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Date : 20160405


Dossier : T-841-15

Référence : 2016 CF 376

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MARCO FONTAINE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. 1985, ch. F-7), qui conteste une décision d’un agent de la Direction de l’intégrité du Programme de passeport de Citoyenneté et Immigration Canada (la Direction du Programme de passeport ou l’Agence) de révoquer le passeport du demandeur et de lui refuser les services de passeport jusqu’au 19 mars 2018. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision afin que l’affaire soit renvoyée aux fins d’une nouvelle décision.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Le 8 octobre 2010, le demandeur a remis son passeport délivré en février 2010 [le passeport de 2010] à la Sûreté du Québec en vue de se conformer à une condition liée à son engagement daté du 1er octobre 2010. La Sûreté du Québec a fourni un reçu au demandeur en échange de son passeport de 2010.

[4]               Le 21 février 2013, le demandeur a présenté une demande au bureau des passeports de Montréal accompagnée d’une déclaration indiquant qu’il avait vu son passeport de 2010 pour la dernière fois le 1er juillet 2012 et croyait donc l’avoir perdu. En raison de cette demande et de cette déclaration, le bureau des passeports de Montréal a délivré un nouveau passeport au nom du demandeur le 19 mars 2013 [le passeport de 2013].

[5]               Le 28 février 2014, la Sûreté du Québec a envoyé le passeport de 2010 du demandeur à la Direction du Programme de passeport et, le 9 octobre 2014, la Direction du Programme de passeport a été informée que le demandeur avait remis son passeport dans le cadre d’une condition.

[6]               Le 22 octobre 2014, la Direction du Programme de passeport a envoyé une lettre au demandeur l’informant qu’il faisait l’objet d’une enquête en lien avec son passeport de 2013. La lettre a été renvoyée à l’expéditeur le 28 octobre 2014.

[7]               Une seconde lettre, adressée au demandeur, a été envoyée à l’adresse du frère de ce dernier le 30 octobre 2014, après une conversation entre un enquêteur du Programme de passeport et le frère du demandeur au cours de laquelle le frère a mentionné qu’ils habitaient ensemble. La lettre visait à informer le demandeur que l’Agence enquêtait sur lui concernant des renseignements qui lui permettaient de croire qu’il avait fourni des renseignements faux ou trompeurs pour obtenir son passeport de 2013. Dans cette même lettre, l’Agence a encouragé le demandeur à lui fournir des renseignements compensatoires au plus tard le 14 décembre 2014, si tant est qu’ils existent.

[8]               Le 19 janvier 2015, le demandeur et un enquêteur ont eu une conversation téléphonique au cours de laquelle le demandeur a reconnu avoir reçu la lettre datée du 30 octobre 2014. Le demandeur a également indiqué qu’il remettrait le passeport de 2013, ce qu’il a fait le 21 janvier 2015.

[9]               Le 5 février 2015, la Direction du Programme de passeport a envoyé une seconde lettre au demandeur l’informant qu’elle n’avait pas reçu de réponse à sa lettre datée du 30 octobre 2014 et qu’une décision serait rendue sous peu. La décision définitive a été rendue le 22 avril 2015.

II.                Décision contestée

[10]           La Direction du Programme de passeport a finalement conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait suffisamment de renseignements pour conclure que le demandeur avait obtenu son passeport de 2013 au moyen de renseignements faux ou trompeurs. En conséquence, l’Agence a révoqué le passeport de 2013 du demandeur aux termes de l’alinéa 10(2)d) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86 [le Décret sur les passeports]. L’agent a également imposé une période de cinq ans de refus de services de passeport débutant le 19 mars 2013 aux termes de l’article 10.2 du Décret sur les passeports.

III.             Cadre législatif

[11]           Les dispositions suivantes du Décret sur les passeports sont applicables en l’espèce :

10 (1) Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut révoquer un passeport pour les mêmes motifs que ceux qu’il invoque pour refuser d’en délivrer un.

10 (1) Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for the greater certainty, the Minister may revoke a passport on the same grounds on which he or she may refuse to issue a passport.

 

(2) Il peut en outre révoquer le passeport de la personne :

(2) In addition, the Minister may revoke the passport of a person who

 

d) qui a obtenu le passeport au moyen de renseignements faux ou trompeurs;

(d) has obtained the passport by means of false or misleading information; or

 

10.2 (1) Dans le cas où le ministre refuse de délivrer un passeport ou en révoque un pour un motif autre que celui visé à l’alinéa 9(1)g), il peut refuser, pour le même motif, de fournir des services de passeport pendant une période d’au plus dix ans.

 

10.2 (1) If the Minister refuses to issue or revokes a passport, on any grounds other than the one set out in paragraph 9(1)(g), he or she may refuse on those same grounds to deliver passport services for a maximum period of 10 years.

IV.             Questions en litige

[12]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

1.      Y a-t-il eu un manquement aux exigences liées à l’équité procédurale?

2.      La décision de révoquer le passeport de 2013 du demandeur et de lui imposer un refus de services de passeport pendant une période de cinq ans était-elle raisonnable?

V.                Norme de contrôle

[13]           Les décisions rendues par la Direction du Programme de passeport sont examinées selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Villamil c. Canada (Procureur général), 2013 CF 686, au paragraphe 30. La norme de contrôle appropriée pour les questions liées à l’équité procédurale est celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43.

VI.             Analyse

A.                Y a-t-il eu un manquement aux exigences liées à l’équité procédurale?

[14]           Le critère lié à l’équité procédurale n’est pas élevé, comme l’indique le juge Noël dans la décision Kamel c. Canada (Procureur général), 2008 CF 338, au paragraphe 72 :

Il suffit que l’enquête comporte la communication à l’intéressé des faits qui lui sont reprochés et de l’information colligée dans le cours de l’enquête, lui donne la possibilité d’y répondre pleinement et lui fasse savoir les objectifs visés par l’enquêteur; enfin, il faut que le décideur puisse disposer de tous les éléments pour prendre une décision éclairée. Le BPC a-t-il respecté ces principes au cours de l’enquête?

[Non souligné dans l’original.]

[15]           Je conclus qu’il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale. Le demandeur a reconnu avoir reçu la lettre du 30 octobre 2014. Toute indication qu’il n’a pas reçu la lettre est contredite par le fait qu’il a remis son passeport de 2013 par la suite. Par ailleurs, il a été informé après la remise de son passeport de 2013 qu’il devait répondre à la lettre, et il n’a rien fait avant que la décision soit rendue deux mois plus tard.

[16]           De plus, son affirmation selon laquelle il avait oublié qu’il avait remis son passeport de 2010 à la police dans le cadre des conditions dont est assorti son engagement lorsqu’il a fait sa déclaration le 21 février 2013 manque complètement de vraisemblance, au point où cela mine la crédibilité qu’il pourrait avoir pour appuyer son affirmation selon laquelle il ne savait pas qu’il faisait l’objet d’une plainte. De même, il est également peu vraisemblable que le demandeur n’ait pas été informé par son frère si ce dernier avait reçu la lettre. Je conclus également que les observations de rumeurs répréhensibles dans l’affidavit du ministre sont sans fondement dans le cadre des présentes procédures administratives, en particulier dans le contexte du comportement du demandeur.

[17]           En tout état de cause, même s’il y avait certaines préoccupations concernant les échecs de justice en matière de procédure, je suis d’accord avec l’affirmation du défendeur selon laquelle l’explication du demandeur quant à l’oubli qu’il avait remis son ancien passeport à la police n’aurait pas d’incidence sur le résultat, dans la mesure où les articles 10 et 10.2 du Décret sur les passeports n’exigent pas de preuve de l’intention de frauder ou de tromper : Mbala c. Canada (Procureur général du Canada), 2014 CF 107, paragraphe 20.

B.                 La décision de révoquer le passeport de 2013 du demandeur et de lui imposer un refus de services de passeport pendant une période de cinq ans était-elle raisonnable?

[18]           Dans le même ordre d’idée, il n’y a aucun point en litige quant au fait que le demandeur a fourni des renseignements faux ou trompeurs quand il a déclaré qu’il avait perdu son passeport de 2010. Par conséquent, la décision était raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont l’agent a été saisi, notamment :

  • une déclaration datée du 21 février 2013 signée par le demandeur indiquant qu’il avait perdu son passeport de 2010;
  • un courriel de la Sûreté du Québec daté du 9 octobre 2013 indiquant que le demandeur avait remis son passeport de 2010 à la Sûreté du Québec dans le cadre des conditions dont est assorti son engagement;
  • une copie de l’engagement du demandeur daté du 26 février 2010, qui comprenait l’exigence de remettre son passeport pour s’assurer qu’il ne quitterait pas le pays;
  • le passeport de 2010 fournit par la Sûreté du Québec.

[19]           Je conclus également que l’imposition d’une période de cinq ans de refus de services de passeport au demandeur, qui est plus que raisonnable dans les circonstances, est à la discrétion du décideur du Programme de passeport. Il est à noter qu’en fixant le délai à partir de la date à laquelle la déclaration inexacte a été faite, la période de suspension de services est de seulement trois ans, alors qu’elle aurait pu commencer à la date à laquelle le passeport obtenu de manière frauduleuse a été remis à la Direction du Programme de passeport.

VII.          Conclusion

[20]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-841-15

INTITULÉ :

MARCO FONTAINE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2016

COMPARUTIONS :

Marco Fontaine

Pour le demandeur

(EN SON PROPRE NOM)

Leila Jawando

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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