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Date : 20160329


Dossier : IMM-3756-15

Référence : 2016 CF 354

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ROZMA HOSAINI

KHAIRUDDIN HOSANI

RAILA HOSANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de trois décisions identiques datées du 4 juin 2015 (la décision) par lesquelles l’agente des visas (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente à titre de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières ou comme personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières d’une catégorie précisée des demandeurs.

II.                CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, Rozma Hosaini (demanderesse principale), Khairuddin Hosaini (deuxième demandeur) et Raila Hoasini (troisième demanderesse) sont tous des citoyens afghans. Ils affirment résider au Pakistan depuis 1998, après avoir quitté l’Afghanistan de peur d’être persécutés par les talibans en raison de leur appartenance à l’ethnie Hazaras.

[3]               Le mari de la demanderesse principale a été tué par une explosion de missile pendant le régime communiste Najibullah.

[4]               Les demandeurs affirment qu’aucun d’eux n’a un niveau d’éducation primaire et qu’ils ne connaissent pas leur âge exact. Ils ne connaissent ni la date exacte du décès du mari ou du père ni la date de leur départ d’Afghanistan.

[5]               En 2005, les demandeurs étaient inscrits auprès du gouvernement du Pakistan pour l’obtention d’une carte de preuve d’enregistrement. Toutefois, autour du mois d’octobre 2006, la demanderesse principale, alors qu’elle attendait au bureau du gouvernement pour recevoir sa carte, s’est fait pousser au sol par la foule et s’est cassé le bras. Elle soutient qu’elle n’a pas tenté de retourner au bureau puisqu’elle avait peur de se faire blesser de nouveau. Les demandeurs disent qu’ils ne comprenaient pas l’importance d’avoir une carte d’enregistrement à ce moment.

[6]               Le 2 juin 2015, les demandeurs ont tous été interrogés au Haut-commissariat du Canada à Islamabad, assistés d’un interprète. Les demandeurs soutiennent que le jour de leur entrevue à l’ambassade canadienne, ils se sont fait arrêter par la police et se sont fait durement traiter.

[7]               Les enfants de la demanderesse principale parlent couramment l’urdu. Son fils, le deuxième demandeur, explique qu’il parle un peu anglais et qu’il a appris cette langue en fréquentant des cours du soir au Pakistan.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               L’agente chargée de l’affaire a conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières puisqu’elle ne croit pas qu’ils aient résidé au Pakistan, mais qu’il est plus probable qu’ils aient été rapatriés ou étaient résidents de l’Afghanistan.

[9]               Elle conclut également que les demandeurs n’ont pas été en mesure de donner des explications et des réponses crédibles aux questions de l’entrevue, puisque des contradictions ressortent des réponses concernant l’éducation, la date du déménagement des demandeurs au Pakistan et la durée de résidence à chacune des adresses au Pakistan. L’agente conclut de plus qu’il n’est pas vraisemblable que le deuxième demandeur ait appris l’anglais malgré sa faible éducation et ses circonstances personnelles. Les demandeurs ayant été incapables de répondre aux préoccupations de l’agente et de satisfaire aux critères établis à l’article 96 de la Loi et à l’article 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement), la demande a été rejetée.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.      L’agente a-t-elle commis une erreur en déterminant que l’histoire des demandeurs était improbable et que ceux-ci n’étaient pas crédibles?

2.      L’agente a-t-elle commis une erreur en cherchant de façon trop insistante des incohérences plutôt que de prendre en considération l’ensemble de la preuve qui lui était présentée?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas requis d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas et lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[12]           Les deux questions soulevées par les demandeurs sont des questions mixtes de faits et de droits et impliquent une décision de fond d’un décideur administratif visant à déterminer si un demandeur est une personne réfugiée au sens de la Convention outre-frontières ou une personne protégée à titre humanitaire outre-frontières. Il est bien établi par la jurisprudence que dans de telles affaires, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable. Pushparasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 19; Bakhtiari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 1229, au paragraphe 22.

[13]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Réfugiés

Refugees

12 (3) La sélection de l’étranger, qu’il soit au Canada ou non, s’effectue, conformément à la tradition humanitaire du Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées, selon qu’il a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.

12 (3) A foreign national, inside or outside Canada, may be selected as a person who under this Act is a Convention refugee or as a person in similar circumstances, taking into account Canada’s humanitarian tradition with respect to the displaced and the persecuted.

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Définition de réfugié

Convention Refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[15]           Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes en l’espèce :

Exigences générales

General Requirements

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis:

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

Qualité

Member of Convention refugees abroad class

145 Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

145 A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

Catégorie de personnes de pays d’accueil

Member of country or asylum class

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes:

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

VII.          ARGUMENTS

A.                Question préliminaire

[16]           Le défendeur fait valoir comme question préliminaire que l’affidavit de Muhammed Aleem, assermenté le 8 juillet 2015 (et qui inclut en pièce une copie du bail des demandeurs ainsi qu’une attestation de résidence) de même qu’une partie de l’affidavit de Ghazal Khedri assermenté le 14 octobre 2015 devraient être rejetés ou aucun poids ne devrait leur être accordé puisqu’il s’agit d’une tentative pour déposer de la preuve dont l’agente n’a pas eu connaissance. Le caractère raisonnable de la décision doit être évalué en fonction de la preuve qui était devant l’agente lorsque la décision a été rendue : Afable c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1317, aux paragraphes 20 à 22.

[17]           Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ajoutent pas de nouvelle preuve au dossier. On leur a demandé d’amener leurs cartes d’enregistrement et leurs factures de services publics à l’entrevue pour prouver leur résidence. Puisqu’ils n’avaient pas de carte d’enregistrement, ils ont déposé leurs factures de services publics. La troisième demanderesse a par ailleurs donné à l’agente le nom de leur ancien locateur, M. Aleem. L’affidavit de ce dernier est une preuve du témoignage qu’elle a donné et n’apporte donc rien de nouveau. Enfin, les demandeurs ont fait référence à leur adresse actuelle en l’appelant la « plaza », puisqu’ils vivaient au dernier étage. Le contrat de location de 2012 et l’attestation du gouvernement local confirment donc les explications fournies par les demandeurs lors de l’entrevue.

B.                 Observations des demandeurs

[18]           Les demandeurs soutiennent que les conclusions de l’agente sur le caractère vraisemblable de leurs déclarations ne sont soutenues par aucune preuve spécifique. Ils font valoir que leurs explications aux questions de l’agente sont plausibles lorsqu’on considère leur contexte historique, culturel et éducatif. Par exemple, concernant le fait qu’ils n’ont pas de cartes d’enregistrement, les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient peur de retourner chercher leurs cartes après que la demanderesse principale se soit fait pousser au sol et se soit cassé le bras alors qu’elle attendait dans la foule pour l’obtenir. Les demandeurs expliquent de plus que ces cartes étaient seulement disponibles pendant quelques mois à la fin de 2006. Aucune carte pour réfugiés ne fut émise dans les années suivantes et seules celles déjà en circulation pouvaient être renouvelées. L’agente n’a offert aucune justification expliquant pourquoi ces explications, fournies de façon constante et sans ambiguïté par tous les demandeurs, n’étaient pas plausibles à ses yeux. L’agente n’a pas non plus mentionné ses préoccupations par rapport à l’explication des demandeurs sur l’incident leur ayant fait rater l’occasion d’obtenir leurs cartes d’enregistrement.

[19]           Les demandeurs soulignent les observations de la Cour dans la décision Divsalar c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 653, [Divsalar] mettant en garde les tribunaux de faire preuve de prudence lorsqu’ils rendent des décisions fondées sur le manque de vraisemblance.

[20]           Les demandeurs soulèvent également le fait qu’ils ont donné des preuves de résidence au Pakistan en produisant leurs factures de services publics, comme il leur avait été demandé, mais que l’agente ne fait pas référence à ces pièces, pourtant centrales, dans sa décision sur l’authenticité de la résidence des demandeurs au Pakistan. Comme il l’a été mentionné dans l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) [Cepeda-Gutierrez], « (...) plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" ».

[21]           Au sujet des incohérences des demandeurs relativement à leur éducation et à leur date d’arrivée au Pakistan, l’agente n’a pas pris en considération ni le manque de sophistication des demandeurs ni le fait que les enfants de la demanderesse principale étaient mineurs lorsqu’ils vivaient en Afghanistan pendant la guerre civile et lorsqu’ils ont quitté le pays. Il est de plus évident que pendant la guerre civile et lors de la prise de pouvoir des Talibans en 1996, les conditions du pays faisaient en sorte que le système d’éducation n’était pas fonctionnel. Les demandeurs soutiennent que de se fonder sur des incohérences mineures et superficielles, qui ne concernent pas l’affaire principale, constitue une erreur. Leurs explications sur l’éducation limitée reçue en Afghanistan et l’absence de connaissance du degré d’éducation de leurs frères et sœurs est plausible et ne justifie pas le rejet de la demande. De savoir si les demandeurs ont fréquenté l’école à un certain moment pendant la guerre n’a aucune pertinence par rapport à leur situation actuelle et aux dangers auxquels ils feraient face s’ils devaient retourner maintenant dans leur pays.

[22]           L’agente n’a jamais questionné le deuxième demandeur sur le lieu où il avait appris l’anglais. Si l’agente avait des préoccupations à ce sujet, l’agente avait le devoir d’interroger le deuxième demandeur à propos de cette question puisqu’elle a un impact direct sur ses conclusions relatives à la crédibilité.

[23]           Les demandeurs font valoir que la conclusion de l’agente selon laquelle ils seraient retournés en Afghanistan est sans fondement et sans considération pour les circonstances entourant une veuve, mère de trois jeunes adultes, qui se rendraient dans un pays où règne le chaos et l’insécurité.

[24]           Ils attirent également l’attention sur le Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés de 2006 [UNHCR] (Refworld) et sur le rapport de 2014 de Human Rights Watch, rapportant que de nombreux Afghans se sentaient forcés de quitter le pays malgré l’insécurité régnant en Afghanistan, et ce, alors que le Pakistan déclarait que ces rapatriements étaient volontaires. Le rapport de Human Rights Watch, publié et accessible au moment de l’entrevue, soulignait que le nombre de personnes retournant en Afghanistan était en déclin et que les Afghans s’en allaient plutôt vers les pays occidentaux.

[25]           Les demandeurs soutiennent que l’agente cherchait avec acharnement les incohérences et s’est montrée insensible au point de faire pleurer la demanderesse principale pendant l’entrevue. Ils soulignent qu’ils n’étaient pas représentés par un avocat pour se préparer aux questions et qu’ils ont témoigné dans un état d’anxiété et de peur, exacerbé par le comportement de l’agente et le fait qu’elle communiquait avec eux au travers d’une fenêtre.

C.                 Observations du défendeur

[26]           Le défendeur fait valoir qu’il est établi en jurisprudence que la Cour ne doit pas interférer avec l’évaluation de la crédibilité faite par un tribunal, particulièrement lorsqu’il y a eu une audition orale où le décideur a pu voir et entendre les témoins : Khosa, précité. De plus, un demandeur a le fardeau de déposer une demande complète, pertinente, convaincante et sans ambiguïté, ce que les demandeurs n’ont pas réussi à faire : Obeta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1542, au paragraphe 25.

[27]           Le défendeur soutient que la conclusion sur la crédibilité des demandeurs est raisonnable en raison des incohérences et du caractère invraisemblable de leur preuve. Les demandeurs n’ont pas été en mesure de fournir de la documentation pour prouver leur résidence (comme une carte d’enregistrement). L’agente n’a pas pris en considération les comptes des demandeurs, ayant conclu que l’explication donnée pour justifier l’absence de carte n’est pas plausible. L’agente note qu’en 2005 et 2006, le Pakistan a enregistré presque tous les Afghans y vivant et que ceux n’ayant pas de carte d’enregistrement subissaient de la part des autorités de la discrimination, du harcèlement et la menace d’être déportés en Afghanistan. Étant donné la preuve documentaire concernant l’importance de la carte d’enregistrement, l’agente pouvait tirer une inférence négative du fait que les demandeurs ne possédaient pas de carte. L’agente était en mesure d’évaluer le caractère vraisemblable des témoignages des demandeurs, rationnellement et avec bon sens. Les demandeurs n’ont pas démontré que cette conclusion était déraisonnable.

[28]           La preuve des demandeurs concernant leur départ d’Afghanistan est par ailleurs incohérente : la demanderesse principale a témoigné qu’elle ne sait pas quand ils ont quitté le pays, mais qu’elle se rappelle que c’était pendant la période des talibans et que ses enfants étaient encore à l’école; le deuxième demandeur a dit que la famille a quitté l’Afghanistan en 1998; la troisième demanderesse a dit pour sa part que la famille est déménagée en 1988, quand elle avait environ 15 ans et que son frère ne marchait pas encore; le plus jeune fils de la demanderesse principale (qui n’est pas un demandeur) témoigne pour sa part qu’il ne sait pas quand ils sont partis mais qu’il avait environ 5 ans.

[29]           La preuve de fréquentation scolaire des demandeurs est aussi incohérente : la demanderesse principale a soutenu que ses enfants ne sont pas allés à l’école en Afghanistan; le deuxième demandeur dit qu’il a étudié jusqu’en sixième année en Afghanistan, que sa sœur n’est pas allé à l’école et que son frère a fréquenté l’école Tuiion, à Jamat Kama What; la troisième demanderesse a témoigné qu’elle a étudié jusqu’en quatrième année en Afghanistan et a ensuite quitté l’école, que son grand frère a étudié jusqu’en sixième année et que son plus jeune frère était trop jeune pour aller à l’école; finalement, Shamsuddin Hosaini dit qu’il n’est pas allé à l’école, mais qu’il est allé à Tuiion What et qu’il ne croit pas que son frère et sa sœur soient allés à l’école. Il ne s’agit pas d’incohérences mineures. La fréquentation scolaire des demandeurs est une façon d’identifier la période où ils ont quitté l’Afghanistan et où ils ont vécu au Pakistan. Il n’était pas déraisonnable que l’agente s’attende à ce que les demandeurs aient un témoignage cohérent à ce sujet.

[30]           D’autres incohérences ont surgi de leur témoignage à propos de leur résidence au Pakistan : la demanderesse principale a dit que la famille vit à l’adresse actuelle depuis un an; le deuxième demandeur dit pour sa part qu’il y vivent depuis deux ou trois ans et qu’ils ont vécu ailleurs un an ou deux; la troisième demanderesse témoigne qu’ils vivent à cette adresse depuis un an et qu’ils ont résidé auparavant sur la rue 2 pendant quatre ou cinq ans puis ont déménagé sur la rue 1, où ils sont restés pendant quatre ans; Shamsuddin Hosaini soutient qu’ils vivent à l’adresse actuelle depuis un an, qu’ils ont auparavant habité ailleurs pendant quatre ou cinq mois et qu’ils ont eu plusieurs adresses différentes avant ça. Le défendeur fait valoir de nouveau que les témoignages sont entachés de divergences importantes et que la conclusion de l’agente selon laquelle la preuve de résidence au Pakistan des demandeurs n’était pas crédible est raisonnable.

[31]           La conclusion sur la pertinence des factures de services publics pour établir la résidence au Pakistan était également du ressort de l’agente. L’argument selon lequel l’agente n’a pas pris en considérations est sans mérite puisque la décision y réfère spécifiquement et indique que non seulement les noms des demandeurs n’y apparaissent pas, mais que la demanderesse principale ne connaît pas le nom de la personne qui y est inscrite. Ceci est donc contraire à l’allégation des demandeurs selon laquelle l’agente a seulement noté qu’ils ont amené les factures à l’entrevue.

[32]           Les demandeurs n’ont pas repoussé la présomption selon laquelle l’agente a pris tous les éléments de preuve en considération. Le défendeur soutient que le seuil de suffisance des motifs pour un agent administratif qui rend sa décision sous forme de notes est bas : Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 à 11; Shali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1108, au paragraphe 31.

[33]           L’agente n’a pas non plus commis d’erreur en concluant que la connaissance de l’anglais du deuxième demandeur est incohérente avec la preuve de l’éducation et des circonstances actuelles des demandeurs et avec l’information donnée par la demanderesse principale selon laquelle aucun de ses enfants n’est allé à l’école au Pakistan.

VIII.       ANALYSE

[34]           L’agente n’a pas été convaincue que les demandeurs demeurent au Pakistan, conformément à l’exigence de la loi en vigueur et considère qu’il est plus probable que ceux-ci soient retournés vivre en Afghanistan, leur pays natal.

[35]           L’agente reconnaît que les [traduction] « réponses aux questions générales » des demandeurs étaient cohérentes, mais base sa conclusion menant au rejet de la demande sur les deux motifs principaux suivants :

a)      [traduction] « l’explication de l’absence de cartes d’enregistrement semble invraisemblable »;

b)      [TRADUCTION] « plusieurs réponses étaient incohérentes ».

[36]           L’agente ajoute ce qui suit :

[traduction] Ils ont eu de la difficulté à répondre à d’autres questions et certaines réponses des demandeurs étaient contradictoires, comme l’éducation reçue, la date de déménagement au Pakistan, la durée pendant laquelle ils ont résidé à chacune des adresses. Je note également que Khairuddin parle et comprend l’anglais. Cet apprentissage ne semble pas possible dans un contexte où il n’aurait qu’une sixième année, vivrait à Rawalpindi et serait vendeur de frites.

[37]           La question de la capacité de Khairuddin (le deuxième demandeur) à parler l’anglais n’a jamais été abordée durant son entrevue et il n’a pas pu expliquer comment il a appris cette langue. Il n’est pas non plus clair en quoi la capacité de parler anglais du deuxième demandeur soutient la conclusion selon laquelle [traduction] « il est plus probable que [les demandeurs] soient retournés vivre en Afghanistan ». Il n’y a tout simplement pas de preuve soutenant la conclusion d’invraisemblance pour cette question. Cette conclusion est de la pure spéculation et a été déterminée de façon inéquitable au plan procédural. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision. Voir Khosa, précité, au paragraphe 45, Cepeda-Gutierrez, précité, aux paragraphes 14 à 17. Cette erreur n’entache pas nécessairement le caractère raisonnable de l’ensemble de la décision. Toutefois, à mon avis, d’autres erreurs significatives sont révisables et rendent l’ensemble de la décision risquée.

[38]           La preuve des demandeurs expliquant pourquoi ils ne possèdent pas de carte d’enregistrement n’était pas incohérente. L’agente a tout simplement jugé cette explication invraisemblable. Cette conclusion est ainsi justifiée :

Selon les rapports de l’UNHCR de 2005 à la fin de 2006, le gouvernement du Pakistan, assisté de l’UNHCR, a procédé à l’enregistrement de 2,15 millions de personnes. Pratiquement toute la communauté afghane a été enregistrée pendant ce processus. Ce recensement et processus d’enregistrement a eu lieu sur plusieurs mois dans les principales régions du Pakistan, où environ 100 centres d’enregistrement étaient impliqués. Ce processus a été largement annoncé et communiqué dans la communauté afghane. Ne pas posséder la carte d’enregistrement, qui était émise pendant la période alléguée de la résidence au Pakistan, soulève des préoccupations relativement ladite résidence dans ce pays. Sans cette carte, les Afghans résidant au Pakistan subissent partout au pays de la discrimination policière. Ils se font souvent harceler aux points de contrôle, se faisant demander des pots-de-vin, et peuvent être déportés en Afghanistan. De telles situations ont été rapportées à l’UNHCR. Pour un résident à long terme du Pakistan, ne pas avoir cette carte est préoccupant considérant son importance. Ce bureau a vu un grand nombre de fraudes et de nombreux demandeurs ont faussement allégué résider au Pakistan afin de pouvoir compléter une demande d’asile. Depuis 2002, plus de 4,7 millions d’Afghans ont quitté le Pakistan dans le cadre du plus grand programme de retour volontaire organisé par l’UNHCR. On doit additionner à ceci les centaines de milliers d’Afghans retournés en Afghanistan sans participer à ce programme. L’UNHCR évalue que plus de 900 000 Afghans sont repartis sans aide.

[39]           L’agente se base également sur des incohérences dans la preuve dans d’autres parties de sa décision, mais ne reconnaît pas la totale cohérence offerte par les demandeurs sur ce point. Sa logique semble être que le témoignage des demandeurs n’est pas plausible puisque le fait de ne pas avoir de carte d’enregistrement les expose à divers problèmes face aux autorités. Raila (la troisième demanderesse) a en effet expliqué que la police n’a pas arrêté les femmes de sa famille, mais que ses frères l’ont été. Malgré ces difficultés, il n’est absolument pas invraisemblable que les demandeurs aient éventuellement cessé de tenter d’obtenir la carte d’enregistrement pour les raisons qu’ils ont données. La Cour a constamment mis en garde contre les risques attachés aux conclusions d’invraisemblance et, dans l’arrêt Divsalar, a souscrit à l’opinion selon laquelle ce type de conclusion peut seulement être tiré dans les cas les plus clairs, lorsque les faits articulés débordent tant du cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre que le juge des faits peut raisonnablement conclure qu’il est impossible que ces événements se soient produits. Ce n’est pas ici le cas. Les explications des demandeurs sur cette question sont cohérentes et raisonnables et ne débordent certainement pas du cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre. La question de la carte d’enregistrement revêt une telle importance dans cette décision qu’en elle-même, cette erreur est suffisante pour que l’affaire soit renvoyée pour un nouvel examen. Le défendeur se base sur la décision Osmani c. Canada (Citizenship and Immigration), 2012 CF 134 [Osmani], où la Cour semble avoir considéré raisonnable la conclusion d’invraisemblance d’un agent, basée en partie sur l’importance de la carte d’enregistrement au Pakistan. Cependant, dans l’arrêt Osmani, les demandeurs, qui vivaient au Pakistan depuis 2001, ont indiqué qu’ils avaient fait la demande pour obtenir la carte d’enregistrement mais ne l’avaient jamais reçue. La Cour a conclu qu’il était raisonnable dans les circonstances que l’agent s’attende à ce que les demandeurs aient leur carte d’enregistrement étant donné le nombre d’années qu’ils avaient, alléguaient-ils, passées au Pakistan et l’emphase que le gouvernement pakistanais et l’UNHCR mettaient à ce moment-là sur l’importance d’obtenir la carte d’enregistrement. Dans Osmani, les demandeurs n’ont pas fourni les explications cohérentes et vraisemblables données en l’espèce par les demandeurs à l’agent des visas. Il y a clairement eu des incohérences dans les témoignages concernant le départ de la famille de l’Afghanistan, la fréquentation scolaire et la durée de la résidence au Pakistan, mais considérant l’âge des enfants à ce moment et les circonstances générales sous lesquelles la famille vivait, ces incohérences sont explicables et ne sont certainement pas des motifs suffisants pour soutenir le rejet de la demande de résidence permanente considérant mes conclusions par rapport à la question de la carte d’enregistrement.

[40]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

[41]           Je suis d’accord avec les objections préliminaires du défendeur concernant la nouvelle preuve que les demandeurs ont tenté de soumettre. Je n’en ai pas tenu compte dans ma révision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3756-15

 

INTITULÉ :

HOSAINI ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE :

Le 29 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

 

Pour les demandeurs

 

Amy King

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Avocat-procureur

East York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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