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Date : 20160307


Dossier : IMM-3123-15

Référence : 2016 CF 285

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MIAN AAMIR QADEER

NABILA SHAMIN

ROOHMA AAMIR

MAARIJ AAMIR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 3 juin 2015, rendue par un agent des visas [l’agent] de la Direction de l’immigration et des services médicaux du Haut-commissariat du Canada sis à Londres, au Royaume-Uni [le Haut-commissariat], refusant la demande de résidence permanente des demandeurs à titre de membre de la catégorie des demandeurs des provinces.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur principal, Mian Aamir Qadeer, et sa famille ont demandé la résidence permanente à la suite de la nomination du demandeur principal par la province de la Saskatchewan [la province] dans le cadre du programme des candidats pour la Saskatchewan en juillet 2013. La demande a été transmise au Haut-commissariat aux fins de son traitement.

[4]               Le 22 août 2014, l’agent a écrit aux demandeurs et à la province, les informant du refus possible de leur demande. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal maîtrisait suffisamment la langue anglaise pour être en mesure d’accomplir les tâches de la profession dans laquelle il avait été nommé et n’était donc pas convaincu qu’il serait en mesure de se trouver un emploi au Canada ou, s’il était embauché, de réussir son établissement économique. L’agent a donné aux demandeurs et à la province la possibilité de fournir de plus amples renseignements avant que la décision soit rendue.

[5]               La province a répondu au Haut-commissariat, l’informant qu’elle continuait à appuyer la demande. Les demandeurs ont également répondu en fournissant des renseignements sur le plan du demandeur principal de réussir son établissement économique en même temps que de preuve à l’appui. Cela comprenait ce qui suit :

A.                une offre écrite de Universal Trading Inc. [Universal], une entreprise de téléphones cellulaires et d’électronique de Saskatoon, visant à embaucher le demandeur principal à titre de caissier/préposé à la réception;

B.                 une lettre du propriétaire de Universal, expliquant comment il connaissait le demandeur principal et déclarant qu’il ne lui aurait pas offert le travail s’il n’était pas satisfait des aptitudes linguistiques du demandeur principal en anglais;

C.                 une lettre de l’employeur actuel du demandeur principal confirmant son emploi en tant qu’adjoint administratif;

D.                une lettre de son parent canadien affirmant qu’il aiderait les demandeurs au Canada;

E.                 une preuve des épargnes et des actifs du demandeur principal.

[6]               Le 9 avril 2015, l’agent a examiné les arguments, mais n’était pas convaincu qu’ils répondaient aux préoccupations qui avaient été soulevées. À la suite de l’assentiment d’un autre agent du Haut-commissariat, l’agent a écrit au demandeur principal, le 3 juin 2015, refusant la demande de résidence permanente.

II.                Décision contestée

[7]               L’agent n’était pas convaincu que le fait que le demandeur principal ait été nommé par la province était un indicateur suffisant qu’il était susceptible de réussir son établissement économique au Canada parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur principal possédait les compétences linguistiques requises. Les notes du Système mondial de gestion des cas indiquent que l’analyse qui a permis d’arriver à la décision de rejet de la demande comprenait ce qui suit :

A.                la province a continué d’appuyer la demande;

B.                 l’agent n’était pas convaincu qu’une offre d’emploi démontrait en soi la capacité de remplir les fonctions d’un emploi particulier;

C.                 le demandeur principal connaissait l’employeur éventuel au Canada par le biais de son emploi actuel au Pakistan;

D.                le demandeur principal travaillait alors dans un autre secteur industriel et n’avait jamais travaillé comme caissier;

E.                 ni le demandeur principal ni son employeur éventuel n’avaient expliqué comment le demandeur principal accomplirait les tâches de l’emploi offert compte tenu de son niveau de compétence en langue anglaise et son expérience;

F.                  l’agent a déclaré qu’il était probable que l’offre d’emploi ait été faite au demandeur principal pour faciliter sa demande de résidence permanente en raison de liens personnels avec l’employeur éventuel, non pas parce qu’il y avait effectivement un poste à pourvoir ou parce que le demandeur principal avait les compétences ou l’expérience liées à un poste vacant éventuel;

G.                le niveau d’anglais du demandeur principal n’a pas démontré qu’il serait en mesure d’accomplir l’éventail complet des tâches liées à son activité professionnelle prévue;

H.                le demandeur n’a fourni aucun plan clair ou concis pour démontrer son intention de réussir son établissement économique au moyen d’un plan à long terme de remplacement;

I.                   la disponibilité de nombreux emplois et une économie forte en Saskatchewan ne sont pas en elles-mêmes un signe de la capacité personnelle du demandeur principal de réussir son établissement économique;

J.                   le plan à long terme du demandeur principal – peut-être ouvrir une petite entreprise comme un établissement de restauration rapide – n’a pas convaincu l’agent de sa capacité de réussir son établissement économique.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[8]               Les demandeurs soumettent à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

A.                l’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de faire part des problèmes de crédibilité aux demandeurs afin de leur donner l’occasion de répondre?

B.                 La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal ne peut pas réussir son établissement économique au Canada est-elle raisonnable?

[9]               Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale est la décision correcte et que la norme applicable à la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur principal ne peut pas réussir son établissement économique est raisonnable (Rani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1414 [Rani]).

IV.             Observations des parties

A.                Position des demandeurs

[10]           Les demandeurs font valoir que l’agent a manqué à l’équité procédurale en omettant de leur poser la question de la crédibilité entourant l’offre d’emploi, afin de leur offrir une occasion de le détromper. La relation personnelle entre les employeurs a poussé l’agent à douter de l’authenticité de l’offre d’emploi. Les demandeurs soutiennent que cela a soulevé une question de crédibilité parce que, si l’agent avait accepté la lettre d’emploi comme étant véridique, il n’y aurait aucune raison pour qu’il trouve insuffisants les renseignements fournis par les demandeurs.

[11]           Les demandeurs invoquent la jurisprudence de la Cour à l’effet que, lorsqu’un agent rejette une demande sur la foi de préoccupations quant à la crédibilité ou l’exactitude des renseignements fournis par le demandeur, ces questions doivent d’abord être carrément posées au demandeur pour obtenir une réponse (Madadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 716 [Madadi], au paragraphe 6; Talpur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 21). Ils se réfèrent, en particulier, aux décisions récentes où les exigences relatives à l’équité procédurale ont été abordées dans le contexte des préoccupations quant à la crédibilité des offres d’emploi (Rani; Dar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-2669-25 (non publié) [Dar]).

[12]           En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision, les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent selon laquelle le demandeur principal ne possédait pas les compétences linguistiques nécessaires pour réussir son établissement économique au Canada était déraisonnable parce que : 1) les soupçons de l’agent à l’égard de l’offre d’emploi sur la foi d’un lien personnel sont injustifiés; 2) la conclusion selon laquelle le demandeur principal n’a pas d’expérience pertinente a été tirée sans tenir compte de la preuve; 3) la conclusion selon laquelle il n’a pas les compétences nécessaires en anglais pour effectuer les tâches a été tirée sans tenir compte de l’exigence d’évaluer s’il pouvait réussir son établissement économique.

[13]           Plus précisément, les demandeurs font valoir que la simple existence d’une relation personnelle entre un employeur éventuel et l’employeur actuel d’un employé ne peut pas être un motif de suspicion. De nombreuses possibilités d’emploi commencent par des recommandations personnelles et peuvent même les exiger. La preuve indique que la relation a permis à l’employeur éventuel de mieux évaluer les qualifications du demandeur principal. Le demandeur principal n’était pas connu de l’employeur éventuel par l’intermédiaire de la famille et des amis.

[14]           Les demandeurs soutiennent également que l’agent a commis une erreur en se concentrant sur les articles que l’employeur éventuel vendait et une seule tâche qui serait réglée grâce à une formation sur place, plutôt que l’essentiel des tâches et la preuve d’une expérience professionnelle pertinente. La preuve était que le travail comme caissier était seulement l’une des sept fonctions et que l’expérience actuelle du demandeur principal comprenait le traitement des transactions en espèces.

[15]           Enfin, les demandeurs soutiennent que l’agent se concentre non pas sur le mécanisme de l’établissement économique du demandeur principal, à savoir son offre d’emploi, mais sur sa capacité d’exécuter l’ensemble des tâches que remplissent la majorité des travailleurs dans sa profession envisagée, comptant ainsi trop sur la description de travail du ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada (EDSC).

B.                 Position du défendeur

[16]           Le défendeur soutient que le fondement de la décision de l’agent n’était pas que l’offre d’emploi du demandeur principal n’était pas crédible, mais plutôt que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal serait en mesure de réussir son établissement économique au Canada, compte tenu de son expérience et de ses aptitudes à la communication restreintes. L’agent n’a pas eu des préoccupations au sujet des compétences linguistiques du demandeur principal parce qu’il soupçonnait que l’offre avait été faite en raison de liens personnels avec l’employeur éventuel. Au contraire, cette suspicion découlait de l’analyse par l’agent des compétences du demandeur principal.

[17]           Le défendeur souligne qu’il incombe aux demandeurs de présenter de la preuve suffisante de l’établissement économique et que l’agent n’est nullement tenu d’informer le demandeur de toutes les préoccupations qui découlent directement des exigences juridiques (Parveen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 473, au paragraphe 16).

[18]           Le défendeur ferait une distinction avec l’affaire Rani sur la foi que le juge Strickland a constaté dans cette affaire-là que, considérée dans son ensemble, la décision de l’agent se fondait sur son scepticisme quant à l’authenticité de l’offre d’emploi. Dans le cas présent, les compétences linguistiques du demandeur constituaient un motif distinct et déterminant du refus de la demande.

[19]           Sur le plan du caractère raisonnable de la décision, le défendeur fait valoir que, même en acceptant le fait que le demandeur principal avait une offre d’emploi véritable, cela ne prouvait pas qu’il avait les compétences et l’expérience nécessaires pour réussir dans ses fonctions, continuer à travailler et réussir son établissement économique à long terme. Le défendeur fait également remarquer que la lettre de l’employeur éventuel souligne que celui-ci et le demandeur principal parlaient tous deux l’ourdou, ce qui faciliterait la communication, et fait valoir que cela rend difficile de savoir comment l’employeur pouvait évaluer les compétences du demandeur principal en anglais.

V.                Discussion

[20]           Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire tient compte de la question de l’équité procédurale soulevée par les demandeurs. Comme il est indiqué par les demandeurs, aux paragraphes 6 et 7 de l’arrêt Madadi, le juge Zinn a résumé succinctement la jurisprudence entourant les obligations en matière d’équité procédurale, dans le cadre des demandes de résidence permanente, comme suit :

6          La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : lorsqu’un demandeur fournit des preuves suffisantes pour établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi ou du Règlement, le cas échéant, et que l’agent met en doute « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée : Perez Enriquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091, au paragraphe 26; voir aussi, entre autres, Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 571; Hamza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264; Farooq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164 et Ghannadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 515.

7          Conformément à la jurisprudence précitée, comme l’agent a commis une erreur en ne faisant pas part de ses doutes au demandeur, il a manqué d’équité envers le demandeur et la décision doit être annulée.

[21]           Dans l’affaire Rani, ce principe a été appliqué dans des circonstances très semblables à la présente affaire, touchant des préoccupations quant à la crédibilité ou l’authenticité d’une offre d’emploi qui avait été fournie par le demandeur après que l’agent des visas ait remis en question ses compétences linguistiques. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente aux obligations applicables en matière d’équité procédurale et en notant que les conclusions d’un agent des visas sur la crédibilité peuvent être implicites plutôt qu’explicites, le juge Strickland a conclu comme suit, aux paragraphes 21 à 25 :

[traduction]

21        Dans ce cas, en réponse à la lettre de refus préalable, la demanderesse principale a fourni des renseignements visant à appuyer son argument selon lequel elle pouvait réussir son établissement économique en Saskatchewan. L’agent a constaté que l’offre d’emploi de TFI était « de nature intéressée » parce qu’elle « a pu être offerte uniquement en réponse aux préoccupations » et parce que la demanderesse principale « a un lien de parenté avec l’employeur éventuel ». À mon avis, cela illustre bien l’évaluation par l’agent de l’authenticité de l’offre d’emploi de TFI. Cela est également étayé par l’autre commentaire de l’agent : « même si l’offre d’emploi traduit une possibilité d’emploi réelle... ». Sur la foi de ses motifs, il est clair que l’agent craignait que l’offre de TFI ne soit pas une « possibilité d’emploi réelle » et, par conséquent, que la crédibilité de la preuve de la demanderesse principale soit en cause.

22        La préoccupation de l’agent quant à la crédibilité découle, en partie, du moment choisi de l’offre d’emploi de TFI qui était datée et soumise seulement après que l’agent ait informé la demanderesse principale de ses préoccupations au sujet de ses compétences linguistiques. Une préoccupation semblable a été soulevée dans l’affaire Ransanz c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 1109. Dans ce cas, l’agent des visas craignait que le demandeur n’ait pas l’intention de vivre au Québec comme requis par le Programme des candidats des provinces du Québec et le Règlement de la LIPR. L’agent a informé le demandeur de ses préoccupations et a prévu une entrevue avec lui. Après avoir été informé des préoccupations, mais avant l’entrevue, l’épouse du demandeur s’est rendue à Montréal pour rechercher un logement et des écoles, ce que le demandeur a invoqué comme preuve de leur intention de déménager. Lors du contrôle judiciaire, le défendeur a laissé entendre que la recherche par le demandeur d’un logement et d’écoles à Montréal n’a été entreprise qu’en prévision de l’entrevue avec l’agent des visas. Le juge Martineau a conclu que si l’agent avait soupçonné que le voyage à Montréal avait seulement eu lieu parce que le demandeur était au courant de sa prochaine entrevue, il aurait dû poser cette question au demandeur et lui donner la possibilité d’y répondre, car cette question touchait directement sa crédibilité (Moradi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1186, aux paragraphes 17 et 18).

23        En outre, même si en l’espèce l’agent a continué d’évaluer l’offre d’emploi de TFI et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour démontrer que les compétences linguistiques de la demanderesse principale seraient suffisantes pour le poste de TFI, à mon avis, cette conclusion a été entachée par sa préoccupation quant à l’authenticité de la preuve du demandeur principal. Cela est évident dans la déclaration de l’agent selon laquelle « la preuve de sa participation à l’entreprise de son conjoint provient uniquement de ses propres déclarations et de celle de son proche qui subvient à ses besoins au Canada. Il est donc clair dans quelle mesure le contexte de l’usage de la langue anglaise... pourrait être considéré comme étant mieux connu ». Pourtant, dans sa lettre d’appui, Ahmed a déclaré que l’anglais de la demanderesse principale était suffisant pour le poste de TFI et que sa bonne connaissance de l’entreprise serait utile. La lettre de la demanderesse principale indiquait qu’elle avait travaillé à plein temps pour son conjoint.

24        Ainsi, la demanderesse principale avait fourni suffisamment de renseignements qui, si l’on y croyait, pourrait justifier une conclusion selon laquelle elle était en mesure d’obtenir un emploi et, par conséquent, réussir éventuellement son établissement économique (Bar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 317, au paragraphe 29). Cependant, l’agent n’en était pas convaincu parce qu’il doutait de l’authenticité ou de l’exactitude de la preuve en raison de ses préoccupations au sujet de sa source.

25        À mon avis, ce cas ne se définit pas par des conclusions quant à l’importance ou à la suffisance de la preuve. Vue dans son ensemble, la décision de l’agent était fondée sur son scepticisme quant à l’authenticité de l’offre d’emploi de la demanderesse principale, ce qui, à mon avis, équivaut à une conclusion quant à la crédibilité de la preuve de la demanderesse principale. Par conséquent, l’agent aurait dû offrir à la demanderesse principale une occasion de répondre à ces préoccupations avant de rendre sa décision.

[22]           De même, dans le cas en l’espèce, il est clair pour moi que l’agent était préoccupé par l’authenticité ou la crédibilité de l’offre d’emploi et de la lettre de l’employeur éventuel que le demandeur principal avait fournie. La partie pertinente de la décision se lit comme suit :

[traduction]

Dans une déclaration en réponse aux préoccupations concernant la capacité du DP de réussir son établissement économique puisqu’il a démontré qu’il ne maîtrisait pas la langue anglaise, le représentant fait d’abord référence à l’offre d’emploi du DP. Le représentant soutient que le fait qu’on ait offert le poste au DP démontre que son niveau d’anglais est suffisant pour exercer les fonctions du poste. Je ne suis pas convaincu qu’une offre d’emploi, en soi, démontre la capacité du DP d’exercer les fonctions d’un poste particulier. Bien que je note les garanties offertes par l’employeur éventuel, je note également que le demandeur est personnellement connu de l’employeur éventuel par l’intermédiaire de son employeur au Pakistan. Les antécédents professionnels du DP semblent être liés aux produits de purification/filtration de l’eau et le DP n’a démontré aucune formation ou expérience formelle en tant que préposé à la caisse ou dans un secteur industriel lié aux téléphones mobiles (le secteur industriel indiqué de l’employeur éventuel). Ni le DP ni son employeur éventuel n’ont expliqué comment le demandeur allait accomplir les tâches de l’emploi offert compte tenu de son niveau de compétence démontré en langue anglaise et de son expérience. Il semble donc probable que l’emploi ait pu été offert au DP afin de faciliter sa demande de résidence permanente en raison de ses liens personnels avec l’employeur éventuel et non parce qu’il y a réellement un poste à pourvoir ou parce que le DP a des compétences et une expérience connexes à un éventuel poste vacant. [Non souligné dans l’original.]

[23]           Les passages soulignés de cette partie de la décision démontrent le scepticisme de l’agent quant à la légitimité de l’offre d’emploi, concluant qu’elle avait probablement été faite pour faciliter la réalisation des objectifs du demandeur principal en matière d’immigration en raison d’un lien personnel avec l’employeur.

[24]           J’ai examiné l’argument du défendeur selon lequel ce scepticisme n’a pas poussé l’agent à rejeter la preuve de l’employeur éventuel selon laquelle les compétences linguistiques du demandeur principal étaient suffisantes pour effectuer le travail, mais a plutôt découlé des préoccupations de l’agent au sujet de ces compétences. J’ai également examiné l’argument du défendeur selon lequel, après l’examen de l’offre d’emploi, l’agent a procédé à une analyse plus approfondie des compétences linguistiques du demandeur principal et a constaté, de façon indépendante, qu’elles étaient insuffisantes. Cependant, à mon avis, le scepticisme de l’agent à l’égard de l’offre d’emploi est étroitement lié aux conclusions quant à la maîtrise de la langue par le demandeur principal et ainsi sa capacité de réussir son établissement économique.

[25]           Tout comme la question abordée par le juge Strickland dans l’affaire Rani, l’analyse des compétences linguistiques dans la présente affaire a été entachée par le doute concernant l’authenticité de l’offre. En l’absence de cette préoccupation, la preuve de l’offre d’emploi et la lettre délivrée par l’employeur éventuel auraient pu être suffisantes pour étayer une conclusion selon laquelle le demandeur principal était en mesure d’obtenir un emploi et éventuellement de réussir son établissement économique. Il s’agissait donc d’un manquement à l’équité procédurale lorsque l’agent n’a pas posé ces questions au demandeur principal avant d’en arriver à la décision de rejeter sa demande.

[26]           Comme l’ont soutenu les demandeurs, cette conclusion est également appuyée par d’autres décisions récentes de la Cour (voir les arrêts Dar; Sardar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1373; Meraj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 210 [Meraj]). L’arrêt Meraj est un arrêt particulièrement pertinent, car la décision de l’agent des visas en l’espèce contestait particulièrement l’impartialité de l’évaluation par un employeur éventuel des compétences linguistiques du demandeur, sur la foi que l’employeur était un ami de la famille. La Cour a constaté que les soupçons de l’agent avaient donné lieu à une obligation en matière d’équité de se renseigner davantage. De même, dans le cas présent, ce n’était pas seulement la préoccupation de l’agent au sujet de l’authenticité de l’offre d’emploi, mais également la préoccupation quant à l’impartialité de l’évaluation par l’employeur éventuel des compétences linguistiques du demandeur principal en anglais, qui imposait l’obligation de donner suite à ces préoccupations.

[27]           Étant donné que le manquement à l’équité procédurale constitue un motif pour annuler la décision de l’agent et la renvoyer à un autre agent des visas aux fins de son réexamen, je refuse de rendre des conclusions sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent. Les arguments du demandeur principal à l’appui de sa capacité de réussir son établissement économique seront mieux pris en compte par l’agent qui réexaminera la demande de résidence permanente.

[28]           Les parties confirment qu’aucune d’entre elles ne propose de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3123-15

INTITULÉ :

MIAN AAMIR QADEER, NABILA SHAMIN, ROOHMA AAMIR, MAARIJ AAMIR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2016

COMPARUTIONS :

Aisling Bondy

Pour les demandeurs

Christopher Ezrin

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aisling Bondy

Avocat-procureur

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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