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Date : 20160217


Dossier : IMM-2624-15

Référence : 2016 CF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

AYODEJI OLUWOLE ODUNSI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) visant la décision datée du 3 juin 2015 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) parce qu’il n’a pas établi la provenance des fonds dont il disposait.

II.                Contexte

[2]               Ayodeji Oluwole Odunsi (le demandeur) est un citoyen du Nigeria qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF]. Le demandeur répondait aux critères d’admissibilité relatifs à la profession qu’il envisageait d’exercer au Canada, soit la profession d’inspecteur de la santé publique, de l’environnement et de l’hygiène et de la sécurité au travail (Classification nationale des professions 2263).

[3]               En évaluant l’admissibilité du demandeur en fonction des exigences financières, l’agent a remarqué que le solde du relevé bancaire présenté en guise d’élément de preuve était très peu élevé et qu’un dépôt important effectué en juin 2014 figurait à la fin du relevé. La provenance de ce dépôt n’était pas indiquée.

[4]               Une lettre d’équité procédurale datée du 28 avril 2015 a été envoyée au demandeur afin de lui demander de prouver qu’il disposait de suffisamment de fonds pour immigrer au Canada. La lettre indiquait que le demandeur ne pouvait pas emprunter l’argent dont il avait besoin auprès d’une autre personne et qu’il devait fournir des relevés bancaires et des certificats de dépôt à terme à jour. Il y était explicitement énoncé que le demandeur doit fournir éléments de preuve de la provenance des fonds lorsqu’il fait des dépôts importants dans ses comptes ou de gros placements à durée déterminée. La lettre indiquait clairement que le demandeur avait 30 jours pour fournir les renseignements supplémentaires exigés, sinon l’agent rendrait sa décision en se fondant sur les renseignements déjà fournis.

[5]               En réponse à la lettre, le demandeur a produit trois relevés bancaires : un relevé de compte de pension de retraite, un relevé de compte d’épargne et un relevé montrant l’historique des transactions effectuées sur deux jours (les 11 et 12 mai 2015) dans un compte de la Guaranty Trust Bank (le compte de la GT), où le dépôt important en question a été fait. Les notes du Système mondial de gestion des cas indiquent que l’agent craignait que [traduction] « le demandeur principal ait emprunté des fonds pour nous convaincre qu’il répond aux critères énoncés au sous-alinéa 76(1)b)(i) du Règlement afférent à la Loi » et qu’il [traduction] « se peut que le demandeur principal ait dissimulé des renseignements », car il est « très inhabituel » de produire un relevé contenant un historique de transactions de deux jours seulement. Les notes se lisent comme suit :

[traduction]

Aucun historique n’a été fourni concernant le montant déposé dans le compte de la GT, et le relevé montre seulement les transactions effectuées sur deux jours au cours des deux semaines suivant l’envoi de la lettre d’équité procédurale. Le solde de ce compte était très peu élevé avant que le dépôt de 2,2 millions de nairas figurant à la fin du relevé n’y soit effectué.

[6]               Une lettre de refus a été produite le 3 juin 2015.

[7]               La lettre de refus commence par énoncer les exigences du paragraphe 16(1) de la Loi, qui exige que le demandeur réponde franchement aux questions qui lui sont posées dans le cadre de sa demande et produise tous les documents pertinents exigés.

[8]               La lettre de refus précise qu’on avait demandé au demandeur dans la lettre d’équité procédurale de produire des éléments de preuve pour prouver qu’il disposait de suffisamment de fonds pour immigrer au Canada. Dans cette lettre, le demandeur a été informé qu’il pouvait répondre aux préoccupations de l’agent au sujet de la provenance inexpliquée des fonds.

[9]               L’agent a reçu la preuve de fonds exigée et a conclu que le demandeur n’était pas admissible à l’immigration, car il ne répondait pas aux exigences financières obligatoires applicables à une famille de deux personnes (14 853 $) en vertu de l’alinéa 76(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). En vertu de cet alinéa, le travailleur qualifié qui n’a pas d’emploi réservé doit satisfaire au critère suivant. Le travailleur qualifié :

(i) [dispose] de fonds transférables et disponibles — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille.

[10]           La lettre de refus précise qu’un dépôt important non expliqué ayant été effectué en juin 2014 par Exclusive Rendez-vous Limited figure sur le relevé du demandeur et que le montant de ce dépôt ne correspond pas au revenu ordinaire du demandeur ou de son épouse. Le relevé bancaire fourni en réponse à la lettre d’équité procédurale contient uniquement les transactions effectuées sur trois jours, ce qui n’est pas suffisant pour démontrer que le solde du compte du demandeur est resté stable pendant une période raisonnable.

[11]           Bien que le demandeur réponde à d’autres critères d’admissibilité applicables à la catégorie des TQF, l’agent n’était pas convaincu qu’il respectait les exigences financières requises relatives à l’immigration. En vertu du paragraphe 11(1) de la Loi, un étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à un agent les visas et autres documents requis par règlement, et l’agent ne les délivrera que sur preuve que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la Loi. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur répondait à tous les critères de la catégorie des TQF et a donc rejeté sa demande.

III.             Questions en litige

[12]           Voici les questions en litige :

A.    Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

B.     La décision de l’agent était-elle raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[13]           Les parties conviennent que l’examen d’une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des TQF par un agent des visas relève d’un pouvoir discrétionnaire faisant entrer en jeu des questions mixtes de faits et de droit, à l’égard duquel il faut faire preuve d’une très grande retenue, et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 678, aux paragraphes 9 et 10).

[14]           Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont examinées selon la norme de la décision correcte.

V.                Analyse

A.                Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[15]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas eu l’occasion d’expliquer la provenance de l’important dépôt ni la façon dont il a obtenu cet argent avant que l’agent rejette sa demande, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale. Il soutient que l’agent aurait dû l’informer de ses préoccupations quant à la provenance des fonds et qu’il aurait dû lui donner l’occasion de s’expliquer. Le demandeur affirme qu’il croyait qu’il devait seulement prouver qu’il disposait de suffisamment de fonds transférables libres de dettes ou d’autres obligations financières.

[16]           Je suis d’avis que l’agent a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances. La lettre d’équité procédurale, que le demandeur ne nie pas avoir reçue et à laquelle il a répondu, décrivait les préoccupations de l’agent à l’égard de la provenance de l’important dépôt et avertissait le demandeur que ce dépôt pourrait avoir une incidence sur la décision relative à sa capacité à répondre aux exigences financières en vertu de la Loi et du Règlement. La lettre offrait au demandeur la possibilité de répondre en expliquant la provenance des fonds et en fournissant des preuves que les fonds étaient transférables et libres de dettes, c’est-à-dire qu’ils lui appartenaient et qu’ils n’avaient pas été empruntés comme le craignait l’agent. Le demandeur a bel et bien répondu à la lettre d’équité procédurale, et son argument selon lequel il y a eu manquement à l’équité procédurale dans les circonstances est sans fondement.

[17]           Le demandeur a présenté des éléments de preuve dont l’agent ne disposait pas et appuie son argumentation sur ceux-ci. Ces éléments comprennent notamment les affidavits souscrits après que l’agent a rejeté la demande du demandeur en expliquant que la provenance de l’important dépôt n’avait pas été expliquée et un relevé bancaire démontrant que l’argent déposé était resté dans le compte pendant plus d’un an, ce qui constitue, selon le demandeur, une période raisonnable.

[18]           Je suis d’accord avec le défendeur que de tels éléments de preuve ne sont pas pertinents et n’ont aucune importance en ce qui concerne la révision de la décision de l’agent par la Cour. Il n’appartient pas à la Cour de rechercher des faits sur les nouveaux éléments de preuve qui ont une incidence sur le fond de la décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire. De plus, on ne peut pas reprocher à l’agent de ne pas avoir examiné des éléments de preuve dont il ne disposait pas. Les éléments de preuve sur le fond de l’affaire dont ne disposait pas l’agent ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, sauf dans des circonstances très limitées qui ne s’appliquaient pas en l’espèce.

[19]           Il incombe au demandeur d’établir son admissibilité à un visa en produisant tous les renseignements pertinents qui pourraient appuyer sa demande. Les agents des visas n’ont pas à se livrer à une forme de dialogue quant à l’exhaustivité ou à l’exactitude des documents déposés (Thandal c. Canada (Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 9). Il n’y a rien d’inéquitable à ce que l’agent rende une décision selon la preuve déposée par le demandeur, plus particulièrement après avoir envoyé une lettre d’équité procédurale faisant état de ses préoccupations à l’égard de la demande du demandeur et après avoir reçu la réponse de ce dernier à cette lettre.

B.                 La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[20]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur de fait et de droit en concluant qu’il ne répondait pas aux exigences financières applicables au travailleur qualifié qui sont énoncées à l’alinéa 76(1)b) du Règlement. Le demandeur affirme qu’il a fourni à l’agent tous les éléments de preuve pertinents requis, y compris des relevés bancaires décrivant les fonds et leur provenance, et que ces éléments démontrent que son revenu dépassait le revenu exigé de deux personnes qui immigrent au Canada. Aucun élément de preuve ne permet de conclure que le demandeur ne répondait pas aux critères d’admissibilité relatifs à la situation financière. Par conséquent, il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que l’important dépôt était douteux et qu’il ne correspondait pas au revenu ordinaire du demandeur ou de son épouse et que les fonds ne lui appartenaient donc pas.

[21]           Il explique que les fonds du compte de la GT comprenaient des fonds fournis par son épouse ainsi que des fonds d’un portefeuille de titres de l’entreprise Stretchout Exclusive Rendezvous Limited dans lequel il avait commencé à investir en 2007. Par conséquent, la décision de l’agent est erronée parce la provenance des fonds a été expliquée dans les affidavits déposés par lui-même, par son épouse et par M. Stanley Acho.

[22]           Enfin, le demandeur soutient que la décision et les motifs énoncés dans la lettre ne sont pas pertinents. La lettre ne présente pas les conclusions de fait de l’agent ni les principaux éléments de preuve sur lesquels ce dernier s’est appuyé.

[23]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la décision de l’agent était déraisonnable. Le demandeur est tenu de produire des documents qui démontrent qu’il répond aux critères d’un travailleur qualifié, ce qu’il n’a pas fait, et ce, même après que l’agent l’a informé de ses préoccupations et lui a donné l’occasion de fournir des explications et des documents supplémentaires.

[24]           Comme je l’ai expliqué précédemment, on ne peut pas reprocher à l’agent de ne pas avoir étudié des éléments de preuve qui ne lui avaient jamais été fournis. Les affidavits qui sont censés prouver la provenance des fonds ont été souscrits et déposés après que l’agent a rejeté la demande. Le demandeur a eu l’occasion de produire ces éléments de preuve avant que l’agent rende sa décision, mais il ne l’a pas fait.

[25]           Je suis également d’accord avec l’avocate du défendeur lorsqu’elle affirme que la présente espèce se distingue par ses faits de la décision rendue par le juge Boswell dans l’affaire Courage Oiseoghae Amujede v The Minister of Citizenship and Immigration, dossier IMM-1452-15, en date du 2 décembre 2015. La décision de l’agent dans cette affaire a été jugée inintelligible et pas assez transparente pour déterminer comment et pourquoi il en est venu à cette conclusion. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

[26]           De plus, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du demandeur selon laquelle la décision et les motifs sont inadéquats. L’agent a expliqué le Règlement sur lequel il s’est appuyé pour rendre sa décision et il a fourni des précisions au sujet de la lettre d’équité procédurale. Il a également mentionné qu’il était d’avis que l’historique des transactions effectuées sur une période de deux jours fourni en guise d’élément de preuve ne suffisait pas pour démontrer que le solde du compte du demandeur était resté le même pendant une période raisonnable. La lettre de refus précise que le demandeur avait eu l’occasion d’expliquer la provenance des fonds, mais qu’il ne l’a pas fait. Un tel raisonnement est intelligible, transparent et justifié; il démontre le raisonnement de l’agent et les éléments de preuve sur lesquels sa conclusion était fondée.

[27]           Les agents des visas doivent examiner les demandes et décider si les demandeurs répondent aux exigences de la Loi et du Règlement. Pour cette raison, ils doivent faire preuve d’une très grande retenue. Il n’y avait rien de déraisonnable à ce que l’agent soit préoccupé par la provenance inexpliquée d’un dépôt inhabituel important dans le compte du demandeur. La décision de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas fourni de preuves convaincantes pour expliquer l’historique et la provenance des fonds et qu’il ne répondait donc pas aux exigences financières applicables aux travailleurs qualifiés appartient tout à fait aux issues acceptables et constitue une décision raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2624-15

 

INTITULÉ :

AYODEJI OLUWOLE ODUNSI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Godwin Oware

POUR LE DEMANDEUR

Veronica Cham

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Godwin Oware

Avocat-procureur

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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