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Date : 20160318


Dossier : IMM-3606-15

Référence : 2016 CF 329

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

SHEREENA SALIJH STERLING

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu à l’« absence d’un minimum de fondement » à l’égard d’une demande fondée sur l’orientation sexuelle, dans laquelle il y avait des allégations de bisexualité. En conséquence de cette conclusion, la demanderesse n’a pas pu interjeter appel de la Section d’appel des réfugiés (SAR) et a obtenu l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la SPR (la décision).

II.                Contexte

[2]               La demanderesse, une citoyenne jamaïcaine, a demandé l’asile en raison de sa bisexualité. Des allégations d’agression sexuelle par un voisin âgé de 26 ans lorsque la demanderesse avait environ 5 ans, ainsi que de nombreux autres cas d’agressions sexuelles figuraient dans le récit. La chronologie de la prise de conscience de la demanderesse relativement à son attirance grandissante pour les femmes y est également décrite.

La demanderesse a affirmé qu’elle a été soumise au chantage lorsque sa communauté en Jamaïque a pris connaissance de sa première relation lesbienne. Elle a également fourni les détails de nombreuses autres relations.

[3]               La SPR a rejeté la demande d’asile en raison de son manque de crédibilité. Cette conclusion concernant la crédibilité était fondée principalement sur l’incapacité de la demanderesse à se rappeler les détails de ses relations personnelles et des traumatismes qu’elle a vécus. Plus particulièrement, la SPR était préoccupée par l’incapacité de la demanderesse à se rappeler les détails des expériences vécues dans son enfance et de sa dernière relation.

[4]               La demanderesse a également indiqué qu’elle était venue au Canada en tant que visiteuse et qu’elle a eu une relation avec un homme qui abusait d’elle, ce qui a conduit à une tentative de suicide de sa part. Elle a admis qu’elle avait commencé à chercher comment demeurer au Canada, et a découvert, sur un site Web, qu’une demande d’asile pouvait être fondée sur l’orientation sexuelle.

Il semble que la « commodité » d’une demande fondée sur la bisexualité est un thème récurrent dans les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[5]               Plus important encore, la SPR avait en sa possession un rapport d’un psychologue (le rapport) traitant des répercussions psychologiques des événements allégués sur la demanderesse. Le rapport fournissait également une explication concernant l’incapacité de la demanderesse à se rappeler des événements clés et des circonstances.

[6]               La SPR a rejeté le rapport parce qu’il n’expliquait pas de façon adéquate les problèmes de mémoire de la demanderesse, puisque la SPR avait conclu que la demanderesse n’était pas crédible. En rejetant le récit de la demanderesse pour manque de crédibilité, un rapport d’un psychologue fondé sur ce récit se voit accorder peu de poids.

III.             Analyse

[7]               En l’espèce, les questions soulevées, soit le traitement du rapport, les conclusions concernant la crédibilité et la conclusion d’« absence d’un minimum de fondement », sont toutes assujetties à la norme de la décision raisonnable (Sukhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 427, 166 ACWS (3d) 345).

[8]               La décision de la SPR souffre de raisonnement circulaire, une situation sans issue. La SPR a conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible. Par conséquent, tout rapport (ou le rapport en particulier) ne peut avoir de poids en ce qui concerne l’explication des préoccupations en matière de crédibilité si le rapport repose sur un récit non crédible.

[9]               Dans Ameir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 876, 140 ACWS (3d) 338 [Ameir], soit le raisonnement sur lequel la SPR s’est appuyée, la Cour a estimé qu’un rapport d’un psychologue reposant seulement sur un récit non crédible d’un demandeur peut se voir accorder peu de poids. La proposition en soit se rapproche de la théorie « à données inexactes, résultats erronés ». Le psychologue n’avait aucune connaissance préalable des faits allégués.

[10]           Cependant, la décision Ameir va au­delà et conclut que si les rapports reposent sur des observations cliniques qui peuvent être tirées de façon indépendante de la crédibilité d’un demandeur, de tels rapports d’experts peuvent servir d’éléments de preuve corroborants lors de la détermination de la crédibilité et devraient être traités en conséquence.

[11]           Dans le cas d’un rapport d’un psychologue reposant sur les observations de l’expert et d’une conclusion selon laquelle ces observations ou manifestations sont conformes au récit du demandeur, on se fonde souvent aux blessures physiques. Par exemple, un médecin, même s’il ne sait pas préalablement que le patient a eu un accident de voiture, peut affirmer valablement que les blessures observées concordent à des blessures subies dans un accident de voiture, tel que décrit par le patient.

[12]           Dans le rapport en litige, le psychologue a fonctionné de façon analogue en expliquant les raisons des troubles de mémoire qui ont servi de base pour la conclusion défavorable sur la crédibilité.

La SPR n’a pas agi de façon raisonnable en ne tenant pas compte du rapport du psychologue de ce point de vue. Le motif de la SPR équivalait à dire [traduction] « Je ne te crois pas, par conséquent, je ne crois rien qui explique pourquoi je me trompe peut­être ».

[13]           En raison du rapport, la SPR ne pouvait pas conclure à l’« absence d’un minimum de fondement ». Une telle conclusion est fondée sur l’absence d’une preuve crédible pour appuyer le cas d’un demandeur.

[14]           La SPR ne peut pas s’isoler du contrôle en appel simplement en tirant une telle conclusion. Un tribunal doit examiner attentivement une telle conclusion parce qu’elle a d’importantes conséquences juridiques et pourrait être tirée trop facilement ou trop aisément.

[15]           En l’espèce, la SPR n’a pas justement évalué les observations objectives du psychologue. Ces observations offrent des motifs quelque peu crédibles concernant les aspects du récit de la demanderesse. À moins que la SPR ait un fondement pour rejeter les observations du psychologue et son explication des troubles de mémoire, elle ne peut conclure à une « absence d’un minimum de fondement ».

[16]           Comme il est souligné dans la décision Ameir, la SPR peut accorder peu de poids à un tel rapport (en supposant qu’elle ait les motifs de le faire), mais il s’agit d’une conclusion différente de la conclusion d’« absence d’un minimum de fondement ».

[17]           La SPR a également fait fi de plusieurs documents pertinents déposés comme preuve, ce qui mine également la conclusion d’« absence d’un minimum de fondement ».

IV.             Conclusion

[18]           Le contrôle judiciaire sera accueilli, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un nouveau tribunal.

[19]           Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3606-15

 

INTITULÉ :

SHEREENA SALIJH STERLING c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Pablo Irribarra

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lauora Christodoulidies

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jordan Battista LLP

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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