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Date : 20160315


Dossier : IMM-4236-15

Référence : 2016 CF 316

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 mars 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

NORBERT OLAH

NORBERTNE OLAH

BEATRIX OLAH

NORBERT OLAH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de la question

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi] d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) datée du 31 juillet 2015. Dans le cadre de l’ERAR, un agent d’immigration supérieur (agent) a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d’être persécutés, au risque d’être soumis la torture, à une menace à leur vie, ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités, s’ils étaient renvoyés en Hongrie.

[2]               L’ERAR en cause a été réalisé dans un contexte factuel unique. Lors d’une audience antérieure devant la Section de la protection des réfugiés (SPR), les demandeurs ont été représentés par un avocat nommé Viktor Hohots. Selon les conclusions de l’audience disciplinaire devant le Barreau du Haut­Canada (Barreau du Haut­Canada. c. Hohots, 2015 ONLSTH 72 [Hohots]) et les discussions portant sur d’autres décisions de la Cour, M. Hohots a offert une représentation inadéquate à des milliers de demandeurs d’asile Roms (voir les décisions Galyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, Pusuma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1025 [Pusuma no 1], Pusuma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 658 [Pusuma no 2]).

[3]               Les demandeurs en l’espèce font partie des demandeurs d’asile qui ont été représentés de façon inadéquate. Sans surprise, leur demande présentée à la SPR a été rejetée, tout comme leur demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée en 2013. Ces rejets se sont produits avant la révélation de la gravité de l’inconduite de M. Hohots au cours des procédures du Barreau du Haut­Canada et de la mise en suspens subséquente de l’affaire Hohots.

[4]               Les demandeurs ont fait appel à un autre avocat qui était compétent pour les aider à remplir leur demande d’ERAR. Cependant, lorsque l’agent a évalué ces demandes, il a conclu à tort qu’un avocat compétent avait représenté les demandeurs devant la SPR. De ce fait, il s’est fié aux conclusions de la SPR. Les demandeurs font valoir qu’il s’agit d’une erreur monumentale. Le défendeur reconnaît l’erreur, mais il insiste que la décision doit tout de même être maintenue.

[5]               Pour les motifs énumérés ci­dessous, je me prononce en faveur des demandeurs.

II.                Contexte

[6]               Les demandeurs, soit M. Olah, Mme Olah et leurs deux enfants, forment une famille d’origine Rom provenant de la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada le 16 mars 2010 et ont immédiatement revendiqué le statut de réfugié. Ils ont déclaré s’être enfuis pour échapper à la persécution fondée sur leur origine ethnique.

[7]               Dans leur demande de statut de réfugié, les demandeurs ont affirmé avoir été victimes de discrimination et de harcèlement tout au long de leur vie. Ils ont relaté de nombreux incidents; cependant, trois incidents sont particulièrement importants.

[8]               D’abord, M. Olah a affirmé qu’en 2001, il a été victime d’une agression physique et d’un vol perpétrés par trois skinheads. Il a ensuite reçu des soins pour une fracture de la mâchoire. Plus tard, les skinheads ont proféré des menaces de représailles à l’intention des demandeurs s’ils signalaient l’agression à la police, alors ils ne l’ont pas signalée.

[9]               Deuxièmement, M. et Mme Olah ont affirmé qu’en 2009, ils ont été victimes d’une autre agression physique perpétrée par un autre groupe de skinheads. La famille Olah a déposé une plainte officielle à la police, mais elle a déménagé dans une autre ville peu de temps après.

[10]           Enfin, les demandeurs ont affirmé qu’en janvier 2010, ils étaient à leur domicile et des individus ont lancé des roches dans leurs fenêtres et ont proféré des menaces. Ils ont communiqué avec les autorités, mais ils allèguent que la police n’a pas effectué de patrouilles dans la région. Les demandeurs se sont enfuis au Canada deux mois plus tard et ils ont demandé l’asile à leur arrivée.

[11]           Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs ont retenu les services de M. Hohots pour leur demande d’asile et leur demande d’autorisation subséquente. M. Hohots a été reconnu coupable d’une faute professionnelle dans la décision Hohots, dont les éléments factuels principaux ont été résumés par le tribunal du Barreau du Haut­Canada : [traduction]

[3] Le défendeur [M. Hohots] était débordé par les nombreuses demandes en matière de droit des réfugiés et, pendant la période en question, il a fait appel à un interprète hongrois pour rendre plusieurs services essentiels qui auraient normalement été rendus par un avocat compétent en matière de droit des réfugiés. L’interprète, qui a aussi travaillé comme consultant certifié en immigration pendant une année à l’emploi du défendeur, était le premier point de contact de plusieurs plaignants. M. Hohots n’a rencontré aucun de ses clients et a pratiquement donné carte blanche à l’interprète, et ce, avec peu de directives quant à la préparation du document le plus important de la demande d’asile, soit le Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[4] Par conséquent, l’avocat a remis des documents insuffisants et inadéquats aux plaignants pour présenter à leur audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Dans de nombreux cas, le niveau inadéquat de préparation s’est traduit par des conclusions défavorables sur la crédibilité et par des demandes d’asile rejetées. L’abdication des responsabilités par l’avocat à l’égard du personnel de son bureau a été étayée par de nombreux avocats très jeunes qui ont travaillé pour ce dernier pendant de courtes périodes. Dans certains cas, les jeunes avocats ont décidé de quitter leur emploi auprès de M. Hohots en raison de leurs inquiétudes au sujet du piètre niveau de service offert par le bureau aux clients demandant l’asile et de la supervision inadéquate de M. Hohots envers l’interprète et les jeunes avocats.

[12]           Comme dans le cas de nombreux clients de M. Hohots, les demandeurs ne l’ont jamais rencontré. Ils ont plutôt rencontré Jozef Sarkozi, le consultant certifié en immigration mentionné au paragraphe 3 de la décision du Barreau du Haut­Canada et étaient représentés à l’audience devant la SPR par Diana Younes, une avocate employée par M. Hohots. À la suite du rejet de leur demande par la SPR, les demandeurs ont retenu les services de M. Hohots pour déposer une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Encore une fois, les demandeurs n’ont pas rencontré M. Hohots; ils n’ont rencontré qu’un interprète.

[13]           Le Barreau a sanctionné M. Hohots grâce à une interdiction de pratique pendant cinq mois et une interdiction de pratiquer le droit en matière de réfugiés pendant deux ans.

[14]            Dans un affidavit joint à la demande d’ERAR des demandeurs, M. Olah a décrit les problèmes importants liés à leur représentation par M. Hohots devant la SPR. Par exemple, la famille Olah n’a reçu aucune directive sur les renseignements à intégrer dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), sur les documents corroborants à l’appui de leur demande et sur les conséquences du manque de preuve. De plus, l’exposé des faits et le FRP qui ont été soumis n’ont pas été traduits en hongrois pour permettre aux demandeurs d’en vérifier l’exactitude.

[15]           La SPR a décidé de rejeter la demande, car elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et que la protection conférée par l’État que leur avait offerte la Hongrie était appropriée. Plus important encore, pour ce qui est de la crédibilité, la SPR ne croyait pas (i) que l’agression de 2001 a réellement eu lieu et (ii) que les demandeurs ont communiqué avec les autorités en 2010.

[16]           Après le rejet de l’autorisation en 2015, les demandeurs ont été invités à présenter une demande d’ERAR. Les demandeurs ont retenu les services d’un nouvel avocat le 7 avril 2015 et peu de temps après, ils ont déposé une demande d’ERAR et une plainte à l’endroit de M. Hohots au Barreau du Haut­Canada.

III.             Décision

[17]           Les demandeurs ont soumis de nombreux nouveaux éléments de preuve dans leur demande d’ERAR, y compris des renseignements au sujet de M. Hohots et de leur représentation inadéquate devant la SPR, des documents corroborant l’agression de 2001 et des documents sur la Hongrie.

[18]           Dans un long exposé des motifs écrits, l’agent a tiré deux conclusions : d’abord, même si les demandeurs ont été victimes de discrimination en Hongrie, elle ne constitue pas de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi et deuxièmement, les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État dans ce pays.

[19]           Au début, l’agent a mentionné la demande rejetée par la SPR, affirmant que même si sa décision n’est [traduction] « pas liée à la décision de la SPR, elle va relever d’un poids certain » (page 11 du dossier de demande). L’agent a ensuite décrit les préoccupations de la SPR au sujet de l’agression de 2001 et l’incident de 2010.

[20]           Dans le cadre de la demande d’ERAR, les demandeurs allèguent qu’aucun poids ne doit être accordé à la décision de la SPR ou à ses conclusions en raison de la participation antérieure de M. Hohots. L’agent n’était pas d’accord et a conclu, à tort, que puisque les demandeurs étaient représentés par Mme Younes à l’audience et qu’il [traduction] « existe peu de preuve selon laquelle elle était employée par Viktor Hohots ou qu’elle est tout aussi incompétente que ce dernier », il n’y avait aucune raison de remettre en question les conclusions de la SPR (pages 14 et 15 du dossier de demande).

[21]           L’agent a évalué les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs au sujet de l’agression de 2001 et a conclu, étant donné les inquiétudes de la SPR, qu’ils n’étaient pas convaincants. Par conséquent, l’agent a limité l’analyse des incidents de 2009 et de 2010, en tirant les conclusions suivantes :

[traduction]

Ces incidents, qu’ils soient considérés séparément ou avec les autres incidents antérieurs, ne correspondent pas à la définition de la persécution. Dans la description de M. Olah de ces deux incidents, je conclus qu’il ne fait aucun doute que le demandeur et sa famille ont été victimes de discrimination; cependant, les critères de la gravité et de la répétition sont insuffisants pour correspondre à la définition de la persécution.

(page 17 du dossier de demande)

[22]           L’agent s’est ensuite penché sur la question de la protection de l’État, affirmant que [TRADUCTION] « la SPR a déterminé que selon une prépondérance des probabilités, [les demandeurs] n’ont pas prouvé de façon claire et convaincante le caractère inadéquat de la protection de l’État en Hongrie ou l’épuisement de toutes les avenues possibles avant de s’enfuir au Canada » (page 18 du dossier de demande). L’agent a conclu que même si le racisme et la discrimination contre les Roms existent en Hongrie, il ne semble exister aucune tendance générale de l’État à être incapable ou à refuser d’offrir une protection, y compris dans le cas précis des demandeurs (pages 20 et 29 du dossier de demande). L’agent a plutôt tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

Le demandeur semble responsable de l’absence d’intervention des autorités, et non la police. Par exemple, si l’agression en 2001 s’est déroulée selon les dires du demandeur, il n’a pas communiqué avec les autorités. Après l’agression à Budapest en 2009, le demandeur a rempli un rapport de police. Le demandeur n’a pas déclaré que les autorités avaient refusé d’examiner le rapport ou de fournir de l’aide à ce dernier. En fait, le demandeur a quitté Budapest le mois même de l’agression et il n’a pas mentionné de suivi auprès des autorités de Budapest. De plus, en 2010, le demandeur a appelé la police quand sa maison a été vandalisée et les autorités se sont présentées.

(pages 22 et 23 du dossier de demande)

[23]           L’agent a conclu que même si les demandeurs étaient personnellement insatisfaits de l’intervention policière, ils ont quand même reçu une aide suffisante (page 30 du dossier de demande).

IV.             Analyse

[24]           Les deux parties conviennent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que Mme Younes était indépendante de M. Hohots et, de ce fait, que toute confiance accordée aux conclusions de la SPR était mal placée. La question principale à trancher dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si la confiance accordée aux conclusions sur la crédibilité de la commission a irréparablement entaché la décision, comme le soutiennent les demandeurs, ou si, comme le soutient le défendeur, l’agent a tiré une conclusion raisonnable et indépendante sur la protection conférée par l’État qui ne s’appuie aucunement sur les conclusions de la SPR pour porter un coup fatal et devrait résister à un examen.

[25]           J’adopterai la norme de la décision correcte pour aborder la question, soit la même norme qui a été appliquée lorsque la représentation inadéquate d’un avocat incompétent soulève des préoccupations en matière d’équité – Galyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, au paragraphe 27; Nagy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640, au paragraphe 19; El Kaissi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234, au paragraphe 21. Évidemment, le problème en l’espèce est l’incidence de l’incompétence de l’avocat dans le cadre d’une instance antérieure à laquelle la décision en cours d’examen fait référence, plutôt que la prétention d’incompétence directe. Je constate que dans le cadre de la décision Pusuma no 2, une affaire dont les faits et les questions sont très semblables, la juge Mactavish a également appliqué la norme de la décision correcte.

[26]           En bref, la décision Pusuma no 2 concernait trois autres demandeurs Roms qui avaient été représentés de façon inadéquate par M. Hohots devant la SPR et qui ont par la suite présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à l’issue de l’ERAR et de la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Comme dans la présente affaire, les demandeurs ont soutenu que l’agent avait fait une erreur dans le cadre des deux décisions, car il s’en est remis aux conclusions de la SPR, qui étaient « entachées » par la représentation inadéquate de M. Hohots (Pusuma no 2, au paragraphe 47). La juge Mactavish a souscrit à cet argument et elle a conclu que la décision défavorable rendue à l’issue de l’ERAR et la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont été grandement et négativement influencées par la décision de la SPR et que cela constitue une erreur susceptible de révision.

[27]           Les demandeurs s’appuient sur la décision Pusuma no 2. Ils s’appuient également sur la décision Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503 pour soumettre la proposition selon laquelle l’analyse de la protection de l’État varie beaucoup en fonction de la crainte subjective et, par conséquent, une évaluation de la crédibilité pertinente constitue un élément essentiel de cette analyse. Puisque l’agent a commis une erreur en s’appuyant sur les conclusions négatives de la décision de la SPR, les demandeurs ont soutenu que l’analyse de la protection de l’État était viciée.

[28]           Le défendeur réplique que même si habituellement une erreur en matière d’équité procédurale se traduit par une décision nulle, il y a une exception si la conclusion va de soi que le résultat d’un nouvel examen de la demande serait le même (Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF No 949 [CAF] [Yassine], voir aussi la décision Mobile Oil Canada Ltd et al c. Office Canada─Terre­Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, au paragraphe 53 [Mobile Oil]). En effet, le demandeur fait remarquer que tout en exprimant des doutes envers l’authenticité des déclarations des demandeurs, l’agent a traité ces dernières comme véridiques dans le cadre de l’analyse sur la protection de l’État. Bien que je sois d’accord avec le défendeur que la décision était longue et détaillée, je ne puis admettre l’application des exceptions des affaires Yassine et Mobile Oil.

[29]           Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’une conclusion de protection de l’État adéquate détermine la réponse à une demande d’asile. Toutefois, comme l’a souligné la Cour dans la décision Gonzalez Torres c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 234 [Gonzalez Torres], la protection de l’État est une analyse contextuelle, et non une analyse indépendante :

[38] La nature [contextuelle] de la violation des droits de la personne est importante dans l’analyse de la protection de l’État car nombreux sont les pays qui offrent en général une protection de l’État adéquate mais qui omettent de le faire pour des types particuliers de violation, comme la violence fondée sur le sexe. Par ailleurs, la fréquence et la gravité des violations sont importantes pour déterminer à la fois les mesures qu’un demandeur est censé prendre et le type de protection que l’État a pu assurer au cours d’une période déterminée. Si toutes les violations présumées des droits de la personne sont survenues dans une brève période, il est possible que le système de protection de l’État n’ait pas eu le temps d’agir efficacement. Parallèlement, lorsqu’ils sont confrontés à un risque de mort imminent et prouvable, les demandeurs n’ont peut­être pas à faire les mêmes efforts pour réfuter la présomption d’une protection de l’État que lorsqu’il n’existe aucun risque imminent.

[39] Le profil de l’auteur présumé des violations des droits de la personne est important car, même dans les pays démocratiques, certains individus peuvent être au­dessus des lois. La suffisance de la protection de l’État dépend souvent des caractéristiques de l’auteur des violations. Si ce dernier est en position de force ou entretient des liens étroits avec la police ou d’autres instances, il peut être fort difficile, voire impossible, pour un demandeur d’obtenir une protection.

[30]           De toute évidence, la gravité et le nombre d’incidents dont les demandeurs ont été victimes, en plus du nombre de tentatives de communication avec les autorités, sont des éléments essentiels pour évaluer la suffisance de la protection de l’État. En l’espèce, les demandeurs ont allégué avoir été victimes de trois agressions distinctes (en 2001, en 2009 et en 2010) et avoir tenté de communiquer avec les autorités après deux de ces dernières (en 2009 et en 2010). Ils ont aussi expliqué pourquoi ils n’ont pas signalé la première agression (en 2001).

[31]           Cependant, l’agent s’est appuyé sur les conclusions de la SPR selon lesquelles l’agression de 2001 n’était pas crédible (page 16 du dossier de demande) et il a mis en doute la déclaration des demandeurs selon laquelle ils ont communiqué avec les autorités en 2010 (pages 21 et 22 du dossier de demande). Sur ce point, le défendeur fait valoir que l’agent ne croyait pas que les demandeurs avaient communiqué avec les autorités, mais qu’il a traité cette déclaration comme véridique dans le cadre de l’analyse.

[32]           Cependant, je conclus que la majorité de la discussion sur la communication en 2010 semblait étayer le scepticisme établi dans la décision de la SPR. Évidemment, l’allégation selon laquelle M. Olah a été victime de trois agressions (y compris une agression très violente en 2001, qui s’est terminée par une fracture de la mâchoire) au lieu de deux contribue grandement à expliquer la réticence du demandeur de demander la protection de l’État, tout comme l’allégation selon laquelle les autorités n’ont pas effectué les patrouilles promises à la suite de l’agression de 2010 contribue grandement à expliquer la crainte subjective de la protection accordée par les autorités. Au contraire, l’agent a déclaré qu’il faut accorder un [traduction] « une grande importance » aux objections de la SPR (pages 11, 14 et 16 du dossier de demande). Malgré l’argument contraire du défendeur, il est difficile de séparer le scepticisme de l’agent émanant de la décision de la SPR du reste de l’analyse de l’agent.

[33]           Enfin, je note les efforts du défendeur de séparer la présente affaire de la décision Pusuma no 2 étant donné que le juge qui a pris la décision relative à la demande d’ERAR a omis de considérer la preuve corroborante rejetée précédemment par la SPR en raison de la représentation inadéquate de M. Hohots. Selon le défendeur, l’agent a examiné tous les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur avant de prendre sa décision, plutôt que de faire l’erreur de limiter son examen.

[34]           Cependant, ces prétentions esquivent la question fondamentale qui se pose dans les deux affaires, soit qu’il « ressort des motifs invoqués dans la décision relative à l’ERAR que l’évaluation faite dans le cadre de l’ERAR a aussi été compromise par le fait que l’agent s’est fondé sur la décision relative à la demande d’asile des demandeurs » (Pusuma no 2, au paragraphe 80). La question repose sur le fait que l’agent s’est fondé sur les conclusions de la SPR et non sur le traitement des nouveaux éléments de preuve. La formulation de l’agent, tout comme celle figurant dans la décision Pusuma no 2, illustre clairement que l’agent s’est fondé sur les conclusions de la SPR, malgré ses affirmations contraires pour la forme.

[35]           De plus, on ne peut jamais avoir la certitude qu’une nouvelle décision juste sur la demande d’ERAR aboutirait à la même conclusion sur la protection de l’État. La question du caractère adéquat de la protection de l’État est courante dans les demandes des Roms de Hongrie. Parfois, la protection de l’État est adéquate et parfois elle ne l’est pas. Le résultat dépend de plusieurs facteurs liés à la situation personnelle du demandeur. Comme l’a mentionné le juge Russell dans une autre affaire concernant une personne d’origine Rom, « Il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. La réponse à cette question dépend en grande partie des faits et des éléments de preuve présentés dans chaque cas ainsi que de la réponse à la question de savoir si la SPR a procédé à une analyse raisonnable » (Molnar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 530, au paragraphe 105).

[36]           En l’espèce, il est facile d’imaginer que l’analyse contextuelle de la protection de l’État serait différente si l’agent n’avait pas accordé du poids aux conclusions « entachées » de la décision de la SPR. Par exemple, si l’agent avait examiné la preuve sur l’agression de 2001 et accepté qu’elle ait bel et bien eu lieu, il aurait conclu que M. Olah a été longtemps victime d’actes d’hostilité à l’égard des Roms et il aurait modifié la conclusion concernant la protection de l’État. Dans le même ordre d’idées, on peut imaginer que si les demandeurs avaient reçu une représentation compétente et bien préparé leur demande devant la SPR, leurs allégations auraient peut­être été jugées crédibles et été acceptées. Au contraire, ils ont reçu une préparation, des directives et une représentation totalement inadéquates pour leur audience devant la SPR et leur demande a ainsi été irréparablement compromise. L’agent aurait dû reconnaître la situation et modifier l’analyse en conséquence.

[37]           Il ne s’agit pas d’un commentaire sur les chances de succès de la demande des demandeurs. La Cour a entendu maintes demandes pour lesquelles elle a rendu différentes décisions sur la question de la protection de l’État en Hongrie, ce qui est bien normal si l’analyse de la protection de l’État est contextuelle et différente pour chaque demandeur. Cependant, je n’accepte pas l’argument du défendeur à savoir que, indépendamment de l’erreur de l’agent, la décision aurait inévitablement été la même. La représentation des demandeurs devant la SPR était inadéquate et insuffisante. Il est injuste que l’agent ne tienne pas compte de cet argument et fonde sa décision sur les conclusions de la SPR d’une quelconque façon.

V.                Conclusion

[38]           À la lumière de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Aucuns dépens ne sont adjugés.

Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-4236-15

 

 

INTITULÉ :

NORBERT OLAH, NORBERTNE OLAH,

BEATRIX OLAH, NORBERT OLAH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mars 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

 

Pour les demandeurs

 

Alison Engel­Yan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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