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Date : 20160304


Dossier : IMM-3552-15

Référence : 2016 CF 282

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

VESELIN PEEV PAVLOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 13 juillet 2015, confirmant la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (« LIPR »).

Contexte

[2]               Le demandeur est un ressortissant de la Bulgarie et d’origine ethnique rom. Il affirme craindre la persécution de la part de Roumen Boyoukliev (« Roumen ») et de ses associés en Bulgarie. En 2005, le père du demandeur a accepté l’offre de protection de Roumen contre les ultranationalistes en échange d’une redevance mensuelle. Finalement, quand il a cessé de faire ces paiements, le père du demandeur a été attaqué par les hommes de Roumen. Quand il l’a signalé à la police, on lui a dit de faire les paiements. Il l’a rapporté au Bureau du Procureur et a ensuite été convoqué au poste de police où il a été agressé et informé que la police était au courant de sa plainte contre elle. Son père a alors retiré son rapport au Bureau du Procureur. Quand les attaques contre eux ont persisté en 2013 et 2014, les parents et le frère du demandeur ont fui au Canada. Leurs demandes d’asile ont été accordées en 2014.

[3]               Roumen s’est alors intéressé au demandeur qui a reçu une convocation au poste de police. Là, la police lui a demandé où se trouvaient les membres de sa famille qui s’étaient enfuis et de payer 15 000 euros pour éviter le dépôt d’accusations fabriquées contre eux. Le demandeur a ensuite été attaqué par trois hommes qui lui ont dit que s’ils ne recevaient pas l’argent, ils forceraient sa conjointe à se prostituer et kidnapperaient ses enfants. Le demandeur prétend qu’il ne l’a pas signalé à la police, car il la craignait. Quand il a reçu une deuxième convocation au poste de police, il a fui au Canada. Sa conjointe et ses deux jeunes enfants ont fui la ville où ils vivaient et restent dans la clandestinité.

[4]               La SPR a conclu qu’il n’y avait aucun lien avec un motif de la Convention et, par conséquent, la demande du demandeur a été rejetée en vertu de l’article 96 de la LIPR. Elle a, ensuite, déterminé que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (« PRI ») à Sofia, car il avait omis de fournir des éléments de preuve convaincants à l’appui de son argument selon lequel Roumen et ses associés de la police de Plovdiv pouvaient le trouver lui et sa famille partout en Bulgarie et il n’y avait aucune preuve indiquant que la police de Sofia ne le protégerait pas. Elle a également constaté que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État, en particulier puisque les articles qu’il avait présentés démontraient que la police avait réussi à poursuivre Roumen. En outre, elle a également constaté que le demandeur n’avait fait aucun effort pour obtenir la protection de la police. Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               En appel auprès de la SAR, le demandeur a présenté six documents postdatant la décision de la SPR qui ont été acceptés par la SAR en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. La SAR a également déterminé qu’une audience était nécessaire, conformément au paragraphe 110(6) parce que la preuve avait soulevé des questions de crédibilité et des questions qui étaient importantes pour la décision de la SPR, y compris la conclusion relative à la PRI. Tous les nouveaux éléments de preuve du demandeur touchaient un événement qui aurait eu lieu le 30 janvier 2015, deux jours après que la SPR ait rendu sa décision, en particulier, le viol présumé de la conjointe du demandeur par des associés de Roumen. La SAR a interrogé le demandeur au sujet de la nouvelle preuve lors de l’audience.

[6]               Dans sa décision, la SAR a énoncé ce qu’elle considérait comme étant des contradictions ou des invraisemblances sur le plan du témoignage du demandeur et a constaté, en général, que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas crédibles sur ce plan. Elle a également constaté que les rapports médicaux concernant la conjointe du demandeur manquaient de crédibilité. En outre, que le fait que le demandeur ne connaissait pas les détails, ou son « indifférence », relativement à l’attaque de sa conjointe était invraisemblable tout comme son témoignage sur la raison pour laquelle ses enfants n’allaient pas à l’école et se trouvaient à la maison le jour du viol. La SAR a également constaté que le rapport médical concernant le bégaiement du fils du demandeur, qu’il aurait développé après avoir été témoin du viol, manquait de crédibilité.

[7]               Pour ces motifs, la SAR a déterminé que la nouvelle preuve n’était pas crédible et a constaté que la conjointe du demandeur n’avait pas été victime d’un viol. Elle a ensuite examiné les conclusions de la SPR sur la PRI de Sofia et les questions de la protection de l’État, et y a convenu.

Questions en litige

[8]               Le demandeur soutient que les questions sont les suivantes :

1)      La SAR a­t­elle tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité?

2)      À titre subsidiaire, la SAR a­t­elle commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur a une PRI à Sofia?

3)      La SAR a­t­elle commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

Norme de contrôle

[9]               Même si aucune des parties n’a particulièrement abordé la question de la norme de contrôle, les deux parties ont appliqué la norme du caractère raisonnable. Une analyse de la norme de contrôle ne doit pas être effectuée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière, dont la Cour a été saisie, est bien établie par la jurisprudence antérieure, la Cour de révision peut accepter cette norme de contrôle (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62 [Dunsmuir]). Bien que la jurisprudence antérieure qui détermine la norme de contrôle des décisions de la SAR sur la crédibilité lors de l’audience n’ait pas été cernée, à mon avis, ces circonstances sont analogues à celles des décisions de la SPR qui tire des conclusions sur la crédibilité selon le témoignage oral. Il est bien établi que de telles décisions sont susceptibles de révision selon la norme du caractère raisonnable (Behary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 7; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF)). Par conséquent, j’en conclus que la norme du caractère raisonnable s’applique également dans cette affaire.

[10]           Étant donné que j’ai déterminé ci­après que les conclusions de la SAR sur la crédibilité sont déterminantes pour cette demande, la norme de contrôle des autres arguments du demandeur ne doit pas être prise en compte.

[11]           En appliquant la norme du caractère raisonnable, la Cour s’intéressera à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59); Mrda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 49, au paragraphe 25).

Arguments des parties

[12]           Le demandeur soutient que l’évaluation par la SAR de la crédibilité de la nouvelle preuve documentaire était déraisonnable parce qu’elle était totalement spéculative. La SAR a spéculé sur ce que le demandeur aurait dû faire, sentir et demander après l’attaque de sa conjointe. Elle n’a également pas tenu compte du « milieu du demandeur » (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131 [Valtchev]), car elle n’a pas tenu compte du fait que le demandeur ne se trouvait pas en Bulgarie à l’époque et a, sans fondement probatoire, conclu que le demandeur et sa conjointe auraient dû parler plus en détail du viol. La prétendue indifférence du demandeur à l’égard du viol est mentionnée plusieurs fois dans les motifs de la SAR; cependant, on ne sait pas comment le demandeur aurait pu se montrer suffisamment préoccupé au sujet de l’épreuve de sa conjointe. Le demandeur soutient également que, lors de l’examen de la preuve médicale, la SAR s’est engagée dans des conjectures en concluant qu’elle était peu plausible. Et, puisque ses conclusions déraisonnables sur la crédibilité ont également éclairé l’analyse par la SAR de la PRI et de la protection de l’État, la demande devrait dès lors être accueillie sur la foi de ses conclusions déraisonnables sur la crédibilité. Le demandeur a également soulevé deux arguments, à titre subsidiaire, concernant l’analyse par la SAR de la PRI et de la protection de l’État.

[13]           Quant au défendeur, ses observations ont résumé la décision de la SAR et ont fait valoir qu’il y avait des motifs raisonnables sur la foi desquels la SAR pourrait conclure que la preuve n’était pas crédible à cause des contradictions, du manque de détails et des invraisemblances. Étant donné que les actions de Roumen étaient au centre de la demande du demandeur, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de penser que le demandeur chercherait à connaître les détails du viol et à les rappeler à l’audience et que toute incohérence de la preuve documentaire serait expliquée. Étant donné que le demandeur ne l’a pas fait, la décision de la SAR de rejeter la preuve lui revenait. Le défendeur a également abordé l’analyse par la SAR de la PRI et de la protection de l’État.

Analyse

[14]           Bien que la Cour doit faire preuve de retenue envers les conclusions sur la crédibilité d’un tribunal chargé de l’enquête (Aguilar Zacarias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 9 [Aguilar]), « la retenue n’est pas un chèque en blanc. Le décideur doit donner les motifs qui l’ont amené à tirer une conclusion justifiable » (Njeri Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291, au paragraphe 12). Et, lorsque les conclusions sur la crédibilité reposent sur des déterminations de la vraisemblance, l’invraisemblance doit être claire et la SPR doit fournir des éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance de la preuve du demandeur peut être jugée (Aguilar, au paragraphe 11; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 694, au paragraphe 20; Valtchev, au paragraphe 9). À mon avis, pour les motifs énoncés ci­après, les conclusions sur la crédibilité et les déterminations de la vraisemblance faites par la SAR dans ce cas ne sont pas conformes à ces principes.

[15]           La nouvelle preuve comprenait six documents. Le premier est une lettre de la conjointe du demandeur en Bulgarie indiquant que les hommes de Roumen l’avaient trouvée et l’avaient violée devant les enfants et avaient menacé d’enlever les enfants et de les forcer à se prostituer. Il est à noter que le demandeur a déclaré, lors de son témoignage, que, sur recommandation du Conseil rom local de Plovdiv, la conjointe et les enfants du demandeur se cachaient dans une maison située à Kalevishte, dans le district de Smolyan, au moment du viol présumé.

[16]           Quant à la preuve médicale, celle­ci se composait d’un certificat médical daté du 6 février 2015 indiquant que la conjointe du demandeur avait assisté à un examen à cette date­là, accompagnée par des parents. Elle avait rapporté que le 30 janvier 2015, elle avait été attaquée, battue et violée par deux hommes. Immédiatement après cela, elle a souffert d’une anxiété grave. Des médicaments lui ont été prescrits et on lui a recommandé d’aller à un sanatorium pendant une longue période. Un deuxième rapport médical est daté du 25 mars 2015. Il décrit la présence de la conjointe du demandeur à un examen secondaire et qu’elle a décrit une anxiété aiguë continue depuis l’incident du 30 janvier 2015 ainsi que des souffrances physiques et psychologiques en raison de la tension secondaire liée au fait d’être recherchée par les mêmes personnes. Le troisième rapport médical est également daté du 25 mars 2015 et concerne le plus jeune fils du demandeur. Il indique que la conjointe du demandeur a décrit le développement par son fils d’un bégaiement après un incident qui la touchait. Le médecin a décrit le fils du demandeur comme étant tendu et instable sur le plan émotif et a recommandé que le fils aille chercher l’aide d’un orthophoniste. Le document suivant est une attestation non datée délivrée par une école qui indique que le fils du demandeur participerait à des séances d’orthophonie au cours de l’année scolaire 2014­2015 pour le traitement du bégaiement psychotraumatique. Le document final est une attestation d’un médecin auprès d’une station thermale et centre de bien­être notant un diagnostic de trouble de stress post­traumatique et prescrivant un examen médical et plusieurs traitements de relaxation pour la conjointe du demandeur.

[17]           La SAR a constaté que si la conjointe du demandeur avait été violée et traitée dans un hôpital, il aurait incombé à l’hôpital de mener une enquête médicale pour évaluer le dommage physique et aussi étudier la possibilité de maladies sexuellement transmissibles, mais que cela n’avait pas été mentionné dans le rapport médical. La SAR a également jugé peu plausible qu’un hôpital ne procède pas à un examen gynécologique à la suite d’un viol signalé. Toutefois, pour parvenir à cette conclusion, la SAR n’a renvoyé à aucun document national décrivant le protocole d’aide aux victimes d’agression sexuelle des hôpitaux bulgares, ni à tout autre fondement probatoire de cette constatation.

[18]           Il est également à noter que le certificat médical du 25 mars 2015 semble avoir été délivré par le Dr Lubka Ilieva – « Dispensaire pour la pratique individuelle de l’aide psychiatrique ». Le certificat du 6 février 2015 a été délivré par le même médecin, mais la traduction donne « pour la... personne... », peut­être en raison d’un problème de lisibilité de l’original. Le point étant que si la conjointe du demandeur a été vue par un psychiatre, comme il a déclaré lors de son témoignage, il est peu probable qu’un examen gynécologique ou une évaluation relative à des maladies sexuellement transmissibles auraient été effectués par ce médecin traitant. Ainsi, les faits tels que présentés ne sont pas incompatibles avec l’idée de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre (Valtchev, au paragraphe 9).

[19]           Lorsqu’il a été interrogé par la SAR sur un éventuel examen médical de sa conjointe, le demandeur a déclaré, lors de son témoignage, qu’il savait seulement qu’elle avait vu un psychiatre. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas eu un examen gynécologique, le demandeur a déclaré qu’il ne le savait pas. Lorsqu’on lui a demandé s’il ne pensait pas que c’était inhabituel, il a déclaré qu’il ne le savait pas. La SAR s’est ensuite hâtée de dire qu’en ce qui concerne la description du viol, elle supposait que [traduction] l’« auteur du crime avait pénétré ». Le demandeur l’a confirmé et à ce moment­là, la SAR a demandé s’il n’était donc pas logique de craindre que [traduction] « quelque chose aurait pu se produire ». Le demandeur a déclaré que c’était probablement vrai, mais il ne le savait pas. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il savait effectivement au sujet du viol, il a seulement déclaré que ce qui avait été décrit dans la lettre de sa conjointe et qu’il ne connaissait pas d’autres détails. La SAR a ensuite déclaré qu’elle ne voyait pas [traduction] « une grande description du viol ». Lorsqu’on lui a demandé s’il avait parlé à sa conjointe, le demandeur a répondu que, quand il lui avait parlé, elle était incohérente et c’est pour cette raison qu’elle avait envoyé la lettre. La SAR a déclaré que la lettre laissait entendre que deux hommes l’avaient violée, mais a demandé des précisions au demandeur sur ce point. Le demandeur a confirmé qu’il s’agissait de deux hommes. La SAR lui a alors demandé de préciser s’il s’agissait de deux viols distincts; il l’a confirmé. La SAR a ensuite fait remarquer qu’il était hésitant et l’a prié de ne pas deviner. Le demandeur a ensuite déclaré qu’il ne le savait pas.

[20]           La SAR a repris, plus tard, cette série de questions : [traduction]

COMMISSAIRE : Je veux juste... Je veux juste revenir... J’en ai presque fini, et je suppose que nous allons faire une pause... aux incidents de viol réels. Je vous l’ai déjà demandé, mais je vais le demander à nouveau. Votre conjointe n’a­t­elle pas décrit tout ce qui est arrivé?

APPELANT : Elle a dit qu’elle avait été retrouvée et qu’ils avaient commencé à la gifler, à la battre. Et après, elle a été violée devant les enfants?

COMMISSAIRE : Combien de fois?

APPELANT : Deux fois.

COMMISSAIRE : Deux fois par... par combien de personnes?

APPELANT : Deux personnes.

COMMISSAIRE : Donc, une fois chaque personne?

APPELANT : Oui.

COMMISSAIRE : Et votre conjointe n’a, à aucun moment, discuté de possibles effets physiques – des effets secondaires médicaux?

APPELANT : Pour autant que je sache, elle a dit qu’elle se sentait bien en ce qui concerne sa condition physique.

COMMISSAIRE : Alors, elle ne sentait pas la nécessité d’être examinée physiquement après les viols?

APPELANT : Oui.

COMMISSAIRE : Je ne comprends pas. A­t­elle... vous a­t­elle même fait part de ses préoccupations au sujet des dommages physiques qu’elle avait subis?

APPELANT : Non, elle ne l’a pas dit et je ne lui ai tout simplement pas demandé.

[21]           La SAR trouve invraisemblable le manque de connaissances ou l’« indifférence » du demandeur à l’égard de l’attaque de sa conjointe. La SAR était d’avis que si les viols présumés avaient eu lieu, le demandeur aurait dû se préoccuper davantage et être en mesure de fournir plus de détails sur ce qui en ressortirait. Cependant, la SAR n’explique pourquoi elle s’attendait à ce que le demandeur sache plus de détails sur le viol de sa conjointe et a exprimé sa préoccupation différemment. C’est troublant parce que les gens réagissent probablement d’une manière différente à des incidents traumatiques. En outre, on ne sait pas exactement quels autres détails, selon la SAR, la conjointe du demandeur aurait dû divulguer, étant donné que la date, l’heure et le lieu du viol, le nombre d’attaquants, qui les a envoyés et les témoins ont tous été précisés. À mon avis, la SAR est devenue obnubilée, de façon démesurée, par le fait de ne pas donner plus de détails sur le viol et n’a pas tenu compte du fait que, pour des raisons culturelles ou autres, cela peut ne pas avoir été une attente raisonnable pour le demandeur et sa conjointe. Il était déraisonnable pour la SAR ne pas avoir tenu compte des circonstances ou du « milieu » du demandeur (Valtchev, aux paragraphes 7 à 11) et de la distance physique qui les séparait.

[22]           Sur ce point, je note au passage que la SAR ne fait aucune mention de la Directive numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR. Celles­ci indiquent que la définition des personnes vulnérables peut s’appliquer aux proches de la personne vulnérable en raison de la façon dont ils ont été touchés par la situation de leur être cher. Une définition de la vulnérabilité ne conduit pas à l’acceptation des faits sous­jacents présumés et ne prédispose pas un membre à décider du fond de la cause. Elle est faite à des fins d’adaptation d’ordre procédural. Que le demandeur soit ou non considéré comme étant une personne vulnérable, à mon avis, l’approche de la SAR en l’espèce manquait de sensibilité à l’égard de la situation du demandeur.

[23]           La SAR a également constaté que le certificat médical décrivant le bégaiement du fils du demandeur n’était pas crédible, car il ne comporte pas la date de naissance du fils. En outre, que le certificat indiquait que le bégaiement avait été causé par le stress du fils découlant des incidents liés à sa mère, mais ne précise pas les incidents. Je tiens à souligner, cependant, que les rapports médicaux de la conjointe du demandeur, émis par le même médecin, ne comportent également pas sa date de naissance et que la SAR n’a fait aucun commentaire à ce sujet. En outre, que le certificat comporte un numéro d’identification ainsi le nom et l’adresse de l’enfant. La SAR rejette le rapport pour ce qu’il ne dit pas, en particulier que l’enfant a été témoin du viol de sa mère, plutôt que de tenir compte de ce qu’il dit, à savoir que le bégaiement est né du stress causé par les incidents liés à sa mère. En outre, le certificat a été délivré par le même médecin qui a délivré les rapports médicaux concernant le viol de la conjointe du demandeur. On ne sait pas pourquoi la SAR s’attendrait à ce que le médecin réitère ce degré de détail dans le rapport concernant le bégaiement du fils. Je voudrais aussi noter que le certificat de l’école indique le calendrier de la thérapie spéciale pour « bégaiement psychotraumatique ». Cela semble corroborer le certificat médical, mais la SAR ne traite pas de ce document dans ses motifs.

[24]           La SAR a également conclu que le témoignage du demandeur en ce qui concerne la présence de ses enfants pendant le viol est invraisemblable, étant donné que le viol a eu lieu un vendredi et que l’école était, de l’aveu même du demandeur, obligatoire pour les enfants en Bulgarie. La SAR a déclaré que le demandeur a d’abord déclaré qu’il n’y avait pas d’école à Kalevishte où sa famille se cachait, mais, après un nouvel interrogatoire, a indiqué qu’il n’y avait pas de transport pour aller à l’école.

[25]           Toutefois, après examen de la transcription de l’audience devant la SAR, il n’est pas clair que les déclarations du demandeur soient contradictoires ou invraisemblables. Lorsqu’il a été interrogé à l’origine sur la raison pour laquelle les enfants n’étaient pas à l’école le vendredi 30 janvier 2015, la date à laquelle la conjointe du demandeur aurait été violée, le demandeur a expliqué que les enfants ne fréquentaient pas d’école parce que là où sa conjointe se trouvait, il n’y avait aucune possibilité pour eux de le faire. La SAR a alors demandé pourquoi sa conjointe irait à un endroit où les enfants ne pouvaient pas aller à l’école. Le demandeur a expliqué, comme il l’avait déjà, que sa conjointe se cachait à un endroit que le Conseil des Roms leur avait suggéré. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait des écoles à cet endroit, le demandeur a répondu « oui, il y a des écoles, mais elles se trouvent plus loin ».

[26]           La SAR a reformulé la question, mais, chaque fois, le demandeur a expliqué qu’il n’y avait pas d’école là où la famille se cachait, pas de transport pour se rendre à une école plus loin et que, compte tenu des circonstances de la famille, il serait dangereux de fréquenter une école. À mon avis, les échanges démontrent simplement qu’en se cachant, les enfants n’avaient aucun accès sûr à une école à proximité; ils ne font ressortir aucune contradiction ni fondement raisonnable pour la conclusion de la SAR sur l’invraisemblance.

[27]           Enfin, en ce qui concerne le document de la station thermale du centre de bien­être, cela n’a pas été abordé dans les motifs de la SAR. Lorsque la SAR a interrogé le demandeur à ce sujet, lors de l’audience, il a déclaré qu’après l’attaque, sa conjointe est allée là­bas pour suivre une thérapie, pour laquelle ses parents ont payé, ce qui a amené la SAR à répondre « eh bien, une thérapie intéressante, Maître, n’est­ce pas? Un spa? ».

[28]           À mon avis, pour les motifs susmentionnés, les conclusions de la SAR sur la crédibilité et l’invraisemblance étaient déraisonnables. Cette question est déterminante parce que le contenu de la nouvelle preuve jugée non crédible par la SAR touche des questions relatives aux décisions de celle­ci quant à la PRI et la protection de l’État. Par conséquent, il est inutile d’examiner les autres arguments du demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen;

2.      Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée;

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3552-15

 

INTITULÉ :

PAVLOV c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE :

Le 4 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

Pour le demandeur

 

Sally Thomas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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