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Date : 20160401


Dossier : IMM-4127-15

Référence : 2016 CF 373

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

SALIU DEEN BAH

ALIAS ATTOUMANI BAROUFOUDINE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur est entré au Canada, en provenance de la Grande-Bretagne, le 27 août 2015.  Il disait vouloir visiter le Canada pour une période de 14 jours et il était muni d’un passeport français émis au nom de Baroufoudine Attoumani, né le 6 septembre 1981.  Confronté au fait qu’il recevait des messages textes destinés à un certain Saliou Bah et qu’il ne paraissait pas avoir l’âge indiqué sur le passeport, le demandeur a continué à prétendre que ledit passeport était bien le sien.  Comme, au surplus, il ne connaissait rien sur son pays d’origine, l’île de Mayotte, un département français outre-mer situé dans l’océan indien, une mesure d’exclusion a été émise sur le champ par un agent d’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) au motif que le demandeur n’avait pas établi son identité de façon satisfaisante.  Estimant que le demandeur présentait un risque de fuite, il a été mis en détention.

[2]               Le 31 août 2015, lors d’un contrôle de détention, le demandeur a allégué qu’il se nommait effectivement Saliou Bah, qu’il était de nationalité Guinéenne, et non française, et qu’il était né non pas en septembre 1981, mais plutôt le 3 mai 1998, ce qui en ferait un mineur.

[3]               Le demandeur conteste, au moyen de la présente demande de contrôle judiciaire instituée en vertu de l’article 72 de la Loi, la mesure d’expulsion prononcée contre lui au motif que seule la Section de l’immigration pouvait émettre une telle mesure compte tenu qu’il serait âgé de moins de 18 ans.

[4]               Cette prétention ne peut réussir.

[5]               S’il est vrai qu’aux termes de l’article 228 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, une mesure d’expulsion ne peut être prononcée que par la Section de l’immigration lorsque la personne visée est âgée de moins de 18 ans et qu’elle n’est pas accompagnée par un parent ou un adulte qui en est légalement responsable, encore faut-il que les conditions donnant ouverture à l’argument de juridiction soient réunies.

[6]               À cet égard, deux difficultés se dressent face aux prétentions du demandeur.  D’une part, comme le souligne le défendeur, au moment où la mesure d’expulsion a été prononcée, le demandeur se présentait, avec insistance d’ailleurs, comme une personne née en 1981, ce qui en faisait un adulte âgé de 33 ans.  Sur la foi de ces représentations, l’émission de la mesure d’expulsion était une affaire relevant de la compétence de l’agent d’application de la Loi, et non de la Section de l’immigration.  En d’autres termes, la condition nécessaire au transfert de la compétence vers la Section de l’immigration était alors, du fait même du demandeur, non satisfaite.  Sur le plan des faits, aucun reproche ne pouvait donc être adressé à l’agent d’application de la Loi et sur le plan du droit, l’intégrité du partage juridictionnel établi par la Loi était alors respectée.  Le demandeur ne pouvait espérer obtenir une chose et son contraire.

[7]               D’autre part, dans la mesure où le demandeur invite la Cour à considérer, ex post facto, l’argument de juridiction, c'est-à-dire en fonction de sa prétendue nouvelle identité, révélée dans les jours qui ont suivi le prononcé de la mesure d’expulsion, l’argument, à supposer qu’il soit juridiquement possible, doit aussi échouer, cette nouvelle identité n’ayant toujours pas été établie.  Je rappelle que l’identité demeure la pierre d’assise du régime canadien d’immigration puisque c’est sur l’identité que reposent les questions telles que l’admissibilité au Canada, l’évaluation du besoin de protection, l’appréciation d’un éventuel danger pour la sécurité publique, ou les risques de voir l’intéressé se soustraire aux contrôles officiels (Canada (Ministre de la de Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2004 CF 1634, au para 38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c X, 2010 CF 1095, au para 23, 375 FTR 204).

[8]               Or, ici, la théorie du demandeur repose sur le fait que son statut de mineur aurait été reconnu par les autorités canadiennes tel qu’en fait foi, selon lui, sa détention dans des quartiers réservés aux mineurs de même que les commentaires de la Commissaire de la Section de l’immigration ayant présidé au contrôle de détention du 16 septembre 2015 (la Commissaire), à l’effet que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne contestait pas ce statut.

[9]               Cette théorie ne résiste pas à l’analyse.  Dans un premier temps, les commentaires attribués à la Commissaire ayant présidé au contrôle de détention du 16 septembre 2015 apparaissent dans une transcription maison, présentée sous forme d’un affidavit souscrit par une avocate provenant présumément du même bureau que le procureur du demandeur.  Or, cet affidavit ne reproduit que partiellement l’audition relative audit contrôle de détention et que les seuls propos attribués à la Commissaire.  On y retrouve donc aucune trace de ce qu’ont pu dire les représentants de l’ASFC ou encore ceux du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration lors de cette audition.  Il n’existe, en somme, aucune preuve un tant soit peu probante de l’admission attribuée à l’ASFC.  Au surplus, je note, des propos attribués à la Commissaire, l’utilisation quasi constante du conditionnel lorsqu’il est question de l’âge du demandeur (« vous n’auriez pas encore 18 ans », « parce que vous seriez un mineur », « M. Bah serait un mineur », « M. Bah n’aurait pas 18 ans »).  Ce temps de verbe traduit davantage une hypothèse qu’un fait accompli.

[10]           Dans un deuxième temps, l’inférence que tire le demandeur des propos attribués à la Commissaire est incompatible avec les conditions de libération imposée par cette même Commissaire au terme de ce contrôle de détention.  Suivant la preuve au dossier, le demandeur, comme condition de sa libération, devait, notamment, se rapporter à l’ASFC une fois par semaine jusqu’à ce que son identité soit établie.  Cette inférence me paraît aussi difficilement réconciliable avec le fait que l’ASFC a commandée une expertise au sujet de l’authenticité de la Carte d’identité nationale soumise par le demandeur le 22 septembre 2015, donc une fois sa remise en liberté conditionnelle ordonnée, pour prouver qu’il est bien, comme il le prétend, Saliu Bah, né le 3 mai 1998 en Guinée.  Cette expertise, dont les résultats n’ont été connus que tard en décembre 2015, a révélé que ce document avait été altéré par le remplacement de la page des données biographiques.  Pour que l’ASFC soit convaincue de l’âge du demandeur, encore lui fallait-il être convaincu de son identité.  L’un, il me semble, ne va pas sans l’autre.  De toute évidence, l’ASFC ne l’était pas et selon la preuve au dossier, ne l’est toujours pas.  D’ailleurs, au moment de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire le 25 février dernier, cette question n’était toujours pas résolue.

[11]           Bref, suivant la preuve au dossier, la véritable identité, et, par le fait même, l’âge du demandeur, n’avait toujours pas été établie au moment où le demandeur a été placé en détention le 27 août 2015 et ne l’était toujours pas lors du contrôle de détention, présidée par la Commissaire, tel qu’en font foi les conditions de libération imposées au demandeur et les démarches entreprises subséquemment par l’ASFC en vue de vérifier les documents d’identité fournis par celui-ci.

[12]           Dans ce contexte, il n’est ni plausible ni logique d’imputer à l’ASFC une quelconque reconnaissance du statut de mineur revendiqué par le demandeur.  En ce sens, je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme que c’est par pure précaution, c'est-à-dire au cas où le demandeur devait réussir à établir sa véritable identité, et par le fait même, son âge véritable, qu’il a été détenu dans les quartiers réservés aux mineurs.

[13]           Le demandeur ne m’a donc pas convaincu qu’il y a lieu d’intervenir et de casser la mesure d’expulsion prononcée contre lui le 27 août 2015.

[14]           Les parties conviennent qu’il n’y a pas matière, en l’espèce, à certifier une question pour la Cour d’appel fédérale.  Je suis aussi de cet avis.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4127-15

INTITULÉ :

SALIU DEEN BAH ALIAS ATTOUMANI BAROUFOUDINE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 février 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 1er avril 2016

COMPARUTIONS :

Me Vincent Desbiens

Pour le demandeur

Me Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés, Avocats

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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