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Date : 20160411


Dossier : IMM-4803-15

Référence : 2016 CF 403

Ottawa, Ontario, le 11 avril 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

AVTAR SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 26 octobre 2015 par un agent d’exécution de la loi [agent], rejetant la demande de sursis administratif présentée par le demandeur, qui cherchait à obtenir le report de son renvoi vers l’Inde, lequel devait avoir lieu le 1er novembre 2015.

[2]               Rappelons que l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] prescrit :

48 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

48 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

 

[Soulignements ajoutés]

 

[Emphasis added]

[3]               En l’espèce, le seul motif de report qu’invoquait le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi – qui était légalement exécutoire – était sa condition médicale particulière. Selon l’avis de son médecin traitant, le demandeur ne devait pas prendre l’avion pendant au moins quatre mois : « This patient has been followed for hypertension and cardiac problems. His medication has not stabilized and he is still undergoing investigation. He is not fit to fly for the next 4-6 months ». Il n’empêche, l’agent a préféré l’opinion d’un médecin de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], qui estimait que le demandeur pouvait au contraire voyager en avion.

[4]               Le 30 octobre 2015, la Cour a accepté de sursoir à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue concernant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire : Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1235. Mon collègue, le juge Harrington, note aux paragraphes 7 et 8 de sa décision :

J’estime que la santé de M. Singh représente une question sérieuse. Celui-ci pourrait subir des préjudices irréparables, comme faire une crise cardiaque ou mourir, s’il prenait deux vols pour se rendre de Montréal, le 1er novembre, à Delhi, le 3 novembre. La prépondérance des inconvénients le favorise. D’une part, le fait d’attendre l’issue des examens de suivi de M. Singh ne présente pas d’inconvénients sérieux pour le gouvernement; d’autre part, il n’y a pas plus grand inconvénient que la mort.

Pendant les observations de vive voix, j’ai renvoyé à deux décisions que j’ai rendues qui sont assez semblables à l’affaire, et dans les deux cas, un sursis avait été accordé. Voir Solmaz c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 951 et Tobin c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 325. La présente affaire constitue véritablement un cas où il est préférable de maintenir le statu quo jusqu’à ce que soient connus les résultats de l’épreuve d’effort de M. Singh.

[5]               Plus de quatre mois se sont écoulés depuis que la mesure de renvoi a fait l’objet d’un sursis. De façon préliminaire, le défendeur soumet donc que le demandeur a obtenu le remède qu’il recherchait et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce qu’elle est aujourd’hui académique (Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 490 au para 43 et jurisprudence citée dans ce paragraphe). De son côté, le demandeur – qui se fonde sur l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron] – prétend que le débat n’est pas académique. À l’audition, j’ai décidé d’entendre les arguments des procureurs sur le mérite, tout en réservant la possibilité de rejeter la demande pour le motif préliminaire soulevé par le défendeur.

[6]               Les faits du présent dossier sont différents de ceux dans Baron, où la Cour d’appel fédérale (le juge en chef Blais étant dissident sur la question du caractère théorique) a décidé que la décision de l’agente d’exécution de refuser de reporter le renvoi des appelants du Canada était raisonnable et que sa décision devait être confirmée. En appel, tant les appelants que le défendeur étaient d’accord pour dire que le litige n’était pas théorique et que la juge de première instance (la juge Dawson telle qu’elle était alors) avait commis une erreur de droit en rejetant la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle était théorique et en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire. À ce chapitre, les parties faisaient valoir « qu’il existe toujours un litige actuel entre eux et que ce n’est pas le fait que la date prévue pour le renvoi […] soit passée qui rend la demande théorique ». Ce faisant, les juges majoritaires (Nadon et Desjardins) ont estimé qu’il fallait répondre à la « question de savoir si les appelants doivent être renvoyés avant que ne soit tranchée leur demande CH ».

[7]               Depuis l’affaire Baron, le droit est clair : compte tenu de la discrétion limitée d’un agent d’exécution de la loi, la simple existence d’une demande CH n’est pas un motif de report en lui-même, bien que l’agent puisse néanmoins reporter le renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande CH, s’il y a des indications au dossier qu’une telle décision est imminente (Laguto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1111 aux paras 39-41; Kampemana c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1060 aux paras 33-34, ainsi que la jurisprudence citée dans ces paragraphes). En l’espèce, le demandeur est arrivé au Canada le 17 juillet 2007 après avoir obtenu un visa canadien. Or, le demandeur a épuisé tous les recours qu’il possède en vertu de la Loi et il n’y a aucune demande pour considérations humanitaires [CH] pendante, et il n’existe autre motif – nous reviendrons sur le motif médical particulier qu’invoquait le demandeur – pouvant actuellement autoriser un agent de différer le renvoi du demandeur (par exemple, la nécessité de procéder à une évaluation des risques avant le renvoi).

[8]               Qu’à cela ne tienne, le demandeur invite la Cour à casser la décision du 26 octobre 2015 et à retourner la demande de report de renvoi à un autre agent d’exécution de la loi pour redétermination. Essentiellement, le demandeur soutient que lorsque la vie d’une personne est en danger, l’agent doit différer le renvoi, ce qui est le cas lorsqu’une personne souffre d’une condition médicale rendant la personne inapte à prendre l’avion. Puisque l’agent ne possède aucune expertise médicale, le demandeur ne conteste pas le fait que ce dernier puisse solliciter l’avis d’un médecin de l’ASFC (Gonzalez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1178 aux paras 15-18). Toutefois, dans le cas sous étude, le demandeur soumet que l’agent n’a pas convenablement expliqué dans la décision contestée pourquoi il accordait un poids plus grand à l’opinion du médecin de l’ASFC, qui se fonde seulement sur une révision du dossier médical du demandeur. Du plus, ce dernier n’a pas tenu compte du fait que le voyage en avion pour se rendre en Inde prend deux jours, ce qui aggrave les risques pour le demandeur.

[9]               La présente demande est académique. Il est bien établi que l’agent de l’exécution de la loi possède un pouvoir discrétionnaire limité pour différer l’exécution d’une mesure de renvoi, alors que la norme de contrôle de cette décision est celle de la raisonnabilité. Même si l’agent aurait dû, comme le prétend le demandeur, considérer que le demandeur était inapte à voyager en avion, il ne pouvait indéfiniment différer son renvoi, et si l’on accepte qu’il aurait dû référer le renvoi pour quelques mois, il ne pouvait le faire au-delà de la période de quatre à six mois mentionnée dans l’opinion médicale du médecin traitant.

[10]           Lorsqu’il n’existe plus de litige actuel, qui puisse avoir des conséquences pratiques sur les droits des parties, un recours judiciaire devient théorique. En pareil cas, trois facteurs peuvent être pris en compte pour déterminer si un tribunal devrait quand même se pencher sur le fond : l’existence d’un débat contradictoire; l’économie des ressources judiciaires; le rôle des tribunaux judiciaire dans l’élaboration du droit et le non-empiètement avec la fonction législative (Borowski c Canada (Procureur Général), [1989] 1 RCS 342). Même s’il y a eu un débat contradictoire au sujet de la raisonnabilité de la décision de l’agent, l’économie des ressources judiciaires milite contre l’exercice de ma discrétion judiciaire de décider du mérite de la demande, tandis qu’au niveau du rôle de la Cour fédérale dans l’élaboration du droit, aucune question de droit de portée générale n’a été vraiment débattue par les parties, comme c’était le cas dans Baron.

[11]           Le passeport indien du demandeur est expiré depuis fort longtemps, de sorte que le demandeur ne peut être renvoyé dans son pays sans un autre document de voyage valide. Le problème pratique, c’est que le document de voyage émis en septembre 2015 par le Haut-commissariat de l’Inde contenait une date de péremption, le 16 décembre 2015, qui est maintenant passée. Donc, il pourrait encore s’écouler quelques mois avant que la mesure de renvoi puisse être exécutée. Étant donné que le demandeur n’a pas pris l’avion pour l’Inde le 1er novembre 2015, force est de conclure que la question de savoir si les droits reconnus par l’article 7 de la Charte étaient engagés, est une question hypothétique. D’ailleurs, on ne sait toujours pas aujourd’hui si le demandeur souffre encore d’hypertension – il prend des médicaments pour stabiliser sa condition depuis plusieurs mois maintenant – et on ignore totalement quelle est la condition médicale actuelle du demandeur. Que vaudrait donc l’opinion de cette Cour à partir d’un dossier médical périmé?

[12]           Car, ce que conteste véritablement le demandeur, c’est l’appréciation de la preuve médicale au dossier faite ici par l’agent. En l’espèce, le demandeur a soumis à l’appui de sa demande une lettre émise par son médecin traitant indiquant qu’il faisait de l’hypertension et qu’il avait des problèmes cardiaques, que ses médicaments n’avaient pas encore stabilisé son hypertension et qu’il devait subir d’autres examens (en particulier un Exercice Stress Test). Puisque le demandeur n’a pas été renvoyé du Canada, on peut s’attendre que les résultats de l’épreuve d’effort en question, ainsi que tout autre test sanguin qu’il a pu avoir durant les quatre mois passés, sont maintenant connus de son médecin traitant. Par le temps qu’une nouvelle date de renvoi pourra être fixée, les opinions médicales antérieures du médecin traitant et du médecin de l’ASFC n’auront aucune valeur à moins d’être actualisées. Le jugement que pourrait rendre la Cour aujourd’hui sur le mérite serait donc à tous égards superfétatoire et n’aurait aucun effet pratique sur les droits des parties (Solis Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 171 aux paras 5-6; Hakeem c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1302 aux paras 8-14; Banga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1332 aux paras 1-2).

[13]           Au risque de me répéter, peu importe l’issue au mérite de la demande de contrôle judiciaire – qu’elle soit accueillie ou rejetée par la Cour – tout sera à recommencer devant un autre agent. La Cour accueille donc l’objection préliminaire du défendeur et rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Les procureurs conviennent qu’aucune question grave de portée générale ne se soulève dans le présent dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée à cause de son caractère académique. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4803-15

 

INTITULÉ :

AVTAR SINGH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Quebec

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Alain Vallières

 

pour le demandeur

Me Andréa Shahin

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alain Vallières

Avocat

Montréal, Quebec

 

pour le demandeur

William F. Pentney

Deputy Attorney General of Canada

Montréal, Quebec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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