Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160408


Dossier : T-1157-13

Référence : 2016 CF 392

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SUNRIDGE GOLD CORP.

appelante/tierce-saisie

et

DELIZIA LIMITED

intimée/créancière saisissante

et

ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS


I.                   Nature de l’affaire et résumé du jugement

[1]               Il s’agit d’un appel à l’encontre de la décision rendue par le protonotaire Morneau [protonotaire] en date du 9 janvier 2015 qui accordait une ordonnance définitive de saisie-arrêt en faveur de la créancière judiciaire de l’intimé, Delizia Limited [Delizia] contre la tierce-saisie, Sunridge Gold Corporation [Sunridge], relativement aux créances échues alléguées de l’appelante, Sunridge, envers le créancier judiciaire, l’État de l’Érythrée [Érythrée].

[2]               En guise de contexte, Delizia a obtenu un jugement arbitral contre l’Érythrée. Ultérieurement, Delizia a présenté une requête ex parte pour enregistrer ce jugement auprès de la Cour aux fins d’exécution, enregistrement qui a été accordé le 17 juillet 2013. Sur réception d’une autre requête ex parte, le protonotaire a accordé à Delizia une ordonnance provisoire de saisie-arrêt [techniquement, une ordonnance de saisie-arrêt aux fins de justification, mais par souci d’uniformité avec la décision visée par l’appel, ci-après OPSA Sunridge] contre Sunridge, datée du 31 juillet 2013. Après une autre audience, cette fois ayant entendu de Sunridge, le protonotaire a accordé à Delizia une ordonnance définitive de saisie-arrêt [ODSA Sunridge] contre Sunridge, datée du 9 janvier 2015, qui fait l’objet du présent appel. La juge Kane a suspendu l’ODSA Sunridge en attendant le présent appel en vertu d’une ordonnance datée du 31 juillet 2015.

[3]               Le présent appel a été entendu en même temps qu’un appel présenté par une autre tierce-saisie nommée par Delizia : Nevsun Resources Ltd. [Nevsun]. L’affaire Sunridge et l’affaire Nevsun ont été entendues sous le même numéro du greffe, mais ont été plaidées séparément, et sont traitées séparément ci-après. En conséquence, le présent jugement porte uniquement sur l’affaire Sunridge; l’appel Nevsun est entendu séparément sous le même numéro du greffe.

[4]               Pour les raisons données ci-dessous, le présent appel est accueilli, et l’OPSA Sunridge et l’ODSA Sunridge sont annulées. L’appel concernant diverses ordonnances de communication est rejeté.

II.                Les faits

A.                Contrat entre Delizia et l’Érythrée

[5]               Delizia, une entreprise établie à Chypre, a conclu un marché pour vendre du matériel aérien militaire à l’Érythrée en 2003. L’Érythrée n’a pas payé une somme due. Conformément aux dispositions de leur contrat, Delizia a entrepris une procédure arbitrale contre l’Érythrée devant l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm [IACCS]. Même si Delizia a déposé de nombreux documents auprès du tribunal d’arbitrage, l’Érythrée n’a pas pleinement collaboré à ces procédures et a finalement décidé de ne plus y participer.

[6]               Le tribunal d’arbitrage dûment convoqué de l’IACCS a par la suite accordé à Delizia [décision arbitrale] 2 175 775 $ US le 18 avril 2006, assorti d’un taux d’intérêt de 6 % à compter du 31 janvier 2005 ainsi que les frais d’arbitrage avec intérêt à compter du 18 avril 2006. Cette décision totalisait 4 062 428,70 $ CA à la date d’inscription du jugement étranger à la Cour.

[7]               La validité de la décision arbitrale n’est pas contestée.

B.                 Sunridge et la mine Asmara en Érythrée

[8]               Sunridge a été constituée en personne morale en 1983 en vertu des lois de la Colombie-Britannique; il s’agit d’une société canadienne cotée en bourse à la Bourse de croissance TSX. Sunridge a adopté son nom actuel en 2002. Les activités de Sunridge sont centrées sur l’exploration et la mise en valeur du minerai. L’entreprise participe à l’acquisition, à l’exploration, à la découverte et à la mise en valeur de gisements de métaux communs et précieux en Afrique de l’Est.

[9]               Depuis 2003, Sunridge a concentré ses activités sur l’exploration et la mise en valeur d’une mine particulière dans la région d’Asmara de l’État de l’Érythrée, connue sous le nom de mine Asmara. En 2003, Sunridge a conclu un accord de coentreprise avec une société australienne au sujet de la mine Asmara. Par la suite, Sunridge a décidé de racheter les intérêts de la société australienne dans sa coentreprise.

[10]           Vers l’année 2006, au moment de négocier le rachat des intérêts de la société australienne et d’acquérir le titre exclusif des permis d’exploration nécessaires de la mine Asmara, Sunridge a été informée d’une exigence du ministère de l’Énergie et des Mines de l’Érythrée, à savoir que Sunridge ouvre un bureau en Érythrée comme condition préalable à l’approbation par le Ministère de l’acquisition des permis d’exploration par Sunridge. À cette date, Sunridge croyait également comprendre que l’Érythrée exigeait un contrôle local des entreprises minières en activité sur le territoire de l’Érythrée.

[11]           Après le 15 juillet 2005, Sunridge a ouvert une « succursale » en Érythrée, Sunridge Gold Eritrea [SGE], conformément aux exigences du gouvernement de l’Érythrée. Il s’agissait d’une véritable succursale de Sunridge en ce sens qu’elle ne possédait pas une entité juridique distincte de Sunridge elle-même. Autrement dit, la succursale de Sunridge était tout simplement Sunridge qui exploitait une entreprise sous un nom différent [SGE] en Érythrée.

[12]           En janvier 2006, Sunridge a complété l’achat, la cession et le transfert des permis d’exploration relativement à la mine Asmara de la société australienne. La transaction a été approuvée par le ministre de l’Énergie et des Mines de l’Érythrée en 2007.

[13]           La Proclamation 68/1995 de l’Érythrée (une proclamation visant à promouvoir la mise en valeur des ressources minérales) indique que l’Érythrée peut acquérir une participation de 10 % dans chaque exploitation minière comme celle proposée par Sunridge, essentiellement sur demande. Cette proclamation prévoit en outre que l’Érythrée peut acquérir un capital-action supplémentaire par entente. De plus, en conformité du droit érythréen concernant les projets miniers, une entité distincte (notamment Asmara Mining Share Company [AMSCo]) peut être constituée en personne morale, le contrôle étant exercé par un actionnaire érythréen.

C.                 Convention des actionnaires entre Sunridge et ENAMCo

(1)               Émission des actions et propriété

[14]           Sur cette toile de fond réglementaire et factuelle, Sunridge, par l’entremise de sa succursale en Érythrée (c.-à-d., Sunridge) a conclu une Convention des actionnaires en 2012 avec Eritrea National Mining Corporation [ENAMCo], une entreprise de l’État de l’Érythrée, pour créer une société minière en coentreprise qui serait nommée AMSCo dans le but de mettre en valeur la mine Asmara. ENAMCo est l’alter ego de l’Érythrée.

[15]           La Convention des actionnaires décrivait les droits et obligations de chacune des parties dans la mise en valeur de la mine Asmara. Conformément aux dispositions de la Convention des actionnaires et comme l’autorisait le droit érythréen, ENAMCo a exercé le 4 juillet 2012 son option d’acquérir 40 % des actions d’AMSCo, une entreprise à constituer en personne morale dans l’avenir. ENAMCo devait obtenir une participation de 10 % dans AMSCo, sans frais, conformément à la Proclamation de l’Érythrée, et l’a fait en tant que l’alter ego de l’Érythrée. ENAMCo a également convenu de payer à Sunridge 18,3 millions de dollars US pour acquérir une tranche additionnelle de 30 % des actions d’AMSCo, dont elle ferait l’acquisition après la constitution en personne morale de la coentreprise, AMSCo. Sunridge devait acquérir 60 % des actions d’AMSCo encore une fois à même les actions autodétenues d’AMSCo et [traduction] « au moment de la création et de la constitution en personne morale » d’AMSCo. Pour sa part, Sunridge devait entre autres transférer les permis d’exploration et d’autres actifs qui lui appartenaient, notamment l’équipement et les données sur les ressources minérales dans la coentreprise. AMSCo devait être créée après la signature de la Convention des actionnaires, et devait être constituée en personne morale pour amorcer la production et l’exploitation de la mine Asmara.

[16]           Il est important de souligner que l’acquisition des actions par la filiale de Sunridge et par ENAMCo se ferait uniquement après la constitution en personne morale d’AMSCo.

[17]           AMSCo a été constituée en personne morale en vertu des lois de l’Érythrée le 1er octobre 2014. Après sa constitution en personne morale, AMSCo a émis des actions à même ses actions autodétenues, comme suit : 40 % à ENAMCo et 60 % à une filiale de Sunridge.

[18]           En conséquence, AMSCo appartient indirectement à 60 % à Sunridge, et à 40 % à ENAMCo. La participation de Sunridge dans le projet minier d’Asmara et les avoirs inter-sociétés de Sunridge sont résumés dans le tableau suivant :

[19]           Il est pratique courante en Érythrée que les projets miniers soient mis en valeur de cette façon, c.-à-d. en achetant une société érythréenne comme AMSCo, pour détenir le titre de tous les permis, licences et actifs principaux, et pour que ENAMCo soit un actionnaire dans cette entreprise.

[20]           Je conclus que Sunridge a toujours compris et entendu, depuis son acquisition des permis d’exploration en 2006, que la mise en valeur du projet minier Asmara serait ainsi structurée. Sunridge a acquis le titre exclusif des permis d’exploration en 2006. L’Érythrée a approuvé la cession en avril 2007.

(2)               Disposition prévoyant une supermajorité dans la Convention des actionnaires

[21]           La Convention des actionnaires entre Sunridge et ENAMCo comporte des dispositions relatives à une supermajorité qui exige qu’un grand nombre, sinon la totalité, de toutes les grandes décisions soient approuvées par au moins 80 % des actionnaires d’AMSCo. Les questions qui nécessitent l’approbation des actionnaires à 80 % comprennent notamment ce qui suit :

i.                    approbation des budgets et des plans d’affaires;

ii.                  conclusion de partenariats ou de coentreprises avec des tierces parties;

iii.                dépenses au-delà de 200 000 $ US;

iv.                conclusion de contrats importants;

v.                  embauche ou congédiement de dirigeants clés.

[22]           À mon avis, ces dispositions relatives à une supermajorité donnaient à l’Érythrée, par l’entremise d’ENAMCo, un degré de contrôle très significatif et important sur la plupart, voire la totalité, des grandes décisions d’AMSCo concernant la mine Asmara.

(3)               Autres détails importants de la Convention des actionnaires concernant : AMSCo

[23]           Voici d’autres détails importants sur les rapports entre AMSCo et ENAMCo :

        AMSCo est chargée d’obtenir les licences, approbations et investissements financiers nécessaires pour développer la coentreprise Asmara en une mine;

        toutes les données relatives aux ressources minérales, tout l’équipement et toutes les propriétés associées à la coentreprise Asmara appartiendront à AMSCo;

        tous les permis et licences d’exploration requis en lien avec la coentreprise Asmara doivent être approuvés par le ministre des Mines de l’Érythrée et être détenus par AMSCo;

        En supposant que tous les permis et licences requis pour le projet Asmara soient accordés, toute obligation actuelle ou future envers l’Érythrée en lien avec le projet Asmara, y compris les obligations concernant l’impôt sur le revenu, les droits de timbre, retenues et autres taxes, les redevances, les droits de douane, les frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise, sont exclusivement les obligations d’AMSCo.

(4)               La mine Asmara n’est pas encore en production et n’est pas encore rentable

[24]           AMSCo n’est pas rentable. AMSCo n’a pas généré de recettes avant le début des présentes instances. En outre, AMSCo détient le seul actif potentiellement profitable de la structure de la société Sunridge, à savoir la mine Asmara et les permis d’exploitation minière connexes délivrés par l’Érythrée, et d’autres actifs.

D.                Créances alléguées échues ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée

[25]           Delizia revendique le droit de pratiquer une saisie-arrêt à l’égard de trois types de « créances » échues ou à échoir alléguées de Sunridge envers l’Érythrée : (1) frais des permis d’exploration minière; (2) certaines taxes retenues par des fournisseurs de services; et (3) les actions d’AMSCo émises à l’endroit d’ENAMCo. J’examinerai chacune.

(1)               Frais des permis d’exploration minière

[26]           Avant la constitution en personne morale d’AMSCo, Sunridge, par l’entremise de sa succursale locale SGE, devait à l’État de l’Érythrée certains petits montants pour les frais de permis d’exploration minière (pour 2013 et 2014, totalisant 1 694,71 $ US et 1 857,36 $ US, respectivement). Après la constitution en personne morale d’AMSCo, ces frais de permis d’exploration minière sont devenus des créances échues ou à échoir d’AMSCo envers l’État de l’Érythrée. J’ai conclu que les frais des permis d’exploration minière sont exemptés d’une saisie parce qu’ils sont essentiellement des obligations imposées par un État souverain sur ceux et celles qui exploitent une entreprise sur son territoire. Ils sont correctement classés comme étant une « activité commerciale » aux fins de la Loi sur l’immunité des États, LRC 1985, ch. S-18 [LIE].

(2)               Taxes retenues

[27]           Bien que certains paiements concernant les taxes retenues par des fournisseurs de services aient été réclamés par Delizia, le protonotaire les a jugés inadmissibles. Aucun appel n’a été interjeté et, par conséquent, ils ne sont plus examinés.

(3)               Actions autodétenues émises par AMSCo à ENAMCo

[28]           AMSCo a émis 40 % de ses actions autodétenues à ENAMCo après la constitution en personne morale d’AMSCo (10 % de ces actions étaient gratuites et 30 % ont été payées). Une question importante qui pose dans le présent appel est de savoir si ces actions constituaient une « créance » saisissable par l’OPSA et l’ODSA Sunridge, comme le prétend Delizia. Les actions n’ont été émises, et ne pouvaient l’être, qu’après la constitution en personne morale d’AMSCo. À mon avis, Sunridge ne peut avoir d’obligations envers Delizia concernant cette émission d’actions que si la Cour lève le voile corporatif qui existe de façon présomptive entre Sunridge et AMSCo. J’ai conclu que le voile corporatif ne peut être levé en l’instance et, par conséquent, les actions ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie-arrêt par Delizia.

E.                 Loi sur l’immunité des États, LRC 1985, ch. S-18 [LIE]

[29]           Conformément à la jurisprudence établie, j’ai conclu que l’OPSA et l’ODSA Sunridge sont des nullités du fait que les actes introductifs d’instance de Delizia relativement à sa demande d’ordonnance de reconnaissance, qui sous-tend à la fois l’OPSA et l’ODSA, n’ont pas été signifiés à l’État de l’Érythrée. Cette signification est obligatoire en vertu de la LIE.

F.                  Ordonnances de communication

[30]           L’ODSA Sunridge ordonnait également à Sunridge de répondre à certaines questions auxquelles elle s’opposait. À mon avis, ces objections étaient bien fondées et il n’est pas nécessaire maintenant de répondre aux questions.

G.                Historique des procédures judiciaires

(1)               Procédures en saisie-arrêt de Delizia aux États-Unis

[31]           Après l’obtention par Delizia de la décision arbitrale de l’IACCS contre l’Érythrée, Delizia a déposé une pétition pour confirmer la décision arbitrale dans une Cour de district aux États-Unis en 2009. Elle a été accordée le 5 février 2010 par jugement par défaut. Cependant, le 2 mars 2012, un juge de la Cour de district des États-Unis a conclu qu’une ordonnance définitive de saisie-arrêt ne pouvait pas être accordée parce que Delizia n’avait pas signifié correctement le jugement par défaut à l’État de l’Érythrée comme l’exige la Foreign Sovereign Immunities Act, 28 USC 97. Le tribunal américain a également fait part de ses préoccupations quant à savoir si la propriété à l’égard de laquelle Delizia voulait pratiquer une saisie-arrêt était exemptée d’une saisie-arrêt par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

(2)               Procédures en saisie-arrêt de Delizia à la Cour fédérale du Canada

(a)                Delizia obtient une ordonnance de reconnaissance ex parte

[32]           Delizia a entrepris une procédure en saisie-arrêt en Cour fédérale. Delizia a déposé une requête pour enregistrer le jugement arbitral, citant la Loi sur la convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, LRC 1985, ch. 16 (2e suppl). Elle l’a fait en déposant un avis de demande ex parte pour enregistrer un jugement étranger au sens de l’article 326 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], soit la sentence arbitrale. Ni cette demande ni l’ordonnance de reconnaissance n’ont été signifiées à l’État de l’Érythrée. L’article 326 habilite les parties à exécuter des ordonnances de saisie-arrêt à l’encontre de personnes ou d’organisations canadiennes qui ont une créance échue ou à échoir envers un créancier judiciaire.

[33]           Les documents et plaidoyers présentés à la Cour n’ont fait aucune mention d’une signification obligatoire d’actes introductifs d’instance à des États étrangers, comme l’exige l’article 9 de la LIE.

[34]           En vertu de l’ordonnance datée du 17 juillet 2013, la Cour a accordé à Delizia son ordonnance d’inscription ex parte [ordonnance de reconnaissance]. Même si l’ordonnance de reconnaissance ne reconnaît que la décision arbitrale aux fins d’exécution dans la Cour, elle précise néanmoins ce qui suit : [TRADUCTION] « [l]a pétitionnaire Delizia Limited est relevée de l’obligation conformément à l’article 334 et est, par la présente, autorisée à exécuter le présent jugement sans présenter d’éléments de preuve de signification du présent jugement au défendeur, l’État de l’Érythrée. » Comme on l’a fait observer, l’ordonnance de reconnaissance a été obtenue ex parte et sans renvoi aux exigences de signification obligatoire de la LIE.

(b)               Aucune signification conformément à la Loi sur l’immunité des États

[35]           Delizia n’a pas signifié l’ordonnance de reconnaissance à l’Érythrée, conformément aux modalités énoncées dans la LIE. Le paragraphe 9(2) de la LIE énonce les exigences en matière de signification :

9 (2) La signification mentionnée à l’alinéa (1)c) peut se faire par remise personnelle ou par envoi recommandé d’une copie de l’acte introductif d’instance au sous-ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne; le sous-ministre ou cette personne transmet à son tour cette copie à l’État étranger.

9 (2) For the purposes of paragraph (1)(c), anyone wishing to serve an originating document on a foreign state may deliver a copy of the document, in person or by registered mail, to the Deputy Minister of Foreign Affairs or a person designated by him for the purpose, who shall transmit it to the foreign state.

[36]           L’Érythrée n’a pas reçu de signification en vertu de la LIE avant ou après la demande par Delizia d’obtenir l’ordonnance de reconnaissance. Je souligne cette situation parce que, comme il est indiqué plus loin, la non-signification à l’Érythrée rendait nulles l’OPSA et l’ODSA Sunridge.

(3)               Delizia obtient une ordonnance provisoire de saisie-arrêt ex parte [OPSA Sunridge]

[37]           Ayant obtenu l’ordonnance de reconnaissance, Delizia a ensuite demandé, encore une fois ex parte, une ordonnance provisoire de saisie-arrêt contre Sunridge. Le protonotaire a accordé l’OPSA Sunridge le 31 juillet 2013. Cette ordonnance avait deux volets. Premièrement, le volet de saisie-arrêt ordonnait [traduction] « que toutes les créances échues ou à échoir du tiers-saisi [c.-à-d. Sunridge] envers l’intimé [c.-à-d. l’Érythrée] soient saisies-arrêtées pour exécuter le jugement » c.-à-d. l’ordonnance de reconnaissance. Deuxièmement, le volet de justification de l’OPSA Sunridge ordonnait à Sunridge de déclarer toutes les créances échues ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée, et ordonnait à Sunridge de « justifier » pourquoi Sunridge ne devrait pas payer à Delizia les créances échues de Sunridge envers l’Érythrée ([traduction] « dire à la Cour pourquoi elle ne devrait pas payer au demandeur la créance qu’elle doit au défendeur ou toute partie de ce montant qui pourrait suffire à exécuter le jugement » c.-à-d. l’ordonnance de reconnaissance).

[38]           Le jour même, le protonotaire a rendu une ordonnance provisoire de saisie-arrêt en faveur de Delizia contre Nevsun; les présents motifs ne se rapportent qu’à Sunridge. L’affaire Nevsun fait l’objet de motifs distincts dans le même numéro du greffe.

(4)               Delizia obtient une ordonnance définitive de saisie-arrêt [ODSA Sunridge]

[39]           Delizia a signifié à Sunridge l’OPSA avant septembre 2013. Par la suite, Delizia, donnant avis à Sunridge pour la première fois, a demandé au protonotaire une ODSA en vertu de l’article 449 en vue de saisir-arrêter les créances échues ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée et/ou ENAMCo, l’alter ego de l’Érythrée. Sunridge a contesté cette requête. Sunridge a demandé que l’ordonnance de reconnaissance et l’OPSA de Sunridge soient annulées pour non-conformité à la LIE. Sunridge a également demandé, lors de la présentation de son document de justification, que la requête concernant une ODSA soit rejetée. Des affidavits et des pièces ont été échangés et des contre-interrogatoires ont été menés. La position de Sunridge était qu’elle ne devait à l’Érythrée aucune créance pouvant faire l’objet d’une saisie-arrêt, et que les actions émises par AMSCo à ENAMCo n’étaient ni la propriété de Sunridge ni une créance pouvant faire l’objet d’une saisie-arrêt.

[40]           Le protonotaire a conclu en faveur de Delizia le 9 janvier 2015. Le protonotaire a également conclu que les frais des permis d’exploration minière payés par Sunridge et AMSCo à l’Érythrée pouvaient faire l’objet d’une saisie-arrêt. Cependant, le protonotaire a convenu avec Sunridge que les taxes retenues de divers fournisseurs de services ne constituaient pas des créances « échues » ou « à échoir » au sens du sous-alinéa 449(1)a)(i) des Règles.

[41]           Plus important encore, le protonotaire a conclu que les actions émises à même les actions autodétenues d’AMSCo à ENAMCo après la constitution en personne morale d’AMSCo pouvaient faire l’objet d’une saisie-arrêt de la part de Delizia, étant donné que l’émission d’actions autodétenues constituait une vente d’actifs par Sunridge à ENAMCo, soit l’alter ego de l’Érythrée.

[42]           L’ODSA Sunridge qui en a résulté ordonnait la saisie-arrêt de toutes les créances échues et à échoir de Sunridge envers l’Érythrée, y compris celles d’AMSCo à ENAMCo. Elle ordonnait à Sunridge d’exécuter l’ordonnance de reconnaissance. Elle déclarait que Sunridge a omis à tort de détenir et de déclarer la créance échue envers l’Érythrée à compter du 17 juillet 2013 et elle ordonnait à Sunridge de payer 4 371 618,47 $ US (à être mis en état) au bénéfice de Delizia.

[43]           L’ODSA Sunridge ordonnait aussi à Sunridge de répondre à certaines questions, notamment en ce qui concerne le nom de la banque en Érythrée pour le traitement des chèques de renouvellement des permis d’exploration minière, ainsi que la méthode de comptabilité et de classement pour retenir les paiements fiscaux à l’Érythrée dans les relevés financiers de Sunridge.

[44]           Des dépens ont été accordés à l’encontre de Sunridge, en faveur de Delizia.

III.             Questions en litige

[45]           Le présent appel soulève les questions suivantes :

1.               Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le protonotaire?

2.               Faudrait-il délivrer une ordonnance définitive de saisie-arrêt en l’espèce?

3.               Le protonotaire a-t-il commis une erreur en ordonnant à Sunridge de répondre à certaines questions auxquelles elle s’était opposée en contre-interrogatoire?

IV.             Analyse

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le protonotaire?

[46]           Pour trancher le présent appel, la Cour doit premièrement déterminer la nature de l’appel et la norme de contrôle appropriée. Je suis d’accord avec le juge Beaudry qui, citant une jurisprudence bien établie, a conclu que lorsque la décision d’un protonotaire a un effet déterminant sur le résultat, c’est-à-dire si l’ordonnance a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, ou qu’elle est manifestement erronée, la Cour doit revoir la décision de novo :

31.       Les principes applicables lorsqu’il s’agit de décider d’un appel d’une ordonnance d’un protonotaire ont été établis dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd [1993] 2 CF 425 [Aqua-Gem], et reformulés dans Merck & Co Inc v. Apotex Inc, 2003 CAF 488 [Merck & Co]. Les critères sont énoncés au paragraphe 19 de l’arrêt Merck & Co, où le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, déclare ce qui suit :... Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. [...]

36. [...] La Cour doit donc procéder à une analyse de novo.

[Non souligné dans l’original.]

London Life, Compagnie d’assurance-vie (Re), 2013 CF 93 [London Life] aux paragraphes 31 et 36 (confirmée par la CAA dans London Life, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2014 CAF 106).

[47]           Le juge Beaudry dans Corp. Steckmar/Steckmar Corp., Re, 2004 CF 1568 [Steckmar] a par la suite précisé, aussi dans une affaire d’ordonnance définitive de saisie-arrêt (en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu) :

16        Dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925 (C.A.F.) (QL) au paragraphe 19, la Cour précise la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires. Cette norme avait préalablement été élaborée dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

17        Il a été établi que le juge saisi d’un appel d’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance porte sur une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

18        L’ordonnance du protonotaire fait en sorte que la tierce saisie est condamnée à payer la somme de 126 666,39 $. Ceci est sûrement une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. La Cour doit reprendre l’analyse de novo pour exercer son pouvoir discrétionnaire.

[Non souligné dans l’original.]

[48]           En l’espèce, l’appel porte sur une affaire déterminante sur l’issue du principal. En effet, l’ODSA est la seule question en litige en l’instance. Par conséquent, je conclus que la Cour doit reprendre l’analyse et décider d’elle-même s’il existe des créances échues ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée ou ENAMCo et décider si une ordonnance définitive de saisie-arrêt devrait être délivrée. J’examinerai aussi les conclusions du protonotaire.

[49]           Différents principes s’appliquent à l’appel concernant les ordonnances de communication, ce que j’examinerai plus tard.

2.         Le protonotaire a-t-il commis une erreur en accordant l’ordonnance définitive de saisie-arrêt en l’espèce?

(1)               Sunridge n’a aucune créance échue envers l’Érythrée ou ENAMCo; à moins de lever le voile corporatif, il n’y a rien à saisir-arrêter

[50]           Premièrement, il est évident que Delizia ne peut avoir gain de cause que si elle établit que Sunridge a une créance échue ou à échoir en tant que tierce-saisie proposée envers l’Érythrée à titre de débiteur judiciaire et ou envers ENAMCo à titre d’alter ego de l’Érythrée : voir l’article 449. Par souci d’exhaustivité, j’énonce l’article sur la saisie-arrêt dans son intégralité, mais voir en particulier les sous-alinéas 449(1)a)(i) et (ii) :

Saisie-arrêt

Garnishment

449 (1) Sous réserve des règles 452 et 456, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, ordonner :

449 (1) Subject to rules 452 and 456, on the ex parte motion of a judgment creditor, the Court may order

a) que toutes les créances suivantes du débiteur judiciaire dont un tiers lui est redevable soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette constatée par le jugement :

(a) that

(i) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers se trouvant au Canada,

(i) a debt owing or accruing from a person in Canada to a judgment debtor, or

(ii) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers ne se trouvant pas au Canada et à l’égard desquelles le débiteur judiciaire pourrait intenter une poursuite au Canada;

(ii) a debt owing or accruing from a person outside Canada to a judgment debtor, where the debt is one for which the person might be sued in Canada by the judgment debtor,

be attached to answer the judgment debt; and

b) que le tiers se présente, aux date, heure et lieu précisés, pour faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer au créancier judiciaire la dette dont il est redevable au débiteur judiciaire ou la partie de celle-ci requise pour l’exécution du jugement.

(b) that the person attend, at a specified time and place, to show cause why the person should not pay to the judgment creditor the debt or any lesser amount sufficient to satisfy the judgment.

Note marginale: Signification

Marginal note: Service of show cause order

(2) L’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) est signifiée, au moins sept jours avant la date fixée pour la comparution du tiers saisi :

(2) An order to show cause made under subsection (1) shall be served, at least seven days before the time appointed for showing cause,

a) au tiers saisi, par signification à personne;

(a) on the garnishee personally; and

b) au débiteur judiciaire, sauf directives contraires de la Cour.

(b) unless the Court directs otherwise, on the judgment debtor.

Note marginale: Prise d’effet de l’ordonnance

Marginal note: Debts bound as of time of service

(3) Sous réserve de la règle 452, l’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) grève les créances saisies-arrêtées à compter du moment de sa signification.

[soulignement ajouté]

(3) Subject to rule 452, an order under subsection (1) binds the debts attached as of the time of service of the order.

[emphasis added]

[51]           Les Règles exigent un certain fondement sur lequel s’appuyer pour motiver une conclusion selon laquelle Sunridge, en tant que tierce-saisie, a une créance échue ou à échoir payable à l’Érythrée ou à ENAMCo : Champlain Company Limited c. La Reine, [1976] 2 CF 481 (CAF). Sunridge n’a aucune créance échue ou à échoir envers ENAMCo. À l’exception des frais des permis d’exploration minière datant d’avant la constitution en personne morale d’AMSCo, il n’y a aucun élément de preuve d’une créance échue ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée.

[52]           J’en arrive à cette conclusion pour deux motifs. Premièrement, même si l’exploitation du projet minier Asmara peut rapporter des dividendes ou des profits à l’avenir, qui peuvent alors passer d’AMSCo à ENAMCo ou l’Érythrée, Delizia n’est pas autorisée, en droit, à saisir-arrêter ces paiements à moins que la Cour ne lève le voile corporatif qui existe de façon présomptive entre Sunridge et AMSCo. Je ne peux pas le faire en l’espèce. Deuxièmement, quoi qu’il en soit, l’ordonnance de reconnaissance tout comme les OPSA et ODSA Sunridge ultérieures sont des nullités parce que les exigences en matière de signification obligatoire de la LIE n’ont pas été respectées en l’espèce. Ces conclusions m’obligent à accueillir l’appel et à annuler les OPSA et ODSA Sunridge.

[53]           Cependant, avant d’examiner la question du voile corporatif et les exigences en matière de signification de la LIE, je veux régler l’affaire particulière des frais des permis d’exploration minière et de la retenue des taxes.

(2)               L’affaire particulière des frais des permis (et des taxes) : non saisissables

[54]           Il est important de faire une distinction entre les créances échues de Sunridge et les créances échues d’AMSCo envers l’État de l’Érythrée. Les créances échues de Sunridge envers l’État de l’Érythrée se sont accumulées uniquement avant la constitution en personne morale d’AMSCo en 2014. Ces créances sont uniquement les frais des permis d’exploration minière et certaines taxes retenues qui, dans les deux cas, étaient des obligations de Sunridge envers l’État de l’Érythrée par l’entremise de sa succursale, c.-à-d. des obligations de Sunridge directement envers l’Érythrée. Elles constituent une affaire particulière parce qu’il n’est pas question de lever le voile corporatif au moment de traiter les créances échues ou à échoir de la succursale de Sunridge envers l’Érythrée.

[55]           En ce qui concerne les frais des permis d’exploration minière, la LIE s’applique. La question est de savoir si ces paiements sont reliés à une « activité commerciale ». S’ils le sont, ils peuvent faire l’objet d’une saisie-arrêt; s’ils ne le sont pas, ils ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure d’exécution. À cet égard, le point de départ est la loi. En général, un État étranger n’est pas visé par la compétence d’un tribunal au Canada; voir l’article 2 qui définit l’activité commerciale, et le paragraphe 3(1) de la LIE, qui donne la règle générale de l’immunité des États :

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

2 In this Act,

activité commerciale Toute poursuite normale d’une activité ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur nature. (commercial activity)

...

commercial activity means any particular transaction, act or conduct or any regular course of conduct that by reason of its nature is of a commercial character

...

...

Immunité de juridiction

State immunity

3 (1) Sauf exceptions prévues dans la présente loi, l’État étranger bénéficie de l’immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada.

[soulignement ajouté]

3 (1) Except as provided by this Act, a foreign state is immune from the jurisdiction of any court in Canada.

[emphasis added]

[56]           Cependant, à l’article 5, la LIE stipule que l’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction dans les actions qui portent sur ses activités commerciales :

Activité commerciale

Commercial activity

5 L’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction dans les actions qui portent sur ses activités commerciales.

[soulignement ajouté]

5 A foreign state is not immune from the jurisdiction of a court in any proceedings that relate to any commercial activity of the foreign state.

[emphasis added]

[57]           L’alinéa 12(1)b) renforce ce qui précède et exempte les biens d’un État étranger au Canada de saisie-arrêt ou d’exécution lorsque les biens sont utilisés ou destinés à être utilisés dans le cadre d’une activité commerciale :

Exécution des jugements

Execution

12 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les biens de l’État étranger situés au Canada sont insaisissables et ne peuvent, dans le cadre d’une action réelle, faire l’objet de saisie, rétention, mise sous séquestre ou confiscation, sauf dans les cas suivants :

12 (1) Subject to subsections (2) and (3), property of a foreign state that is located in Canada is immune from attachment and execution and, in the case of an action in rem, from arrest, detention, seizure and forfeiture except where

...

...

b) les biens sont utilisés ou destinés à être utilisés soit dans le cadre d’une activité commerciale, soit par l’État pour soutenir le terrorisme ou pour se livrer à une activité terroriste si celui-ci est inscrit sur la liste visée au paragraphe 6.1(2) [.].

(b) the property is used or is intended to be used for a commercial activity or, if the foreign state is set out on the list referred to in subsection 6.1(2), is used or is intended to be used by it to support terrorism or engage in terrorist activity [.].

[58]           La LIE établit une immunité de présomption pour les États étrangers relativement à la juridiction des tribunaux canadiens, y compris l’immunité relative à l’exécution. Ce principe est résumé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kuwait Airways Corp c. Irak, 2010 CSC 40 [Kuwait Airways] au paragraphe 19 :

Dans la mesure où l’on considère qu’un État étranger bénéficie d’une immunité de juridiction en vertu de cette loi, le tribunal canadien n’a tout simplement pas compétence pour se pencher sur une demande à son encontre, y compris sur une requête en reconnaissance et en exécution d’une décision étrangère. Ce n’est que dans l’hypothèse où il existe une exception au principe général d’immunité que le tribunal pourra se prononcer sur le fond d’une demande visant un État étranger.

[59]           Pour déterminer si l’exception relative à l’« activité commerciale » en vertu de la LIE s’applique, un tribunal doit examiner la nature de l’action particulière et le contexte sous-jacent. Dans l’évaluation de la nature de l’activité, les tribunaux aux É.-U. et au R.-U. ont analysé si l’État agit « comme un acteur privé » du marché. Les tribunaux canadiens ont renvoyé à cette démarche dans leur analyse, mais ils devront aussi examiner l’ensemble du contexte des circonstances en cause : Kuwait Airways aux paragraphes 29 à 31; Re Code canadien du travail, [1992] 2 RCS 50.

[60]           J’accepte aussi que la LIE constitue une codification du droit relativement à l’immunité des États. Encore une fois, pour citer la Cour suprême du Canada, cette fois dans l’arrêt Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62 au paragraphe 42 :

Au Canada, l’immunité des États à l’égard des poursuites civiles est consacrée par la LIÉ dont l’objet reflète en grande partie celui de la règle en droit international : le respect de l’égalité souveraine. La « pierre angulaire » de cette loi se trouve en son art. 3, qui confirme que les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens « [s]auf exceptions prévues dans la loi. »

[61]           À cet égard, il est utile de revoir ce que la Cour suprême du Canada a dit dans Kuwait Airways :

[28]      Tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, la jurisprudence moderne semble restreindre l’immunité de juridiction aux actes de souveraineté proprement dits, les exceptions étant utilisées pour confirmer une interprétation qui correspond à celle que le droit international public s’est formée quant à son caractère restreint

[29]      Au Royaume-Uni, les tribunaux se demandent si l’acte en cause pourrait être accompli par une personne privée. Lord Goff of Chieveley recommande l’application de ce critère dans l’un des arrêts qui concernent le litige opposant KAC et IAC, et qui est à l’origine du présent litige. Se basant sur une opinion antérieure de Lord Wilberforce dans I Congreso del Partido, [1983] A.C. 244, p. 262, 267 et 269, il retient comme valide la méthode d’analyse qui consiste à se demander non pas quel est l’objectif poursuivi par l’État en accomplissant l’acte, mais plutôt si l’acte pourrait être accompli par un simple citoyen (Kuwait Airways Corp. c. Iraqi Airways Co., [1995] 3 All E.R. 694, p. 704‑705). Aux États-Unis, la Cour suprême a décrit les actes de souveraineté, protégés par l’immunité de juridiction, comme ceux accomplis dans l’exercice des pouvoirs particuliers au souverain :

[traduction] Selon la théorie de l’immunité restreinte, et non « absolue », un État bénéficie de l’immunité de juridiction devant les tribunaux étrangers relativement à ses actes souverains ou publics (jure imperii), mais non à l’égard de ses actes à caractère privé ou commercial (jure gestionis).... Dans Weltover, précité, à la p. 614 (citant Dunhill, précité, à la p. 704), nous avons expliqué que, selon la théorie de l’immunité restreinte, un État exerce une activité commerciale lorsqu’il exerce « “uniquement les pouvoirs que les simples citoyens pourraient aussi exercer,” » à la différence « “des pouvoirs propres aux souverains” ». Autrement dit, selon la théorie de l’immunité restreinte, un État étranger n’exerce une activité commerciale que lorsqu’il agit « comme un acteur privé—» du marché. (Saudi Arabia c. Nelson, 507 U.S. 349 (1993), p. 359‑360).

[30]      On constate que la qualification des actes pour l’application de l’immunité de juridiction dépend, dans les droits américain et anglais, d’une analyse orientée vers leur nature. Il ne suffit donc pas de se demander si l’acte visé émanait d’une décision de l’État, et s’il a été accompli dans le but de protéger un intérêt étatique ou d’atteindre un objectif de politique publique. S’il en était ainsi, tous les actes d’un État, ou même d’un organisme qu’il contrôle, seraient assimilés à des actes de souveraineté. Ce résultat nierait le caractère restreint de l’immunité de juridiction en droit international public contemporain et viderait de leur contenu les exceptions visant les actes de gestion privée, comme l’exception de commercialité.

[31]      En droit canadien, le juge La Forest a recommandé l’adoption de cette méthode d’analyse dans l’arrêt Re Code canadien du travail pour régler les problèmes d’application de la LIE. Par contre, il a précisé que l’exception de commercialité canadienne exige un examen de l’ensemble du contexte, ce qui inclut non seulement la nature de l’acte posé, mais aussi son objet :

Il me semble qu’une méthode contextuelle est la seule qui nous permette raisonnablement d’appliquer le principe de l’immunité restreinte. L’autre solution est de tenter l’impossible, c’est-à-dire une distillation antiseptique afin de qualifier « une fois pour toutes » l’activité en question, quel qu’en soit l’objet. Il est vrai que l’objet ne devrait pas prédominer, car cette méthode ferait pratiquement de tout acte accompli par les agents commerciaux d’un État un acte jure imperii. Toutefois, le contraire est également vrai. S’en tenir strictement à la « nature » d’un acte, indépendamment de son objet, aurait pour effet de rendre jure gestionis d’innombrables activités gouvernementales. [p. 73]

[62]           Appliquant ces principes, je conclus que les frais des permis d’exploration ne sont pas correctement classés comme étant une « activité commerciale ». Au lieu de cela, leur nature et leurs objectifs sont caractéristiquement des obligations réglementaires imposées par un État souverain sur ceux et celles qui exploitent une entreprise sur son territoire, en l’occurrence l’Érythrée. En imposant ces obligations, l’État de l’Érythrée n’agissait pas « comme un acteur privé » du marché. Elle agit comme seul un État souverain peut agir en réglementant les activités sur le territoire qu’elle contrôle et elle le fait en délivrant des permis permettant aux deux gouvernements de contrôler le comportement des entreprises privées. Principalement et en particulier, l’Érythrée impose une exigence en matière de permis afin d’exercer un contrôle national sur les entreprises en général et sur les activités minières en particulier lorsqu’elles sont exécutées sur son territoire. Les frais de permis ne sont qu’une des façons dont l’État exerce son contrôle, mais à mon avis, ils sont inextricablement liés aux permis eux-mêmes. Bien que le montant soit faible, ces frais prélèvent également des taxes dont se sert le gouvernement national.

[63]           Par conséquent, les frais constituent le mécanisme légitime important et usuel qui permet, en l’occurrence, à l’État de l’Érythrée d’exercer un contrôle souverain sur les actifs miniers et les activités minières sur son territoire. Ces paiements n’ont pas la nature, l’objet ou la qualité juridique nécessaires d’une « activité commerciale » au point d’être l’objet d’une ordonnance définitive de saisie-arrêt. Par conséquent, ils ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie aux termes du paragraphe 12(1) de la LIE, et ils ne sont pas visés par les exclusions liées à une « activité commerciale ».

[64]           Il ne m’est pas nécessaire de traiter de la retenue de taxes parce qu’aucun appel n’a été fait à l’encontre du refus du protonotaire d’en autoriser la saisie-arrêt.

[65]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les sommes que devait la succursale de Sunridge à l’Érythrée avant la constitution en personne morale d’AMSCo ne peuvent pas être saisies-arrêtées.

[66]           Je conclus également que les frais des permis d’exploration minière que doit AMSCo à l’Érythrée après la constitution en personne morale d’AMSCo ne sont pas saisissables, et je le fais pour deux raisons. Premièrement, les frais de permis ne sont pas reliés à une « activité commerciale » comme on vient de le dire. De plus, même s’ils l’étaient, ils ne pourraient pas être saisis parce que le voile corporatif ne peut pas être levé entre AMSCo et l’Érythrée, comme il est indiqué ci-dessous.

(3)               Est-ce que les actions émises par AMSCo à ENAMCo sont saisissables?

[67]           Il s’agit du litige au cœur du présent appel. Le point de départ de cette analyse est le fait que les actions ont été émises après la constitution en personne morale d’AMSCo. Avant cette constitution en personne morale d’AMSCo, aucune action ne pouvait être émise parce qu’aucune entreprise n’existait pour émettre des actions. Il est établi que seule une entreprise peut émettre des actions d’une entreprise.

[68]           Sunridge n’avait aucune créance échue envers l’Érythrée ou ENAMCo après la constitution en personne morale d’AMSCo. Par conséquent, la seule façon dont Delizia peut réussir à rattacher l’émission des actions d’AMSCo à ENAMCo est que la Cour lève le voile corporatif qui existe, par présomption, entre Sunridge et AMSCo. Toutefois, la Cour ne peut pas lever le voile corporatif dans cette affaire, et ce, pour plusieurs raisons.

(4)               Le voile corporatif entre Sunridge et AMSCo ne peut pas être levé

(a)                Objectif commercial légitime de Sunridge en mettant sur pied AMSCo

[69]           Respectueusement, à mon avis, la Cour doit d’abord examiner l’objectif commercial légitime et initial qui consistait à établir une coentreprise à partir d’une entreprise cotée en bourse assumant la responsabilité de l’exploitation minière, ce qui a permis à ENAMCo d’exercer ses droits d’option d’acquérir 40 % des actions d’AMSCo en 2012. À cet égard, les lois de l’Érythrée exigent la participation de l’État de l’Érythrée dans les activités minières réalisées sur son territoire, conformément aux dispositions de la Proclamation no 68/1995 : Une proclamation visant à promouvoir la mise en valeur des ressources minérales, qui stipule à l’article 41 :

[traduction] Sans porter atteinte aux dispositions de l’article 7 de la Proclamation no 68/1995 du droit minier, le gouvernement peut acquérir, sans frais, une participation jusqu’à concurrence de 10 % de tout investissement minier. Le gouvernement a aussi droit à une participation au capital social qui ne dépasse pas 30 %, y compris la tranche de 10 % mentionnée ci-dessus, dont le pourcentage, le moment, le financement, les droits et les obligations qui en résultent et d’autres détails doivent être précisés par entente.

[70]           À mon avis, pour que Sunridge entre dans la phase de production de la mine Asmara et commence à générer des revenus, Sunridge n’avait tout simplement pas d’autre choix que de conclure une entente avec ENAMCo et de respecter ses propres engagements ainsi que les lois de l’Érythrée. Les lois de l’Érythrée donnaient à cette dernière (c.-à-d. ENAMCo ou son alter ego) une participation à hauteur de 10 % pour l’Érythrée, sans frais. Les lois de l’Érythrée permettaient à cette dernière de jouir d’une participation supplémentaire en concluant une entente avec l’entreprise exploitante. Par conséquent, à mon humble avis, la constitution en personne morale d’AMSCo et l’émission d’actions à ENAMCo avaient des objectifs commerciaux légitimes.

[71]           Ces objectifs commerciaux légitimes introduisent et appuient ma conclusion selon laquelle la constitution en personne morale d’AMSCo était valide en tant qu’entité juridique distincte légitime de Sunridge. De plus, je souligne que le plan de Sunridge de lancer une telle coentreprise avec ENAMCo et l’établissement des droits et obligations rattachés à chaque partie sont antérieurs aux procédures de saisie-arrêt.

(b)               Aucune fraude ou conduite qui s’apparente à la fraude, comme il est exigé pour lever le voile corporatif

[72]           Il ne fait aucun doute que la levée du voile corporatif est contraire aux principes établis depuis longtemps en droit corporatif, tant au Canada qu’à l’étranger. Pour lever le voile corporatif en l’absence d’une exigence d’un organisme ou d’une autre exigence, il doit exister un trompe-l’œil ou un véhicule permettant de commettre des fautes, ou une conduite qui s’apparente à la fraude. Ce critère a été confirmé par la Cour d’appel fédérale (par les juges Malone, Décary et Rothstein) dans Meredith c. Canada, 2002 CAF 258 [Meredith] où la Cour a déclaré :

[12]      La levée du voile corporatif est contraire aux principes établis depuis longtemps en droit. En l’absence d’allégation selon laquelle la société constitue un « trompe-l’œil » ou un véhicule permettant à des actionnaires putatifs de commettre des fautes, et en l’absence d’autorisation légale, les tribunaux doivent respecter les rapports juridiques créés par un contribuable (voir Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22; Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 2). Les tribunaux ne peuvent pas qualifier autrement les véritables rapports en fonction de ce qu’ils jugent être la réalité économique qui les sous-tend (voir Continental Bank Leasing Corp. c. La Reine, [1998] 2 R.C.S. 298; Shell Canada Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622; Ludco Enterprises Limited c. La Reine, 2001 CSC 62 au paragraphe 51).

[Non souligné dans l’original.]

[73]           Je suis lié par la Cour d’appel fédérale. Je veux souligner que de nombreuses autres affaires dans de nombreuses autres compétences adoptent la même démarche en exigeant la commission d’actes fautifs ou une conduite qui s’apparente à la faute avant de lever le voile corporatif. Récemment, par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré dans l’arrêt Shoppers Drug Mart v. 6470360 Canada Inc., 2014 ONCA 85 au paragraphe 43 [Shoppers Drug Mart] :

[traduction] 43        [...] L’arrêt Fleischer est le critère qui s’applique à la levée du voile corporatif en Ontario. Dans l’arrêt Fleischer, le juge Laskin a déclaré que seules les affaires exceptionnelles qui donnent lieu à une injustice flagrante justifient d’aller derrière le voile corporatif. Il peut être levé si les personnes qui exercent le contrôle ordonnent expressément qu’un acte fautif soit posé. Au paragraphe 68, il a déclaré :

[traduction] Habituellement, le voile corporatif est levé lorsque l’entreprise est constituée en personne morale dans un but illégal, frauduleux ou inapproprié. Par contre, il peut aussi être levé si une fois l’entreprise constituée en personne morale, les « personnes qui exercent le contrôle ordonnent expressément qu’un acte fautif soit posé » : Clarkson Co. v. Zhelka page 578. Le juge Sharpe expose le principe directeur dans Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. Canada Life Assurance Co. (1996), 28 O.R. (3d) 423 aux pages 433 et 434 (Div. gén.), conf. par [1997] O.J. no 3754 (C.A.) : [traduction] « les tribunaux ne tiendront pas compte de la personnalité juridique distincte d’une entreprise lorsqu’elle est complètement dominée, contrôlée et utilisée comme bouclier pour une conduite frauduleuse ou inappropriée. »

[Non souligné dans l’original.]

[74]           Une autre décision récente dans le même sens expose trois circonstances pour lesquelles la personnalité juridique distincte d’une entreprise peut être ignorée et le voile corporatif, levé.

[traduction] « [44]  Depuis Salomon c. Salomon & Co., précité, le droit anglo-canadien a reconnu qu’une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires. Une société mère est également une société juridique distincte d’une filiale en propriété exclusive. Dans Gregorio v. Intrans-Corp. (1994), 18 O.R. (3d) 527 (C.A.) au paragraphe 24, la Cour d’appel a déclaré en ce qui concerne la personnalité juridique distincte d’une société mère et d’une filiale :

En général, une filiale, même une filiale en propriété exclusive, ne sera pas l’alter ego de sa société mère, à moins que la filiale ne relève du contrôle total de la société mère et qu’elle n’est rien d’autre qu’un mécanisme utilisé par la société mère pour éviter une responsabilité. Le principe de l’alter ego s’applique pour empêcher la conduite qui s’apparente à une fraude qui autrement priverait injustement les demandeurs de leurs droits.

[traduction] [45]     Les tribunaux de l’Ontario ont reconnu trois circonstances pour lesquelles la personnalité juridique distincte peut être ignorée et le voile corporatif, levé : a) lorsque la société est « complètement dominée, contrôlée et utilisée comme bouclier pour une conduite frauduleuse ou inappropriée » (642947 Ontario Ltd. v. Fleischer (2001), 56 O.R. (3d) 417 (C.A.) au paragraphe 68); b) lorsque la société a agi en tant que mandataire autorisé de ses entités majoritaires, corporatives ou humaines (Parkland Plumbing & Heating Ltd. v. Minaki Lodge Resort 2002 Inc., 2009 ONCA 256, [2009] O.J. no 1195 au paragraphe 51); et c) lorsqu’une loi ou un contrat l’exige (Parkland Plumbing, précité, au paragraphe 51).

[Non souligné dans l’original.]

Angelica Choc v. Hudbay Minerals Inc, 2013 ONSC 1414 [Angelica Choc].

[75]           Pour ce qui est d’un acte fautif ou d’une conduite qui s’apparente à la fraude, je reconnais qu’il peut sembler que la Cour suprême du Canada a proposé un critère plus vaste pour lever le voile corporatif, critère qui ne nécessite pas un acte fautif ou une fraude : tout ce qu’il faudrait peut-être, c’est une conclusion que le fait de ne pas lever le voile serait « trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc » : Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co, [1987] 1 RCS 2 [Kosmopoulos], par la juge Wilson :

12.       En règle générale, une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires : Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.) Aucune règle uniforme n’a été appliquée à la question de savoir dans quelles circonstances un tribunal peut déroger à ce principe en « faisant abstraction de la personnalité morale » et en considérant la société comme un simple « mandataire » ou « instrument » de son actionnaire majoritaire ou de sa société mère. En mettant les choses au mieux, tout ce qu’on peut dire est que le principe des « entités distinctes » n’est pas appliqué lorsqu’il entraînerait un résultat [traduction] « trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc » : L. C. B. Gower, Modern Company Law (4th ed. 1979), à la page 112. Je n’ai aucun doute qu’en théorie on pourrait, dans la présente affaire, faire abstraction de la personnalité morale afin que justice soit rendue, comme cela a été fait dans l’arrêt American Indemnity Co. v. Southern Missionary College, précité, auquel s’est référée la Cour d’appel de l’Ontario. Un certain nombre de considérations m’amènent cependant à croire qu’il ne serait pas sage de le faire.

13.       Il y a un argument convaincant selon lequel [traduction] « quiconque choisit de profiter des avantages qu’offre la constitution en société doit aussi en supporter les inconvénients, de sorte que, si jamais on doit lever le voile corporatif, ce ne doit être que dans l’intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice » : Gower, précité, page 138. Un avocat compétent a conseillé à M. Kosmopoulos de constituer son entreprise en société afin de protéger ses biens personnels et rien dans la preuve n’indique que sa décision de profiter des avantages qu’offre la constitution en société n’était pas sincère. Ayant opté pour les avantages de la constitution en société, il ne devrait pas lui être permis de se soustraire à ses désavantages. Il ne devrait pas lui être permis de « jouer sur les deux tableaux » en même temps.

14.       Je suis consciente également de l’arrêt Aqua-Land Exploration Ltd., précité, dans lequel cette Cour n’a pas « fait abstraction de la personnalité morale » pour conclure qu’un des trois actionnaires d’une société possédait un intérêt assurable dans l’actif de celle-ci. De même, dans l’arrêt Wandlyn Motels Ltd., précité, la Cour a refusé de considérer un motel appartenant à un homme qui détenait toutes les actions, sauf deux, de l’assurée, Wandlyn Motels Ltd., comme la propriété de cette société. Si l’on devait faire abstraction de la personnalité morale en l’espèce, il pourrait alors surgir une distinction très arbitraire et, à mon avis, indéfendable, entre les sociétés ayant plus d’un actionnaire et celles qui comptent un seul actionnaire: pour un commentaire récent sur les distinctions arbitraires et techniques qui résulteraient si l’on faisait abstraction de la personnalité morale en l’espèce, voir Jacob S. Ziegel, « Shareholder’s Insurable Interest‑‑Another Attempt to Scuttle the Macaura v. Northern Assurance Co. Doctrine: Kosmopoulos v. Constitution Insurance Co. » (1984), 62 R. du B. can. 95, aux pages 102 et 103. De plus, j’estime que, si l’application d’une règle mène à une justice dure, la bonne marche à suivre est d’examiner la règle ellemême plutôt que de la confirmer et de tenter d’atténuer ses mauvais effets cas par cas.

[Non souligné dans l’original.]

[76]           Toutefois, les tribunaux canadiens, dont la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Meredith, ont sans cesse maintenu qu’une simple injustice à l’endroit d’une partie ne suffit pas, sans plus, à lever le voile corporatif. Par exemple, voir Shoppers Drug Mart au paragraphe 43 [traduction] (« seules les affaires exceptionnelles qui donnent lieu à une injustice flagrante justifient d’aller derrière le voile corporatif. Il peut être levé si les personnes qui exercent le contrôle ordonnent expressément qu’un acte fautif soit posé »); Emtwo Properties Inc v. Cineplex (Western Canada) Inc, 2011 BCSC 1072 aux paragraphes 127 et 128 [Emtwo], 132; Actton Petroleum Sales Ltd v. British Columbia (Minister of Highways) (1998), 50 BCLR (3d) 187 aux paragraphes 15, 19; et BG Preeco (Pacific Coast) Ltd v. Bon Street Holdings Ltd (1989), 37 BCLR (2d) 258 (CA) aux paragraphes 37 à 40.

[77]           Au R.-U., des affaires indiquent également qu’il faut des éléments de preuve reliés à des actes fautifs ou une conduite qui s’apparente à la fraude pour lever le voile corporatif : Prest v. Petrodel Resources and others, [2013] UKSC 34; Adams v. Cape Industries plc [1990] Ch 433 (Slade, Mustill and Ralph Gibson LJJ). De plus, le passage suivant tiré de Gower, Modern Company Law, 4th ed (1979), à la page 138, vient appuyer l’exigence de la conduite qui s’apparente à la fraude qui, à mon avis, rejette de façon convaincante l’approche juste et équitable parce qu’elle a des relents de « justice primitive » plutôt que de l’application de règles juridiques :

[traduction] Tout ce que l’on peut affirmer est que la politique des tribunaux est de lever le voile s’ils pensent que la justice l’exige et s’ils ne sont pas contraints par une autorité contraignante contraire. Les résultats dans des cas individuels sont peut-être louables, ils ont des relents de justice primitive plutôt que de l’application de règles juridiques.

[78]           Finalement, à ce sujet, même si la règle de droit pour lever le voile corporatif est, comme certains le laissent entendre à la suite de l’arrêt Kosmopoulos, je ne suis pas persuadé que les actions de Sunridge constituaient « une conduite trop nettement en conflit avec la justice ». En l’espèce, Sunridge a suivi les règles de base de l’Érythrée qui exigeaient la constitution en personne morale d’une coentreprise locale (finalement AMSCo) et l’établissement d’une coentreprise avec une société d’État de l’Érythrée (finalement ENAMCo) dès 2006 et 2007. Sunridge avait déjà établi une succursale en 2005, dans un dessein d’exploration minière et, par la suite, d’exploitation du projet minier Asmara. En 2012, bien avant le début des présentes instances, ENAMCo exerçait son option d’acheter une tranche additionnelle de 30 % dans le projet Asmara. Sunridge et ENAMCo négociaient déjà, bien avant la signification de l’OPSA Sunridge (c.-à-d. avant septembre 2013), les modalités précises de l’acquisition de 30 % par ENAMCo. De plus, à mon avis, ENAMCo s’est fait donner et a obtenu une participation à hauteur de 40 % dans AMSCo afin de tenir compte d’exigences juridiques imposées par l’État de l’Érythrée concernant la propriété locale et le contrôle d’intérêts miniers sur son territoire. En l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve indiquant la fraude, d’une conduite qui s’apparente à la fraude ou une conduite inappropriée de la part de Sunridge ou de sa succursale en Érythrée. Je suis tout à fait d’accord avec le protonotaire qui n’a pas conclu à la fraude, à une conduite qui s’apparente à la fraude ou à une conduite inappropriée. Dans le présent dossier, il n’y a aucune conclusion dans ce sens. Les actions émises par AMSCo à ENAMCo l’ont été en vertu d’ententes de longue date, bien avant les présentes instances. Sans ces ententes, l’exploitation du projet minier Asmara n’aurait pas pu être possible. Ce n’est donc pas le cas d’une entreprise constituée en personne morale pour camoufler des transactions trompe-l’œil.

[79]           La Cour ne dispose d’aucun fondement qui lui permettrait de lever le voile corporatif à l’égard de ces faits et comme il est expliqué ci-après.

(c)                Aucune relation de mandataire, de contrôle total ou d’instrument

[80]           Un autre motif sur lequel le voile corporatif peut être levé, comme il est souligné dans Angelica Choc, est la présence d’un mandataire, c.-à-d. une situation où la filiale est complètement contrôlée par la société mère et agit comme un simple instrument ou mandataire. Sunridge, par l’entremise de sa succursale en Érythrée, détient seulement 60 % d’AMSCo, tandis qu’ENAMCo en détient 40 %. De plus, la Convention d’actionnaires comporte les dispositions relatives à une supermajorité qui exige l’approbation de 80 % des actionnaires pour la plupart, sinon la totalité, de toutes les transactions commerciales importantes, à savoir :

i.                    approbation des budgets et des plans d’affaires;

ii.                  conclusion de partenariats ou de coentreprises avec des tierces parties;

iii.                dépenses au-delà de 200 000 $ US;

iv.                conclusion de contrats importants;

v.                  embauche ou congédiement de dirigeants clés.

[81]           À mon avis, la propriété partielle de Sunridge, conjuguée au pouvoir de veto d’ENAMCo en raison de l’exigence d’une super majorité de 80 %, empêche effectivement une conclusion de relation de mandataire entre Sunridge et AMSCo en l’espèce. Je souligne que le protonotaire n’a pas conclu à un mandataire; encore une fois, une telle conclusion n’est pas possible dans ce dossier.

[82]           Quoi qu’il en soit, la jurisprudence établit clairement que le contrôle ne peut pas à lui seul, sans plus, constituer soit une relation expresse ou implicite de mandat-mandataire pour lever un voile corporatif. S’il en était autrement, le voile corporatif serait levé dans le cas de toutes les filiales, ce qui n’est pas la règle de droit : Meredith; Trans-Pacific Shipping Co c. Atlantic & Orient Trust Co Ltd, 2005 CF 311 (requête en radiation refusée); Emtwo aux paragraphes 127 et 128; Kosmopoulos.

[83]           Pour les mêmes motifs, même être un instrument au sens d’être complètement contrôlé, comme c’est le cas pour pratiquement toutes les filiales en propriété exclusive, ne suffit pas à justifier la levée du voile corporatif sans conduite inappropriée ou conduite qui s’apparente à la fraude : voir de façon générale Salomon v. Salomon & Co, Ltd, [1897] AC 22 (HL); Edgington v. Mulek Estate, 2008 BCCA 505; et Meredith.

[84]           Il n’existe aucun fondement de lever le voile corporatif sur la base de mandataire.

(d)               Aucune exigence légale de lever le voile corporatif

[85]           Finalement, à juste titre, l’arrêt Angelica Choc établit à mon humble avis une troisième catégorie de relations où le voile corporatif peut être levé, à savoir lorsque des lois l’exigent. Par exemple, il pourrait s’agir de dispositions relatives aux régimes fiscaux ou aux régimes de droit de la famille où les assemblées législatives ont choisi d’enlever la protection de la common law pour promouvoir des objectifs en matière de politique publique. Aucune exception prévue par la loi ne s’applique au point d’habiliter la Cour à lever le voile corporatif.

(e)                Les conclusions du protonotaire

[86]           Ayant effectué une analyse de novo, j’examinerai les préoccupations soulevées par le protonotaire, et je le ferai avec beaucoup de respect. Premièrement, il a conclu qu’il y avait une vente d’actions entre Sunridge et l’Érythrée, ENAMCo étant l’alter ego de l’Érythrée. Avec tout le respect que je dois au protonotaire, je ne suis pas d’accord. Il ne peut pas y avoir eu vente d’actions de Sunridge à ENAMCo parce qu’à ce moment-là, c.-à-d. avant la constitution en personne morale d’AMSCo, Sunridge ne détenait aucune action d’AMSCo à vendre. Les actions n’existaient pas encore.

[87]           Le seul élément des transactions qui pourrait même être considéré comme saisissable était l’émission par AMSCo d’actions rachetées à ENAMCo. Mais il ne s’agissait pas d’une vente. Les actions pourraient uniquement être saisies en tant que créances échues ou à échoir de Sunridge après la constitution en personne morale d’AMSCo. Auparavant, elles n’existaient pas. Cependant, une fois AMSCo constituée en personne morale, les actions ne pouvaient être saisies par Delizia que si le voile corporatif pouvait être levé, c.-à-d. s’il y avait fraude ou conduite qui s’apparente à la fraude, ou comme il est indiqué plus haut. Étant donné qu’il n’y avait ni fraude ni conduite qui s’apparente à la fraude, l’émission d’actions par AMSCo ne pouvait pas faire l’objet d’une saisie-arrêt.

[88]           Le protonotaire a également conclu que la [traduction] « vente d’actions ne devrait pas avoir eu lieu étant donné l’existence de l’OPSA ». Encore une fois, avec tout le respect que je dois au protonotaire, je ne suis pas d’accord. À mon avis, il n’y a eu aucune « vente d’actions » entre Sunridge et ENAMCo. La transaction qui a eu lieu était la mise en œuvre d’une entente de coentreprise aux termes de la Convention d’actionnaires datée du 27 juin 2014. Les actions n’étaient pas vendues à ENAMCo par Sunridge; elles étaient émises à même les actions rachetées d’AMSCo à ENAMCo par une entreprise distincte – AMSCo. Sunridge n’a jamais vendu d’actions d’AMSCo à ENAMCo. Il s’agit de la réalité juridique créée par la coentreprise exigée pour entamer la mise en valeur de la mine, conformément aux lois de l’Érythrée.

[89]           Il n’y a aucun élément de preuve de subterfuge ou d’inobservation d’une ordonnance de la Cour. Si je récapitule, la Convention d’actionnaires prévoyait la création de la coentreprise, qui a été créée plus tard, soit AMSCo. De plus, elle exigeait qu’à [traduction] « l’établissement et la constitution en personne morale » de ce qui est devenu AMSCo, un capital-actions [traduction] « doit être émis » par la coentreprise (AMSCo) selon les pourcentages convenus : 60 % à Sunridge et 40 % À ENAMCo.

[90]           Fait important, la Convention d’actionnaires comportait deux autres exigences. La première prévoyait que Sunridge transfère ses permis d’exploration minière et autres actifs de Sunridge dans la coentreprise (AMSCo) [traduction] « immédiatement après la constitution en personne morale de la société ». La deuxième énonçait les échéanciers en vertu desquels ENAMCo paierait à Sunridge 18,33 millions de dollars US pour 40 % des actions d’AMSCo, ce qui compensait Sunridge pour les permis d’exploration minière et autres actifs que Sunridge était obligée de céder à AMSCo.

[91]           Bien qu’il ne fasse aucun doute qu’ENAMCo était tenue de payer à Sunridge les actions qu’ENAMCo avait reçues et bien que je sois d’accord qu’ENAMCo était l’alter ego de l’Érythrée, ces paiements ne peuvent pas être saisis par Delizia parce que les paiements d’ENAMCo à Sunridge ne sont pas saisissables. Sunridge n’a aucune créance échue ou à échoir envers ENAMCo; c’est tout le contraire. Seules les créances échues ou à échoir de Sunridge à ENAMCo pouvaient être saisies par Delizia et, comme il a déjà été indiqué, seulement si le voile corporatif pouvait être levé.

[92]           De plus, bien que Sunridge ait effectivement confié ses actifs, y compris les permis d’exploration minière et d’autres actifs, à AMSCo lors de la structuration globale d’AMSCo en tant que coentreprise, et qu’il l’ait fait le ou après le 1er octobre 2014, je ne peux pas voir comment une obligation de céder les actifs de Sunridge à AMSCo constituait une créance échue ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée ou ENAMCo. Les actifs de Sunridge ont été confiés à AMSCo, et non pas à ENAMCo ni à l’Érythrée, son alter ego. En tout respect, les modalités de l’OPSA Sunridge n’empêchaient pas cette démarche, puisqu’elle visait à saisir les créances échues ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée. Comme c’est le cas, je ne peux pas être d’accord avec l’énoncé selon lequel la mise en œuvre d’une coentreprise après signification de l’OPSA était inappropriée. Je réitère que cette mise en œuvre faisait suite à des pratiques établies en Érythrée et qu’elle avait été prévue entre le milieu et la fin des années 2000, et bien avant le début du litige dans cette Cour.

3.         Non-conformité à la Loi sur l’immunité des États

[93]           Il n’est pas nécessaire de revoir le litige lié à la LIE parce que j’ai conclu qu’il n’y avait aucune créance à saisir-arrêter, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune créance échue ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée ou ENAMCo, parce que le voile corporatif ne peut pas être levé (ce qui élimine les questions liées à AMSCo), et parce que les sommes que devait payer Sunridge avant la constitution en personne morale d’AMSCo étaient exemptées d’une saisie-arrêt en vertu de la LIE (dans le cas des frais des permis d’exploration minière). J’ai également conclu qu’il n’y a eu aucune vente d’actions de Sunridge à ENAMCo.

[94]           Cependant, à mon avis, l’OPSA Sunridge et l’ODSA Sunridge doivent également être annulées pour non-conformité à la LIE.

(5)               La LIE exige une signification à un État étranger : l’absence de signification rend les ordonnances de reconnaissance et les ordonnances de saisie-arrêt ultérieures nulles

[95]           À mon avis, l’OPSA Sunridge et l’ODSA Sunridge constituent des nullités parce que la signification des actes introductifs d’instance comme l’exigeait la LIE n’a pas été faite envers l’État de l’Érythrée. La disposition législative importante est le paragraphe 9(2) :

Signification à l’État étranger

Service on a foreign state

9 (1) La signification d’un acte de procédure introductif d’instance à l’État étranger, à l’exclusion de ses organismes, se fait :

9 (1) Service of an originating document on a foreign state, other than on an agency of the foreign state, may be made

a) selon le mode agréé par l’État;

(a) in any manner agreed on by the state;

b) selon le mode prévu à une convention internationale à laquelle l’État est partie;

(b) in accordance with any international Convention to which the state is a party; or

c) selon le mode prévu au paragraphe (2).

(c) in the manner provided in subsection (2).

Idem

Marginal note: Idem

(2) La signification mentionnée à l’alinéa (1)c) peut se faire par remise personnelle ou par envoi recommandé d’une copie de l’acte introductif d’instance au sous-ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne; le sous-ministre ou cette personne transmet à son tour cette copie à l’État étranger.

(2) For the purposes of paragraph (1)(c), anyone wishing to serve an originating document on a foreign state may deliver a copy of the document, in person or by registered mail, to the Deputy Minister of Foreign Affairs or a person designated by him for the purpose, who shall transmit it to the foreign state.

[96]           Pour avoir gain de cause sur ce point, Delizia doit établir qu’elle a signifié à l’État de l’Érythrée l’acte introductif d’instance menant à l’ordonnance de reconnaissance. Cependant, elle ne l’a pas fait. Les conséquences ont été énoncées par la Cour dans l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Zakhary, 2015 CF 335 [Zakhary].

[97]           L’arrêt Zakhary a été prononcé deux mois après la décision du protonotaire. L’arrêt Zakhary invoquait une plainte pour congédiement injuste par une ancienne employée du consulat des États-Unis à Toronto. La plaignante a obtenu un jugement arbitral qu’elle a déposé avec succès pour exécution auprès de la Cour. Cependant, la plainte originale n’a pas été signifiée à l’État étranger conformément au paragraphe 9(2) de la LIE. Les actes de procédure ont plutôt été envoyés par courrier enregistré aux bureaux consulaires à Toronto, l’ambassade des États-Unis d’Amérique à Ottawa en ayant accusé réception. L’État étranger a demandé et obtenu un contrôle judiciaire : la certification d’exécution a été annulée.

[98]           Dans Zakhary, le juge Rennie (juge alors) a résumé l’exigence obligatoire de signification en vertu de l’article 9 de la LIE :

[20]      La jurisprudence de notre Cour, et d’autres tribunaux, est sans équivoque et bien établie : la signification aux États étrangers doit être faite conformément au paragraphe 9(2) de la LIÉ : Tritt c United States of America, (1989), 68 OR (2d) 284 (QL) (HCJ); Softrade c Tanzania, [2004] OJ No 2325 (SCJ). Les documents laissés aux pieds d’un représentant du consulat des États-Unis ne sont pas signifiés en bonne et due forme. Sauf s’il convient d’un autre mode de signification, l’État étranger ne peut recevoir signification que par l’intermédiaire du sous-ministre des Affaires étrangères : Janet Walker, Castel & Walker: Canadian Conflict of Laws, 6e éd., édition en feuilles mobiles (Markham, Ont. : LexisNexis, 2005), aux pages 10 à 21; H.L Molot et M.L. Jewett, « The State Immunity Act of Canada », (1983) R. du B. can 843.

[21]      L’origine de la règle de l’immunité des États en droit international, sa codification dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et son incorporation dans le droit interne sont exposées en détail dans l’arrêt récent Kazemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, où le juge LeBel de la Cour suprême du Canada, s’exprimant au nom de la majorité, a formulé les remarques suivantes aux paragraphes 42 et 43 :

Au Canada, l’immunité des États à l’égard des poursuites civiles est consacrée par la LIÉ dont l’objet reflète en grande partie celui de la règle en droit international : le respect de l’égalité souveraine. La « pierre angulaire » de cette loi se trouve en son art. 3, qui confirme que les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens « [s]auf exceptions prévues dans la [...] loi. » (Bouzari c. Islamic Republic of Iran (2004), 71 O.R (3d) 675 (C.A.), au par. 42; LIÉ, art. 3). Fait important, la LIÉ ne s’applique pas aux poursuites pénales, ce qui suggère que le législateur était convaincu que la common law en matière d’immunité des États devrait continuer à régir ce domaine du droit (LIÉ, art. 18).

Cependant, lorsqu’il a adopté la LIE, le Parlement a reconnu plusieurs exceptions à la vaste portée de l’immunité des États. Mise à part l’exception relative aux activités commerciales examinée précédemment, le Canada a choisi d’inclure des exceptions à l’immunité en cas de renonciation à celle-ci par l’État étranger de même que dans le cas où il est question de décès, de dommages corporels ou de dommages aux biens survenus au Canada; en matière maritime; et à l’égard de biens détenus par un État étranger au Canada (LIÉ, art. 4, 6, 7 et 8; Currie, p. 395-400; Emanuelli, p. 346-349; J.-M. Arbour et G. Parent, Droit international public (6e éd. 2012), p. 500-508.3).

[22]      Les objectifs de politique que vise à promouvoir l’article 9 de la LIÉ sont formulés dans une note circulaire du gouvernement du Canada datée du 28 mars 2014 et intitulée « La signification des actes introductifs d’instance judiciaire ou administrative mettant en cause le Gouvernement du Canada dans d’autres États ». Selon cette note circulaire, « en vertu de la Loi sur l’immunité des États du Canada, le Canada assure à tout autre État les protections mentionnées [...] quant à la signification de documents introductifs d’une instance au Canada, lesquels documents seront transmis par voie diplomatique à leur ministère des Affaires étrangères dans leurs capitales respectives au moins soixante jours avant la prochaine étape des procédures ». De plus, « [l]a signification à une mission diplomatique ou à un poste consulaire, par quelque moyen que ce soit, est donc sans effet et constitue par ailleurs une infraction à l’Article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques [...] ».

[23]      La signification de la plainte au consulat par envoi recommandé n’était pas conforme à l’article 9 de la LIÉ. Étant donné que la signification conformément à l’article 9 de la LIÉ constitue une condition juridictionnelle obligatoire et préalable à l’introduction d’instances contre les États étrangers, l’arbitre ne pouvait avoir compétence sur les États-Unis.

[...]

[25]      (...) Les dispositions de la LIÉ en matière de signification sont impératives, indépendamment de la personne ou de l’organisme chargé de la signification dans le cadre d’un mécanisme de recours donné.

[Non souligné dans l’original.]

[99]           La Cour en est venue à la même conclusion dans l’arrêt TMR Energy Ltd c. Ukraine (State Property Fund), 2004 CarswellNat 6249 [TMR], à savoir que la signification en vertu du paragraphe 9(2) de la LIE est obligatoire. Dans l’arrêt TMR, un différend est survenu entre le State Property Fund of Ukraine (SPF) [une entité de l’État de l’Ukraine] et TMR Energy Ltd. (TMR), lorsque le SPF a contrevenu à son entente avec TMR, et un jugement arbitral a été accordé en faveur de TMR. Le juge Martineau a refusé d’accorder une ordonnance enregistrant, reconnaissant et exécutant la sentence arbitrale définitive, comme en l’instance, à savoir que l’État concerné n’avait pas reçu la signification en bonne et due forme, conformément à la LIE. Le juge Martineau a déclaré ce qui suit au sujet de l’article 9 de la LIE et les Règles :

10        La Cour ayant déterminé que le SPF est un « organisme d’un État étranger » au sens de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18, modifiée, ou s’il est en fait l’alter ego ou une subdivision de « l’État étranger » lui-même, en l’espèce l’État de l’Ukraine, il n’en demeure pas moins qu’avant d’obtenir ou de prononcer un jugement ou une ordonnance, la signification de l’acte introductif d’instance doit être faite conformément à l’article 9 de la Loi sur l’immunité des États;

[traduction] 11        La Cour ayant déterminé que les conditions et exigences énoncées dans la Loi sur l’immunité des États ont préséance sur les Règles des Cours fédérales, 1998, DORS/98-106, modifiées (les « Règles »; [...]

[Non souligné dans l’original.]

[100]       La Cour d’appel fédérale a unanimement maintenu la décision du juge Martineau sur la nature obligatoire de la signification en vertu de l’article 9 de la LIE : TMR Energy Ltd c. Ukraine (State Property Fund), 2005 CAF 28. La Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’en appeler, mais l’appel a été abandonné.

[101]       M’appuyant sur ce qui précède, je conclus que la signification n’a pas été faite à l’État de l’Érythrée comme l’exige le paragraphe 9(2) de la LIE. Par conséquent, l’ordonnance de reconnaissance ainsi que l’OPSA et l’ODSA Sunridge sont des nullités.

4.         Autres litiges relativement à l’ordonnance de reconnaissance et l’OPSA

[102]       Delizia a soulevé plusieurs autres motifs en vertu desquels elle a soutenu que l’OPSA et l’ODSA Sunridge devraient tout de même être maintenues. Le protonotaire a conclu que le fait que Sunridge n’a pas [traduction] « interjeté appel ou contesté la validité de l’OPSA en temps opportun, aux termes de l’article 399, et l’OPSA est par conséquent devenue définitive ». Pour ce qui est de l’ordonnance de reconnaissance et de l’OPSA, le protonotaire a conclu ceci : [TRADUCTION] « Tout comme l’OPSA, le jugement est aussi devenu chose jugée parce que les deux ordonnances n’ont pas fait l’objet d’un appel. » Il s’est également appuyé sur le fait que l’OPSA et l’ordonnance de reconnaissance [traduction] « indiquaient expressément qu’elles n’ont pas besoin d’être signifiées à l’État ». Ces arguments ont été présentés en appel, mais je ne peux pas les accepter.

(6)               Omission d’interjeter appel

[103]       À mon humble avis, la suggestion selon laquelle Sunridge aurait dû porter en appel ou contester l’OPSA (ou l’ordonnance de reconnaissance) n’est pas convaincante, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, Sunridge a effectivement demandé la suspension de l’ordonnance de reconnaissance et de l’OPSA Sunridge dans le cadre sa présentation de justification, et elle était habilitée à le faire en vertu de l’alinéa 499(1)b) des Règles. Je ne vois aucune raison pour laquelle Sunridge aurait dû avoir recours à l’article 399 au lieu en plus de présenter son document « de justification » en réponse en vertu de l’article 449. L’article 453 prévoit précisément qu’une saisie-arrêt soit jugée par procédé sommaire. Je ne vois rien de sommaire au fait d’exiger qu’un saisi arrêté présente d’autres actes de procédure en plus de justifier pourquoi une ordonnance provisoire de saisie-arrêt ne devrait pas être rendue définitive. C’est particulièrement le cas lorsque l’ordonnance de reconnaissance et l’OPSA ont fait l’objet d’une requête ex parte. Il faut éviter et ne pas encourager une multiplicité d’actes de procédure. Il est extrêmement efficace que des litiges comme celui-ci soient tranchés lors de l’audience de justification; en effet, l’objectif même d’une audience de justification est de juger par procédure sommaire si l’OPSA Sunridge devrait être transformée en ordonnance définitive de saisie-arrêt.

(7)               Chose jugée

[104]       Je ne suis pas d’accord que Sunridge est liée par l’ordonnance de reconnaissance ou l’OPSA Sunridge au motif qu’il s’agit de choses jugées et qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un appel. À mon humble avis, l’argument fondé sur le principe de la chose jugée doit être rejeté parce que le principe de la chose jugée exige à tout le moins une identité des parties, ce qui n’était pas le cas avec l’ordonnance de reconnaissance : Sunridge n’était pas partie à l’ordonnance de reconnaissance et, par conséquent, le principe de la chose jugée ne peut pas s’appliquer. Permettre à Sunridge de régler la validité de l’OPSA au cours de l’audience de justification est aussi conforme à l’objectif sous-jacent du principe de la chose jugée, qui est d’assurer l’efficacité du système judiciaire.

(8)               Contestation indirecte

[105]       Je ne suis pas d’accord pour dire que Sunridge faisait une forme de contestation indirecte inadmissible de l’ordonnance de reconnaissance en invoquant ces moyens de défense comme justifications pour lesquelles l’OPSA ne devrait pas être rendue définitive. Je reconnais qu’il existe une règle qui interdit les contestations indirectes. Cependant, à mon avis, le fait de soulever ces questions est expressément permis par la disposition sur la « justification » comprise dans les Règles, qui à la fois autorisait et obligeait Sunridge à « faire valoir » les raisons pour lesquelles une ordonnance définitive de saisie-arrêt ne devrait pas être rendue : alinéa 449(1)b) des Règles. Par conséquent, la règle sur la contestation indirecte ne s’applique pas. Ce qui s’est produit n’était pas une contestation indirecte; il s’agissait de faire valoir les raisons pour lesquelles l’OPSA ne devrait pas être rendue une ODSA.

(9)               Renonciation à l’exigence de signification à l’Érythrée dans l’ordonnance de reconnaissance et l’OPSA

[106]       Tant l’ordonnance de reconnaissance que l’OPSA Sunridge visent à renoncer à l’exigence de signification à l’Érythrée. À mon humble avis, la Cour conformément à ses Règles ne peut pas dispenser de l’obligation de respecter les exigences de signification de la LIE. C’était la conclusion expresse tirée par le juge Martineau dans TMR qui l’a formulée comme suit :

[TRADUCTION]

3          La Cour ayant, dans une ordonnance délivrée en même temps que la présente ordonnance, décidé que l’ordonnance délivrée le 17 janvier 2003 par le protonotaire Morneau a été rendue en absence de compétence et devrait être annulée;

4          La Cour étant maintenant saisie d’une requête présentée par TMR, ex parte, d’une ordonnance nunc pro tunc (ou de bene esse) d’enregistrement, de reconnaissance et d’exécution du jugement suivant le dossier tel qu’il était au moment où TMR a présenté sa requête originale à la Cour, soit le 15 janvier 2003; [...]

10        La Cour ayant déterminé que le SPF est un « organisme d’un État étranger » au sens de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18, modifiée, ou s’il est en fait l’alter ego ou une subdivision de « l’État étranger » lui-même, en l’espèce l’État de l’Ukraine, il n’en demeure pas moins qu’avant d’obtenir ou de prononcer un jugement ou une ordonnance, la signification de l’acte introductif d’instance doit être faite conformément à l’article 9 de la Loi sur l’immunité des États.

11        La Cour ayant déterminé que les conditions et exigences énoncées dans la Loi sur l’immunité des États ont préséance sur les Règles des Cours fédérales, 1998, DORS/98-106, modifiées (les « Règles »;

[...]

21        La Cour ayant conclu que, en raison de l’annulation de l’ordonnance délivrée le 17 janvier 2003 par le protonotaire Morneau et du refus simultané de la Cour de délivrer, ex parte, une ordonnance nunc pro tunc (ou de bene esse) d’enregistrement, de reconnaissance et d’exécution du jugement suivant le dossier tel qu’il était au moment où TMR a présenté sa requête originale, la saisie de l’aéronef ne peut pas être maintenu valide en vertu du paragraphe 399(3) des Règles, ou de toute autre règle;

[Non souligné dans l’original.]

[107]       Les obligations internationales du Canada envers les autres nations, adoptées dans la LIE, ne peuvent pas faire l’objet d’une renonciation en vertu des Règles de la Cour. La LIE elle-même ne confère aucun pouvoir à cet effet. Renoncer à ses obligations en vertu des Règles exigerait, à mon humble avis, un libellé très clair du Parlement, ce qui n’est pas le cas. J’accepte aussi que la LIE a préséance sur des mesures législatives subordonnées comme les Règles pour les motifs énoncés dans Zakhary.

5.         Exemption liée à l’activité commerciale

[108]       Delizia a également soutenu que Sunridge ne peut pas soulever la question de ce qui constitue ou pas une « activité commerciale » parce que le faire constitue une contestation inadmissible de la conclusion de l’ordonnance de reconnaissance. L’ordonnance de reconnaissance avait conclu que les créances échues ou à échoir alléguées de Sunridge envers l’Érythrée et ENAMCo constituaient une « activité commerciale »; l’ordonnance de reconnaissance précise au paragraphe 5 ce qui suit : [TRADUCTION] « [l]e défendeur ne jouit pas d’une immunité de juridiction de la Cour conformément aux dispositions de l’article 5 de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18 ».

[109]       Par contre, un tribunal délivrant une ordonnance de reconnaissance n’entend qu’une version de l’affaire. Je ne critique pas Delizia de présenter une requête ex parte, mais l’ayant fait, elle doit accepter la conséquence d’obtenir une ordonnance ex parte. En l’espèce, Sunridge, une fois qu’elle a reçu l’avis de ce qui s’était passé, a été autorisée à s’opposer à la conclusion de l’ordonnance de reconnaissance ex parte concernant l’« activité commerciale ». Cette conclusion était réfutable et a été réfutée.

[110]       À mon avis, on ne gagnerait rien à ce que les Règles disposent que les ordonnances de saisie-arrêt exigent des tiers-saisis de « faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer » [alinéa 449(1)b) des Règles] si l’on empêche le tiers-saisi de faire précisément cela. L’OPSA Sunridge ordonnait à Sunridge de « faire valoir les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas payer ». Maintenant, Sunridge dit qu’elle ne devrait pas payer pour cause de non-conformité à la LIE. Tant le libellé de l’alinéa 449(1)b) des Règles que les principes de justice fondamentale, séparément et de concert, donnent à Sunridge le droit de soulever la question de non-conformité avec la LIE.

6.         Si la Cour n’a pas commis une erreur en accordant une ordonnance définitive de saisie-arrêt, est-ce que la Cour a néanmoins commis une erreur en ordonnant à Sunridge de répondre aux questions auxquelles elle s’était opposée en contre-interrogatoire?

[111]       Pour ce qui est des communications demandées, la norme de contrôle pour un juge de révision d’ordonnances de communication délivrées par un protonotaire est énoncée dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F. 425 aux paragraphes 67 et 68 [Aqua-Gem]. La cour de révision ne devrait pas intervenir lorsque l’ordonnance de la Cour est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

[112]       La portée des questions posées lors d’un contre-interrogatoire comme celui-ci est limitée et plus étroite que la portée de la communication et est, par ailleurs, limitée aux questions pertinentes découlant de l’affidavit lui-même : Sivak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 402 aux paragraphes 12 et 13. À ce titre, tous les aspects de la communication sont soumis à la notion de pertinence : Royal Bank of Scotland plc c. Golden Trinity (Le), [2000] 4 RCF 211 aux paragraphes 15 à 17. De plus, le contre-interrogatoire ne peut pas servir à faire des demandes à l’aveuglette : Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc (1988), 23 CPR (3d) 362 (CF) au paragraphe 9.

[113]       Il n’est pas nécessaire d’analyser cette question puisque j’ai conclu que l’OPSA est une nullité pour non-conformité à la LIE, et que j’ai conclu qu’il n’y avait aucune créance à saisir. De plus, il n’y a aucune utilité pratique à ordonner qu’un tiers-saisi réponde à des questions posées dans le but d’obtenir une ordonnance définitive de saisie-arrêt une fois qu’une ordonnance définitive de saisie-arrêt a été délivrée, c.-à-d. une fois que le créancier saisissant a obtenu la réparation qu’il demandait. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je le ferai.

[114]       Le litige en l’instance était de déterminer si et dans quelle mesure il y avait des créances échues ou à échoir entre Sunridge et l’Érythrée et/ou ENAMCo. Pour cette raison, Sunridge a refusé de divulguer certains renseignements demandés par Delizia avant l’audience de la requête en ODSA au motif que cela ne s’applique pas au présent litige.

[115]       Je suis d’accord avec Sunridge et je conclus que l’ordonnance enjoignant à Sunridge de répondre aux questions de Delizia s’appuyait sur un principe erroné.

[116]       L’OPSA Sunridge ordonnait à Sunridge de répondre aux questions suivantes, auxquelles Sunridge s’était opposée en contre-interrogatoire :

1.                  Fournir le nom de la banque en Érythrée où le chèque a été traité et rapproché concernant le paiement pour le renouvellement des permis d’exploration minière.

2.                  Donner des renseignements sur la méthode de comptabilité et de classement utilisée pour retenir les paiements fiscaux à l’État de l’Érythrée dans les relevés financiers de Sunridge Gold Corp., y compris tous les paiements faits par Sunridge Gold Érythrée ou par Sunridge Gold Corp. à l’État de l’Érythrée.

[117]       À première vue, la question no 1 est une tentative d’obtenir des renseignements que l’on obtient habituellement lors de l’interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée une fois qu’une partie a obtenu un jugement. Ensuite, elle peut devenir une question légitime parce qu’elle cherche à identifier une entité à laquelle d’autres ordonnances d’exécution peuvent être adressées. Par conséquent, cette question est à première vue inappropriée, car elle est trop tôt à l’égard d’une requête en ordonnance définitive de saisie-arrêt. Même si elle n’était pas trop tôt, cette demande de renseignements n’a aucun lien avec la question du présent litige, qui consiste à savoir s’il existe des créances échues de Sunridge à l’Érythrée étant donné que Delizia devait l’établir pour obtenir une ODSA.

[118]       La deuxième question cherche à obtenir des renseignements qui ont trait à la méthode de comptabilité utilisée pour retenir les paiements fiscaux à l’État de l’Érythrée dans les relevés financiers de la société. Cette demande est théorique et, par conséquent, non pertinente parce que le protonotaire a conclu que la retenue des paiements fiscaux n’est pas saisissable.

V.                Conclusion

[119]       Par conséquent, l’appel doit être accueilli et l’OPSA Sunridge et l’ODSA Sunridge sont annulées.

VI.             Dépens

[120]       À mon avis, les dépens devraient suivre les règles normales et, par conséquent, suivront la cause. Par conséquent, les dépens sont accordés, en l’espèce, à Sunridge, en ce qui concerne l’ODSA et le sursis. Sunridge a présenté une liste détaillée des dépens en ce qui concerne l’ODSA, le sursis d’instance et le présent appel qui sont raisonnables, sauf que les dépens que réclame Sunridge à la colonne V devraient être calculés au point milieu de la colonne IV. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant recalculé, elles peuvent se renseigner davantage par écrit dans les 15 jours du présent jugement.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  l’appel est accueilli.

2.                  l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt du 31 juillet 2013 et l’ordonnance définitive de saisie-arrêt du 9 janvier 2015 sont annulées.

3.                  Delizia doit payer les dépens à Sunridge pour le présent appel, le sursis et l’audience en ordonnance définitive de saisie-arrêt, en fonction du montant réclamé dans le mémoire des dépens présenté par Sunridge, sauf que les dépens que réclame Sunridge à la colonne V devraient être calculés au point milieu de la colonne IV. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant recalculé, elles peuvent se renseigner davantage par écrit dans les 15 jours du présent jugement.

4.                  L’intitulé de la cause est modifié et devient celui qui est indiqué à la première page des présentes, avec prise d’effet immédiate.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1157-13

 

INTITULÉ :

SUNRIDGE GOLD CORP. c.

DELIZIA LIMITED c.

ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert W. Cooper

Andrew Crabtree

 

Pour l’APPELANTE/TIERCE-SAISIE

 

Laurent Debrun

Laurent Huot

 

Pour l’INTIMÉE/CRÉANCIÈRE SAISISSANTE

 

Personne

Pour L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cooper Litigation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’APPELANTE/TIERCE-SAISIE

 

Kaufman Laramée, LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour l’INTIMÉE/CRÉANCIÈRE SAISISSANTE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.