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Date : 20160304


Dossier : IMM-3385-15

Référence : 2016 CF 283

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RICARDO ST. AUBYN HOO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision négative rendue par un agent pour l’examen des risques avant renvoi (« l’agent d’ERAR» ou « l’agent ») en date du 29 mai 2015. L’agent d’ERAR a déterminé que le demandeur ne ferait pas l’objet d’un risque de persécution, d’un risque de torture, d’un risque pour sa vie, ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé dans son pays de nationalité et de résidence.

Contexte

[2]               Le demandeur est citoyen jamaïcain. Il soutient qu’en 1990, il est devenu résident permanent des États­Unis, et qu’il a été déporté en Jamaïque en 2008 après une condamnation liée au trafic de drogue. Pendant qu’il vivait aux États­Unis, il a rencontré Denis McKinley (« McKinley »), qui a été pour des raisons similaires déporté en Jamaïque à une date ultérieure. Entre juillet 2008 et juillet 2009, le demandeur a vécu en Jamaïque et il prétend que durant cette période, il a été battu et qu’on lui a tiré dessus, parce qu’il a refusé de joindre le gang Blood. Lorsqu’il a signalé cela à la police, on lui a conseillé de se sauver pour assurer sa sécurité.

[3]               Le demandeur est entré au Canada en 2009. Le 2 février 2012, la Section de la protection des réfugiés (« la SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a estimé qu’il n’était pas admissible à la protection des réfugiés aux termes de l’article 1E de la Convention relative au statut des réfugiés (« la Convention »), parce qu’il avait omis de présenter des preuves qu’il ne pouvait retourner aux États­Unis en tant que résident permanent. Par ailleurs, la SPR a estimé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (« la LIPR »), parce qu’il n’existait aucun lien entre le défendeur et l’un des motifs énoncés dans la Convention. Il n’était pas non plus une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR, parce que les risques auxquels il faisait face étaient généralisés.

[4]               Le demandeur a ensuite présenté une demande d’approbation de sa réadaptation en vertu de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR, laquelle a été rejetée. Sa demande de parrainage conjugal a été refusée en raison de son inadmissibilité criminelle. Sa demande de contrôle judiciaire visant le rejet de sa demande d’approbation de sa réadaptation a été rejetée en décembre 2015. Le demandeur a demandé un ERAR en mars 2015, à l’appui duquel il a déposé une lettre non datée écrite par un ami en Jamaïque disant que McKinley croyait que le demandeur était un indicateur de la police et qu’il avait menacé de tuer le demandeur si ce dernier retournait en Jamaïque. L’ERAR a été rejeté en mai 2015. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision rendue par l’agent d’ERAR et demandé le sursis de son renvoi en attente d’une décision finale; le sursis a été accordé le 14 août 2015.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               L’agent d’ERAR a d’abord estimé qu’en raison de sa condamnation aux États­Unis, le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, conformément à ce que décrit l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Par conséquent, en vertu de l’alinéa 112(3)b), sa demande de protection a été limitée aux motifs décrits à l’article 97 de la LIPR. L’agent d’ERAR a ensuite souligné que le demandeur prétendait faire face à un risque pour sa vie en Jamaïque. L’agent a indiqué qu’il avait examiné les éléments de preuve et les motifs de la SPR concernant le refus de la demande d’asile du demandeur. L’agent d’ERAR a estimé que les éléments de preuve au dossier montraient que la violence des gangs et la criminalité étaient largement répandues en Jamaïque. L’agent a également fait référence aux observations de l’avocat du demandeur indiquant que les problèmes du demandeur avec un gang avant de quitter la Jamaïque, et la récente menace de McKinley, ont amené le demandeur à craindre davantage pour sa sécurité en Jamaïque. Toutefois, l’agent d’ERAR a déterminé que le risque associé à la violence des gangs en Jamaïque est un risque généralisé auxquels font face tous les gens de ce pays, et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves objectives déposées devant lui ou elle pour conclure que le demandeur serait personnellement visé. Et même si les preuves documentaires indiquaient qu’il existe des problèmes en Jamaïque par rapport au maintien de l’ordre, elles ne permettaient pas de conclure que le demandeur ne pourrait profiter de la protection de la police advenant le cas où il en aurait besoin. Par conséquent, le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État à l’aide de preuves claires et convaincantes. Pour ces motifs, l’agent d’ERAR a estimé que le demandeur n’est pas une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR s’il devait être renvoyé aux États­Unis ou en Jamaïque.

Questions en litige

[6]               Le demandeur maintient qu’il y a deux questions en litige :

        i.            L’agent d’ERAR a­t­il oui ou non appliqué le mauvais critère et/ou ignoré des éléments de preuve?

      ii.            La décision est­elle déraisonnable?

[7]               À mon avis, la seule question à l’enjeu ici consiste à déterminer si la décision était raisonnable.

Norme de contrôle

[8]               Même si aucune des parties n’a abordé la question de la norme de contrôle, les deux parties ont appliqué la norme du caractère raisonnable dans leurs recommandations. À mon avis, la norme du caractère raisonnable est la norme à appliquer, comme le montre la jurisprudence antérieure s’intéressant à l’évaluation des risques faite par les agents d’ERAR, que ce soit pour déterminer si les risques sont personnalisés ou si la présomption de protection de l’État est réfutée (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Correa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 252 au paragraphe 19; Portillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678 au paragraphe 18 [Portillo]; Lozano Navarro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 768 aux paragraphes 15 et 16; Gulyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 254 au paragraphe 37).

[9]               En appliquant la norme du caractère raisonnable, la Cour s’intéressera à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

Thèses des parties

Observations du demandeur

[10]           Le demandeur maintient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la lettre non datée écrite par un ami du demandeur en Jamaïque, reçue en février 2015. La lettre affirme que McKinley est maintenant un membre du gang Blood et qu’il reproche au demandeur de l’avoir dénoncé à la police, ce qui, selon lui, a entraîné son emprisonnement aux États­Unis et sa déportation en Jamaïque. McKinley a menacé la vie du demandeur s’il devait retourner en Jamaïque. Le demandeur maintient que la lettre établissait qu’il était précisément visé, mais l’agent d’ERAR n’en a fait mention qu’au moyen d’une citation tirée des observations de son avocat concernant l’ERAR. Bien que les décideurs n’aient pas à faire mention de chaque élément de preuve, la lettre contredit la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle le demandeur ne faisait l’objet que d’un risque généralisé (Tomlinson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 822 aux paragraphes 15, et 17 à 19). Le demandeur maintient que c’est une erreur susceptible de révision que de tirer des conclusions qui sont contraires aux preuves pertinentes présentées au décideur (Owusu­Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm LR (2d) 106 à 113 (CAF)). Le demandeur maintient également que l’ensemble de sa demande d’ERAR tournait autour des menaces de mort faites par McKinley, mais que l’agent d’ERAR n’a pas accordé d’importance à ce point.

[11]           De plus, l’agent d’ERAR a estimé que [traduction] « les preuves objectives n’étaient pas suffisantes pour conclure que le demandeur serait personnellement ciblé [...] six ans après avoir quitté ce pays en juillet 2009 ». Toutefois, même si le demandeur s’en est remis à la lettre reçue en février 2015 faisant état des menaces de McKinley, l’agent d’ERAR ne s’est concentré que sur 2009, année où le demandeur a quitté la Jamaïque.

[12]           Le demandeur maintient également que l’agent d’ERAR a commis une erreur dans ses conclusions sur la protection de l’État, parce qu’on ne sait pas s’il a appliqué le critère du caractère adéquat de cette protection ou s’il a incorrectement appliqué le critère des sérieux efforts faits pour protéger les citoyens. De plus, le demandeur maintient que les preuves documentaires montrent que les gangs en Jamaïque sont mieux équipés que la police, qui n’est pas efficace contre eux. Enfin, le demandeur maintient que la conclusion de l’agent d’ERAR voulant que le demandeur soit un résident permanent des États­Unis et qu’il pourrait y retourner a été tirée sans tenir compte des éléments de preuve, et était par conséquent déraisonnable, puisque rien ne prouve que les déportés conservent leur statut aux États­Unis.

Observations des défendeurs

[13]           Les défendeurs soutiennent que l’agent d’ERAR n’a pas ignoré la lettre présentée par le demandeur ou omis d’en tenir compte. L’agent d’ERAR a indiqué qu’il y avait de nouvelles preuves méritant considération; comme la lettre était la seule nouvelle preuve d’une menace récente, l’agent a dû en tenir compte. L’agent d’ERAR a aussi résumé la preuve du demandeur sur la question, mais a conclu que la preuve était insuffisante pour déterminer que le demandeur serait personnellement ciblé. Les défendeurs maintiennent que le demandeur demande à cette Cour d’en arriver à une conclusion différente de celle de l’agent d’ERAR en se fondant sur une note intéressée à laquelle l’agent d’ERAR a accordé peu ou pas d’importance (Micolta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 183 au paragraphe 13).

[14]           Les défendeurs maintiennent aussi que la question déterminante a trait à la protection de l’État et que le défendeur a omis de fournir des preuves claires et convaincantes de l’incapacité de l’État à protéger les victimes ciblées. Le demandeur devait établir que les autorités jamaïcaines seraient incapables de le protéger contre McKinley pour satisfaire au critère de l’article 97 de la LIPR. Les preuves documentaires du demandeur concernant le taux élevé de criminalité, le pouvoir des gangs criminels, la méfiance de la police et les allégations de corruption des policiers relèvent de la prévalence de la criminalité et de la nature généralisée des crimes, et non de la capacité de l’État à le protéger contre une menace directe. L’agent d’ERAR a conclu de façon raisonnable que le demandeur avait omis de réfuter la présomption de protection de l’État, parce que les preuves documentaires présentées n’appuyaient pas la conclusion qu’une personne qui demanderait la protection de la police ne pourrait l’obtenir. De plus, le témoignage du demandeur montre que le programme de protection des témoins en Jamaïque est efficace.

[15]           En outre, l’agent d’ERAR s’est appuyé de façon raisonnable sur les conclusions de la SPR concernant la possibilité pour le demandeur de retourner aux États­Unis, parce que le demandeur a omis de fournir des preuves contredisant la décision de la SPR. Quoi qu’il en soit, la question est sans importance, compte tenu du caractère raisonnable de la décision de l’agent d’ERAR selon laquelle le demandeur n’est pas exposé à un risque aux termes de l’article 97 de la LIPR s’il retourne en Jamaïque.

Analyse

[16]           Comme l’a indiqué le juge Gleason dans la décision Portillo, lorsqu’on procède à une analyse aux termes de l’article 97 de la LIPR, le point de départ consiste à déterminer la nature du risque auquel le demandeur est exposé. Pour ce faire, il faut déterminer si le demandeur est exposé à un risque personnalisé persistant ou à venir, quel est ce risque, si le risque en est un de traitements ou peines cruels et inusités, et le fondement de ce risque. L’étape suivante consiste à comparer le risque correctement décrit auquel le demandeur est exposé à celui auquel est exposée une partie importante de la population de son pays, afin de déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité (Portillo précité, aux paragraphes 40 et 41).

[17]           Dans le cas qui nous occupe, les raisons invoquées par l’agent d’ERAR sont succinctes. En parlant du risque indiqué par le demandeur, l’agent d’ERAR a seulement dit que le demandeur était exposé à un risque pour sa vie en Jamaïque. L’agent a affirmé qu’une attention particulière avait été accordée à tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés et coché la case sur le formulaire d’ERAR pour indiquer qu’il y avait de nouveaux éléments de preuve. Toutefois, l’agent n’a pas indiqué quels étaient ces nouveaux éléments de preuve. L’agent d’ERAR poursuit pour conclure qu’en fonction des éléments de preuve qui lui ont été présentés, il est clair qu’en Jamaïque, la violence liée aux gangs et les crimes violents constituent un problème répandu. L’agent cite ensuite un extrait des observations écrites de l’avocat du demandeur concernant la demande d’ERAR : [traduction] « Le demandeur a eu des problèmes personnels avec le gang Blood avant de quitter la Jamaïque et les récentes menaces d’un certain Denis McKinley augmentent les craintes du demandeur concernant sa sécurité en Jamaïque ». L’agent d’ERAR a conclu que le niveau élevé de crimes violents est un risque généralisé auquel sont exposés tous les citoyens de ce pays, et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves objectives déposées devant lui ou elle pour conclure que le demandeur serait personnellement visé s’il était déporté.

[18]           La difficulté avec cette conclusion, c’est que le demandeur maintient qu’il est personnellement visé par McKinley parce que ce dernier croit que le demandeur a informé les autorités américaines de son comportement criminel. Toutefois, l’agent d’ERAR ne fait pas directement référence à la lettre qui constitue le fondement des prétentions du demandeur relativement à un risque personnalisé. La nature de ce risque n’est pas déterminée puisque l’agent ne l’a pas évalué, et il n’y a pas non plus de comparaison faite entre le risque auquel le demandeur est exposé et le risque généralisé lié à la violence des gangs auquel la population en général est exposée, pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité. En outre, la nature du risque auquel il est exposé aujourd’hui pourrait ne pas être similaire à la nature du risque auquel il était exposé en 2009. Par conséquent, à mon avis, l’agent d’ERAR a omis de procéder à l’analyse nécessaire aux termes de l’article 97.

[19]           Les défendeurs mentionnent la décision Roberts c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 298 et maintiennent que cette cause est différente de celle qui m’est présentée. Dans cette cause, la juge Gagné a fait référence à la décision Portillo précitée et a affirmé :

[19]      J’estime que le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a effectué les deux étapes de l’analyse requise. Premièrement, il a qualifié de façon déraisonnable la nature du risque auquel le demandeur était exposé en déclarant que le demandeur était « victime d’une vendetta personnelle criminelle » à Saint­Vincent tout en affirmant que le risque auquel il était exposé était un risque généralisé attribuable à des activités criminelles généralisées. Comme nous l’avons déjà expliqué, le tribunal ne mentionne aucun des éléments de preuve présentés par le demandeur, y compris la déposition de ses amis qui avaient eu connaissance des menaces de mort proférées contre lui. Compte tenu du fait que le tribunal devait déterminer, d’après les éléments de preuve en question, si le demandeur était exposé à un risque de préjudice plus élevé que celui auquel la population générale était exposée – dont le risque de représailles – et compte tenu de l’affirmation erronée du tribunal suivant laquelle « [l]e fait que le demandeur d’asile a été précisément et personnellement pris pour cible par le gang criminel n’est pas pertinent pour établir si le risque auquel il est exposé est généralisé ou non », j’estime que le défaut du tribunal de procéder à une évaluation individualisée en fonction de l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle.

[20]           Alors que l’agent d’ERAR dans ce cas n’a pas affirmé que le demandeur avait été précisément ciblé, il m’apparaît, pour les motifs exposés ci­dessus, qu’il ou elle a par ailleurs commis une erreur.

[21]           Les défendeurs maintiennent aussi qu’alors que l’agent d’ERAR n’a pas spécifiquement fait référence à la lettre, il s’agissait du seul nouvel élément probant et que, par conséquent, il a dû être examiné. En outre, l’agent a constaté qu’il n’avait pas suffisamment de preuves objectives devant lui ou elle pour conclure que le demandeur [traduction]. « serait personnellement ciblé et serait victime de violence s’il était déporté en Jamaïque, près de six ans après avoir quitté ce pays en juillet 2009 ». Les défendeurs maintiennent que cela montre clairement que l’agent d’ERAR a examiné la lettre mais qu’il y a, raisonnablement, accordé peu d’importance.

[22]           Toutefois, je soulignerais que la présomption voulant qu’un décideur ait examiné tous les éléments de preuve (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre­Neuve­et­Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 16) peut être réfutée quand le décideur omet d’expliquer directement les raisons pour lesquelles il écarte un élément de preuve en particulier qui contredit un élément essentiel de la décision (Cepeda­Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 17; Nguyen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59 au paragraphe 5). Dans le cas qui nous occupe, l’agent d’ERAR fait référence aux menaces exprimées par McKinley, mais seulement dans le contexte d’une citation d’un extrait des observations du demandeur. En outre, l’agent ne dit pas s’il ou elle accorde à la lettre peu d’importance ou pourquoi ce serait le cas, et un examen du dossier ne permet pas non plus de le savoir. Nous ne savons pas pour quel motif la lettre, si elle a été prise en considération, était insuffisante. À cet égard, il importe de souligner que ni la SPR ni l’agent d’ERAR n’ont présenté de conclusions négatives concernant la crédibilité du demandeur.

[23]           Étant donné que la lettre constituait l’élément de preuve essentiel faisant état du risque personnalisé allégué, je suis d’avis que l’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant d’en parler et en omettant d’effectuer l’analyse nécessaire aux termes de l’article 97.

[24]           Toutefois, en plus d’estimer que le risque auquel le demandeur était exposé était un risque généralisé, et ne répondait donc pas au critère de l’article 97, l’agent d’ERAR a également estimé que le demandeur avait omis de réfuter la présomption de protection de l’État. À mon avis, il s’agit là d’une question déterminante (Sran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 145 au paragraphe 11; Matute Andrade c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074 aux paragraphes 45 et 67).

[25]           À titre préliminaire, je prends note que le demandeur soutient qu’on ne sait pas avec précision si l’agent d’ERAR appliquait le bon critère concernant la protection de l’État, soit le critère du caractère adéquat de cette protection, plutôt que le critère des sérieux efforts. Bien que les motifs soient superficiels, ils sont suffisants pour prouver que l’agent d’ERAR était au courant du critère du caractère adéquat concernant la protection de l’État. L’agent d’ERAR a affirmé que [traduction] « le demandeur n’a pas satisfait au fardeau de preuve lui incombant, soit de fournir des preuves claires et convaincantes qu’une protection adéquate de l’État ne pourrait lui être offerte en Jamaïque si c’était nécessaire »; en fait l’agent d’ERAR ne fait aucune mention des « sérieux efforts ». Par conséquent, l’affirmation du demandeur sur ce point est sans fondement.

[26]           Le demandeur maintient également que la protection de l’État doit être efficace « dans une certaine mesure » pour être adéquate. En raison des preuves documentaires établissant que la violence est répandue et que la police affiche un faible taux de réussite pour ce qui est de résoudre les cas de crimes violents, le demandeur soutient que cela prouve que la protection de l’État en Jamaïque n’est pas adéquate. Toutefois, les défendeurs soutiennent que le critère concernant la protection de l’État apparaît dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carillo, 2008 CAF 94 [Carillo], soit qu’un demandeur qui cherche à réfuter la présomption de protection de l’État doit fournir des preuves fiables, claires et convaincantes capables de convaincre le décideur, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État n’est pas adéquate, et que le demandeur n’a pas réussi à le faire dans ce cas.

[27]           Ici, l’agent d’ERAR a reconnu les problèmes de la police en Jamaïque, mais a également estimé que les preuves documentaires n’appuyaient pas la conclusion que la protection de la police ne pourrait être offerte au demandeur si sa vie devait être menacée, et que le demandeur n’avait pas satisfait au fardeau de preuve lui incombant.

[28]           Un examen du dossier indique que les éléments de preuve sur l’efficacité de la police sont mixtes. Certains des articles parlent de procès et d’accusations pour des membres de gangs et de corruption de la police, tandis que d’autres parlent de corruption et d’impunité des gangs. Je soulignerais également que l’affirmation du demandeur se résume à l’idée que lorsque la police est aux prises avec un risque généralisé, dans ce cas la violence des gangs, c’est suffisant pour réfuter la présomption de protection de l’État; toutefois, cette idée n’est pas conforme à la jurisprudence (Sanchez Aguilar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1054 aux paragraphes 10 à 14).

[29]           Comme les défendeurs le soutiennent, le demandeur doit fournir des preuves claires et convaincantes pour réfuter la présomption de protection de l’État (Varadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 407 au paragraphe 31; Carillo  précité au paragraphe 30). Il est également bien établi que ce n’est pas le rôle de cette Cour de réévaluer les éléments de preuve déposés devant le décideur (McLean c. British Columbia (Securities Commission), 2013 CSC 67 aux paragraphes 19 à 33; Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Kovacs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337 au paragraphe 20).

[30]           Comme l’a reconnu l’agent d’ERAR, la violence des gangs est répandue en Jamaïque et il existe des [traduction] « problèmes concernant le maintien de l’ordre ». Toutefois, compte tenu de la nature mixte de la preuve, il était loisible, à mon avis, à l’agent d’ERAR d’estimer que le demandeur avait omis de réfuter la présomption dans ce cas. Par conséquent, la conclusion de l’agent d’ERAR concernant la protection de l’État se situe à l’intérieur des issues possibles acceptables et est donc raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­3385­15

 

INTITULÉ :

RICARDO ST. AUBYN HOO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

Pour le demandeur

 

Bridget A. O’Leary

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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