et Immigration Canada, par l’intermédiaire de son avocat. La Cour a livré une interprétation assez libérale de ce que constitue les éléments de preuve  « qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances » dans le cadre des appels interjetés auprès de la SAR quand on a conclu que c’était une erreur honnête au sujet de qui était en possession du document clé. C’est le genre de cas où les intérêts de la justice appellent à une exception dans le cadre de ce qui devrait être un processus administratif flexible. L’affaire ne consistait pas à appeler un témoin qui était accessible avant l’audience pour témoigner sur une question longuement examinée par la SPR et, en plus, dont le témoignage aurait pu être présenté sur le sujet avant la fin du processus de la SPR.

[17]           De même, le rapport du psychothérapeute ne peut pas être admis pour expliquer les problèmes mis en évidence dans la preuve médico­légale du médecin qui a fourni des preuves à la SPR. Dans la présente affaire que la SPR doit examiner, la demanderesse a fourni des preuves médico­légales du comportement post­traumatique en concluant qu’elle avait démontré plusieurs symptômes du trouble de stress post­traumatique, de la dépression et de l’anxiété comme étant une conséquence de son expérience en matière de mutilation génitale féminine. Toutefois, outre le fait que la demanderesse était déprimée, le médecin légiste n’a fait état d’aucune illusion perçue de celle­ci, qu’elle décrit comme présentant une bonne perspicacité et un jugement normal, en plus d’une réflexion cohérente.

[18]           La preuve provenant du deuxième expert psychologue ne correspond pas à la catégorie des éléments de preuve « qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances ». En effet, je pense qu’il est très peu probable que ce soit bon de présenter un témoignage d’opinion judiciaire après le fait sur la foi de ce qui s’est produit devant la SPR. En outre, le fait de permettre au deuxième rapport médico­légal de fournir une preuve contraire ou une preuve plus complète que celle de l’expert médical qui a été présentée à l’audience de la SPR, se résumerait, en fait, à la mise en accusation du premier expert appelé par la demanderesse.

[19]           En outre, l’expertise médicale n’est pas permise après une audience afin d’« amorcer » et d’expliquer pourquoi un témoin s’est avéré non crédible, incohérent ou non fiable devant la SPR. Les avocats sont formés de façon à surmonter ces problèmes ou, du moins, faire part de leurs inquiétudes quant à la capacité du demandeur de témoigner devant le décideur en première instance. Cette question doit être soulevée à l’audience : Diaz Serrato c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 176, au paragraphe 22, comme suit :

[22]      N’oublions pas qu’un rapport d’expert constitue un élément de preuve comme les autres; il incombait donc à la SPR de déterminer le poids qu’elle devait lui accorder. Il n’est pas du ressort de l’expert de décider si des incohérences dans le témoignage d’un demandeur peuvent être justifiées par un syndrome de stress post­traumatique. Par suite de l’appréciation de la preuve, la SPR a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’amnésie ou d’oubli de faits, mais d’incohérences. Autrement dit, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le syndrome du demandeur et les incohérences.

[20]           Par conséquent, je ne constate aucune erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAR de refuser d’admettre la nouvelle preuve présentée par la demanderesse.

B.                 La SAR a­t­elle commis une erreur sur le plan de ses conclusions en matière de crédibilité?

[21]           La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur quand elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en raison d’incohérences et d’autres problèmes qui se sont posées lors de son témoignage. Plus précisément, la demanderesse soutient que la SAR s’est trop concentrée sur l’utilisation par la demanderesse de son vrai nom, ce qui n’était pas important; a ignoré des facteurs atténuants comme l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et le rapport du médecin; n’a pas tenu compte des pratiques culturelles de son pays lors de l’évaluation de son appartenance clanique et de son identité religieuse; a omis d’évaluer son profil de risque.

[22]           Les audiences et le dossier de cette affaire sont considérables. Ils ont commencé le 9 décembre 2013 et se sont poursuivis pendant cinq séances jusqu’au 12 novembre 2014, près d’une année entière. Il est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur des fonctions de base de la SPR. Il n’est donc pas surprenant, compte tenu du grand nombre d’éléments de preuve présentés au cours de la présente procédure et des commentaires connexes de la SPR sur un grand nombre de problèmes de crédibilité, qu’aucune erreur susceptible de contrôle ou conclusion manifestement non fondée sur la crédibilité n’a été démontrée.

[23]           D’après le dossier, je conclus que les conclusions sur la crédibilité de la SAR sont raisonnables et fondées sur diverses incohérences entre le formulaire Fondement de la demande d’asile et le témoignage de la demanderesse, qui ne peuvent pas être simplement expliquées par des arguments concernant une mauvaise interprétation de la SPR. Je ne trouve pas, par exemple, que la SAR était déraisonnablement en désaccord avec l’argument de la demanderesse selon lequel ce qu’elle décrit comme étant des questions découlant d’une mauvaise interprétation étaient, en fait, des incohérences ou des contradictions de son témoignage et des documents. De même, la SAR pouvait raisonnablement conclure que la SPR avait raison de constater d’importantes incohérences dans le témoignage de la demanderesse concernant l’utilisation de son « faux nom ».

[24]           Dans le même ordre d’idée, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle sur le plan de la confirmation de la SAR que la SPR a constaté des incohérences dans plusieurs incidences négatives sur la crédibilité de la demanderesse en raison du fait qu’elle ne connaît pas son clan naturel et de la confusion quant aux dates auxquelles elle a dit avoir appris cela quand son père a été menacé en 2003. Les fondations culturelles ne semblent pas évidentes pour expliquer les différentes descriptions de son mari comme parent de son père ou l’incohérence de la preuve culturelle religieuse, ou le calendrier des dates relatives à la situation de son père. En outre, la SPR a soigneusement examiné les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, qui ne constituaient pas un sujet de discorde devant la SAR.

[25]           En fin de compte, la SAR était d’accord avec les conclusions de la SPR, selon lesquelles la demanderesse n’avait pas été en mesure d’établir son identité en tant que citoyenne de la Somalie, sans mentionner si elle est mariée ou célibataire, ou d’autres balises importantes pour déterminer si elle correspond à un type de profil de risque.

[26]           La Cour ne constate aucune erreur susceptible de contrôle qui pourrait nuire à l’analyse par la SAR des conclusions de la SPR sur la crédibilité. À cet égard, la Cour est, en règle générale, d’accord avec le défendeur sur le fait que la demanderesse lui demande de réévaluer la preuve sur un certain nombre de points différents qui ont contribué aux conclusions défavorables sur la crédibilité, ce qui n’est évidemment pas son rôle.

VI.             Conclusion

La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3447-15

 

INTITULÉ :

FADUMO SHARIF ABDULLAHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Deryck Ramcharitar

Pour la demanderesse

 

Manuel Mendelzon

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deryck Ramcharitar

Silcoff, Shacter

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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