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Date : 20160315


Dossier : IMM-2807-15

Référence : 2016 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

GUL AFZA HOSSAIN

JAFAR HOSSAIN

RAHIM HOSSAIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Gul Afza Hossain et ses deux fils ont fui l’Afghanistan il y a près de 20 ans pour échapper à la persécution fondée sur leur origine ethnique Hazara et leur confession musulmane chiite. Ils habitent depuis un camp de réfugiés au Pakistan. Sans l’aide du gouvernement ni le droit au travail, ils subviennent à leurs besoins en vendant des canettes de boisson gazeuse et des boîtes de soupe dans la rue. Harcelés par les policiers, ces derniers leur demandent des pots­de­vin. Leur avenir au Pakistan est maintenant incertain puisque le gouvernement a récemment menacé de déporter les réfugiés afghans. Les enfants ne peuvent pas fréquenter une école.

[2]               La fille de Mme Hossain, une citoyenne canadienne, a tenté de parrainer les demandeurs pour l’obtention d’une résidence permanente au Canada. Un agent des visas à Islamabad a interrogé les demandeurs pour déterminer si leur crainte de persécution était fondée s’ils étaient contraints de retourner en Afghanistan, ou s’ils pourraient subir les conséquences graves et personnelles d’une guerre civile, d’un conflit armé ou d’une violation massive des droits de la personne dans ce pays. Si la première conclusion est tirée, ils seraient considérés des réfugiés. Sinon, ils appartiendraient à la catégorie de personnes de pays d’accueil (en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], et de l’article 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227 [RIPR], respectivement; voir l’annexe).

[3]               L’agent a conclu que les demandeurs ne satisfaisaient à aucun de ces critères. Il a trouvé que leurs craintes de retourner en Afghanistan découlaient de conditions générales auxquelles la population entière de ce pays était exposée. De plus, selon l’interprétation de l’agent de la preuve documentaire, les conditions se sont améliorées pour les citoyens hazaras chiites en Afghanistan depuis l’exil des demandeurs. Ils peuvent désormais participer à la vie sociale et politique de leur pays, en plus de pratiquer librement leur religion. Le gouvernement de l’Afghanistan reconnaît maintenant la religion musulmane chiite. Par conséquent, l’agent a refusé leur demande.

[4]               Les demandeurs soutiennent que les conclusions de l’agent ne sont pas raisonnables. Ils affirment qu’il s’est fondé sur des renseignements désuets et, même alors, il a mal interprété la preuve alléguée. De plus, ils soutiennent que l’agent n’a pas raisonnablement conclu que leurs préoccupations étaient liées aux conditions générales en Afghanistan, et ils craignent être expressément ciblés en raison de leur origine ethnique hazara. Les demandeurs me demandent d’annuler la décision de l’agent et de demander à un autre agent de réexaminer leur demande.

[5]               Je suis d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment que les conclusions de l’agent étaient déraisonnables. Il a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants en faveur des demandeurs. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]               La seule question à trancher est de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

II.                Décision de l’agent

[7]               L’agent s’est largement appuyé sur un document de 2012, soit le rapport annuel de la United States Commission on International Religious Freedom. Dans le rapport en question, on soutient que les musulmans chiites connaissent des circonstances améliorées en Afghanistan depuis la chute des talibans. Par exemple, ils sont représentés au Parlement et occupent des postes au sein de la fonction publique. De plus, leurs lieux de culte ont été reconstruits, et la Constitution a été modifiée pour reconnaître le droit islamique chiite.

[8]               Compte tenu de cette preuve, l’agent a interprété les craintes des demandeurs de retourner en Afghanistan comme étant des préoccupations quant à leur sécurité personnelle, ce que tous les habitants de ce pays ressentent actuellement. Les éléments de preuve ne démontraient pas non plus que les demandeurs appartenaient à la catégorie de personnes de pays d’accueil stipulant qu’ils « pourraient subir les conséquences graves et personnelles d’une guerre civile, d’un conflit armé ou d’une violation massive des droits de la personne dans ce pays ».

III.             La décision de l’agent était­elle déraisonnable?

[9]               Le ministre soutient que la décision de l’agent était raisonnable puisque la preuve documentaire n’appuyait pas les craintes des demandeurs, et que leur témoignage lors de l’entrevue ne corroborait pas leur classement dans la catégorie de personnes de pays d’accueil. De plus, les demandeurs manquaient de crédibilité puisqu’ils n’ont pas pu présenter de cartes d’identité afghanes (appelées des tazkiras).

[10]           Je ne suis pas d’accord.

[11]           Toute question de crédibilité que l’agent aurait pu avoir n’était pas reflétée dans sa décision. Il a mentionné que les demandeurs n’avaient pas présenté leurs tazkiras. Certains numéros de cartes d’identité figuraient sur le certificat de mariage du fils de Mme Hossain, mais les demandeurs ont fourni des réponses contradictoires quant à la source de ces numéros. Selon l’agent, leur histoire était invraisemblable. Cependant, il n’y a aucune indication que l’agent doutait de l’identité des demandeurs ni de leur pays d’origine. Il ne semble pas avoir accordé de poids à ces questions en rendant sa décision.

[12]           Compte tenu de la preuve documentaire sur les conditions du pays, tel qu’il a été mentionné, l’agent s’est basé principalement sur un rapport de 2012 pour conclure que les craintes de mauvais traitement des demandeurs en Afghanistan n’étaient plus justifiées. Même ce rapport notait cependant que les groupes minoritaires subissent toujours une persécution religieuse et que la sécurité des musulmans chiites n’était pas garantie si des troupes étrangères quittaient l’Afghanistan, comme c’était le cas en 2014.

[13]           De plus, les rapports antérieurs provenant de sources fiables, lesquels précèdent la décision de l’agent, indiquent que les musulmans chiites sont visés par la violence, l’intimidation, l’enlèvement et l’exécution, et qu’ils ne peuvent pas se fier à l’État pour les protéger. Ils révèlent aussi que les Hazaras ont subi diverses formes d’abus au cours des dernières années, notamment l’extorsion, les enlèvements, la détention et les meurtres. L’agent n’a fait allusion à aucun de ces éléments de preuve.

[14]           Récemment, les éléments de preuve appuient la prétention des demandeurs selon laquelle leur crainte de retourner en Afghanistan n’est pas une préoccupation générale quant à la sécurité pouvant toucher tous les habitants de ce pays. Elle cible surtout les menaces précises envers les musulmans chiites et les Hazaras. Encore une fois, l’agent n’a pas pris en compte cette preuve lorsqu’il a conclu que les demandeurs ne démontraient pas qu’ils devraient être considérés des réfugiés ou appartenir à la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[15]           Étant donné qu’il y avait suffisamment d’éléments de  preuve concluants contredisant les conclusions de l’agent dont il n’a pas pris en compte, je suis d’avis que ses conclusions n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Ses conclusions n’étaient pas raisonnables.

IV.             Conclusion et dispositif

[16]           L’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et importants à l’appui des craintes des demandeurs quant à leur retour en Afghanistan. Par conséquent, j’estime que sa conclusion était déraisonnable au regard des faits et du droit, et je demanderai à un autre agent de réexaminer leur demande. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.

[17]           Mme Hossain a demandé que l’intitulé de la cause soit modifié pour inclure ses fils, qui sont également des demandeurs de ce contrôle judiciaire. J’accepterai sa demande.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

2.      Aucune question certifiée n’est posée.

3.      L’intitulé de la cause est modifié pour inclure Jafar Hossain et Rahim Hossain en tant que demandeurs.

« James W. O’Reilly »

Juge


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Convention refugee

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail himself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Catégorie de personnes de pays d’accueil

Member of country of asylum class

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2807-15

 

INTITULÉ :

GUL AFZA HOSSAIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

 

Pour les demandeurs

 

Teresa Ramnarine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Avocate­procureure

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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