Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160401


Dossier : IMM-3935-15

Référence : 2016 CF 370

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

EHTISHAM-UL HAQ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’immigration supérieur (l’agent) qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur. La décision à l’étude consiste en un réexamen de la première demande d’ERAR qui avait été présentée par le demandeur et à l’égard de laquelle une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur avait été accueillie dans l’arrêt Haq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 380 [Haq].

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire vise notamment à déterminer dans quelle mesure l’agent saisi de la deuxième demande d’ERAR était lié par la première demande d’ERAR et par la décision rendue dans Haq. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan, membre du parti de la Ligue musulmane [PML(N)] depuis juin 1996. Le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada en septembre 2006, à la suite d’une série d’événements distincts mais en apparence étroitement liés :

A.                En mai 2005, durant un bref séjour à Dubaï, le demandeur a été informé qu’il était recherché par la police pour une présumée participation à un meurtre qui avait été commis au Pakistan. À son retour au Pakistan, le demandeur s’est rendu à la police pour présenter des preuves attestant qu’il était à l’extérieur du pays au moment où le meurtre avait été commis. On lui a alors dit de ne pas s’en faire à propos de cet incident. Cependant, son nom n’a pas été rayé du procès-verbal introductif [FIR] dans lequel le demandeur figurait parmi les personnes ayant participé au meurtre.

B.                 En octobre 2005, le demandeur a rendu visite à des membres de sa famille à Toronto; durant son séjour à Toronto, le demandeur a de nouveau été informé qu’il était recherché par la police, cette fois-ci en lien avec un nouveau FIR décrivant en détail un autre meurtre survenu au Pakistan le 1er novembre 2005. Encore une fois, le demandeur est retourné au Pakistan pour se disculper; la police a confirmé que le demandeur était à l’extérieur du pays au moment du meurtre mais, à nouveau, son nom n’a pas été supprimé du FIR.

C.                 Après l’événement de novembre 2005, le demandeur a commencé à penser qu’il était devenu la cible de certaines personnes.

D.                En janvier 2006, alors qu’il se trouvait à Gujranwala, le demandeur a été agressé par plusieurs inconnus qui ont menacé de le tuer s’il poursuivait ses activités politiques. Le demandeur a signalé l’incident à la police, mais l’enquête n’a mené à aucune arrestation.

E.                 Le demandeur a été victime d’une autre agression en mai 2006 au Pakistan et a de nouveau porté plainte à la police qui n’y a pas donné suite de façon sérieuse.

F.                  Le demandeur a commencé à craindre pour son bien-être, en raison de la prévalence de la violence au Pakistan et de l’incapacité de la police à protéger ses citoyens. Le demandeur s’est rendu au Canada en juin 2006. Il a par la suite appris que sa famille était victime de harcèlement de la part de ceux-là mêmes qui tentaient de le trouver. Qui plus est, un autre membre de la Ligue musulmane a disparu et a par la suite été découvert assassiné. Le demandeur a estimé qu’il ne pouvait retourner au Pakistan.

[4]               En décembre 2008, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger, après en être arrivée à des conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur dont le témoignage avait été qualifié d’incohérent et d’évasif par la SPR. La SPR a conclu que le demandeur avait omis de présenter des preuves crédibles et fiables à l’appui de quelque élément fondamental de sa demande.

[5]               En mai 2009, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par la SPR. En mai 2010, le demandeur a présenté une demande d’ERAR [premier ERAR] en alléguant que de nouveaux éléments de preuve, obtenus depuis le prononcé de la décision par la SPR, indiquaient qu’il était dangereux pour lui, en tant que membre du parti PML(N), de retourner au Pakistan. Voici les documents présentés par le demandeur à titre de nouveaux éléments de preuve :

A.                Un article paru le 4 septembre 2006 dans le Daily Nawa-i-waqat, attestant du meurtre d’un membre du PML(N);

B.                 Deux mandats d’arrestation dans lesquels le demandeur était cité comme accusé : le premier daté du 18 juin 2009 (cas n501-06, infraction 302-149) et le deuxième en date du 13 juillet 2009 (cas no 335, infraction 148-249), en lien avec les accusations en instance mentionnées dans les deux FIR de 2005 précités [mandats de 2009];

C.                 Un article du journal Daily Samaj Gujranwala du 7 janvier 2010, mentionnant une descente de police effectuée au domicile du demandeur en lien avec les mandats de 2009 délivrés contre le demandeur par le tribunal antiterroriste [article de 2010];

D.                Un procès-verbal introductif (FIR) daté du 13 mars 2010, concernant une plainte déposée par la femme du demandeur à la suite de l’invasion de leur domicile par des inconnus ayant menacé de tuer son mari [FIR de 2010];

E.                 Des déclarations assermentées du père, de la femme, du beau-père et de deux amis du demandeur, relatant le harcèlement et les menaces continus dont ils étaient personnellement victimes de la part de personnes à la recherche du demandeur, y compris des membres des services policiers.

[6]               L’agent a conclu que le demandeur avait essentiellement répété les mêmes arguments que ceux qu’il avait exposés à la SPR, qu’il n’avait pas présenté de preuve matérielle suffisante attestant de l’existence de nouveaux risques depuis le prononcé de la décision de la SPR et qu’il n’avait pu réfuter aucune des conclusions de la SPR concernant la crédibilité. Le 29 novembre 2013, la demande a donc été rejetée parce que le demandeur n’avait pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve et à démontrer qu’il serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, ou qu’il était fort probable qu’il serait exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Pakistan.

[7]               Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la première demande d’ERAR et, le 25 mars 2015, le juge Roger Hughes dans l’arrêt Haq a accueilli la demande et demandé que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[8]               Le juge Hughes n’était pas d’accord avec le délai de plus de trois ans qui s’était écoulé entre le dépôt de la demande d’ERAR en mai 2010 et le rendu de la décision concernant cette demande en novembre 2013, estimant que le long délai avait entaché le traitement fait par l’agent des mandats de 2009. Il a aussi estimé que l’agent avait minimisé, d’une manière déraisonnable, le poids à accorder aux affidavits précités des amis et des membres de la famille du demandeur, en dépit de la jurisprudence indiquant le contraire :

[8]        La décision de l’agent a été rédigée environ trois ans après la présentation de la demande d’ERAR. Aucune raison apparente ne justifie ce délai, ce qui laisse la remarque déroutante dans la décision de l’agent selon laquelle la preuve devait démontrer que les mandats de 2009 étaient toujours en suspens en 2013, environ quatre ans plus tard, sans réponse [gras ajouté]. Le demandeur a‑t‑il le fardeau de rapporter périodiquement que, en ce qui concerne la preuve présentée à l’appui de la demande d’ERAR, rien n’a changé pendant la période où elle n’a pas progressé à Citoyenneté et Immigration Canada?

[9]        L’agent n’a pas reconnu que les mandats d’arrestation de 2009 non seulement validaient les allégations qui ont été jugées invraisemblables par la Commission du statut de réfugié, mais, plus important encore, démontraient également que, depuis la décision de la Commission, le demandeur continue d’être exposé à un risque [gras ajouté].

[10] L’article de journal de 2010 qui porte sur les mandats d’arrestation de 2009 démontrait que le public connaissait l’existence des mandats et étayait la validité des mandats. L’agent a entièrement négligé de souligner l’importance de cette preuve. Il en est probablement ainsi parce que le dossier n’avait pas été examiné depuis trois ans [gras ajouté].

[11]      L’agent a minimisé les déclarations assermentées des parents et amis du demandeur parce qu’elles provenaient de parents et amis. Comme l’a relevé le juge de Montigny de notre Cour au paragraphe 28 de la décision Ugalde c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 458, il est déraisonnable de se méfier du témoignage de parents et amis simplement parce qu’il émane de ces sources. Ce sont souvent les meilleures personnes ou même les seules personnes capables de donner pareille preuve.

[12]      En outre, l’agent n’aurait pas dû ignorer cette preuve parce qu’il s’agit du genre de preuve qui est présentée dans le cadre de l’audition de la demande d’asile. Si l’élément de preuve concerne du harcèlement qui continue après l’audition de la demande d’asile, il s’agit d’une preuve nouvelle et pertinente.

[13]      Qui plus est, l’agent n’a pas tenu compte du rapport concernant la plainte que la femme du demandeur a déposée à la police. La preuve démontre seulement que les policiers se sont engagés à rédiger un rapport. Rien ne démontre que les policiers ont pris des mesures pour la protéger ou pour enquêter sur ses agresseurs (voir la juge Kane au paragraphe 45 de la décision Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 938).

[9]               Le juge Hughes a conclu en réitérant au paragraphe 14 que le problème lié à la première demande d’ERAR était probablement dû au long délai qui s’est écoulé avant le traitement de la demande : « J’estime qu’il y a suffisamment d’erreurs dans la décision de l’agent, probablement causées par le long délai avant que quelqu’un ne se penche sur le dossier, pour conclure que la décision doit être considérée comme déraisonnable. »

II.                Décision contestée

[10]           Le demandeur a eu la possibilité de soumettre d’autres observations à l’appui du réexamen de la demande d’ERAR. En avril 2015, le demandeur a présenté d’autres observations basées sur les nouveaux éléments de preuve précités de la première demande d’ERAR, ainsi que des données à jour sur la situation dans son pays. Il a aussi présenté d’autres affidavits de sa femme, de membres de sa famille et d’amis. De plus, il a remis une lettre de son avocat au Pakistan dans laquelle l’avocat décrivait les efforts qui avaient été faits pour aider le demandeur au Pakistan, ainsi qu’une attestation de l’avocat au Pakistan datée d’avril 2015 quant à la validité continue des mandats de 2009, des FIR de 2005 et d’un rapport de police.

[11]           Le 23 juillet 2015, la deuxième demande d’ERAR a été rejetée, l’agent estimant que le demandeur ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution ou à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Pakistan [deuxième ERAR].

[12]           L’agent a estimé que le demandeur avait présenté les mêmes allégations de risque que lors de son audience devant la SPR, sans en soulever de nouvelles. Après examen, l’agent a admis en preuve tous les nouveaux éléments de preuve du demandeur, à l’exception de l’article de 2006 faisant référence au meurtre d’un autre membre du PML(N), au motif que l’article était antérieur à l’audience de la SPR et que le demandeur avait omis d’expliquer pourquoi cet élément de preuve n’avait pas été présenté à l’audience. Les autres éléments de preuve ont été pris en compte comme suit par l’agent :

A.                Article de journal de 2010 – Dans l’article de journal de 2010 postérieur à l’audience de la SPR, il est indiqué que le demandeur était recherché pour deux affaires antiterrorisme en suspens. L’agent a accordé peu d’importance à cet article, alléguant qu’il contenait trop peu de détails, entre autres le nom de l’auteur, la manière dont l’auteur avait obtenu l’information, les accusations portées ainsi que les raisons pour lesquelles un tribunal antiterroriste avait été saisi d’une accusation de meurtre présumé au Pakistan. L’agent a également pris acte du fait que la preuve documentaire matérielle sur le Pakistan indique que des journaux peuvent publier de faux articles sans que le pays n’impose quelque sanction.

B.                 Mandats d’arrestation et FIR – L’agent a accordé peu de poids aux mandats de 2009 et au rapport de police corroborant les FIR de 2005 précités, car ces documents ne dissipent en rien les conclusions de la SPR quant à la possibilité que le demandeur a eu de se rendre à la police sans être arrêté ni incarcéré, que les FIR aient été valides ou non. L’agent a également estimé que la preuve matérielle indiquant la grande disponibilité de documents frauduleux au Pakistan, y compris la facilité à présenter un faux FIR en soudoyant un agent de police, atténuent encore plus l’importance pouvant être accordée à ces documents.

C.                 Affidavit de l’avocat du demandeur au Pakistan – L’agent a accordé peu de poids aux éléments de preuve présentés par l’avocat du demandeur au Pakistan, mettant en doute leur crédibilité. De fait, les éléments de preuve fournis par l’avocat au Pakistan ne concordaient pas avec ceux présentés par le demandeur lors de l’audience devant la SPR : durant l’audience, le demandeur a déclaré s’être rendu au poste de police et avoir présenté son passeport pour prouver qu’il n’était pas au Pakistan au moment où les meurtres avaient été commis alors que, dans sa lettre, l’avocat dit s’être lui-même rendu à la police pour présenter le passeport du demandeur.

D.                Affidavits des amis et des membres de la famille – L’agent a admis en preuve les affidavits des amis et des membres de la famille du demandeur qui étaient postérieurs à la date de l’audience devant la SPR, mais y a accordé peu d’importance. Certains de ces souscripteurs d’affidavit disent avoir été interrogés et harcelés au sujet des allées et venues du demandeur depuis 2006, mais le demandeur n’a fait nulle mention de ces faits devant la SPR ni n’a fourni de précisions pour en expliquer l’omission. L’agent note par ailleurs que les éléments de preuve indiquant que la police a interrogé des membres de la famille et des voisins du demandeur au sujet des allées et venues de ce dernier ne signifient pas, en soi, que le demandeur soit en danger. Qui plus est, les éléments de preuve ont été jugés insuffisants, car le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il ne lui était plus possible de se rendre à la police sans incident pour prouver qu’il était à l’extérieur du Pakistan au moment des meurtres, alors qu’il avait déclaré durant son témoignage devant la SPR qu’il avait pu le faire auparavant.

E.                      Procès-verbal introductif (FIR) de la femme du demandeur – L’agent a accordé une importance minimale à ce document daté de 2010, compte tenu de sa faible pertinence dans l’examen de la demande de protection du demandeur. L’incident remontait à cinq ans et les éléments de preuve présentés dans le plus récent affidavit de la femme daté d’avril 2015 ne permettaient pas de savoir si les inconnus qui l’avaient agressée à l’époque l’avaient approchée depuis.

[13]           L’agent a également conclu que les éléments de preuve du demandeur n’avaient pas permis de statuer sur les questions de crédibilité soulevées durant l’audience de la SPR, notamment concernant la conclusion subsidiaire de la SPR selon laquelle, même si les FIR n’étaient pas frauduleux, la police ne semblait avoir aucun intérêt pour le demandeur, puisque celui-ci a pu aller et venir librement dans son pays en 2005 et 2006 et qu’il a pu se rendre personnellement à la police sans incident.

III.             Questions en litige

[14]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.                L’agent a-t-il agi d’une manière déraisonnable en faisant abstraction des conclusions antérieures de la première demande d’ERAR et de la Cour dans l’arrêt Haq?

B.                 L’agent a-t-il fait une interprétation erronée en ne tenant pas compte des éléments de preuve du demandeur?

C.                 L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve portant sur la situation au Pakistan?

IV.             Norme de contrôle

[15]           Les questions soulevées ont trait à des conclusions de fait et à des conclusions mixtes de fait et de droit, y compris l’évaluation de la preuve matérielle présentée à l’agent; elles appellent donc la norme de la raisonnabilité (Dhrumu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 172, au paragraphe 18, 198 ACWS (3d) 794).

V.                 Analyse

[16]           La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR, mais est plutôt l’occasion, pour le demandeur débouté, de démontrer qu’il est maintenant à risque en raison de changements survenus dans la situation de son pays ou dans sa situation personnelle depuis la décision de la SPR (Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 12 et 13, 289 DLR (4th) 675 [Raza]). Si l’auteur d’une demande d’ERAR ne s’acquitte pas de ce fardeau de la preuve, sa demande sera rejetée (Tovar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 490, au paragraphe 16).

A.                L’agent a-t-il agi d’une manière déraisonnable en ne tenant pas compte des conclusions antérieures?

[17]           Le demandeur prétend que la décision rendue lors de la première demande d’ERAR et celle rendue par la Cour dans Haq ont implicitement déterminé que les mandats de 2009 étaient authentiques et donc que l’agent saisi de la deuxième demande d’ERAR était tenu de fournir des motifs clairs et convaincants pour justifier une décision contraire. Le demandeur soutient également que l’agent s’est écarté de la conclusion voulant que les mandats de 2009 soient authentiques, en leur accordant peu d’importance au motif notamment que la preuve documentaire matérielle laissait croire que les mandats pouvaient être frauduleux. Selon le demandeur, l’absence de motifs clairs et convaincants pour justifier cet écart rend le deuxième ERAR déraisonnable. Avec tout le respect que je dois au demandeur, je ne suis pas d’accord.

[18]           Premièrement, je ne suis pas convaincu que le premier agent ou que le juge Hughes dans l’arrêt Haq aient conclu, même implicitement, que les mandats de 2009 étaient authentiques. L’agent du premier ERAR n’a formulé aucune conclusion expresse quant à la validité des mandats de 2009 mais a plutôt établi que la preuve matérielle était insuffisante pour déterminer quelles mesures avaient été prises par le demandeur pour donner suite aux mandats de 2009 ou pour établir que ces mandats étaient toujours en suspens. Le demandeur soutient qu’en traitant les mandats de 2009 de cette manière, cela laisse supposer que ceux-ci étaient authentiques. Là encore, je ne suis pas d’accord. Il est tout aussi plausible de conclure que le premier ERAR a révélé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur l’authenticité ou non des mandats de 2009, compte tenu de l’insuffisance de la preuve.

[19]           De plus, aux paragraphes 8 et 9 de l’arrêt Haq, le juge Hughes a critiqué la manière dont les mandats de 2009 avaient été pris en compte lors du premier ERAR et il s’est également dit en désaccord avec le fait qu’ils aient été écartés lors du premier ERAR à cause du délai qui s’était écoulé, étant donné la pertinence de ces documents pour l’examen de la demande du demandeur. Je ne peux conclure que, ce faisant, le juge Hughes a sanctionné une conclusion implicite antérieure quant à l’authenticité des mandats de 2009, ni n’a conclu de quelque manière qu’ils étaient authentiques.

[20]           De plus, j’estime que les arrêts suivants sur lesquels s’est appuyé le demandeur pour prétendre que des motifs clairs et convaincants devaient être soumis à l’appui du deuxième ERAR diffèrent de la présente affaire : Siddiqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 6, 154 ACWS (3d) 673 [Siddiqui], Alexander c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1305, 88 Imm LR (3d) 75 [Alexander], Osagie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 852, 63 Imm LR (3d) 146 [Osagie] et Burton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 910, 30 Imm LR (4th) 294 [Burton].

[21]           Dans l’arrêt Burton, la juge Mary Gleason a statué que la décision de l’agent d’ERAR était déraisonnable, en partie parce que l’agent d’ERAR, en réponse à la demande de réexamen, avait omis de fournir des motifs convaincants pour expliquer pourquoi sa décision s’écartait de l’évaluation des risques faite par l’agent lors du premier ERAR. La juge Gleason mentionne également que la juge Mactavish, en accueillant la demande de contrôle judiciaire de la première demande d’ERAR, a donné des directives précises quant à la manière dont la demande d’ERAR devait être réexaminée (Burton, au paragraphe 6). La juge Gleason mentionne notamment que la juge Mactavish a ordonné que le réexamen soit fait « conformément aux présents motifs ». Sur ce point, la juge Gleason conclut que la seule question devant faire l’objet d’un nouvel examen était celle de la protection de l’État; l’évaluation des risques devait demeurer inchangée à moins de motifs clairs et convaincants attestant du contraire (Burton, aux paragraphes 38 et 39).

[22]           En l’espèce, le juge Hughes n’a conclu ni d’une manière expresse, ni implicitement, que des conclusions implicites ressortaient du premier ERAR, ni n’a formulé de directives précises quant au réexamen de l’affaire. Dans sa décision, le juge Hughes n’a indiqué que ce qui suit : « [l’]affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen ».

[23]           Cependant, même si la décision du juge Hughes engageait le deuxième ERAR, cette décision exigeait ce qui suit de l’agent :

A.                ne pas écarter les affidavits de la femme, des membres de la famille et des amis du demandeur, du simple fait que ces éléments de preuve émanaient de personnes ayant un intérêt pour l’issue de l’affaire;

B.                 ne pas formuler de conclusion négative quant au niveau de risque découlant des mandats de 2009 simplement à cause du délai qui s’était écoulé depuis la délivrance de ces mandats, car l’agent affecté à l’affaire était responsable de ce délai;

C.                 ne pas faire abstraction des articles de journaux du Pakistan faisant référence aux mandats de 2009;

D.                ne pas se fier à l’existence d’un rapport de police comme preuve en soi de la protection de l’État;

E.                  examiner la demande et statuer sur la question en temps opportun.

[24]           Dans l’examen de la deuxième demande d’ERAR, il ne fait aucun doute que l’agent ne s’est pas écarté de la décision dans Haq.

[25]           En ce qui a trait au choix du demandeur d’invoquer Siddiqui et Alexander pour prétendre que des motifs clairs et convaincants devaient être présentés à l’appui de la décision dans le deuxième ERAR, Siddiqui, au paragraphe 18, examine la question des conclusions contradictoires formulées par la SPR à l’égard de la même preuve matérielle. Dans Alexander, la décision a été basée sur le fait que la prévalence des décisions de la Cour dans des cas de violence conjugale contre des femmes de Saint-Vincent-et-les-Grenadines limitait les issues acceptables possibles. Or aucune de ces deux affaires n’est analogue au cas en l’espèce.

[26]           Le demandeur invoque également l’arrêt Osagie, dans lequel le juge Maurice Lagacé déclare ce qui suit au paragraphe 32 :

[32]      En l’espèce, un membre de la Section de l’immigration avait conclu précédemment que la carte d’identité nationale de M. Osagie était authentique. La Commission pouvait s’écarter de cette conclusion après avoir examiné la preuve, ce qu’elle a fait. Toutefois, vu l’existence de la décision antérieure, elle devait expliquer pourquoi elle s’écartait de la conclusion de la Section de l’immigration. Comme elle ne l’a pas fait, sa décision est discordante et arbitraire.

[27]           Cependant, contrairement à la situation dans Osagie, en l’espèce, des preuves supplémentaires ont été présentées à l’agent sur la question du risque, et il n’y avait aucune conclusion antérieure quant à l’existence d’une circonstance ayant un effet déterminant sur l’issue.

[28]           Comme dans l’arrêt Sutherland c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 278 aux paragraphes 13-1513 [Sutherland]), les affaires auxquelles le demandeur fait référence ne reflètent pas les circonstances en l’espèce. Je ne vois aucune erreur donnant lieu à révision qui aurait été commise par l’agent du deuxième ERAR et qui serait due au fait que celui-ci a accordé trop peu de poids aux mandats de 2009, notamment parce que la preuve matérielle présentée à l’agent indiquaient que ces mandats n’étaient peut-être pas authentiques.

B.                  Les agents ont-ils omis des éléments de preuve ou les ont-ils mal interprétés?

[29]           Le demandeur allègue que l’agent a rendu une décision déraisonnable, en statuant qu’il ne pouvait accorder que peu de poids aux nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur et que ces nouveaux éléments de preuve ne démontraient pas l’existence d’un risque nouveau. Là encore, avec tout le respect que je dois au demandeur, je ne suis pas d’accord.

[30]           L’agent a examiné les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur et a exprimé ses préoccupations quant à leur validité, souvent en liant ces préoccupations à des éléments de preuve matériel objectifs. Je suis d’avis que les observations du demandeur concernant la manière dont l’agent a examiné la preuve ne concordent pas avec le poids que l’agent a accordé à la fois aux éléments de preuve présentés par le demandeur et aux éléments de preuve matériels objectifs. Il est un fait bien établi dans la jurisprudence qu’il n’appartient pas à la cour saisie de la demande de contrôle judiciaire de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 61 [Khosa]).

[31]           L’agent a examiné l’article de journal de 2010, la lettre de l’avocat du demandeur au Pakistan et les affidavits de la femme, des membres de la famille et des amis du demandeur, et a formulé des conclusions fondées sur les éléments de preuve qui sont transparentes, justifiables et intelligibles (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Le fait que le demandeur puisse faire une interprétation raisonnable différente des éléments de preuve ne signifie pas, en soi, que les conclusions de l’agent sont déraisonnables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 17 [Newfoundland Nurses]; Baragar c. Canada (Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CAF 75, aux paragraphes 17 à 19 [Baragar]).

[32]           De même, je ne suis pas persuadé que l’absence, dans la décision de l’agent, d’un renvoi précis au rapport de police lié aux FIR de 2005 constitue une erreur donnant lieu à révision, comme le soutient le demandeur. Il ressort clairement du dossier que l’agent avait été informé de l’existence du rapport, la version traduite ayant été portée à son attention par le demandeur le 6 août 2015, après que l’agent eut rendu sa décision le 23 juillet 2015. L’agent a donné suite à la présentation de la version traduite, par voie d’un bref addendum à la décision daté du 12 août 2015. Il est un fait bien établi dans la jurisprudence qu’un décideur n’est pas tenu de prendre en compte tous les éléments de preuve. Bien qu’il soit plus facile de prétendre qu’il y a eu omission d’éléments de preuve lorsque des éléments de preuve qui contredisent carrément la décision du décideur ne sont pas pris en compte (Cepeda-Gutierez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 au paragraphe 17, 157 F.T.R. 35 (1re inst.)), il n’existe en l’espèce aucune contradiction aussi manifeste, et l’addendum indique que l’élément de preuve a été pris en compte par l’agent. Je ne peux donc tirer quelque conclusion de cette nature en l’espèce. Pour ce faire, il faudrait parvenir à la conclusion que la décision est erronée à cause de l’absence de motifs convaincants. La Cour, dans l’examen de la raisonnabilité, ne peut établir pareille attente, tout comme elle ne peut entreprendre de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou aborder l’examen de la décision en présumant que l’issue privilégiée par la Cour l’emporte sur celle choisie par le décideur (Baragar, au paragraphe 19; Newfoundland Nurses, au paragraphe 18; Khosa, au paragraphe 61; Dunsmuir, au paragraphe 47).

C.                 L’agent a-t-il omis de tenir compte des risques dus à la situation actuelle dans le pays en cause?

[33]           Bien que le demandeur ait fourni une preuve de l’assassinat par arme à feu de deux dirigeants du groupe PML(N), l’un survenu en 2010 et l’autre en 2015, cette preuve ne fait pas état d’un risque nouveau – le risque étant celui-là même que la SPR avait initialement évalué. Je constate que le juge Hughes dans Haq ne s’est pas dit en désaccord avec la conclusion du premier ERAR selon laquelle la situation au Pakistan n’avait pas changé de façon significative depuis la décision de la SPR; de même, les éléments de preuve n’indiquent pas que la situation a changé entre le premier et le deuxième ERAR. Comme une demande d’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision rendue par la SPR, je suis d’avis qu’on ne peut faire obstacle au deuxième ERAR pour ce motif (Raza, au paragraphe 12).

VI.             Conclusion

[34]           Je suis satisfait que l’agent a conclu d’une manière raisonnable que les nouveaux éléments de preuve du demandeur au sujet du risque ne dissipaient pas la décision de la SPR, y compris en ce qui a trait à la raisonnabilité. Les parties n’ont pas relevé de questions aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3935-15

 

INTITULÉ :

EHTISHAM-UL HAQ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE :

LE 1er AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

Cheryl Robinson

 

Pour le demandeur

 

Neeta Logsetty

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cheryl Robinson

Avocate-procureure

Desloges Law Group

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.